Hervé This, La recette des soufflés qui tiennent bien, Pour la Science, avril 2024, N°558, p. 96.
Hervé This, La cuisson amollit les légumes… sauf quand elle les durcit, fiche 08.01.Q23 de l’Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, avril 2024. https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/publications/encyclopedie/la_cuisson_amollit_ou_durcit_les_legumes.pdf
Hervé This, Qu’est-ce qu’un biscuit ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/quest-ce-quun-biscuit/, 2 avril 2024.
Hervé This, Mousseline, étamine : quelle différence ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/mousseline-etamine-quelle-difference/, 4 avril 2024.
Hervé This, La cuisson des œufs, classiques ou modernes, https://www.youtube.com/watch?v=V5uZ9rFx2F8, 4 avril 2024.
Hervé This, Le chocolat, une délicieuse matière qu’il faut savoir maîtriser, Charcuterie & Gastronomie, N° 494, 42-44.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 6 avril 2024
Les actualités de la semaine :
vendredi 5 avril 2024
Elémentaire ?
Hier, lors d'une formation à des ingénieurs titulaires d'un doctorat, j'exposais un résultat mathématique que je connaissais quand j'étais adolescent (je ne répéterai jamais assez qu'il existe un merveilleux livre de mathématiques, publié aux éditions Mir (Moscou), de Nicolas Piskounov : Calcul différentiel et intégral).
Dans le feu de l'exposition, je me suis surpris à dire "C'est élémentaire"... mais comme exposer des matières que je connais à mes amis me sert à la fois à leur rendre service et à surveiller mes paroles, j'ai donc entendu ce "C'est élémentaire", alors que je voyais bien que cela ne l'était pas. Etait-ce finalement élémentaire ? Oui pour moi ; non pour eux.
Analysons : qu'est-ce qu'un résultat élémentaire ? Par définition (voir le Trésor de la langue française informatisé), c'est ce qui est à la base. Le résultat exposé était-il à la base ? Oui, il était à la base du livre de Piskounov, à la base du calcul différentiel. De ce point de vue, il était véritablement élémentaire, et ce n'était du snobisme de ma part que de l'indiquer.
Bien sûr, ce n'était pas la toute première page du livre, et, pour comprendre, il fallait la notion de nombre réels, la notion de limite, la notion de quotient, et quelques autres, mais l'assemblage de ces briques était immédiat... pour ceux qui ont toutes ces notions. Mais, manifestement, mes jeunes amis n'avaient ces notions que de façon fragile.
C'est un fait que, pour des raisons qu'il faudrait analyser, nos jeunes amis (et peut-être nous-mêmes il y a longtemps) ont souvent oublié ce qu'ils ont appris au début de leurs études universitaires. Ce qui pose la question : à quoi cela a-t-il servi qu'ils l'aient appris un jour ? D'où des questions subsidiaires : faut-il que l'enseignement donne des connaissances éphémères ? Pour quel but ? Ou faut-il qu'il donne des connaissances pérennes ? Pourquoi ? Ou faut-il qu'il donne des compétences ? Et les compétences font-elles les connaissances moins éphémères que s'il y avait seulement la connaissance ?
Voilà des questions que la pédagogie ne pourra pas vraiment éviter, si l'on veut qu'elle progresse. Surtout, dans notre affaire, il était question de mathématiques, disons de calcul... et c'est un fait que nombre d'étudiants en biologie ou en chimie ont des compétences mathématiques fragiles. Est-ce normal ? Pas complètement : puisque ces étudiants ont découvert les notions au début de la licence, et que, si l'on apprend quelque chose, ce n'est pas en vue de l'oublier après seulement un ou deux ans. Est-ce grave (d'un point de vue professionnel, j'entends, puisque l'enseignement que nous dispensons est en vue de les équiper pour la vie professionnelle) ?
