lundi 14 octobre 2024

La sauce brune ?

Les livres de cuisine parlent souvent de sauce brune : de quoi s'agit-il ? 

Exploration faite, dans les livres de cuisine depuis le Viandier, au 14e siècle, c'était quelque chose de si commun qu'il n'y avait presque pas lieu d'en parler. On la produisait à partir d'un roux ou de farine grillée, additionnés d'un jus de viande. 

Bien sûr il y a de nombreuses variations, l'ajout éventuel de carottes, d'oignon, de champignons, et cetera, mais, finalement, c'est toujours un peu le même type de système, et je sais par expérience que cela conduit à des sauces qui n'ont pas une grande délicatesse, dont le goût s'apparente à la couleur. 

Dans certaines des recettes, il est bien mentionné qu'il ne faut pas prendre du jus de bœuf mais du jus de veau ou de volaille, et là, on comprend que l'on a cherché à aller vers des goûts plus subtils. Dans certaines recettes, il est bien stipulé qu'il ne faut qu'une farine blonde, ce qui correspond  à des goûts plus légers. La pratique conduit à savoir aussi que les proportions de farine et de liquide sont essentielles, et, de fait, on obtient une sauce plus délicate quand on ne la fait pas trop épaisse, qu'on la dépouille. On voit aussi des recettes qui utilisent une demi glace, et d'autres qui indiquent de bien passer à l'étamine...

Bref, comme toujours, il y a une grande diversité de résultats possibles et c'est sans doute l'appropriation de la sauce à l'élément principal qui devra déterminer la pratique exacte de cette sauce brune... dont la version "élevée", "raffinée", est la "sauce espagnole".

Les stages, plus fatigants que le cours ? C'est anormal !

A la réflexion, je reste choqué : un étudiant vient de me dire que les stages sont beaucoup plus fatigants que les cours. Tiens, pourquoi donc ? 

Ce que je sais, c'est que, personnellement, une intense concentration me fatigue plus -même si je m'ennuie bien moins- que les "distractions", et je sais aussi que les relations humaines demandent de l'énergie... parce que j'y mets toute mon intelligence. 

Cela est à mettre en relation avec les études de physiologistes (désolé, je n'ai plus la référence) de la Faculté de médecine de Cochin, qui avaient montré que la fatigue intellectuelle était corrélée aux lentes dérives du rythme cardiaque, alors qu'ils étudiaient la fatigue des pilotes de ligne, dans des programmes d'ergonomie. 

Pour en revenir à note jeune ami, je l'ai donc interrogé, pour savoir pourquoi il était plus fatigué en stage, et la réponse a été que (1) il se concentrait davantage et (2) il prenait à coeur le résultat des expériences qu'il faisait. Mais cela est à prendre en creux : n'est-il pas honteux que les étudiants soient si peu engagés lors de leurs apprentissages théoriques ? si peu concentrés ou si peu "actifs") lors de leurs cours ? Plus exactement, au lieu de parler de honte, ne devons-nous pas parler de perte de temps ? D'autant que l'étudiant interrogé (intelligent, amical, confiant) reconnaissait que ce qu'il avait appris lors des années précédentes était oublié, reconnaissant aussi qu'il perdait beaucoup de temps, en cours, parce qu'il n'était pas complètement attentif, ou bien qu'il était perdu, ou s'ennuyait. Comment en sommes-nous arrivés là ? 

Ne devons-nous pas rapidement trouver des moyens de ne pas pérenniser cette terrible situation, qui, en réalité, ne concerne pas un seul étudiant isolé, mais beaucoup  ?   Oui, des cours bien faits (en supposant que l'on doive faire des cours) devraient être épuisants, et les études universitaires devraient sans doute être les plus actives de l'existence... Non, je me reprends : elles ne doivent être ni épuisantes ni plus actives, mais dans la continuité : les études doivent être actives et merveilleuses, fatigantes parce qu'intensives, avec des étudiants bien engagés dans le processus d'obtention des connaissances et des compétences. Et cela permettrait d'asseoir mon idée selon laquelle les "trimestres" d'études universitaires devraient être pris en compte dans le calcul des temps de travail en vue de la retraite. Je maintiens que, après certaines journées de travail intellectuel, je suis plus fatigué qu'après des travaux physiques. 

 

PS. Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 13 octobre 2024

Demain, des diracs à toutes les sauces

Décidément, il y a lieu d'aider mes amis qui se lancent dans la cuisine note à note, et qui s'interrogent : comment remplacer la viande et le poisson ? 

La réponse est : avec des "diracs". 

Pour commencer simplement, expliquons qu'une viande ou un poisson, c'est un matériau fait de 25 pour cent de protéines et de 75 pour cent d'eau. Autrement dit, on obtient une matière de la même fermeté qu'une viande en mêlant une cuillerée de protéines et trois cuillerées d'eau, puis en cuisant. D'autre part, on obtient une matière de la même fermeté qu'un blanc d'oeuf cuit sur le plat en cuisant un mélange fait de 10 pour cent de protéines et de 90 pour cent d'eau : une cuillerée de protéines pour neuf cuillerées d'eau. Et on obtient quelque chose d'encore plus dur que la viande si l'on augmente la teneur en protéines. 

On n'obtient ni de la viande, ni du blanc d'oeuf, mais une matière que j'ai proposé de nommer un "dirac". Et il y a donc des diracs durs, des diracs mous... mais bien d'autres diracs. Certains peuvent être "mousseux", foisonnés... et ce sont donc des "berthollets". 

Certains peuvent être striés, et ce sont des surimis. 

