jeudi 11 janvier 2024

Mon invention intitulée "la fraise plus que la fraise"

 

La fraise encore plus que la fraise !


Mon cher Pierre,

Nous savons tous que les fruits et les légumes n'ont leur goût que si le cuisinier magnifie ce dernier : le goût d'un mets se construit. Par exemple, pour sentir la pomme, il faudra ajouter du citron, du gingembre, du poivre, cuire, concentrer… Pour faire sentir les marrons, il faudra ajouter du fenouil. Pour faire sentir la courgette, il faudra sans doute de la menthe, que sais-je ?

Oui, j'ignore le détail de ces opérations des bons cuisiniers professionnels, même si je n'ignore pas que ces informations circulent de cuisine en cuisine, au gré des rencontres du compagnonnage, par exemple. Et je sais aussi combien les cuisiniers « concentrent » : l'un d'entre eux a même dit que la cuisine était l'art de « quintessencer ».

Qu'intessencer ? Il s'agit de produire la « quinte essence », le cinquième élément… par dérivation de cette opération des chimistes qui fut la production d'éthanol, l'alcool des « eaux-de-vie », un produit qui n'était ni la terre, ni l'air, ni l'eau, ni le feu. Le sens s'est élargi pour désigner des concentrations, lesquelles donnent plus de goût aux mets.

Or tu te souviens que je t'ai proposé de stocker de la poudre de café dans de l'huile, pour extraire le goût du café par macération. On peut aussi produire des infusions, ou des décoctions, ou distiller, ou extraire à la vapeur d'eau, ou même, comme je l'ai proposé dès 1980, utiliser des évaporateurs rotatifs pour récupérer, sans chauffer, les composés volatils les plus délicats. Ce serait merveilleux si les cuisiniers disposaient même d'extracteur au dioxyde de carbone supercritique, mais je crois que nous n'y sommes pas encore.


En attendant, revenons à notre fraise, dont nous voudrions qu'elle ait un puissant goût de fraise. Bien sûr, en choisissant bien les fraises, en s'assurant qu'elles ont eu assez de temps et de lumière pour mûrir, je ne doute pas que tu aies pu choisir des fruits avec beaucoup de goût, mais ne pourrions-nous pas, même pour ces dernière, en retirer le meilleur ? Un goût de fraise plus que celui de la fraise ?

C'est ce que je propose ici.

A cette fin, je te propose de bien nous souvenir que le goût des aliments est fondé sur la perception de leur « odeur rétronasale », leur saveur, leur action trigéminale, notamment.

L'odeur ? C'est cette odeur que l'on perçoit en mastiquant, quand les molécules odorantes libérées par la mastication dans l'air de la bouche remontent vers le nez par les fosses rétronasales. Ce que l'on comprend bien quand on se pince le nez et qu'on croque une graine de cardamome, le nez pincé : on ne sent rien, pas de « goût »… mais si on libère le nez, alors l'odeur -et le goût- de la cardamone se font sentir. Cette odeur rétronasale est due à des molécules que l'on dit « molécules odorantes », sans surprise.

Puis la saveur : c'est ce que l'on perçoit dans la bouche, avec des récepteurs des « papilles ». D'ailleurs, on dit « papilles gustatives », mais je propose de les nommer plutôt des « papilles sapictives », puisqu'elles détectent les saveurs. Dans l'expérience précédente, avec la cardamome, on perçoit très peu de saveur… parce que les graines de cardamone ne sont qu'huile essentielle et structure végétale insipide, mais d'autres produits sont très sapides : pensons au vinaigre, au sucre, au vin… ou aux fraises. Oui, dans les fraises, nous aimons le sucre et l'acide, notamment, mais aussi des sels minéraux et plein d'autres saveurs. Mais, bien sûr, ce sont les sucres et les acides qui dominent, comme dans beaucoup de fruits.

