Parmi
les aphorismes de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, il y en a un que je
déteste parce qu'il stipule que l'on devient cuisinier, mais que
l'on naît rôtisseur. Quoi : aucun travail ne pourrait nous
donner la compétence de la rôtisserie, qui serait innée ?
En
réalité, Brillat-Savarin a inventé des histoires, qu'il a
merveilleusement racontées ; il a seulement colligé un grand
nombre d'idées gastronomiques qui étaient dans l'air pour composer
un bouquet bien plus beau que les fleurs qu'il avait amassées ça et
là. Son génie littéraire nous a fait gober des tas d'idées,
justes ou fausses... mais encore je trébuche sur le mot « génie »,
qui voudrait faire croire à des « dons » : dans le
cas particulier de Brillat-Savarin, aucun don, puisque son livre fut
un immense travail, celui de toute une vie.
Bref
Brillat-Savarin a recueilli des fleurs, et toutes n'étaient pas
d'égale qualité : l'aphorisme consacré à la rôtisserie est
mauvais. Oui, tout d'abord, on peut devenir cuisinier si l'on
travaille : si l'on travaille suffisamment, si l'on s'interroge
sur l'acte de cuisiner, il y a fort à parier que l'on peut devenir
un excellent cuisinier. Evidemment, tous les cuisiniers ne sont pas
égaux, mais il suffit de les interroger pour voir que tous n'y ont
pas passé le même temps, tous n'y ont pas mis le même soin, tous
n'ont pas réfléchi avec autant d'intensité, d'incertitude, de
doute, à l'acte de cuisiner, et cela fait toute la différence. Dans
un registre artistique différent, la musique, je viens de visionner
un cours public du violoncelliste Mstislav Rostropovitch, qui disait
à ses jeunes élèves que seule une chose comptait, le nombre
d'heures passées à travailler : et s'il n'avait pas tort ?
Venons
en maintenant à la question de la rôtisserie. Est-elle innée ?
Je ne le crois pas, car je me souviens trop bien de mes camarades de
classe, au collège ou au lycée, qui nous disaient dédaigneusement
qu'ils avaient de bon résultats sans rien faire. Renseignements
pris, il y passaient des heures, et ce snobisme n'était pas à leur
honneur. Je ne crois guère aux « facilités », et encore
moins à l'impossibilité de ne pas devenir... par le travail, ce que
l'on a décidé de devenir.
Evidemment,
je ne parle pas des qualités physiques, la taille, le poids, car il
y a une vraie différence. Je parle de compétences qui ne sont
innées pour personne, et que l'on peut obtenir.
Tiens,
d'ailleurs, la rôtisserie : et si l'on analysait un peu ?
Commençons par un poulet. Il suffit d'une expérience, et d'une
seule, de rôtissage d'un poulet trop près d'un feu vif pour
observer qu'il charbonne. Et il suffit d'un thermomètre pour
apprendre à mettre le poulet à une distance du feu telle que la
température sera telle que nous le désirons. Cela parce que les
feux modernes sont d'une régularité bien plus grande que les feux
d'antan. Si nous voulons du 61 °C, nous l'aurons ; du 70 °C,
itou. D'où les basses températures qui font des chairs
parfaitementst tendres, pas sèches.
Ces
deux expériences faites, posons-nous la question de l’objectif :
comment voulons-nous notre poulet rôti. Cuit ? Cela signifie
que les chairs doivent être portées à une température qui dépend
de notre goût. Par exemple, pour ceux qui veulent non seulement la
coagulation des chairs, mais aussi leur passage du rose au blanc, il
faut un bon 70 °C. D'autre part, pouur que la peau soit
croustillante, il faut que son eau soit évaporée. Et c'est là que
des températures bien supérieures à 100 °C (l'ébullition de
l'eau), comme pour les fritures, seront utiles. Si l'on dissocie
ainsi la cuisson de l'intérieur, très simple grâce aux bases
températures, et la cuisson de la peau, facile aussi avec les hautes
températures que l'on peut atteindre, alors la question du rôtissage
est réglée.
Il
faut donc changer l'aphorisme : on devient cuisinier si l'on
travaille, et l'on peut devenir également rôtisseur, si l'on
travaille.
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