vendredi 29 décembre 2023

Je retrouve ce texte ancien de plus de 20 ans : l'oeuf "parfait" que j'avais inventé

 

L’œuf à 65°C.


L’œuf est à l’origine de tout : l’œuf, c’est le poussin en devenir, mais c’est aussi l’ovule humain, qui fera le cuisinier. Bref, il faut commencer par l’œuf.

Dans la coquille, un blanc et un jaune, pour dire les choses simplement. Et l’on sait que l’œuf cuit.

Cuit ? Oui, le liquide qu’est le blanc durcit quand on le chauffe (contrairement à un glaçon, qui, lui, fond), de même que le jaune.

A quelle température un blanc d’œuf cuit-il ? Une première expérience consiste à chauffer un verre où l’on a mis un blanc d’œuf : on voit que le blanc coagule, à partir du fond. Et si l’on a la curiosité de mettre un thermomètre précis au-dessus de ce front qui monte, on constate que le blanc coagulé, en dessous, est à plus de 62°C, tandis que la partie supérieure est à moins de 62°C. Autrement dit, le blanc d’œuf commence à coaguler à 62°C.

Le jaune ? Lui, c’est à 68 °C que la transformation apparaît.


D’où la question : qu’obtiendra-t-on si l’on met un œuf (ou 100, ou mille) dans un four à 65°C, c’est-à-dire à plus de 62°C et à moins de 68°C ? Réponse évidente : le blanc devrait être cuit, mais pas le jaune.

Un test expérimental s’impose aussitôt : dans un four (ou dans une casserole avec de l’eau, si votre four est trop imparfait), mettez des œufs et attendez une ou deux heures. Enlevez la coquille jusqu’à la moitié de la hauteur : vous obtenez un étrange œuf, avec un jaune cru, bien orangé, au centre d’une masse très délicatement prise. Rien à voir avec ces œufs durs caoutchouteux, dont la texture prévient la perception du goût.

Chef, à toi d’en faire un vrai plat !


((au fait, savez-vous pourquoi ce blanc est si délicat ?))

Des limonades qui moussent


Le champagne mousse, mais sa mousse retombe. La bière mousse, mais sa mousse tient très bien. Une telle déclaration est à l'emporte pièce ne vaut rien, bien sûr, parce que l'on sait aujourd'hui combien le verre est important. Notamment, un champagne versé dans un verre parfaitement propre ne mousse pas du tout : les bulles qui, en montant vers la surface du liquide, forment la mousse n'apparaissent que sur des fibres creuses déposées par les textiles, ou sur des fissures dans le verre (raison pour laquelle on peut faire monter des bulles d'un verre rayé au fond. 

Je n'explique pas le mécanisme de formation des bulles, parce que ce serait hors sujet (voir Casseroles et éprouvettes, éditions Belin). Passé les cas particuliers, la phrase que j'avais écrite en introduction reste vraie… et il y a lieu de s'interroger. 

Tout tient dans les protéines ! Ces dernières sont rares dans les champagnes, mais abondantes dans les bières, et, comme le montre l'expérience qui consiste à fouetter un blanc d’œuf en neige, les protéines sont des bons agents « foisonnants ». 

Foisonner ? Cela veut dire « faire mousser ». Bref, les protéines contribuent à la formation et à la tenue des mousses. De ce fait, pourquoi ne pas ajouter des protéines, quand on veut une mousse qui tient ? Par exemple, les boissons gazeuses sont souvent d'une bien faible effervescence, mais, par exemple, pourquoi n'aurions-nous pas une limonade avec un panache ? Il suffirait de mélanger de l'acide citrique, du bicarbonate de sodium… et quelques protéines. L'ajout d'eau conduirait alors à la réaction du bicarbonate et de l'acide, à la formation de bulles de dioxyde de carbone… que les protéines viendraient stabiliser, comme dans la bière. 

D'ailleurs, je dis « limonade », mais pourquoi pas de l'au avec du sirop de menthe, si l'on fouette, ou un jus mis sous pression dans une bouteille, ou encore un liquide placé dans un siphon. Les possibilités sont innombrables… et vraiment faciles à mettre en œuvre. A vous de jouer...

dimanche 24 décembre 2023

L'école, contre la fureur du monde



Le monde est plein de fureur, de tyrans qui asservissent des peuples parfois contents de l'être, mais nous ne devons pas baisser les bras : c'est à l'école que tout se construit.