Les composés trigéminaux ? Ce sont les frais et les piquants. Il y en a dans de très nombreux végétaux, de la menthe à la girole en passant par l'ail, le piment… Et je ne crois pas anodin que les cuisiniers qui veulent « créer » le goût des produits sachent si bien marier un poivre avec un gingembre, une menthe avec un piment…


Bon, cette fois, nous y sommes. Ma proposition consiste à séparer odeur de fraise et saveur de fraise, mais en faisant odeur exacerbée de fraise, et saveur exacerbée de fraise.

Par exemple, si l'on secoue des fraises broyées avec de l'huile neutre, dans un bocal, on extrait dans l'huile les composés odorants des fraises. Cela revient en quelque sorte à faire ce que fait l'industrie des parfums, à qui l'on pourrait d'ailleurs acheter un extrait odorant de fraises. Ce cette huile, faisons un gibbs, en fouettant l'huile dans un peu de blanc d'oeuf, puis en cuisant quelques secondes au four à micro-ondes.

Pour la saveur, on récupère le jus, et on l'amende, avec acide citrique, acide ascorbique, acide malique, par exemple, mais aussi glucose, saccharose (sucre de table) et fructose… tous composés qui sont dans le jus de fraise, mais parfois en quantités insuffisantes. Et, avec la solution formée, on fait un gel.


On dispose alors du parfum de la fraise séparé de la saveur de la fraise. Juxtaposé, ils redonneront la fraise, en plus fraise que fraise, mais pourquoi ne pas les séparer dans l'assiette ? Là, je m'arrête, parce que c'est ton expertise unique !

Mon invention du beurre feuilleté

 

Beurre feuilleté

J'ai inventé il y a plus d'un an le "beurre feuilleté", que j'ai "donné" en premier à mon ami Pierre Gagnaire, comme je le fais depuis maintenant dix sept ans chaque mois : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve. On le fait avec du beurre, mais avec toute autre matière grasse qui se comporte comme lui : le fromage, le foie gras, le beurre noisette, le chocolat.
Le chocolat ? Oui, le chocolat... à condition de comprendre que le beurre de cacao n'a pas le même comportement de fusion que le beurre, parce que sa composition est différente. Analysons.

La différence entre le beurre et le chocolat, cela tient à deux aspects essentiels, à savoir la composition en composés odorants ou sapides, d'une part, et la composition en triglycérides, d'autre part.
D'abord, le beurre. Il est principalement fait de lipides (matière grasse), d'eau, d'un sucre nommé lactose, de protéines. Lors de la clarification d'un beurre, l'eau chargée de lactose et de certaines protéines tombe au fond de la casserole, tandis que surnage la matière grasse, et une écume faite de protéines, notamment.
Le chocolat ? Du beurre de cacao, du sucre, des matières végétales, avec de nombreux composés qui donnent du goût, formés lors de la fermentation ou de la torréfaction.

Cela étant, pour nos affaires de beurre feuilleté, la question essentielle est le comportement mécanique, qui découle principalement de la constitution en molécules de "triglycérides". Oui, les matières grasses sont faites de composés que l'on nomme de triglycérides, dont les molécules sont comme des peignes à trois dents. Selon la longueur des "dents", les triglycérides fondent à froid ou à chaud.
Pour le beurre, il y a des triglycérides d'innombrables sortes (des dizaines de millions), de sorte que le beurre commence à  fondre vers -10 degrés, et finit de fondre vers 50 degrés. A la température de 20 degrés, il y a environ 70 pour cent de triglycérides fondus dans le beure, ce qui lui donne son comportement mou, tartinable.
En revanche, pour le chocolat, la fusion commence vers 30 degrés, et elle est achevée vers 40 degrés, ce qui  explique que, à la température de 20 degrés, le chocolat soit dur.
Autrement dit, sans précautions particulières (notamment une pièce à une température précise), on ne pourra pas faire du "beurre de cacao feuilleté", ni même utiliser du beurre de cacao ou du chocolat pour faire une couche de feuilletage.

