De l'excellent Jean-Paul Branlard :
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 16 décembre 2019
lundi 9 décembre 2019
Encore des questions à propos de soufflés
A propos de soufflés, je reçois le message suivant :
Bonjour Professeur
Je souhaiterais faire un soufflé que je congèlerais après l'avoir dressé. Pouvez-vous aussi me renseigner sur le temps de cuisson sachant qu’en général je le cuis à 210° C, 10 minutes : je pensais partir à 180° pendant 15 minutes.
Cordialement
bon dimanche
Bonjour Professeur
Je souhaiterais faire un soufflé que je congèlerais après l'avoir dressé. Pouvez-vous aussi me renseigner sur le temps de cuisson sachant qu’en général je le cuis à 210° C, 10 minutes : je pensais partir à 180° pendant 15 minutes.
Cordialement
Et voici ma réponse
Je suppose que vous pensez à congeler avant
la cuisson ? Si c'est le cas, il y a vraiment une question de taille,
pour adapter la cuisson.
Cela étant, soit vous attendez la décongélation avant de cuire, soit vous n'attendez pas.
Si
vous attendez, alors même cuisson que d'habitude, évidemment, mais si
vous n'attendez pas, il faudra effectivement que ce soit moins chaud
(pourquoi pas 180°C) et plus long : pour le temps, on ne peut pas le
calculer a priori, parce que cela dépend de tas de paramètres, notamment
des moules. Il faudra effectivement 5 à 10 min de plus pour de petits
soufflés.
Mais SURTOUT, pour de bons
soufflés, il faut que ce Pierre Gagnaire nomme "les trois règles de
Hervé", et qui sont effectivement le résultat de mes travaux.
J'y
pense : il y a en ligne, sur le site d'AgroParisTech, le compte rendu
du séminaire où j'avais fait gonfler des soufflés sans battre les blancs
en neige, et, d'autre part, si vous le souhaitez, je peux ajouter votre
adresse email à la liste de distribution que j'utilise pour diffuser
les comptes rendus des séminaires. C'est
gratuit.
dimanche 8 décembre 2019
Preuves, démonstrations
La preuve, nous dit cet excellent Trésor de la langue française informatisé (TLFi, gratuit, en ligne), c'est "ce qui est susceptible d'établir la vérité, la réalité de quelque chose".
Et l'on voit immédiatement la difficulté. La question de la vérité étant très difficile (et celle de la Vérité serait pire), on pourrait vouloir se poser d'abord la question de la réalité, de l'existence. Mais même là, les choses sont bien difficiles : l’illusionnisme nous montre bien combien nos sens les plus fondamentaux peuvent nous tromper. Certes, je sens le mur quand je fonce dedans, mais, en colère ou dans des états de conscience modifiée, je ne sens plus la douleur. Or quand sais-je que ma conscience n'est pas modifiée ?
Au fond, les prestidigitateurs rendent aux scientifiques un service immense, parce qu'ils font bien comprendre que, parfois, nous sommes abusés par nos sens : nous voyons des phénomènes qui n'existent pas, des pièces de monnaie qui disparaissent, ou, au contraire, des colombes qui sortent de chapeaux. Tout cela doit nous rendre extrêmement prudents quand nous discutons de "preuves" ou de "démonstrations".
En matière criminelle, on nous parle des preuves, mais les a-t-on jamais vraiment ? S'agit-il de preuves absolues, ou bien simplement d'indications ? J'observe en passant que l'expression "preuve absolue" me semble bien périssologique. De manière juridique aussi quand on demande des preuves de la possession d'un bien d'une identité, la question des preuves se pose, et l'on n'a souvent que des indications plus ou moins probables. Et même les méthodes les plus modernes, à savoir les tests ADN, peuvent se tromper.
Toute la question repose sur le fait que nos sens sont faillibles, que nos instruments de mesure sont imprécis : tout cela anéantit la possibilité de preuve ailleurs qu'en mathématiques.
Reste à savoir maintenant si l'on peut faire une "démonstration", en sciences de la nature. Là, il faut considérer que le mot "démonstration" désigne d'abord l'action de montrer, avant d'avoir le sens (approché) de preuve mathématique. D'ailleurs, cette observation, assortie de l'idée qu'il ne doit pas exister de synonymes, laisse penser que la démonstration mathématique n'est pas la preuve.
Plus généralement, nous arrivons à cette question terminologique : soit on définit la preuve comme une justification irréfutable, parfaite absolument rigoureuse ; soit on considère qu'il s'agit simplement d'arguments. Dans la première acception, la preuve n'est qu'en mathématiques, et pas en sciences de la nature. Mais dans la seconde acception, on doit évidemment admettre qu'il y a des preuves.
Bref, on aurait donc bien un intérêt à se situer soi-même dans un discours qui utilise le mot "preuve" ou à demander à nos interlocuteurs de se situer de même, sans quoi nous risquons l'incompréhension mutuelle.
Quant à la "vérité"... Je la laisse à ceux qui pourront me la définir correctement !
Et l'on voit immédiatement la difficulté. La question de la vérité étant très difficile (et celle de la Vérité serait pire), on pourrait vouloir se poser d'abord la question de la réalité, de l'existence. Mais même là, les choses sont bien difficiles : l’illusionnisme nous montre bien combien nos sens les plus fondamentaux peuvent nous tromper. Certes, je sens le mur quand je fonce dedans, mais, en colère ou dans des états de conscience modifiée, je ne sens plus la douleur. Or quand sais-je que ma conscience n'est pas modifiée ?
