mercredi 25 juin 2025

La construction d'une assiette : il faut construire, et pas seulement juxtaposer

On n'a pas suffisamment expliqué que construire une assiette, c'est... construire une assiette, et pas seulement y disposer des éléments séparés. 

 

 Imaginons une assiette qui soit composée d'un filet de poisson, de riz, et de croquettes d'aubergine. 

Si, dans l'assiette, il y a d'un côté le poisson, de l'autre le riz, et enfin l'aubergine, alors c'est en réalité trois assiettes qui sont présentes, et pas une seule. 

De ce fait, si l'on mange séparément les trois éléments, il y a de fortes chances pour qu'ils soient un peu "tristes". 

Et si l'on veut associer les trois éléments, comment le faire ? Personnellement, je ne sais jamais comment je dois faire. Bien sûr, s'il s'agit simplement de nutriments, peu importe l'ordre, et je fais selon mon choix, selon mon appétit, selon mon envie... 

Mais s'il y a une œuvre culinaire réalisée par un artiste, alors il doit y avoir une raison pour le choix du poisson, du riz et de l'aubergine : quand je mange ces différents éléments, je dois être guidé... ce qui conduit presque immanquablement à superposer les éléments, et non pas à les juxtaposer. 

 Se pose alors la question de la construction et l'on comprend bien que le résultat ne sera pas le même si on met le riz dessous et le poisson dessus, ou inversement, par exemple. 

C'est tout cela l'enjeu du constructivisme culinaire, que nous avons discuté tant de fois avec mon ami Pierre Gagnaire : préparer une assiette, c'est faire une construction... des mots qui doivent nous faire souvenir que Marie-Antoine Carême, le cuisiniers des empereurs, avait introduit la "cuisine monumentale" : il ne s'agissait pas seulement de reproduire des bâtiments en sucre, mais, au contraire, de construire les plats.

mardi 24 juin 2025

SayFood : notre belle unité de recherche

 Elle est présentée ici : 

Voir la plaquette de présentation pour la version FR : https://umr-sayfood.versailles-saclay.hub.inrae.fr/

 

See the research unit overview pour la version EN : https://eng-umr-sayfood.versailles-saclay.hub.inrae.fr/


Pas d'adjectif subjectifs !

Ce matin, en faisant ma veille bibliographique, je trouve un article intitulé "Egg yolk phospholipids as an ideal precursor of fatty note odorants for chicken meat and fried foods: A review", et je m'empresse de dénoncer la revue qui a publié un tel texte (et, évidemment, les auteurs qui l'ont soumis, et les rapporteurs qui l'ont accepté ! Lisons bien : il s'agit d'un précurseur lipidique du goût de poulet et d'aliment frit. Là, rien de spécial : il peut effectivement y avoir des précurseurs odorants de type phospholipidiques à des composés odorants présents dans le poulet et les fritures. Mais "idéal" ? Un tel mot n'a rien à faire en science, car l'idéal des uns n'est pas celui des autres. Et puis, idéal, de quel point de vue : économique ? olfactif ? pour la culture chinoise qui est celle des auteurs ? toxicologique ? physiologique ? Décidément, il y a lieu d'aller voir de près comment cette revue a finalement accepté un tel texte. En attendant, je vais donc écrire à l'éditeur pour que de telles absurdités ne se reproduisent pas.

Connaissez-vous les Notes Académiques de l’Académie d’Agriculture de France ? (les « N3AF »)

 

Connaissez-vous les Notes Académiques de l’Académie d’Agriculture de France ? (les « N3AF »)


Les Notes académiques de l’Académie d’agriculture de France sont une publication d'information et d'éducation scientifique, technologique et technique, propriété de l'Académie d'agriculture de France, dont l'objectif est de permettre aux chercheurs de faire connaître rapidement leurs travaux et idées à la communauté internationale. Les langues de publication sont le français ou l'anglais.