Oui, sans naïveté, nous n'éradiqueront pas les comportements pervers, belliqueux, tyranniques... Mais notre monde est en équilibre, et tout territoire gagné sur le mal doit être une occasion de nous réjouir.
C'est à l'école que nous devons montrer que nous ne sommes pas seulement des animaux, que la connaissance est un honneur de l'esprit humain, que nous ne sommes pas réduits à des ventres, des sexes, des armes, comme les animaux.
C'est à l'école que nous devons enseigner l'humanité, cette humanité passe par la connaissance.
Un certain enseignement, une certaine idée politique, voudrait que la connaissance soit toujours utile, mais c'est faire le lit des tyrannies, car l'utilité est d'abord collective, sociale...
Surtout, la connaissance, je le répète, c'est de l'humanité et l'on avait bien raison de nommer humaniste ces intellectuels de la Renaissance, qui déjà, au milieu des fracas, des guerres, promouvaient les arts, les sciences, les lettres...

Dénonçons les tyrans, combattons-les par plus de connaissances données aux enfants dans les écoles. Introduisons des cours d'humanité, car c'est sans doute l'action la plus efficace que nous puissions avoir.
Cela fait des années que je propose à mes amis de nous unir pour faire enfin advenir un véritable siècle des Lumières. Le temps passe et ce siècle n'est toujours pas là, mais je ne perd pas espoir : en nous fondant sur l'Ecole, nous y parviendrons.

samedi 23 décembre 2023

Un feuilleté au munster pour les repas de fêtes


Pour les repas de fête, il y a des entrée, des plats, des fromages, des desserts (jusqu'à 13, en Provence, pays béni de ce point de vue), mais une question importante est celles des fromages, qui ne satisfait jamais entièrement les cuisiniers : le plus souvent, on ne peut guère exercer son talent, puisqu'il s'agit surtout d'aller acquérir des produits chez un bon fromager, au mieux de l'avoir fait un peu à l'avance pour que les fromages soient correctement "faits". 

Pouvons-nous faire mieux que simplement composer un plateau ? Je propose de travailler les fromages, et, pour cette fois, je vous invite à examiner la confection de feuilletés au munster, une recette merveilleuse qui réconcilie le fromage et la cuisine. 

 

Pour faire un feuilleté au munster, il faut du munster, ce qui n'est pas difficile à trouver. Il faut aussi de la pâte feuilletée... et c'est là où, souvent, mes amis hésitent. Ce serait difficile, ce serait long... Mieux, lors d'un débat que j'avais organisé à propos du récent décret relatif au "fait maison" (voir http://www.agroparistech.fr/+Conference-debat-Qu-est-ce-que-le+.html), un ami cuisinier a déclaré qu'il était normal que la pâte feuilletée puisse être achetée toute faite, parce qu'elle aurait demandé beaucoup de travail. Depuis notre débat, j'ai mesuré le temps effectif de travail pour réaliser une pâte feuilletée, et j'ai mesuré... dix minutes seulement. Évidemment, pas dix minutes tout compris, mais dix minutes de travail. Ce serait beaucoup ? Pour les paresseux seulement ! 

Examinons donc la confection de la pâte feuilletée, quelque chose si élémentaire que j'en fais très souvent, quand je veux faire des desserts pour ma famille. Je ne prétends pas que la recette que je donne ici fasse la meilleure pâte feuilletée, mais je la donne pour montrer que la confection d'un feuilletage est quelque chose de très simple, d'élémentaire, de rapide, d'évident... 

On prend une planche, on y dépose un petit tas de farine, on y met une quantité de beurre qui soit environ un quart du volume de farine. On ajoute une grosse pincée de sel fin. Puis on prépare un verre d'eau froide. Du bout des doigts, on travaille beurre et farine pour faire une sorte de sable. On ajoute de l'eau, progressivement, en travaillant, afin d'obtenir une boule pas trop collante. 

La boule faite, on se verse un peu de farine sur les mains, on les frotte pour faire tomber la pâte adhérente sur la boule. On incorpore tout cela, on filme la boule finale et, les doigts propres, on met la boule au réfrigérateur pendant une demi heure. 