 Comment faire, alors, pour produire ces deux résultats ? On peut tout d'abord observer que le chocolat, c'est du beurre et du chocolat, pour faire simple : pourquoi ne pas ajouter du sucre (glace) à du beurre (du vrai, pas du beurre de cacao) ou à de la margarine, avant d'y mettre de la poudre de cacao ? Autre solution simple : ajouter du beurre ou de l'huile, ou dela margarine à du chocolat fondu, pour en changer le comportement de fusion. Combien ? Tout dépend de la matière grasse ajoutée, mais la proportion sera entre 20 et 70 pour cent en masse. Cela n'empêchera pas qu'il faudra surveiller la température, mais les pâtissiers ont l'habitude.

mardi 9 janvier 2024

Tu lis trop vite

 
Tu lis trop vite : il y a dans cette déclaration une réminiscence d'une phrase de Jean-Anthelme Brillat-Savarin,  l'auteur de ce merveilleux livre intitulé Physiologie du goût qui éblouit les gourmands tous les pays depuis sa publication en 1825. Toutefois, avec le "Tu lis trop vite", je pense à des questions d'enseignement plutôt que de gourmandise, comme on le verra plus loin.
Mais d'abord considérons la phrase de Brillat-Savarin, qui apparaît à la fin de l'avant-propos de la Physiologie du goût : l'auteur se met en scène avec un de ses amis qui veut le convaincre de publier ce livre qui est en réalité déjà publié, première coquetterie littéraire d'un livre qui n'est presque que cela. L'auteur était  en réalité non point un "physiologiste", non pas un "docteur", comme il se présente à ses lecteurs, mais un avocat un juriste, conseiller à la Cour de cassation, et le dialogue qu'il nous livre dans cet avant-propos est une deuxième coquetterie d'auteur : il dit à son ami qu'il ne peut pas publier un livre si différent des affaires sérieuses dont il s'occupe d'habitude. Son ami le menace  : "Si tu ne publies pas ton livre, je dirais au monde ton plus gros défaut.  Et quel est-il, demande l'autre tremblant ? Tu manges trop vite !
Oui, manger trop vite,  c'est un des un des gros défauts des gourmands, qui manquent ainsi  d'humanité parce qu'ils ne savent pas prendre le temps d'apprécier les bonnes choses, d'en parler, de transformer de la matière en culture. On passe vite de la gourmandise à la goinfrerie à ce compte-là !

Et nous arrivons maintenant à la question des études. Dans de nombreux billets, j'ai discuté le fait que, pour apprendre quelque chose, et pour savoir quelque chose, il faut l'apprendre sept fois (environ), et je crois avoir bien compris, en analysant les échecs de mes jeunes amis et de moi-même, que ces échecs sont dus à un temps insuffisant passé sur les notions que nous étudions.  Quand nous lisons, quand nous lisons trop vide, donc, nous sautons un mot de temps en temps, de sorte que les notions que ces phrases transportent nous échappent et notre apprentissage se fait mal.
Oui, c'est un fait  que nous lisons trop vite. Souvent  des cours que nous voulons apprendre nous paraissent compliqués, parce que nous les lisons trop vite, parce que nous ne prenons pas le temps d'analyser correctement leur contenu.
Bien sûr il existe de mauvais documents d'enseignement, qui compliquent notre apprentissage. On voit nombre de documents d'enseignement recopiés les uns sur les autres, éventuellement avec des erreurs introduites par ceux qui ont recopié. On voit des documents d'enseignements que l'on a du mal à comprendre... parce que  ceux qui les ont produit ne les comprenaient pas... J'ai vu cela de nombreuses fois, à propos de mécanique quantique, à propos de spectrométrie de résonance magnétique nucléaire, à propos de chimie organique... et l'on n'y peut rien car il y aura toujours une proportion d'enseignants qui ne seront pas au niveau où on voudrait les voir, tout comme il y a une proportion d'étudiants qui ne sont pas au niveau où les professeurs voudraient les voir. Mais qu'importe. Ce qui compte, c'est d'apprendre et pour apprendre, il faut aller lentement.
Laurent Schwartz, mathématicien qui a reçu la médaille Field (l'équivalent du prix Nobel pour les mathématiques), a bien raconté que, dans sa jeunesse, il était très lent à comprendre et à apprendre, et il a expliqué qu'il  lui fallait en effet mettre les notions nouvelles au milieu des précédentes, comme on place une pièce dans un puzzle en constitution. En revanche, a-t-il dit, une fois que la notion était insérée et solidement assujettie aux autres, alors il était extrêmement rapide et extrêmement efficace.
C'est bien là la question : il s'agit de lire lentement, afin d'appréhender tous les mots, de voir leurs relations, de voir le sens qu'ils recouvrent, de comprendre le sens qu'ils recouvrent, et cela ne se fait pas rapidement. On ne lit pas un manuel de physique ou de chimie "en passant", car il y a essentiellement du concept à bien intégrer, lentement. Il s'agit de lire, et certainement aussi de relire mais d'abord il faut lire lentement et relire lentement.
Oui, en général, on lit trop vite !

