Fingerspitzengefühl ?
Que signifie ce mot très long ? C'est de l'allemand, qui
signifie environ « intelligence du bout des doigts »,
mais pas exactement, et c'est précisément la différence qui est
intéressante.
Finger, c'est le
doigt : là, pas de glissement de sens. Spitzen : c'est la
pointe, et une connotation non pas d'extrémité, mais d'extrémité
effilée, pointue. Et Gefühl n'est pas « intelligence »,
mais le ressenti, la sensation.
Dans ce mot allemand
intéressant, il y a donc la perception la plus affinée que l'on a
avec les doigts, plutôt une sensation qu'une action, alors que
l'expression française d' « intelligence du bout des
doigts » y met d'abord la tête, la réflexion, plutôt que la
sensation. On trouve là le vieux débat entre la tête et la main,
certains prétendant que c'est la tête qui fait marcher la main, et
d'autres reconnaissant justement que la tête sans la main n'est
rien. En réalité il faut les deux, de sorte que ni le mot allemand
ni l'expression française ne conviennent vraiment pour dire cette
intelligence habile de la manipulation laquelle met en œuvre une
tête intelligente et des doigts sensibles, percevant bien et
agissant précisément.
On ne dira jamais
assez, surtout dans notre société française dominée par le
calcul, les mathématiques, qu'aucune théorie du tennis ne permettra
jamais de jouer comme un champion à qui ne pratique pas. En matière
scientifique, où s'imposent à la fois le calcul et expérimentation,
il en va de même : on aura beau calculer merveilleusement, on
ne fera pas de science décente si l'on est incapable de bouger
correctement ses doigts ou si l'on n'a pas, autour de soi, des
collègues qui ne font pas cela parfaitement. Dans l'expérimentation,
le geste est constant, et déterminant, même quand l’expérience a
été parfaitement planifiée.
Je sors, par
exemple, d'un dosage qui imposait des gestes tels que emplir une
burette, actionner un robinet, de sorte que la solution de dosage
vienne goutte à goutte, et non seulement goutte à goutte, mais avec
des gouttes tombant avec un rythme précis ; je veux ici
témoigner de ce que s'imposait absolument un doigté extrêmement
précis, pour remplir la burette sans qu'aucune goutte de solution ne
vienne jaillir, pour que le rythme d'écoulement des gouttes soit tel
qu'il fallait aux divers stades de l'expérimentation, c’est-à-dire
plus lentement surtout vers la fin (environ une goutte toutes les
trente secondes).
Cela,
c'est pour les sciences de la chimie, mais il en va de même pour les
sciences physiques, et je me souviens d'expériences de microscopie à
force atomique où le maniement des pointes, même s'il était
finalement commandé électriquement par un cristal piézo-électrique,
imposait des manipulations minutieuses.
On ne
dira pas assez que la science est non seulement affaire de
compréhension au niveau le plus abstrait, mais aussi de précisions
dans les calculs et de précision expérimentale. La tête doit être
parfaitement affûtée, et les doigts également. J'ai été
longtemps fasciné par ce mot allemand Fingerspitengefühl, que
j'avais recueilli de la bouche d'un lauréat du prix Nobel, mais je
sais aujourd'hui que le mot est inapproprié, et il y aurait lieu de
concocter un néologismes autour de mots tels que « dextérité »
ou « habileté ». Dextérité ? Pour un gaucher,
c'est quand même un peu exagéré. Habileté ? Le mot provient
du latin « convenable ».
Habileté
scientifique ?
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