dimanche 9 juillet 2023

Parlons de microchimie

 Le chimiste allemand Justus von Liebig avait compris que le Duché de Hesse-Darmstadt avait besoin de techniciens, et c'est la raison pour laquelle, faisant de la physico-chimie à Paris avec Louis-Joseph Gay-Lussac,  il proposa la construction à Giessen d'un laboratoire de "travaux pratiques", afin qu'il se fasse une formation théorique et surtout pratique, en vue de doter son pays de techniciens, de technologues et de scientifiques. 

D'ailleurs, quand j'écris "théorique", j'y vais sur la pointe des pieds, parce que Liebig alla jusqu'à décrier la "philosophie de la nature", soit la physico-chimie, dans ce cas particulier.. 

Bref, Liebig formait des chimistes, surtout. Et il les formait par des travaux pratiques, du matin jusqu'au soir, une méthode qui ressemble à celle de cette merveilleuse école qu'est l'ESPCI ParisTech, l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris (on lit bien le mot "chimie" dans cet intitulé), où les élèves font des travaux pratiques tous les après midi pendant quatre ans... en plus des cours théoriques du matin. 

 

Bref, les travaux pratiques sont une formation indispensable à qui veut faire de la science ou de la technologie : il faut aussi bien savoir remplacer un fusible fondu que préparer de la liqueur de Fehling, que de construire un laser ou un appareil de spectroscopie par résonance magnétique nucléaire, ou encore... 

Les possibilités sont immenses, mais, pour la chimie, il y a des dangers. A nous de réduire les risques ! Car les dangers sont grands : on se souvient de cet accident récent à l'Ecole de chimie de Mulhouse, ou de cet autre accident plus récent dans un lycée techniques. Pour réduire les risques, les travaux pratiques DEVRAIENT évoluer, et c'est la microchimie qui devrait - semble-t-il, discutons en- être pratiquée. 

De quoi s'agit-il ? De pratiquer la chimie sur de très petites quantités, car : 

- on réduit le coût des réactifs 

- on réduit les risques : une explosion d'un milligramme de produit, c'est bien moins grave qu'avec 10 grammes ! 

- on réduit les effluents 

 

Et plein d'autres avantages. Les inconvénients ? Evidemment, quand on synthétise 1 mg de produit, on ne voit pas le passage à l'étape industrielle, d'une part, et, d'autre part, il faut des appareils sensibles pour détecter la présence du produit. Si le premier inconvénient semble réel, le second semble anodin, car on doit parallèlement enseigner l'usage d'ustensiles d'analyse modernes, précisément des appareils sensibles, capables de détecter de très petites quantités. 

 

Et voilà pourquoi il faut enseigner la microchimie, et non pas la chimie. Votre avis ?

samedi 8 juillet 2023

A propos d'intoxications alimentaires

 Ce soir, on m'interroge : 

Bonsoir Hervé
Est-ce que l'Anglais Heston Blumenthal est un adepte de la "cuisine note à note" ? Voir la presse du jour, ses clients victimes d'intoxication à Londres. 

 

Ma réponse : Hélas, non, Heston Blumenthal ne  pratique pas la cuisine note à note, mais seulement la cuisine moléculaire, et, encore, pas dans son restaurant de cuisine médiévale. 

Cela dit, avec un couteau de cuisine classique, on peut tuer les gens aussi : ce n'est donc pas le principe, qu'il faut critiquer éventuellement, mais une pratique particulière. 

Et puis, récemment, je suis allé dans un bon restaurant traditionnel parisien... et j'ai eu une diarrhée terrible pendant 15 jours : je n'ai pas fait de communiqué de presse ;-) 

Enfin, je suis parfois étonné des pratiques culinaires, quel que soit le style, parce que la cuisson a été inventée pour tuer les micro-organismes. Pour cuire à basse température, par exemple, il faut être prudent et savoir ce que l'on fait. Attention aussi  aux "coctions" des poissons à la tahitiennes, des cebiche... et aussi à l'usage des plantes : ne faisons pas boire à nos convives des décoctions de plantes toxiques !

vendredi 7 juillet 2023

Traverser le plancher...

 J'ai (re)lu pour vous le merveilleux livre Pourquoi ne passons-nous pas à travers le plancher ?