Après environ une demi heure ou une heure, on prend la boule, et on l'étale en un disque épais. On prend alors trois fois plus de beurre que l'on en avait utilisé précédemment, et on le travaille entre les doigts. Puis, quand il est bien mou, on fait un disque de beurre que l'on pose sur le disque de pâte. On replie alors la pâte sur le beurre en une enveloppe : le beurre doit être complètement enfermé dans la pâte. On farine le tout, on retourne l'enveloppe, et, au rouleau, on étend l'enveloppe de sorte qu'on obtienne un rectangle à bords arrondis trois fois plus long que large. On replie alors ce rectangle arrondi en trois, dans le sens de la longueur, on tourne de 90 degrés, et l'on étend trois fois plus long que large. On replie en trois, on filme, et on met au réfrigérateur, à nouveau. Une heure plus tard, on répète l'opération d'étaler, de replier, de tourner de 90 degrés, d'étendre, de replier, filmer et mettre au réfrigérateur. C'est presque fini ! Quand vient le moment de la cuisson, on répète encore les opérations d'étendre, replier, tourner de 90 degrés, étendre, replier... mais cette fois, on étend bien plus la dernière fois, afin d'obtenir la forme de pâte qui convient pour l'utilisation finale. 

On cuira alors pendant environ 35 minutes au four, à la température de 180 degrés... et l'on aura un feuilletage. Dans cette description, j'ai omis une foule de détails. Par exemple, si vous voulez que votre feuilletage gonfle bien, coupez les bords. Ou, inversement, si vous voulez éviter des boursouflures et un gonflement, piquez la pâte avant la cuisson. Si vous voulez un gonflement régulier, posez une grille sur la pâte. Et ainsi de suite. 

 

Mais rappelez vous que je voulais surtout montrer que la difficulté est nulle. Et puis, vous vous rappelez que je voulais discuter la question du feuilleté au munster. Supposons donc que l'on ait fait un grand rectangle de pâte, deux fois plus long que large. Sur une moitié, on dépose des lamelles de munster, de la crème fraîche, un peu de noix muscade, du poivre. On replie la pâte sur elle même, on soude les bonds. On dore la surface au jaune, et l'on cuit : de la sorte, on aura un produit extraordinaire, une sorte d'oreiller doré, gonflé, au goût suave. L'odeur parfois puissante du munster aura été domestiquée par la cuisson, et l'on aura un goût, un vrai goût, profond, voluptueux, avec ce contraste merveilleux de la "crème" et du feuilletage. 

 

Le recette étant décrite, prenons un moment pour considérer les phénomènes qui auront conduit au succès culinaire. Il y a d'abord la question du munster et de la crème. Ce n'est pas une question bien difficile : les fromages sont faits de beaucoup de matière grasse, d'eau et de protéines qui forment un réseau. A la cuisson, le réseau de protéines se défait, et le fromage fait une crème... Pensons par exemple à la fondue. De sorte qu'une crème plus une crème (la vraie crème), cela fait une crème, celle qui emplit le feuilleté en fin de cuisson. C'est une émulsion, avec de la matière grasse dispersées dans un liquide aqueux. 

Pour le feuilletage, maintenant, on peut distinguer deux parties : la détrempe, faite de pâte et d'eau, et la structure feuilletée. Pour la détrempe, elle est obtenue à partir de farine, laquelle est faite de petits grains, les grains d'amidon, et de protéines qui en présence d'eau, s'attachent en un filet, un "réseau", que l'on nomme le gluten, depuis 1742. Ce filet emprisonne les grains d'amidon, et il donne de la cohésion à la pâte. 

Comment les protéines se lient-elles en filet, en présence d'eau ? C'est une question passionnante... et sans réponse à ce jour. Contentons-nous donc d'observer que la pâte tiendrait assez bien sans ce réseau de gluten, mais que le réseau ajoute à la cohésion. Pourquoi la pâte ferait-elle masse même sans gluten ? Parce que l'eau utilisée est tenue par des forces de capillarité entre les grains d'amidon. Il y a donc en réseau deux raisons pour que la pâte tienne : la capillarité et le réseau de gluten. 

Puis quand on met du beurre sur la détrempe et qu'on replie, on forme une structure à couches qui est d'abord faite de deux couches de pâte autour d'une couche de beurre. Quand on replie le pâton étalé, on obtient trois couches de beurre, et donc une couche de pâte de plus. Puis on obtient 9 couches de beurre, 27 couches de beurre, et ainsi de suite jusqu'à obtenir 729 couches de beurre, et donc 730 couches de pâte. Tout cela sur l'épaisseur de la pâte : on comprend que ces couches soient donc très minces ! 

Observons aussi qu'avec 730 feuillets, on n'est pas au mille feuilles, mais il suffirait de replier encore en deux pour avoir ce dernier... et cela doit nous faire comprendre pourquoi il faut étaler très régulièrement les pâtes feuilletées : si on étale de façon irrégulière, deux feuillets voisins risque de se souder, et la pâte risque de moins gonfler. Voici aussi pourquoi les pâtes feuilletées doivent contenir assez de beurre : il faut séparer les feuillets ! 