C’est une revue électronique à comité de lecture au « modèle diamant à accès ouvert » : ni les auteurs ni les lecteurs ne payent (https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/annees). Les évaluations des manuscrits sont doublement anonymes : les éditeurs en charge et les rapporteurs ignorent qui sont les auteurs, et les auteurs ignorent qui sont l’éditeur et les rapporteurs.
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La publication offre une information actualisée et rigoureuse à propos de tous les domaines couverts par les dix sections de l'Académie d'agriculture de France, qui recouvrent des sciences diverses tant sociales que naturalistes ou technologiques (voir ci-dessous). Elle publie des articles originaux, des articles d'actualité, des notes de conjoncture, des synthèses, des revues bibliographiques, des rapports, des commentaires critiques d’ouvrages ou d’articles, des points de vue, des textes de conférences, des lettres à la rédaction, des cours, des articles « Potentiels de la science  pour une agriculture durable », et d’autres encore : voir https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/rubriques

Section 1 - Productions végétales

Section 2 - Forêts et filière bois

Section 3 : Élevage

Section 4 : Sciences humaines et sociales

Section 5 : Interactions milieux-êtres vivants

Section 6 : Sciences de la vie

Section 7 : Environnement et territoires

Section 8 : Alimentation humaine

Section 9 : Agrofournitures

Section 10 : Économie et politique

lundi 23 juin 2025

Ceux qui parlent de "pâté en croûte", ou de "pâté croûte" n'ont pas assez réfléchi à ce qu'ils disent

Ceux qui parlent de "pâté en croûte", ou de "pâté croûte" n'ont pas assez réfléchi à ce qu'ils disent. 

Je suis obligé de l'expliquer encore : hier, dans un restaurant, j'ai été obligé d'expliquer à mon interlocuteur que ce qu'il nommait un pâté en croûte ne méritait pas ce nom. Et je dois dire qu'il a fallu que j'insiste parce que le maître d'hôtel avait la comprenette difficile. Disons tout disons d'abord que de la viande broyée que l'on cuit ne fait pas un pâté, mais une terrine si on la cuit dans une terrine. En revanche, on obtient un pâté si l'on cuit dans une pâte : pâte, pâté. N'est-ce pas évident ? Evidemment il y a des gens qui parlent un peu au hasard qui n'ont pas réfléchi à ce genre de choses et ceux-là s'obstinent souvent, mais passons. Il y a donc les pâtés d'un côté, et les terrines de l'autre. Les terrines sont souvent servies froides, mais il existe deux sortes de pâté : les pâtés chauds et les pâtés froid. Cela se trouve dans tous les livres de cuisine, de charcuterie, de pâtisserie. Et l'on trouve un très grand nombre de pâtés différents qu'il s'agisse des pâtés lorrains, des pâtés Pantin, des pâtés de Pézenas... 

Pour ce que les livres de cuisine ont toujours justement nommés des "pâtés froids", il y a une espèce de mode qui les fait appeler pâté en croûte ou pâté croûte. A la limite on pourrait dire terrine en croûte... mais cela serait un pâté. 

Bref, soyons simples et justes : distinguons les terrines, les pâtés, et parmi les pâtés, les pâtés chaud et les pâtés froid. J'ajoute pour terminer que la vogue actuelle de ces pâtés froids vendus sous le nom fautif de pâté en croûte, conduit certains commerçants à vendre de la pâte pour le prix de la viande : il y a autour une indigeste épaisseur de pâte, et bien peu de viande. Pis encore, parfois, la viande est sous une épaisse couche de gelée, d'ailleurs trop "collée", et donc avec peu de goût. 

Le commerce comme disait Alexandre Vialat, a bien des façons de se comporter de façon malhonnête, et on aura jamais intérêt à aller terminologiquement dans son sens, sans quoi on prendrait des vessies pour des lanternes. Je signale enfin que, dans les livres de cuisine, de pâtisserie et de charcuterie du passé, les pâtés froids avaient une couche de pâte assez mince, croustillante, ce qui en fait des objets bien plus intéressants gustativement, car, alors, toute la croûte est cuite, toute la croûte est croustillante, toute la croûte fait contraste avec la tendreté des chaires internes.

dimanche 22 juin 2025

L'investissement ?