Pour les scientifiques, oui, cela me semble gênant, car on rappelle ici que les sciences de la nature tiennent sur trois pieds : la quantification des phénomènes, l'expérimentation, et cet acte de "foi pragmatique" selon lequel le monde est écrit en langage mathématique. Pas de science de la nature sans maîtrise du calcul. Et il n'y a pas d'exception : pas de science chimique ou de science biologique sans calcul. Pour un ingénieur, un technicien, la question est différente... mais on comprend qu'un ingénieur, un technicien qui sait calculer, et peut donc mieux apprécier les situations pratiques qu'ils rencontrent que d'autres qui ne savent pas bien calculer, est donc mieux équipé pour sa vie professionnelle.
Un exemple : en analyse chimique. Considérons, par exemple, un appareil d'analyse, telle une chromatographie en phase gazeuse couplée à de la spectrométrie de masse. On peut utiliser un tel appareil comme on conduit une voiture, à savoir que le principe suffit, et que des actions conduisent à des résultats, qui s'affichent sur un écran. L'injection d'un échantillon conduit à un spectre, que l'appareil analyse de façon quasi automatique. D'une certaine façon, la règle de trois suffit pour faire marcher un tel appareil, et pourquoi nos amis auraient-ils besoin de clés à molettes et autres tournevis ? Parce que la routine bloque parfois, et que, alors, il est bon d'avoir quelques notions de "mécanique".
De sorte que je reviens à ma thèse : il est bon que les ingénieurs et les techniciens aient des données mathématiques... qu'ils ont eues au cours de leurs études, et l'on ne saurait donc trop recommander aux étudiants (et à nous-mêmes) d'apprendre en vue de nous souvenir. Mieux, même, pourquoi ne conseillerions-nous pas d'apprendre, et de réviser périodiquement ces savoirs dont on sait qu'ils sont importants, puisque :
1. ils servent de base au reste
2. ils ont été choisis pour être des outils constamment utilisés dans la vie professionnelle.
Et, pour finir, oui, j'avais raison de signaler que les points que j'abordais étaient élémentaires... parce qu'ils l'étaient, et que cela aurait été rendre un mauvais service à mes amis que de les laisser croire que leur naïveté serait un bagage suffisant pour leur vie professionnelle !
jeudi 4 avril 2024
A propos de gougères
Ce matin, une question amusante m'arrive par email :
J'ai remarqué que vous aimez bien expliquer les réactions qui se passe dans un produit. J'aurais aimé savoir si vous aviez un peu de temps à me consacrer pour m'expliquer comment obtient on des "gougères" car je suis en train de travailler sur ce sujet pendant mon stage. Si je comprends bien c'est la vapeur d'eau qui fais qu'un chou augmente son volume ? Faut-il avoir une perte d'eau importante ? Si elle est trop importante le chou gonflera-t-il comme même ? De plus, est-il nécessaire d'avoir un déssèchement de la pâte. Mais ne serait-il pas possible de créer une pâte à chou sans déssèchement mais en ayant une teneur d'eau optimal et la faire au "Cooking Chef" ?
Tout d'abord, je ne sais pas si "j'aime expliquer" les réactions qui se passent dans les produits. Disons plutôt que mon objectif est d'identifier des mécanismes et des phénomènes inédits, à partir des transformations culinaires.
Il s'agit donc d'une question scientifique (je répète que la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, et non pas de la technologie), et pas technologique, mais il est exact que la technologie bénéficie nécessairement des résultats scientifiques.
D'autre part, du temps à consacrer à quelqu'un qui étudie les gougères ? Non, je n'ai pas de temps pour cela, parce que ces demandes individuelles m'arrivent environ 30 fois par jour, et ma mission de service public ne consiste pas à faire des assistances techniques particulières... d'où des réponses collectives, que je fais ici, donc.
Les gougères, enfin ? La question est traitée en détail dans mon livre Révélations gastronomiques.