Mon invention des billets doux

 Une ancienne invention, quand je proposais à Pierre Gagnaire de la réaliser : 


Billets doux



Mon cher Pierre,


Tu te souviens de ces emballages de fondants, où le papier, précurseur des carambars, contenait une maxime, une morale… Ou de ces gaufrettes sur lesquelles il y avait quelques mots… Oui, les mets en eux-mêmes sont -pour le Véritable Art Culinaire tel que je sais qu'il t'habite- un acte de communication, mais il n'est pas interdit d'utiliser toutes les ressources de la Culture humaine pour faire des œuvres encore plus explicites.

Car on se souvient que la cuisine, c'est de la technique, certes, mais c'est surtout de l'art, et, en tout premier lieu, une façon de dire « Je t'aime ».

Est-ce inélégant de le dire ? Les mets ne doivent-ils pas seulement le suggérer ? Je te sais suffisamment fin, délicat, intelligent, sensible, pour savoir que même ce qui pourrait devenir une vulgarité deviendra entre tes mains la possibilité d'un petit joyau artistique.


Tout cela pour dire que des mots pourraient être posés sur des aliments… mais il y a mieux : je sais que ta manière de mettre des « chapeaux » sur les mets, des voiles qui couvrent, cachent, protègent t'est sans doute essentielle, et je vois aussi, dans cette affaire, une relation avec l'emballage. Un mot pas très élégant : empaquetage serait mieux ? Guère. Mais pensons à ces cadeaux que nos amis japonais ne manquent de nous faire, toujours dans des papiers merveilleusement pliés, qui sont déjà du « je t'aime ».



Bref, il y a lieu de penser à des papiers !


Oui, pour écrire, du papier ; pour emballer, du papier. Mais pas de ces papiers plein de colle, de charges pigmentaires minérales inmangeables. Non, nous voulons du papier comestible.

Il y a plusieurs solutions, et, par exemple, ces emballages à base d'amidon tels qu'ils ont été bien explorés -jusqu'à l'étape industrielle- par mes collègues de l'Inra de Montpellier.

Mais je fais ici une autre proposition. Pense à ces papiers artisanaux que l'on faisait enfant, en mettant du bois à tremper dans de l'eau ; après une longue macération, on écrasait pour produire une sorte de pâte que l'on étalait sur un linge ; l'eau s'écoulait, et l'on finissait par soulever une feuille d'un papier un peu rustique, avec des fibres apparentes.