 

Quand on pose cette question, on est amené à  considérer  deux « solides »,  à savoir notre corps et le plancher. Dans les deux cas il s'agit de matière, c'est-à-dire in fine d'atomes. 

Or, dès le collège,  nous apprenons de les atomes sont  « vides ». Pour nous représenter l'atome d'hydrogène, on nous invite à penser que si le proton du noyau est comme une orange place de la Concorde,  à Paris, alors l'électron est un grain de poussière à Versailles. 

Si l'on considère des atomes plus gros, le carbone, l'oxygène, il en va de même. 

Ajoutons d'ailleurs  que cette description ne vaut pas grand-chose et que c'est une toute première approche. La question des tailles des particules est bien plus passionnante qu'une simple métaphore. 

 

Revenons à notre question : même si notre corps est fait de très nombreux atomes, il n'en reste  pas moins que tous ceux-là sont très vides, et il en va de même pour le plancher. 

On serait donc amené à conclure, dans cette description naïve de « particules » très petites, bien localisées et séparées par de grandes distances, que le corps et le plancher pourraient s'interpénétrer, de sorte que nous glisserions à travers le plancher. Le fait est que nous ne glissons pas. 

Cette question est la même que bien d'autres qui résultent d'une vision naïve de la matière. Par exemple, à propos des membranes cellulaires, des doubles couches de phospholipides (plus d'autres molécules) : les manuels représentent les phospholipides par une petite sphère munie de deux pattes grêles, et les images des doubles couches de phospholipides montrent un réseau très serré de telles molécules. Pourtant, là encore, la composante matérielle est quasi rien ; or ces doubles couches de phospholipides limitent véritablement les cellules, empêchant les échanges entre  l'extérieur et  l'intérieur, et heureusement, sans quoi notre corps se viderait de son contenu, et l'environnement pourrait s'y introduire ! 

Autre exemple un peu plus technique : les micelles qui se forment quand on met du savon dans de l'eau. Là, les têtes sphériques n'ont qu'une seule jambe (on dit une queue), et ces molécules de savons se regroupent, les têtes à l'extérieur et les queues à l'intérieur, formant des  sphères. Pourtant le chimiste a de quoi s'étonner, car il sait que le motif représenté par les têtes se réduit à quatre ou cinq atomes, alors que les queues sont des longues chaînes de carbone et d'hydrogène.
Pourquoi représente-t-on quatre atomes comme une grosse sphère, et une chaîne 20 atomes de carbone comme une frêle queue ? 

La réponse à cette dernière question éclaire la question initiale  de notre corps et du plancher : ce qui compte, c'est moins la « matière » que son influence, c'est-à-dire les forces  électriques d'attraction ou de répulsion. Dans le cas des micelles, par exemple,  les têtes  sont chargées électriquement, et elles se repoussent  très vigoureusement. Ce que l'on symbolise ainsi, par de grosses têtes, c'est un  rayon d'action et ce sont des champs  électromagnétique qui nous empêchent donc de traverser le plancher. Quand on joue avec  des champs électriques ou magnétiques à l'échelle macroscopique, par exemple quand on utilise des petits aimants comme on en colle sur le réfrigérateur,  les forces ne sont pas bien grandes,  mais comme elles varient comme l'inverse de la distance au carré, elles deviennent considérables aux distances inter-atomiques, interparticulaires. 

 

Et c'est ainsi que nous ne passons pas à travers le plancher. Si cette question vous intéresse, je vous recommande ce livre de poche écrit en anglais Why you don't fall through the floor, ainsi que le livre publié par le même auteur,  J. E. Gordon, aux Editions Pour la Science.

jeudi 6 juillet 2023

La tendreté des pâtes cuites

  Tiens, nous cuisons une Flammkuecha ou une pissaladière, voire une pizza, c'est-à-dire une couche de pâte, obtenue par mélange de farine et d'eau. 

Nous avons utilisé un rouleau ou un autre instrument afin d'obtenir une épaisseur assez régulière. Cette pâte, éventuellement avec une garniture, est placée dans un four très chaud, par exemple  200 °C. 

A cette température, les parties externes de la pâte ont leur eau qui s'évapore, ce qui produit un croûte croquante. À l'intérieur, la température reste toujours inférieure à 100°, parce que, tant qu'il y a de l'eau, la température ne peut guère augmenter (au mieux quelques degrés, parce que cette eau n'est pas pure, mais contient des "solutés", des composés dissous*). 