Cela dit, je peux ajouter quelques points ici. Oui, c'est bien l'eau qui s'évapore au contact de la plaque de cuisson qui fait gonfler les choux... puisque, en réalité, les gougères ne sont autres que des choux au fromage.
"Faut-il avoir une perte d'eau importante ?" : la question est étrangement posée... surtout, il y a ce "il faut", qui s'apparente à "on doit", qui cache souvent l'essentiel. Il faudrait cela pourquoi ? Sans savoir ce que pense mon interlocuteur à ce sujet, disons que s'il y a évaporation de l'eau, alors le chou gonfle, et le gonflement est d'autant plus grand que plus d'eau s'évapore... à condition que la vapeur soit retenue par la croûte supérieure.
La question est la suivante : les choux subissent à la fois ce gonflement, en raison d'une évaporation de la base, mais aussi un croûtage de la surface supérieure, d'une migration des bulles de vapeur dans la masse (comme dans un soufflé, où, à travers la porte vitrée du four, on voit les bulles crever à la surface), et d'une coagulation de la masse, en raison de la présence de l'oeuf.
Et l'on se reportera à deux séminaires de gastronomie moléculaire de 2015, que nous avons consacrés aux gougères : http://www.agroparistech.fr/Les-seminaires-de-gastronomie,3092.html.->http://www.agroparistech.fr/Les-seminaires-de-gastronomie,3092.html Les comptes rendus sont sur ce site, et l'on peut s'inscrire, pour les recevoir automatiquement, en envoyant un email à icmg@agroparistech.fr.
Est-il nécessaire d'avoir un dessèchement de la panade ? Cela n'est pas clair, à ce jour, et tout dépend notamment des proportions d'eau et de farine de la panade. Surtout, le dessèchement permet d'introduire de l'oeuf tout en conservant une tenue qui évite l'étalement. Vive l'Etude !
mardi 2 avril 2024
Le 31 mai, à Colmar : une "visite" de l'Académie d'agriculture de France à l'IUT de Colmar (Université de Haute Alsace) et au Centre INRAE de Colmar
Le vendredi 31 mai 2024, l'Académie d'agriculture de France ira en visite à Colmar : une série de conférences sur le thème la vigne et le vin demain seront donnés par Didier Merdinoglu (INRAE Colmar), Marc André Selosse (Muséum national d'histoire naturelle), Jean-Louis Schlienger (Université de Strasbourg et Académie d'Alsace) et Jean-Louis Vézien (ancien directeur du CIVA).
Puis, après une dégustation des vins Jean-Baptiste Adam, le Bibliothécaire de l'Académie d'agriculture de France, André Fougeroux, présentera les extraordinaires planches ampélographiques de Pierre Joseph Redouté.
L'après-midi, sera consacré à la visite du centre INRAE de Colmar, célèbre pour ses travaux sur la vigne le vin. Cette visite est organisée par Frédérique Pelsy, ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar.
Puis à 18h, au Koifus, l'Académie d'Alsace, avec son président Bernard Reumaux, accueillera Marion Guillou, présidente de l'Académie d'agriculture de France, et ancienne présidente directrice générale de l'INRAE, pour une conférence sur l'influence des changements climatiques sur la vigne et le vin. Cette conférence sera suivie d'une autre conférence, par Jean-Robert Pitte, président de la Conférence nationale des académies, et qui présidera le colloque inter-académique du lendemain (organisé par l'Académie d'Alsace).
La couleur blanche des fleurs
La couleur blanche des fleurs est liée à l'absence ou à la réduction de la teneur en anthocyanidines, qui font des couleurs rouge, jaune, vert, bleu, rose, orange...
Contrairement aux couleurs, le blanc n'est pas induit par des pigments... mais par l'absence de pigment. Certes, les tissus de plantes blanches sont équipés de la machinerie complète pour la biosynthèse des anthocyanines, mais ils sont incapables d'accumuler des pigments rouges ou bleus.