Mais on peut imaginer bien d'autres possibilités : des systèmes feuilletés, des systèmes émulsionnés. Pour un dirac foisonné ? On part d'eau et de protéines, on fouette, on ajoute les couleurs, odeurs, saveurs, puis on cuit (par exemple, à la poêle, ou bien dans un four à micro-ondes, mais on pourrait également verser des cuillerées dans de la friture, par exemple. Et je nomme cela un "berthollet". 

Pour un dirac émulsionné ? Puisque les protéines stabilisent merveilleusement des émulsions, on comprend que l'on puisse ajouter de la matière grasse au mélange eau+protéines. Combien ? Jusqu'à environ 19 fois plus que d'eau. Et l'on a évidemment quelque chose d'alors très gras... et de très moelleux. 

D'ailleurs, j'y pense : pourquoi ne pas faire comme avec le chocolat, à savoir classer par proportion de matière grasse ? Pour un dirac haché : c'est comme pour un steak haché, à savoir que l'on prépare un dirac, puis que l'on hache, dans le même hachoir que d'habitude. Pour un surimi de dirac : on part d'un mélange de protéines et d'eau, on ajoute un empois d'amidon, puis on coule sur une plaque plate, et l'on strie (à l'aide d'une fourchette ou d'un peigne) avant de cuire (vapeur, micro-ondes, etc.)

samedi 12 octobre 2024

A propos de cuisson


 Ce matin, j'ai diffusé le compte rendu du séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2018, où je fais état des expériences effectuées lors du séminaire. Nous avons notamment comparé des pâtes sablées enfournées à froid ou à chaud... et n'avons pas vu de différences. 

Et là, je reçois cette question : 

Je note bien le peu de différences observées, mais en ce qui concerne une pâte chargée ? Type quiche, tarte alsacienne… Pensez-vous qu’un départ à chaud ou à froid puisse influencer la cuisson de la pâte, et donc la bonne tenue de celle-ci ? 

 

A vrai dire, il est toujours bien difficile de répondre sans faire l'expérience, et les travaux du séminaire l'ont encore montré, puisque : 

- nous avions prévu que les brioches enfournées à froid développeraient mieux que les mêmes brioches enfournées à chaud... et nous n'avons pas vu de différence 

- nous avions prévu que les pâtes sablées (surtout dans les moules à bords très hauts que nous avions utilisés) s'effondreraient, dans un départ à froid... et nous n'avons pas vu de différence. 

De ce fait, j'imagine que le départ à froid permettrait à la "migaine" de plus détremper la pâte, ce qui augmenterait l'empesage ultérieur de la farine... mais c'est une hypothèse raisonnable à laquelle je ne crois guère. D'ailleurs il faut ajouter que les fours modernes sont merveilleusement rapides. En très peu de minutes, ils atteignent la température de consigne, ce qui gomme toutes les différences possibles. Bref, je vous invite à faire l'expérience : c'est merveilleux, car on a alors deux tartes au lieu d'une seule. Et merci de m'envoyer vos résultats, afin que je le partage !

jeudi 10 octobre 2024

Prix Sonning !

 Heureux et fier de recevoir le Prix Sonning : https://event.ku.dk/sonning_prize/recipients/


Comment faire et que faire si...

Depuis des décennies, dans notre groupe de recherche, nous rédigeons des documents intitulés "comment faire" : comment peser ? comment faire une extraction par Soxhlet? comment faire  une extraction liquide liquide ? comment laver un tube RMN ? comment calculer un écart type... et ainsi de suite. 

Il y a de tout : du très simple et du très compliqué, du très court et du très long. 

Au fil des années, chaque fois que nous ouvrions ces documents, nous cherchions à les améliorer, et le fait qu'ils sont devenus de qualité raisonnable. 

Cependant nous venons de passer un cap important hier quand j'ai compris qu'il y avait lieu d'ajouter à ces documents des "que faire si ?". 

Nous avions déjà de tels paragraphes pour le document général d'utilisation de la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, mais je me suis aperçu que c'est souvent une information utile : que faire si la balance dérive quand on veut peser ? que faire s'il y a des courants d'air quand on pèse ? que faire quand la balance ne donne pas trois fois de suite le même résultat ? Etc. 

Bien sûr, le diable est tapi partout, le nombre de catastrophes possible est considérable. Mais il y a lieu d'être pragmatique et de considérer aussi que statistiquement, certaines erreurs sont plus fréquentes que d'autres. 

Il va donc falloir maintenant rédiger  que "que faire si..."

Hier, lors de nos soutenances, nous avons invité les étudiants à présenter en 20 minutes un travail d'exploration d'un article scientifique. 

Ils avaient travaillé pendant plusieurs jours et, en 20 minutes, ils pouvaient présenter 20 diapositives... au maximum :  à condition que celles-ci ne soient pas pleines comme des œufs. 

Il y avait donc ce nécessaire choix parmi les informations à donner, une sélection à faire. 

Nous avions été clair : dans le contexte de nos soutenances, un survol n'aurait pas eu de sens car on n'apprend rien ainsi. Et nous voulions aussi que les étudiants apprennent à choisir un ou deux points et à les présenter en détail. 

Les groupes bien travaillé, ils ont réussi à faire l'exercice qui leur avait été proposé, mais, lors des discussions, est venue cette même idée que quand on enseigne, on ne peut pas tout dire, on doit choisir, et, mieux même, on doit choisir un certain nombre de phrases en nombre très limité, ce que les Anglo-Saxons nomment take home message mais que l'on pourrait moins prétentieusement dire en français : points essentiels. 

Considérons que 3 est un maximum, car cela signifie environ qu'il y aura 5 minutes d'introduction et de conclusion, plus 5 minutes par point essentiel :  il faut bien ça pour exposer en détail le point que l'on veut que nos amis retiennent. Et la conclusion peut se limiter à l'énoncé des trois points de façon concise,  de sorte que ce soit le dernier message à conserver.