La version culinaire ? On évitera évidemment les bois, les chiffons sales ou les papiers plein d'encre. Non, on produira plutôt de la cellulose quasi pure en extrayant le jus de carottes (pelées, bien sûr) : le résidu solide sera lavé et séché, et c'est lui qui sera utilisé pour faire les feuilles souhaitées. D'ailleurs, je dis « carottes », mais pourquoi pas poireau, chou, persil, cerfeuil, oignon… Et puis, tu peux très bien modifier les fibres si elles ne te conviennent pas, sil elles sont trop rustiques, par exemple : mets les, une fois sèches, dans un petit mixer, pour les avoir plus délicates, ce qui fera un papier plus lisse.
D'ailleurs, il y a bien d'autres utilisations pour la cellulose : je t'avais proposé , il y a plusieurs années, de l'utiliser dans des confitures, pour leur donner une mâche un peu originale :
http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/89.



Tout cela étant dit, il y a bien des façons d'agrémenter ces papiers. Car on se souvient que l'amidon chauffé fait un empois, par exemple. Ou que des colorants alimentaires peuvent colorer ! Sans compter l'introduction de sucre, de sel, de composés odorants…

Car l'eau de la pâte n'a aucune raison d'être de l'eau pure : ce peut être un bouillon, un fonds, un fumets, un jus de fruit…





Ah, je rêve déjà des billets doux que tu écriras à tes amis !

dimanche 7 janvier 2024

Une question à propos de riz

 Un correspondant m'écrit :

Avant de partir en randonnée avec Anaïs, je souhaitais faire un plat de riz dans un thermos. Par soucis d'économie d'énergie, je pensais remplir mon thermos avec le riz et un peu d'eau bouillante.  Dois je remplir d'eau bouillante jusqu'en haut ou laisser un peu d'espace pour laisser le volume des grains expansée ?
En gros la somme du volume du riz + de l'eau est elle supérieur ou égal au volume du produit réhydrater ?  Si supérieure quelle est l'explication ? 


Ma réponse : 
 
Bonjour
Comme l'établit l'expérience qui consiste à mettre du riz dans une casserole et de l'eau à niveau, on voit bien que le riz cuit nécessite bien plus d'eau que son volume. D'ailleurs, il y a une recette qui consiste le riz au four, avec un volume de riz et deux volumes d'eau : toute l'eau est absorbée.
L'explication : quand le grain de riz (volume V0) cuit dans de l'eau, il gonfle considérablement (3 V0), parce que l'eau vient empeser les grains d'amidon qui le composent. Et... 3V0 !
Plus en détail  : les molécules d'amylose et d'amylopectine qui sont plus ou moins régulièrement empilées sont assujetties par des forces faibles, de type liaisons hydrogène. L'eau chaude, ce sont des molécules d'eau rapides, qui viennent désorganiser l'empilement, et se lier aux molécules de l'amidon. Considérant le grand nombre de groupe hydroxyles des molécules d'amylose et d'amylopectine, on comprend qu'il puisse y avoir beaucoup d'eau liée, sans compter l'eau entrée par capillarité, ou liée à l'eau liée.

bonne randonnée

samedi 6 janvier 2024

Une de mes anciennes inventions : le beurre chantilly (après le chocolat chantilly, le fromage chantilly, le foie gras chantilly)

 

Le beurre Chantilly


Je prends les devants parce que je sais qu’il y a un risque de confusion : il n’y aura pas de crème, dans ce nouvel ingrédient. Seulement du beurre et de l’eau, plus des molécules odorantes.

Oui, mais avant d’arriver à la recette proprement dite, je dois parler du lait et de la crème.


Le lait est blanc parce que c’est ce que l’on nomme une « émulsion » : il est majoritairement composé d’eau, mais, dans cette eau, sont dispersées des gouttelettes de matière grasse. Et le lait est blanc, quand il est éclairé par de la lumière blanche, parce que cette lumière vient se réfléchir sur les gouttelettes (l’eau, elle, laisse passer la lumière) : ce que nous voyons, ce sont les innombrables reflets sur les innombrables gouttelettes de matière grasse. En voulez-vous une preuve ? Eclairez du lait avec de la lumière rouge et vous le verrez rouge !