De nombreux facteurs externes peuvent influencer la couleur : la lumière, la température, le pH, les sucres et les métaux. Il existe une méthode pour faire passer les fleurs de pétunia du blanc au transparent : on plonge la fleur dans verre d'eau, mais on fait le vite autour de l'ensemble... et le blanc disparaît, parce que les bulles d'air des vacuoles sont éliminées. Comme pour du blanc en neige, le blanc résulte d'une dispersion d'un milieu dans un milieu d'indice de réfraction différent.
lundi 1 avril 2024
Professeur : quel beau métier !
Professeur, quel beau métier !
Quand on en vient à admirer assez naïvement des choses admirables, on s'expose à la moquerie... mais devons-nous vraiment nous préoccuper des pisse vinaigre ? Cette question a deux objectifs : d'une part, me donner l'occasion de promouvoir cette devise merveilleuse : « le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture » ; d'autre part, faire état -sans naïveté : le terme "naïvement" trouvait une place rhétorique- d'une évidence... oubliée, à savoir que, oui, le métier de professeur est admirable.
Ce billet, lui, veut surtout rappeler ce qui est en réalité une évidence, à savoir que les professeurs se préoccupent de les étudiants. Une certaine lutte des classes idiote oppose les deux camps : les étudiants qui rechigneraient à faire leurs devoirs, à passer du temps sur les matières « arides » ; les professeurs qui considéreraient que les étudiants sont paresseux.
Cette vision du monde ne me va pas, tout comme ne me va pas l'opposition encore prétendue mais soutenue par certains selon laquelle, pour les industriels, les chercheurs seraient des êtres abscons, enfermés dans leur tour d'ivoire et quasi inutiles, tandis que, pour les scientifiques, les industriels seraient des individus cupides, terre à terre et pas toujours honnêtes.
D'ailleurs, on comprend qu'avec l'évocation de la lutte des classes, je déteste la prétendue opposition entre travailleurs et patrons. Je suppose que je n'ai pas besoin d'expliquer beaucoup ce qu'est cette prétendue lutte.
En revanche, je veux dire ici que les faits sont bien différents : s'il y a effectivement des patrons détestables, il y en a aussi d'honnêtes, qui se charge de la responsabilité d'une entreprise parce qu'ils se soucient d'emploi, du bien être de leurs collègues.
D'ailleurs, de l'autre côté, il faut dire que s'il y a des travailleurs honnêtes, courageux, travailleurs, il y en a aussi de paresseux, profiteurs... Mais on me connaît : je ne veux voir que le meilleur, et, pour les deux groupes, ce sont ceux qui se soucient du bien d'autre qui m'intéressent : les patrons qui visent l'emploi, le bien être des autres, et les travailleurs travailleurs, ceux qui font bien leur travail, honnêtement, selon les termes du contrat qu'ils n'ont pas manqué de signer avec l'entreprise qui les emploie.
De même, en remontant la chaîne que nous avions descendue, il y a des scientifiques enfermés dans leur tour d'ivoire... mais il y a aussi les autres, qui sont nombreux. Et s'il y a des industriels obtus, il y en a aussi qui sont merveilleux, et qui savent qu'il faut associer la recherche scientifique et la technologie pour aboutir l'innovation, laquelle profite aux deux parties.
Enfin, pour remonter au véritable sujet de ce blog, ce qui m'intéresse, c'est de constater qu'il y a des étudiants intéressés par les sujets qui leur sont proposés, sujets qui sont d'ailleurs tout à fait merveilleux : les sciences chimiques, en particulier, sont inouïes, remarquables, admirables, merveilleuse…
Je n'ai pas assez d'adjectifs pour dire tout le bien je pense de ces matières. Et parmi les professeurs, il y en a effectivement qui se contentent d'avoir un métier, pour qui les étudiants sont sans importance, mais il y a aussi tous ceux qui se décarcassent pour les étudiants dont ils ont la responsabilité. Observons que je n'ai pas dit « la charge ». Oui, il faut dire aux étudiants que certains professeurs sont admirables, et que, par vision politique, ils acceptent des salaires bas, car ils considèrent que la mission d'enseigner vaut des sacrifies : ne s'agit-il pas, en effet, de prévoir le monde de demain ? Ne s'agit-il pas de favoriser des compétences et des comportements qui mettront un peu d'harmonie dans notre monde ?
