Un correspondant m'interroge à propos de l'enseignement : faut-il
introduire plus de science dans l'enseignement culinaire? faut-il
enseigner l'usage des nouveaux ustensiles, ingrédients, méthodes?
Autrement dit, faut-il enseigner la cuisine moléculaire dans les lycées hôteliers et autres établissements analogues?
En
réalité, j'ai répondu dès 2001 avec mon Traité élémentaire de
cuisine... mais je viens de répondre plus en détail : il s'agit ici de
faire publiquement état de mes doutes : réfléchissons beaucoup avant de
répondre.
Voici en tout cas ce que j'ai envoyé :
Face
à l'évolution du marché de la restauration, à l'évolution des
techniques, à l'aide de la science dans la cuisine, comment doit-on
intégrer ces évolutions dans l'enseignement ?
Comment
« doit-on »… intégrer les évolutions dans l’enseignement ? En réalité, «
devoir » est un verbe bien fort ! « On » (c’est qui, on ?) fait ce que
l’on peut et ce que l’on veut, car le professeur, il faut le redire,
est maître dans sa classe… à condition de respecter les référentiels de
formation, et les consignes générales que l’institution met en place.
Cela dit, j’espère (je devrais dire « je crois ») que l’ « on » fait
toujours les choses parce que l’on espère contribuer à faire grandir les
enseignés !
Cela étant, arrêtons-nous d'abord sur la
première observation. Oui, le marché de la restauration évolue,
notamment parce que la cuisine moléculaire ne cesse de se développer.
Elle se développe en même temps qu'elle s'impose même chez des
cuisiniers qui se disent classiques : ils se mettent à utiliser les
siphons, par exemple.
L'évolution des techniques :
même les plus retardataires ont de l'induction, des robots, des pacojets
ou autres... Tout le monde n'utilise pas encore d'azote liquide... Mais
ça viendra, ou pas, peu importe. De toute façon, s’imposeront
progressivement des matériels utiles, qui remplaceront –c’est un vœu-
des matériels mal faits ou archaïques.
Et puis, il y a
tout ce qui est nouveau mais qui ne nécessite pas de matériels ou
d’ingrédients nouveaux : voir certaines de mes inventions comme les
priestleys ou les vauquelins, le sel glace ou le chocolat chantilly, par
exemple.
Comment les enseignants doivent-ils intégrer la science dans l'enseignement?
Les
enseignants forment un corps hétérogène : il y a des professeurs de
cuisine, des professeurs de sciences (je propose d'abandonner
définitivement l'expression de « sciences appliquées », pour suivre
Louis Pasteur qui distinguait la science, d’une part, et les
applications de la science, d’autre part).
Les
professeurs qui enseignent aujourd'hui la « science appliquée » sont
soit des professeurs de science (et il faut dire que la science
expérimentale ne se fait pas en chambre : il faut de l’expérimentation,
comme on l’a bien dit dans le cadre des Ateliers expérimentaux du goût
ou des Ateliers science & cuisine), soit des professeurs de
technologie.
Les professeurs de cuisine, eux, sont soit des
professeurs de technique, soit des professeurs d'art ; nommons les plus
simplement professeurs de… cuisine.
Les divers
professeurs, de science, de technologie, de cuisine ont tout à gagner, à
mon avis, à enseigner ce qu'ils savent, et non ce qu’ils ignorent : que
les professeurs de science enseignent la science, et que les
professeurs de technologie enseignent la technologie, que les
professeurs de cuisine enseignent la cuisine.
Mais il peut y
avoir des séances de co-animation, non ? Et il peut aussi exister des
relations fortes dans les équipes pédagogiques ?
Cela
dit, je propose de partir d'abord de l'élève. Que lui souhaite-t-on ?
D'être capable de cuisiner dans les circonstances professionnelles
variées (restauration commerciale, restauration collective...) où il se
trouvera. Autrement dit, les enseignants doivent le rendre capable de
s'adapter aux environnements variés où il exercera ses talents (je n’ai
pas dit que c’est facile).
Pour être adaptable, le
jeune cuisinier devra être cultivé ; si certaines techniques sont
universelles, il existe des centaines de façons d’être « cuisinier ». Et
voici pourquoi, à mon avis, ce serait une grave erreur que les
cuisiniers n’apprennent que la cuisine ; il leur faut de l'histoire, de
la géographie, du français, de l'anglais, de l'économie, de la
technologie, de l'art, de la science... Et je déteste l'idée que,
pendant leurs études, ils soient limités au tournage des champignons, au
levage des filets de sole ou au flambage de la crêpe Suzette.
D'ailleurs,
un individu intelligent qui fait un geste se demande nécessairement
pourquoi il le fait, comment il le fait, comment il peut le faire mieux.
D'autre part, il y a la question de la « recherche ».