La chaleur arrive donc à la surface, et de l'eau s'évapore donc de la partie supérieure et de la  partie inférieure de la pâte, tandis que la tendreté du centre subsiste. 

 

Je  propose un exercice aux amateurs de sciences de la nature, un petit calcul : connaissant les lois classiques de transfert de la chaleur, connaissant la température du four, connaissant la chaleur latente d'évaporation de l'eau (combien il faut d'énergie pour évaporer une masse d'eau donnée, à la température de 100 °C),  pouvons-nous calculer quel sera, après 10 minutes de cuisson par exemple, l'épaisseur des croûtes inférieure et supérieure ? 

La réponse à  la question est intéressante, parce que si l'épaisseur totale de la pâte est inférieure à la somme de ces deux épaisseurs,  alors nous obtiendrons une couche de pâte entièrement croquante ;  en revanche, si l'épaisseur totale est supérieure à la somme des deux épaisseurs, alors nous ferons un coeur tendre entre deux couches croquantes. 

En pratique, les cuisiniers répondent à la question par l'expérience, mais les étudiants en physico-chimie obtiendront facilement le résultat par un simple calcul.  Et puis ? Ce type de problème ne conduit-il pas à l'étude de la physico-chimie ? A la connaissance par la gourmandise ? 

 

* A titre indicatif, quand on fait bouillir 200 g d'eau additionnés de 200 g de sel, la température d'ébullition de l'eau n'est pas de 100 °C, mais de 103 °C ; pas de quoi fouetter un chat.

mercredi 5 juillet 2023

Wallace

Je reçois de mon savant ami Jacques Reisse un exemplaire de son livre Wallace, plus darwiniste que Darwin, mais moins politiquement correct, publié par l'Académie royale de Belgique. 

Je n'ai pas encore lu le livre, mais je me promets de le lire avec délectation, car j'ai confiance en Jacques, et que son travail d'historien de la biologie (il est pourtant physico-chimiste) est "estampillé" par Michel Morange, qui, lui, est un historien estampillé (professeur à l'Ecole normale supérieure). 

Le quatrième de couverture est le suivant : Alfred Russel Wallace (1823-1913) est l’un des plus grands naturalistes du 19e siècle. Autodidacte génial, co-inventeur de la théorie de l’évolution, explorateur de régions inconnues d’Amazonie et de l’archipel malais, père de la biogéographie, écologiste avant l’heure mais aussi socialiste, anticapitaliste, antimilitariste,  féministe et donc « politiquement incorrect » dans l’Angleterre victorienne. 

Wallace est déiste et spiritualiste : il croit a l’existence d’un monde des esprits, à l’existence d’un pouvoir organisateur surnaturel, aux fantômes et en cela, aussi, il est « politiquement incorrect » pour ses collègues et amis comme Huxley, Hooker, Darwin qui cherchent à dégager la science de toute contrainte philosophique ou religieuse et à la fonder sur des bases rationnelles.

Wallace est un personnage fascinant sur le plan scientifique et personnel. Sa vie est un vrai roman !

mardi 4 juillet 2023

J'ai (re)lu pour vous : Gouttes, bulles, perles et ondes, par Pierre-Gilles de Gennes, Françoise Brochard et David Quéré

Alors que je conseille cette lecture du livre Gouttes, bulles, perles et ondes à des étudiants, je vois l'occasion de célébrer la mémoire de Pierre-Gilles de Gennes, qui fut un remarquable physicien, lauréat du prix Nobel. 

Le comité Nobel a dit de lui qu'il était l'égal de Newton. Je ne sais si c'est vrai (puisque je n'ai pas connu Newton, et que l'avenir le dira), mais je sais qu'il transforma une partie de la physique, imposant le paradigme de la matière la matière molle. 

La matière molle ? Ce sont  tous ces systèmes colloïdaux : gels, mousses, émulsions, suspensions... Pour les décrire, il faut une physique très particulière, qui a donc été nommée physique de la matière molle, soft matter physics en anglais. 

Pierre Gilles de Gennes a travaillé avec de nombreux collègues plus jeunes que lui, souvent de talent, et il a publié de nombreux articles et quelques livres. L'un d'eux, Scaling concepts in physics, est tout à fait remarquable, car il s'inscrit dans la lignée des travaux de renormalisation, un concept essentiel en physique, mais il faut admettre que ce n'est une lecture de chevet que pour ceux qui calculent comme chantent les rossignols. 