A partir du moment où on cesse de voir le monde par le prisme idiot de la lutte des classes, tout devient plus simple, les rapports sont apaisés, les objectifs sont plus clairs pour chacun, les intentions aussi. C'est pour cette raison que j'en reviens maintenant à ce que j'avais nommé le contrat d'enseignement. Quand il est rédigé, il ne faut pas le laisser moisir sans le considérer, au contraire.
Je propose qu'il fasse l'objet d'une discussion préliminaire, voire d'une rédaction commune par les professeurs et les étudiants. Il ne s'agit pas d'une espèce de formalité, mais du socle sur lequel doivent s'ériger les activités conjointes des étudiants et des professeurs. Récemment encore, alors que nous avions pris soin de préparer un document soigneux, je sais qu'il a été lu trop vite, et que certains étudiants n'ont pas pu profiter pleinement du système d'apprentissage que nous avions prévu pour eux. Nous aurions dû y passer plus de temps, et peut-être même interroger les étudiants (sans évaluation, bien sûr) pour nous assurer qu'ils avaient bien capté les informations essentielles que nous voulions transmettre. Il en va de la réussite du projet d'enseignement que nous avons en commun.
Certes, cela prendra un peu de temps d'enseignement, mais l'expérience prouve que nous ne pouvons pas en faire l'économie.
Finalement on aura observé que, dans ce billet, j'utilise le mot de "professeur", et non pas d'"enseignant". On se reportera à un autre billet pour voir pourquoi le mot d'"enseignant" me déplaît. En substance, quand même, il y a le fait que je répète que l'enseignement est moins important que l'apprentissage, et qu'il ne s'agit pas pour les enseignants d'enseigner, mais il s'agit pour les étudiants d'apprendre.
A quoi bon le changement de mots ? Professer, c'est soutenir des thèses, « dire devant » : le professeur a un discours, et ce discours ne se réduit pas à des informations techniques, mais à un mode de vie, et l'on voit d'ailleurs, dans l'histoire des sciences, que les grands professeurs ont toujours été des individus qui se préoccupaient d'un cadre qui conduisait les étudiants à mieux apprendre, à apprendre en connaissance de cause, à apprendre par un apprentissage qui avait du sens, qui dépassait les simples connaissances, à apprendre en comprenant pourquoi ils apprenaient, de sorte que, motivés d'eux-mêmes, ils se dirigeaient plus facilement vers l'objectif qu'ils s'étaient eux-mêmes donné.
Il y a donc tout un état d'esprit à organiser, et le contrat d'enseignement n'est qu'une partie infime de ce cadre que nous devons créer avant de commencer à discuter techniquement des diverses matières. Mais c'est un bon début... et c'est notamment avec un tel début que le métier de professeur est merveilleux !
dimanche 31 mars 2024
La micro-chimie… ou son principe
Dans des billets précédents, j'ai discuté la question de la micro-chimie, dont je crois l'enseignement indispensable pour l'enseignement de la chimie, dès le début des études.
Je rappelle que j'ai reçu en stage des étudiants qui, si je ne les avais pas arrêtés, auraient fait des expériences sur un litre de lait, ce qui aurait nécessité quatre litres d'acétone ! Quatre litres d'acétone qui auraient dû ensuite être recyclés. Quatre litres d'acétone de qualité analytique qu'il fallait payer ! Manifestement nos étudiants n'avaient pas été bien formés.