Donc le lait est fait de gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l’eau (d’autres choses aussi, mais nous pouvons éviter de les évoquer). Quand on laisse le lait reposer, les gouttelettes de graisse viennent flotter en surface, ce qui engendre une émulsion concentrée en matière grasse, la crème, et laisse dans la partie inférieure du récipient une émulsion apauvrie : le lait écrémé.


Prenons cette crème, refroidissons-la et fouettons-la : le fouet introduit des bulles d’air, qui sont piégées par la matière grasse, laquelle vient former une sorte de coque autour de chaque bulle. On obtient ainsi la crème fouettée, ou crème Chantilly, quand on ajoute du sucre.

Nous sommes maintenant prêts pour décrire la nouvelle invention.


Réfléchissons à la production de la crème Chantilly : nous avons transformé une émulsion en une émulsion mousseuse. Pourrions-nous changer les ingrédients ? Pour le chimiste, l’eau, c’est l’eau, et même si du bouillon n’a pas le même goût que du jus d’orange, les deux liquides sont majoritairement composés d’eau. Dans cette eau, le procédé précédemment décrit disperse de la matière grasse : en 1995, j’ai proposé d’utiliser du chocolat en conservant le même procédé, et j’ai ainsi inventé le « chocolat Chantilly ». Puis, juste après, j’ai proposé d’utiliser du fromage pour faire du « fromage Chantilly ». Et, l’an passé, nous avons réalisé en pratique une invention faite naguère : le « foie gras Chantilly ».

La nouvelle invention était également prévue depuis quelques années : c’est de conserver le procédé mais de remplacer la matière grasse de la crème par du beurre, pour faire, donc, du « beurre Chantilly ». Et c’est toi, Pierre, qui m’a fait le plaisir de réaliser la recette pour la première fois, le 7 janvier 2003. L’année commence bien.


En pratique : comment faire ? D’abord, on réalise une émulsion, en plaçant, dans une casserole, de l’eau (qui peut avoir du goût) et du beurre. On chauffe doucement en agitant, et l’on obtient d’abord une émulsion de beurre dans de l’eau, une sorte de cousin du beurre blanc.

Puis on pose la casserole sur de la glace et l’on fouette : si les proportions sont appropriées (il faut retrouver celles de la crème), on voit le mélange mousser et prendre finalement une texture analogue à de la crème Chantilly : nous y sommes, c’est le « beurre Chantilly »

Qu’en feras-tu ?

Epinglons les malhonnêtes, qui laissent trop d'eau dans le beurre

Cela s'est toujours fait par les malhonnêtes : vendre du beurre où il y avait trop d'eau ! Car l'eau ne coûte guère, mais la matière grasse laitière oui ! 

Et les fabricants malhonnêtes de dire qu'ils ne contrôlent pas précisément, etc. Mais, en réalité, le beurre doit être du beurre, et du beurre avec trop d'eau ne doit pas être vendu sous le nombre de beurre. 

Voila pourquoi le travail de la DGCCRF (la répression des fraudes) est si important. 

Et là, une vaste enquête vient de montrer des anomalies chez plus de 15 pour cent des producteurs, artisan ou industriels :  https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/anomalies-dans-la-composition-et-letiquetage-des-beurres-et-matieres-grasses-laitieres

Anomalies dans la composition et l’étiquetage des beurres et matières grasses laitières

 Il faut des sanctions rapides, sans quoi les citoyens seront grugés. 

On rappelle que le beurre doit contenir moins de 16 pour cent d'eau, et de 2 pour cent de matières non grasses autres que l'eau. Le texte réglementaire est ici, pour celles et ceux qui voudraient le consulter :

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000867410