Lors de la cuisson, il y a deux gonflements : celui des deux couches de pâte supérieure et inférieure, et celui de la structure tout entière. 

Pour le gonflement des couches de pâte, c'est l'eau de la pâte qui, s'évaporant, laisse des feuilles croustillantes, séparées par de la matière grasse fondue. 

Pour le gonflement de la structure, il est dû l'évaporation de l'eau, à nouveau : la "crème centrale" perd de son eau par évaporation, mais la vapeur formée, si elle est bien retenue par la soudure des bords de la pâte, fait gonfler la structure. On doit garder en tête un ordre de grandeur : l'évaporation d'un gramme d'eau (un petit volume correspondant à un cube de un centimètre de côté) fait un litre de vapeur. Et voilà pourquoi le feuilleté au munster prend l'aspect d'un oreiller bien gonflé. 

Évidemment, il faut éviter que tout ne retombe au sortir du four : c'est pourquoi il faut cuire longuement, afin de bien rigidifier la surface, mais cela aura de surcroît l'avantage que l'on évitera le goût de colle blanche des feuilletages insuffisamment cuits. Pensez bien à ne pas cuire à température trop élevée : il sera toujours possible d'augmenter la température en fin de cuisson. 

 

Et c'est ainsi que vous servirez un merveilleux feuilleté au munster, qui suscitera ce "Ah" de bonheur qui est la récompense du cuisinier et de la cuisinière !

vendredi 22 décembre 2023

Comment éviter que l'intérieur d'une timbale ou d'une tourte soit sec ?

La question se pose par exemple pour une tourte de volaille ou pour un koulibiac : le poisson comme la volaille doivent cuire peu, sous peine de perdre leurs qualités. 

Mais, d'autre part, il faut  que la croûte soit bien cuite, notamment  pour une croûte en feuilletage,  sans quoi on a un résultat un peu pâteux, sans la croustillance qui en fait la vertu. 

 

En quelque sorte, la cuisson de ces objets est paradoxal puisqu'il faut cuire beaucoup sans cuire beaucoup. 

 

Il y a bien des solutions  pour résoudre cette sorte de quadrature du cercle, à commencer par celle qui consiste à cuire à feu soutenu, mais pas trop longtemps, de sorte que l'on ait un gradient de cuisson, avec une cuisson soutenue à l'extérieur mais pas à l'intérieur. 

Mais il y a aussi la possibilité de protéger les parties internes les plus fragiles par ces isolants thermiques que sont des mousses, des empilements de feuillets, et cetera. 

Les mousses, en effet, sont comme des systèmes à double vitrage mais avec des milliers de vitres et je recommande l'expérience qui consiste à mettre du sorbet sous un blanc d'oeuf battu en neige et sucré et à passer un coup de chalumeau par-dessus : la mousse de la meringue est un isolant extraordinaire, qui évite que le sorbet ne fonde  : c'est le principe de l'omelette norvégienne. 

Dans un koulibiac, cela peut être une couche d'épinards qui, autour du poisson, protège ce dernier d'une cuisson excessive.
Dans une tourte à la viande, il y a eu lieu de penser à un système analogue et l'on peut par exemple imaginer qu'une béchamel soit additionnée de blanc d'oeuf battu en neige. 

 

Bref, il y a bien des moyens de s'en tirer à condition de connaître quelques principes de chimie physique simple

jeudi 21 décembre 2023

C'était pour la chimie, mais c'est vrai pour la cuisine

Et voici, de Condillac (dans Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, Discours préliminaire) :
 

"Au lieu d'observer les choses que nous voulions connaître, nous avons voulu les imaginer. De supposition fausse en supposition fausse, nous nous sommes égarés parmi une multitude d'erreurs ; & ces erreurs étant devenues des préjugés, nous les avons prises par cette raison pour des principes : nous nous sommes donc égarés de plus en plus. Alors nous n'avons su raisonner que d'après les mauvaises habitudes que nous avions contractées. L'art d'abuser des mots sans les bien entendre a été pour nous l'art de raisonner.
Quand les choses sont parvenues à ce point, quand les erreurs se sont ainsi accumulées, il n'y a qu'un moyen de remettre l'ordre dans la faculté de penser ; c'est d'oublier tout ce que nous avons appris, de reprendre nos idées à leur origine, d'en suivre la génération, & de refaire, comme dit Bacon, l'entendement humain."
 

mercredi 20 décembre 2023

Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

 Qu'est-ce qu'une bonne scientifique ? Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

La réponse est très simple : c'est quelqu'un qui fait des découvertes, qui "lève un coin du grand voile !