Évidemment, je les ai interrogés pour savoir s'ils avaient entendu parler de micro-chimie, et j'ai eu la confirmation, par plusieurs d'entre eux, que jamais ce mot n'avait été prononcé devant eux. Il faut militer pour changer tout cela, sans quoi nos étudiants seront formés à de la chimie périmée, celle du siècle passé.
L'idée est la suivante : alors qu'il fallait des milliers de litres d'urine de jument gravide pour en extraire quelques milligrammes d'hormones, il y a un siècle, nos nouveaux appareils d'analyse ont faits de tels progrès que nous pouvons aujourd'hui détecter facilement des quantités de produits de l'ordre de nanogramme (milliardième de gramme), des picogrammes (millionièmes de millionièmes de gramme).
Avec ces appareils, la quantité de matériau de départ se réduit considérablement, ce qui a de nombreux avantages. D'abord, si le lait est peu coûteux, bien d'autres réactifs de laboratoire sont, au contraire, achetés à prix d'or, voire plus. D'autre part, on a évoqué la question des solvants, de leur coût, de leur recyclage. Dans cette affaire, il faut également considérer la question du danger, car si le lait n'est pas dangereux, bien d'autres réactifs le sont... et l'on se souvient de tragiques accidents qui ont eu lieu dans des laboratoires d’enseignement, où il y a eu mort d'homme.
On le voit il y a toutes les raisons de chercher à réduire la quantité des produits que l'on utilise dans un laboratoire où l'on fait de l'analyse chimique, et l'enseignement de la microchimie s'impose absolument.
Pour autant, ce billet est métaphorique, à savoir que c'est surtout un état d'esprit que je propose.
Par exemple, une étudiante d'un pays en développement est venue examiner en stage comment l'ajout de l'hydrogénocarbonate modifie le pH des tomates. Dans un tel cas, on ne peut pas utiliser moins qu'un quart ou un huitième de rondelles. Qu'importe ! Ce qui compte, c'est de ne pas avoir acheté un kilo de tomates pour faire l'expérience et de s'être interrogé sur la quantité minimale de produits qu'il fallait utiliser. Avec un huitième de rondelles de tomates, on n'est pas dans la micro-chimie, mais on est dans le même état d'esprit.
Conservons cet exemple des tomates pour voir le raisonnement que nous devons mettre en œuvre quand nous faisons des expériences. A propos de ces tomate, l'étudiante en question s'interroge sur la couleur, et l'on comprend qu'il faudra une quantité de matière qui puisse être analysée à un appareil qui mesure la couleur, tel un colorimètre. Dans un tel cas il faut une épaisseur de matériaux et une masse suffisante.
Mais on peut aussi se demander si un colorimètre est vraiment nécessaire, et si nous ne pourrions pas plutôt utiliser des pixels d'une image ! Auquel cas la taille des éléments à analyser est bien plus petite que les quelque 5 cm de diamètre sur 1 cm d'épaisseur nécessaire pour la colorimétrie. Pour l'acidité, on a besoin d'un pH-mètre, et là, on pressent que 1 cm³ de tissu s'impose avec les sondes de pH des plus classiques, celle qu'on a dans les établissements d'enseignement. Mais on peut aussi considérer que si l'enjeu est suffisant, alors ça vaut la peine d'utiliser des microsondes, voire un appareil de résonance magnétique nucléaire avec une mesure du phosphore 31 !
Dans tous les cas, je propose de considérer que : (1) nous devons chercher quelle est la plus petite quantité de matériau à utiliser pour faire les expériences ; et (2) nous devons chercher quel matériel pour réduire ces quantités. Et c'est l'application de de ces raisonnement qui nous permettra de faire de la chimie sans danger, avec précisions, avec peu de risque, avec le moins de coûts possible, avec le moins de pollution possible, mais avec toujours plus de précision !