Combien de temps passer à son travail ? Dans un billet précédent, j'avais indiqué que l'on ne faisait de la bonne science qu'en y pensant beaucoup, mais mon analyse m'avait conduit à conclure que, pour être un bon ingénieur, il y avait lieu de faire de même. Et j'ai reçu un commentaire d'un étudiant : "Je suis complètement d’accord sur le fait qu’il faut être intéressé, investi et engagé dans son travail et c’est encore mieux si cela est un métier-passion. Là où je ne te rejoins pas est dans l’extrait suivant : "l'ingénieur passionné de son métier passera tous ses moments, vacances ou week ends à exercer son métier, sa passion”. J’ai des passions en dehors de mes études et je compte bien utiliser mon temps libre pour les poursuivre. L’équilibre travail/vie personnelle est donc important pour moi. C’est d'ailleurs le cas de la majorité des jeunes aujourd’hui (cf cet article IPSOS https://www.ipsos.com/fr-fr/observatoire-societal-des-entreprises-le-rapport-au-travail-de-la-generation-z) notamment car on ne sait pas si notre génération bénéficiera d’un régime des retraites. En réalité, mon jeune ami répond "à côté" : j'avais parlé d'un ingénieur passionné par son métier, et pas quelqu'un qui aime raisonnablement ce dernier. J'insiste : les mots ont un sens, et une passion n'est pas un simple amour. Quant à la question de la retraite, c'est une contingence dont la passion n'a que faire. Je reprends cette formule : le talent fait ce qu'il peut, mais le génie fait ce qu'il doit. Le génie ? C'est la passion. * Moi, je n'ai pas parlé d'investissement, mais de temps passé à faire que l'on aime passionnément.

samedi 21 juin 2025

Des échanges avec un élève ingénieur qui cherche sa voie

J'avais écrit "dans une école d'ingénieurs, les étudiants qui ont fait le choix d'y aller visent quand même le métier d’ingénieur.” Et un élève ingénieur me répond : "Alors que j’arrive à la fin du cursus ingénieur, être ingénieur n’est encore pas clair pour moi et cela l’était encore moins quand j'ai commenc mes études d'ingénieur. De ce fait, oui, je visais le métier d’ingénieur mais j’ai surtout fait ce choix car je savais que je voulais travailler dans l’industrie agroalimentaire et développer des produits ou ingrédients en comprenant ce qu’il se passe "à l’intérieur" d’un produit. Ce métier et ce secteur m’intéressent toujours mais lors de ma formation d’ingénieur, j’ai découvert des disciplines de recherche que j’ignorais avant. En exagérant un peu, la recherche se limitait pour moi dans les grandes lignes soit à un mathématicien qui cherche à démontrer toute sa vie durant un théorème, soit aux médecins chercheurs qui espèrent trouver des traitements pouvant soigner le plus grand nombre. Je ne pensais pas que la recherche pouvait être appliquée aux aliments et dont qu’une carrière pouvait se construire là-dessus. Celui que j'étais il y a 3 ans me rirait au nez si je lui disais que je recherche une thèse actuellement… Ainsi, je me tourne vers une carrière scientifique parce que je ne savais pas que cela était possible dans le domaine de l’alimentaire." Commençons par le commencement : savoir ce qu'est un ingénieur. Le TLFi donne d'abord un sens ancien : "elui qui construisait ou inventait des machines de guerre ou qui assurait la conception et l'exécution des ouvrages de fortification ou de siège des places fortes. " mais aussi un sens moderne : "Personne qui assure à un très haut niveau de technique un travail de création, d'organisation, de direction dans le domaine industriel." Cela étant établi, je repère une incohérence dans la réponse de mon jeune ami Cela étant établi, je repère une incohérence dans la réponse de mon jeune ami, parce qu'il vise une carrière scientifique, alors qu'il envisage une "recherche appliquée aux aliments"... c'est-à-dire un travail technologique. Bref, notre ami veux faire de la technologie... et où faire cela mieux que dans l'industrie (alimentaire dans son cas) ? D'autre part, les thèses ne sont plus aujourd'hui des travaux seulement scientifiques. Depuis que la thèse d'état et la technique de docteur ingénieur ont fusionné, on peut très bien faire une thèse de technologie... pour travailler ensuite dans l'industrie. On dispose d'une formation qui prolonge les études en école d'ingénieur ou en mastère, et l'on peut alors mieux exercer son métier. Bref, notre jeune ami confond science et technologie, preuve que son école d'ingénieur n'a pas suffisamment expliqué la différence, ou qu'il n'a pas bien écouté ou compris.