Au fond, les prestidigitateurs rendent aux scientifiques un service immense, parce qu'ils font bien comprendre que, parfois, nous sommes abusés par nos sens : nous voyons des phénomènes qui n'existent pas, des pièces de monnaie qui disparaissent, ou, au contraire, des colombes qui sortent de chapeaux. Tout cela doit nous rendre extrêmement prudents quand nous discutons de "preuves" ou de "démonstrations".
En matière criminelle, on nous parle des preuves, mais les a-t-on jamais vraiment ? S'agit-il de preuves absolues, ou bien simplement d'indications ? J'observe en passant que l'expression "preuve absolue" me semble bien périssologique. De manière juridique aussi quand on demande des preuves de la possession d'un bien d'une identité, la question des preuves se pose, et l'on n'a souvent que des indications plus ou moins probables. Et même les méthodes les plus modernes, à savoir les tests ADN, peuvent se tromper.
Toute la question repose sur le fait que nos sens sont faillibles, que nos instruments de mesure sont imprécis : tout cela anéantit la possibilité de preuve ailleurs qu'en mathématiques.
Reste à savoir maintenant si l'on peut faire une "démonstration", en sciences de la nature. Là, il faut considérer que le mot "démonstration" désigne d'abord l'action de montrer, avant d'avoir le sens (approché) de preuve mathématique. D'ailleurs, cette observation, assortie de l'idée qu'il ne doit pas exister de synonymes, laisse penser que la démonstration mathématique n'est pas la preuve.
Plus généralement, nous arrivons à cette question terminologique : soit on définit la preuve comme une justification irréfutable, parfaite absolument rigoureuse ; soit on considère qu'il s'agit simplement d'arguments. Dans la première acception, la preuve n'est qu'en mathématiques, et pas en sciences de la nature. Mais dans la seconde acception, on doit évidemment admettre qu'il y a des preuves.
Bref, on aurait donc bien un intérêt à se situer soi-même dans un discours qui utilise le mot "preuve" ou à demander à nos interlocuteurs de se situer de même, sans quoi nous risquons l'incompréhension mutuelle.
Quant à la "vérité"... Je la laisse à ceux qui pourront me la définir correctement !
samedi 7 décembre 2019
A propos du travail des rapporteurs
J'y reviens : à propos de rapporteurs dans les revues scientifiques, je crois que tout tient dans une idée, à savoir que la question de l'évaluation est surtout d'avoir un peu de grandeur, et de chercher principalement à aider les auteurs à améliorer les articles qu'ils soumettent, et, de de fait, leur travail.
La question n'est pas de rejeter de mauvais manuscrits, mais de permettre à des collègues d'améliorer leurs textes jusqu'à ce qu'ils soient publiables. Elle n'est pas de faire état de son propre savoir, mais d'aider nos amis (anonymes). Elle n'est pas de censurer, mais d'encourager.
Inversement, les rapporteurs doivent être vigilants, car ils ont une lourde responsabilité : ils doivent éviter aux publications de publier ce qui l'a déjà été. Ils doivent être vigilants sur la concision du langage. Il doivent s'assurer chaque idée est proprement justifiée, soit par une bonne publication, soit par un résultat expérimental solide. Ils doivent veiller vigilant à la rigueur de la description des matériels et des méthodes, au point que les expériences doivent pouvoir être reproduites. Ils doivent aider les auteurs à apprendre à rédiger des publications scientifiques, le cas échéant.
Aujourd'hui, capté sur Twitter des engagements qu'un scientifique a pris, à propos du travail de rapporteur. J'amende en traduisant :
1. Rapporteur, j'écrirai mes rapports de façon aidante, bienveillante, respectueuse. Même si le manuscrit contient des fautes élémentaires, je ne ferai pas de commentaires brusques, excédés ou condescendants.
2. Mon objectif sera d'aider les auteurs à améliorer leur manuscrit, et non pas à critiquer sans indiquer de piste d'amélioration.
3. Quand je considérerai les interprétations, mon objectif ne sera pas d'imposer les miennes, mais d'examiner comment celles des auteurs sont étayées.
4. Je ne chercherai pas à orienter les interprétations dans le sens que je souhaite, et je considérerai le texte soumis, rien que le texte soumis.
5. J'accepterai toujours de faire l'analyse des manuscrits que l'on me soumet si je suis un expert du sujet.
6. Je ferai mon analyse aussi rapidement que possible. Et si je n'ai pas le temps, j'indiquerai aux éditeurs un autre rapporteur.
vendredi 6 décembre 2019
Les plaques à la surface du thé
La question du jour concerne le thé :
La question a été explorée par Michael Spiro et ses collègues en 1995, qui ont réfuté les hypothèses proposées en 1993 par Lewin, lequel pensait qu'il s'agissait de cires végétales détachées par l'eau chaude. Spiro et ses collègues ont montré que ces plaques sont faites de carbonate de calcium, à partir des ions bicarbonate et calcium de l'eau.
L'ajout de jus de citron diminue considérablement la formation des plaques, parce que les ions citrate du jus de citron se lient aux ions calcium.
Que dire de plus ?
Je m'interroge sur la pellicule qui se forme à la surface
mon thé lorsque je laisse un peu de temps passer entre l'infusion et la
dégustation.
Pouvez-vous m'éclairer sur son origine et sa composition ?
La question a été explorée par Michael Spiro et ses collègues en 1995, qui ont réfuté les hypothèses proposées en 1993 par Lewin, lequel pensait qu'il s'agissait de cires végétales détachées par l'eau chaude. Spiro et ses collègues ont montré que ces plaques sont faites de carbonate de calcium, à partir des ions bicarbonate et calcium de l'eau.
L'ajout de jus de citron diminue considérablement la formation des plaques, parce que les ions citrate du jus de citron se lient aux ions calcium.
Que dire de plus ?
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