Pierre Gilles a également été un pionnier de la percolation, il a fait une foule de travaux, sur la supraconduction, les cristaux liquides... Je crois surtout qu'il a  promu un usage, une pratique tout à fait particulière en physique, qui consiste à considérer les ordres de grandeur (je simplifie).
Par exemple, la circonférence d'un cercle, strictement égale à  2 pi r, varie comme le rayon r. La  surface du disque, elle, varie comme r au carré... Des collègues de Pierre Gilles de Gennes ont ainsi produit un livre sur les polymères qui est exempt de toute équation compliquée, puisqu'il se contente d'écrire : « varie comme ». Ce livre remarquable n'est pas traduit en français, mais je le conseille vivement à tous les étudiants en physico-chimie. 

 

J'arrive maintenant au livre particulier que je voulais conseiller, Gouttes,  bulles, perles et ondes. C'est un livre d'initiation : pensons à des élèves de licence ou de mastère. Parfois on sent la patte d'un auteur particulier (le livre a été rédigé par De Gennes, Françoise Brochard et David Quéré), parfois on ne la sent pas, mais ce livre est merveilleux notamment parce qu'il donne un coup de projecteur sur des objets d'une famille très précise. 

La méthode de Pierre Gilles de Gennes est  mise en oeuvre de façon homogène et l'on ne sort certainement pas plus bête de la lecture de ce livre (vous vous rappelez que j'aime autant la litote que l'euphémisme ou l'antiphrase), que je recommande donc très vivement

lundi 3 juillet 2023

Emerveillons-nous des sciences, émerveillons-nous de la technologie, émerveillons-nous de la technique

J'insiste : aux jeunes, nous devons offrir deux voies également passionnantes, à savoir la technologie, d'une part, et la science quantitative, d'autre part. 

Il est temps que nous apprenions à nous émerveiller des extraordinaires résultats de la technique et de la technologie. 

Nos systèmes de chauffage, de transport, nos médicaments, nos cosmétiques, nos peintures et vernis, nos systèmes électroniques et informatiques... Derrière presque chaque objet de notre quotidien, il a de l'intelligence technique, de l'intelligence technologique, et parfois des applications des sciences... 

 

Mais faut-il que je retombe dans ce travers qui consiste à mettre la science très haut, et la technologie en dessous, en position de mettre en œuvre les résultats des sciences, et seulement eux ? Après tout, le fil à couper le beurre a été inventé sans que l'inventeur ne fasse usage de résultats des sciences. 

C'est là le sens d'un changement important, que je viens de faire : dans nos rendez-vous, il n'y aura plus ce « Vive les applications des sciences », mais seulement un « Vive la technologie ». Car, au fond, un ingénieur utilise tout aussi bien la langue naturelle que les résultats des sciences, pour ses innovations. 

 

Oui, les connaissances produites par la science peuvent être utilisés, mais ce serait une erreur que la technologie se limite à ces résultats. Bref, vive la technologie ! Cela étant posé, considérons la technologie. Quelle est sa méthode ? Y en a-t-il plusieurs ? 

Pour les sciences quantitatives, j'ai exposé ailleurs la stratégie générale d'observation de phénomène, de quantification, de réunion des données en lois synthétiques, de recherche inductive de mécanismes, de recherche de conséquences de la théorie et de tests de ces conséquences, à la recherche de réfutation. 

Mais pour la technologie ? Le but étant différent, on conçoit que la méthode soit également différente. Quelle est-elle ? La question est essentielle, parce que nous avons à enseigner à des jeunes ingénieurs. Et la technologie (certains disent l’ingénierie) ferait sans doute une erreur en reprenant la méthode des sciences quantitatives, parce qu'elle serait alors conduite sur la voie scientifique, qui n'est pas la sienne . 

 

Bref, je pose la question, en la divisant : - en supposant que la technologie fasse usage de résultats des sciences, comment doit-elle chercher ces résultats ? - dans la même hypothèse, comment la technologie peut-elle choisir, parmi l'ensemble des résultats, ceux qui pourront faire l'objet d'un transfert technologique ? - comment bien faire les transferts technologiques ? 

 

Je crois que le chantier est urgent. Des idées ?