N'oublions jamais cette réponse évidente, alors qu'un état d'esprit ambiant voudrait nous faire croire qu'il s'agit de diriger des équipes, d'administrer la recherche...
Non, quelqu'un qui administre est un administrateur et pas un scientifique. Et quelqu'un qui dirige est un directeur, et pas un scientifique.
Un scientifique, c'est quelqu'un qui est engagé chaque seconde dans l'identification des phénomènes, leur quantification, la réunion des données en équations, l'introduction de concepts nouveaux, la recherche de conséquences logiques de la théorie ainsi construite, le test  expérimental des prévisions théoriques.

Tout le reste, ce n'est pas de la recherche scientifique. Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire d'épiloguer beaucoup, sauf à signaler que, hélas, nos institutions proposent aux chercheurs éventuellement dit brillants (les "hauts potentiel", les "chercheurs d'excellence" : quelle blague !), de prendre en charge des structures, d'administrer, de "gérer du personnel", de passer un temps infini dans des réunions dont il n'est pas dit qu'elles soient toutes vraiment utiles.
Il n'est pas  dit que ces personnes -dont je voudrais que l'on m'établisse vraiment qu'elles sont "supérieures"-  soient vraiment capables de faire ce travail administratif, et, en tout cas, si elles acceptent de se détourner de la recherche, elles démontrent ainsi qu'elles ne font plus de sciences, mais de l'administration ou de la direction. 

Or on ne répétera jamais assez que nous sommes ce que nous faisons !

 Quelqu'un qui ne fait pas de science mais qui la dirige n'est pas un scientifique, je le répète, mais un directeur. Et à ce mot de directeur, je me suis déjà exprimé dans d'autres billets en observant qu'un directeur est quelqu'un qui donne des directions. Bon. Mais diriger des scientifiques ? Cela voudrait dire que ces personnes sont capables d'identifier les directions vers lesquelles leurs ouailles puisse se diriger en ayant une garantie de faire des découvertes : ces directeurs sont-ils capables de cela ? Peuvent-ils me l'assurer, me le démontrer ?  Sans assurance de leur part, je ne suis pas prêt à emprunter des chemins qui me détournent des idées que j'ai, des stratégies véritablement scientifiques que j'élabore (et le "je" ne me désigne pas, mais s'applique à tout scientifique engagé dans sa recherche, et responsable).

Je pose à nouveau, donc,  la question de savoir ce qu'est un bon scientifique. La réponse est claire  : c'est quelqu'un qui fait des découvertes, et, mieux, des découvertes notables. Et cela seulement, et rien d'autre. Aucun climat général, aucune idée qui traîne, fut-ce dans un ministère,  ne pourra  jamais me faire penser le contraire, et je propose que cela soit bien dit aux jeunes scientifiques : ne les désespérons pas !

Et prenons des exemples :  André Wiles était-il un bon mathématicien ? Il s'est retiré chez lui pendant quatre ans, ne venant pas au laboratoire, nous prenant aucune tâche d'intérêt général, ne faisant aucune administration... et il a démontré le théorème de Fermat : son nom restera à jamais dans l'histoire des mathématiques.
Les exemples de ce type abondent et ce n'est pas le fait d'être inséré dans une équipe, de mettre son nom sur des articles qu'on a vaguement lu, afin de gonfler des CV, qui donne des compétences scientifiques. Car les compétences scientifiques se construisent seconde après seconde... et tout ce qui détourne de la science ne contribue pas à accroître ces compétences. Des esprits supérieurs qui feraient des découvertes en claquant des doigts, par une sorte de "génie" ? De la blague ! 
Cette dernière observation, à propos des CV plein de publications, doit alerter. Des personnes qui publient jusqu'à un article tous les trois jours détournent clairement les règles de l'honnêteté intellectuelle,  et cela fait des années ça aurait dû être dénoncé par les institutions scientifiques, qui, en réalité, sont responsables de ces comportements : n'ont-ils pas promu un état d'esprit où le nombre de publications était une panacée ?
Non, on ne parvient pas à mettre en œuvre raisonnablement une idée scientifique tous les jours ; il faut des semaines, des mois, des années pour arriver à des résultats un peu notable. Les scientifiques ne sont pas des techniciens producteurs de données : ceux-là sont des techniciens, et, s'ils contribuent à l'avancée des sciences, ils font un travail technique pas des "découvertes".

Concluons :  un scientifique, c'est quelqu'un qui fait de la recherche scientifique, et un bon scientifique, c'est quelqu'un qui fait des découvertes lors de ses recherches scientifiques. Un point c'est tout.
N'oublions pas : nous sommes ce que nous faisons !