Le superflu est gênant. Ici je propose deux champs d'application de cette idée que je crois générale : la littérature et les sciences de la nature.
Pour la littérature, il y a la question essentielle de la lisibilité : si nous digressons, nos interlocuteurs perdront le fil, et, à moins que ce ne soit une idée artistique d'égarer nos amis, la digression est une faute. De même pour l'épithétisme, qui consiste à accumuler des adjectifs qualificatifs, des épithètes. Quand l'épithétisme est involontaire, quand il est seulement une sorte de logorrhée incontrôlée, notre lecteur s'y perd, parce qu'il ne voit plus où diriger sa pensée. Bien sûr, là aussi, des artistes peuvent jouer de la faute pour la transformer en qualité... mais n'est pas Rabelais qui veut ! Le plus souvent, l'expérience montre que l'épithétisme n'est pas voulu, et que le lecteur le subit : le superflu est gênant.
Passons maintenant aux sciences de la nature. On vient de m'afficher une diapositive pour me présenter les matériels et les méthodes qui étaient employés pour une étude scientifique. La diapositive était surchargée de détails inutiles à la compréhension : la taille des béchers, l'hygrométrie, la température… Je ne dis pas que mon interlocuteur avait tort de consigner toutes ces indications... mais il fallait qu'il le fasse dans son cahier de laboratoire, et qu'il m'évite les détails inutiles, qui m'empêchaient de bien comprendre son discours. Et pourquoi n'aurait-il pas été jusqu'à m'indiquer à quelle heure il s'était brossé les dents ? On ne montre en public que ce qui a fait l'objet d'un peu de travail, de soin ; quand on reçoit un ami, on s'assure, dit Jean-Anthelme Brillat-Savarin, de son bonheur pendant tout le temps qu'il est sous notre toit. De même, lors d'une présentation scientifique, on doit surtout se préoccuper de bien faire comprendre nos travaux à nos interlocuteurs.
Cela vaut pour les publications scientifiques. J'ai vu aussi, récemment, dans l'introduction d'un article scientifique des considérations qui avaient bien peu de rapport avec le sujet du travail présenté. Quand on tombait sur ces indications, on passait un long moment à s'interroger pour savoir quel était le rapport avec le sujet, et finalement on ne le trouvait pas... parce qu'il n'y en avait pas. Notre auteur nous avait fait perdre notre temps. On voit que, là encore, le superflu est gênant.
Nous n'avons considéré que deux champs, mais n'aurions-nous pas raison de généraliser, et de conserver cette idée générale : le superflu est gênant ?
Elaguons afin d'aider nos amis à comprendre que nous voulons leur dire. Et c'est ainsi qu'un discours épuré, structuré, atteindra mieux son but qu'une accumulation désordonnée.
PS. On n'oubliera pas un de mes billets où je discutais la question d'une possible élégance du baroque. Le baroque est tout accumulation, alors que l'élégance semble être une pureté de ligne, où tout ajout est gênant. Peut-il exister un baroque élégant ? Voilà la question qui est posée par ailleurs.
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