J'ai (re)lu pour vous le merveilleux livre Pourquoi ne passons-nous pas à travers le plancher ?
Quand
on pose cette question, on est amené à considérer deux « solides », à
savoir notre corps et le plancher. Dans les deux cas il s'agit de
matière, c'est-à-dire in fine d'atomes. Or, dès le collège,
nous apprenons de les atomes sont « vides ». Pour nous représenter
l'atome d'hydrogène, on nous invite à penser que si le proton du noyau
est comme une orange place de la Concorde, à Paris, alors l'électron
est un grain de poussière à Versailles. Si l'on considère des atomes
plus gros, le carbone, l'oxygène, il en va de même. Ajoutons d'ailleurs
que cette description ne vaut pas grand-chose et que c'est une toute
première approche. La question des tailles des particules est bien plus
passionnante qu'une simple métaphore.
Revenons à notre question :
même si notre corps est fait de très nombreux atomes, il n'en reste
pas moins que tous ceux-là sont très vides, et il en va de même pour le
plancher. On serait donc amené à conclure, dans cette description naïve
de « particules » très petites, bien localisées et séparées par de
grandes distances, que le corps et le plancher pourraient
s'interpénétrer, de sorte que nous glisserions à travers le plancher.
Le
fait est que nous ne glissons pas. Cette question est la même que bien
d'autres qui résultent d'une vision naïve de la matière. Par exemple, à
propos des membranes cellulaires, des doubles couches de phospholipides
(plus d'autres molécules) : les manuels représentent les phospholipides
par une petite sphère munie de deux pattes grêles, et les images des
doubles couches de phospholipides montrent un réseau très serré de
telles molécules. Pourtant, là encore, la composante matérielle est
quasi rien ; or ces doubles couches de phospholipides limitent
véritablement les cellules, empêchant les échanges entre l'extérieur
et l'intérieur, et heureusement, sans quoi notre corps se viderait de
son contenu, et l'environnement pourrait s'y introduire ! Autre exemple
un peu plus technique : les micelles qui se forment quand on met du
savon dans de l'eau. Là, les têtes sphériques n'ont qu'une seule jambe
(on dit une queue), et ces molécules de savons se regroupent, les têtes à
l'extérieur et les queues à l'intérieur, formant des sphères. Pourtant
le chimiste a de quoi s'étonner, car il sait que le motif représenté
par les têtes se réduit à quatre ou cinq atomes, alors que les queues
sont des longues chaînes de carbone et d'hydrogène. Pourquoi
représente-t-on quatre atomes comme une grosse sphère, et une chaîne 20
atomes de carbone comme une frêle queue ? La réponse à cette dernière
question éclaire la question initiale de notre corps et du plancher :
ce qui compte, c'est moins la « matière » que son influence,
c'est-à-dire les forces électriques d'attraction ou de répulsion. Dans
le cas des micelles, par exemple, les têtes sont chargées
électriquement, et elles se repoussent très vigoureusement. Ce que l'on
symbolise ainsi, par de grosses têtes, c'est un rayon d'action et ce
sont des champs électromagnétique qui nous empêchent donc de traverser
le plancher. Quand on joue avec des champs électriques ou magnétiques à
l'échelle macroscopique, par exemple quand on utilise des petits
aimants comme on en colle sur le réfrigérateur, les forces ne sont pas
bien grandes, mais comme elles varient comme l'inverse de la distance
au carré, elles deviennent considérables aux distances inter-atomiques,
interparticulaires.
Et c'est ainsi que nous ne passons pas à travers le plancher.
Si cette question vous intéresse, je vous recommande ce livre de poche écrit en anglais Why you don't fall through the floor, ainsi que le livre publié par le même auteur, J. E. Gordon, aux Editions Pour la Science.
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