Imaginons
un jeune qui entre dans un établissement d'enseignement. Supposons que
ses professeurs se contentent de lui interdire de mettre un couvercle
sur des haricots verts en train de cuire (on généralisera facilement) ; à
la sortie, il saura ne pas mettre le couvercle sur les haricots verts,
ce qui est idiot d'une part, et limité d'autre part. Considérons le même
élève qui entre maintenant dans un établissement d'enseignement où on
l'invite à faire des expériences, par exemple à cuire les haricots verts
avec ou sans couvercle. À la sortie de son école, non seulement il
saura qu'il n'y a pas de différence entre des haricots verts cuits avec
ou sans couvercle, mais, de surcroît, il aura appris... la méthode
merveilleuse qui consiste à apprendre, à toujours apprendre, encore
apprendre (ce qui, espérons-le, rendra modestes même ceux qui auront une
étoile au Michelin !).
D’ailleurs, moi-même : qui
suis-je pour oser répondre à vos questions avec tant d’assurance ? En
réalité, je ne suis pas fou au point d’être assuré de mes propres
certitudes ; contentons-nous d’être intellectuellement honnête, et ce
sera déjà beaucoup.
La science dans tout ça ? Oui,
pourquoi pas de la science… mais c'est bien secondaire par rapport à la «
méthode ». D'autre part, la science produit des connaissances, et ce
sont donc les connaissances rénovées produites par la science qui seront
utiles aux élèves, plutôt que la pratique de la science elle-même. Je
crois qu’il n'est pas inutile de transmettre les connaissances nouvelles
plutôt que les connaissances périmées et fausses, d'une part, mais ce
serait sans doute une erreur de ne pas transmettre en même temps des
méthodes pour utiliser les connaissances nouvelles, ce qui se nomme la
technologie.
On peut donc faire de la technologie de
deux façons : en partant de la technique et en se posant des questions
en vue de perfectionner cette technique, ou bien en partant des
connaissances scientifiques nouvelles, et en cherchant à les appliquer.
Face
à l'évolution du marché de restauration, sur quels axes doivent
insister les enseignants afin de faciliter l'insertion professionnelle
de l'élève?
Je crois avoir répondu à cette
question dans le paragraphe précédent. Cela dit, il faut tenir compte
des goûts du public. Si le public veut de la cuisine moléculaire, autant
lui en donner… quitte à être capable de changer quand les goûts du
public changeront. Ceci a pour conséquence que les élèves doivent
apprendre à utiliser de l'azote liquide, à faire des perles d'alginate,
etc.
Mais la phrase précédente a aussi comme
conséquence qu’il faut surtout donner des bases permanentes, qui ne
changeront pas avec la mode. Et là, une question merveilleuse s’impose :
quelles sont les bases ? La mayonnaise ? Pourquoi pas, mais pourquoi ?
Les fonds ? Pourquoi pas… mais pourquoi ?
Je propose
que le monde culinaire se reprenne et, au lieu de propager
paresseusement les bases classiques (que veut dire ce mot : Bocuse,
Escoffier, Carême ? Menon ? Taillevent ?), que nous cherchions quelles
sont les véritables bases indispensables. Je ne suis pas contre l’idée
de contribuer à la discussion, si je peux me rendre utile.
Pour vous comment les enseignants doivent-ils expliquer aux élèves les réactions physico chimiques?
Ici,
la question est vaste, et je laisse à chaque enseignant le soin de
déterminer sa méthode pédagogique. Pour ce qui me concerne, je cherche
toujours à partir d'une expérience ou d'une question. L'expérience,
parce qu'elle montre des phénomènes et qu'elle suscite des questions. La
question, parce que c'est une invitation à chercher la réponse.
Dans
mon cas particulier, j'ai l'ambition démesurée de faire monter le
savoir du ventre à la tête. J'appâte l'élève avec de la gourmandise, et,
par des questions, par des observations des phénomènes qui surviennent
lors des expériences faites avec l'élève, je le conduis vers des
considérations historiques, géographiques, chimiques, physiques,
littéraires... gastronomiques en un mot. Encore de la culture, quoi !
Quand
je suis dans un chemin physico-chimique, je ne peux m'empêcher d'y
ajouter du calcul, par ce que mon prosélytisme irrésistible me pousse à
montrer que c'est une chose simple.
Pour le monde culinaire, je
crois que c’est à l’enseignant en sciences de répondre à votre question.
Et je me contente de signaler les Séminaires de gastronomie
moléculaire, les Ateliers expérimentaux du goût, les Ateliers science
& cuisine, mes livres, mes articles, mes conférences toujours
assorties d’expérience. Beaucoup de matériel se trouve (gratuitement !)
sur : http://sites.google.com/site/travauxdehervethis
Comment les enseignants doivent-ils faire évoluer le vocabulaire professionnel?
Prenons
la différence entre mousse et émulsion, pour commencer. Il me semble
essentiel que les enseignants soient les premiers à ne pas faire la
confusion. Une mousse, c'est un système formé de bulles d'air dans un
liquide. Une émulsion, c'est un système formé de gouttelettes de matière
grasse dans un liquide. Un chat n'est pas un chien, un marteau n’est
pas un tournevis, et il me semble tout à fait indispensable que les
enseignants soient les premiers à bien faire la distinction, sans quoi,
nous nous retrouverons, comme c'est le cas parfois encore aujourd'hui,
avec des professionnels qui sont dans le doute et risquent de confondre.
De même, il n'y a pas des émulsions stables et émulsions instables :
toutes les émulsions sont instables, pourtant trop de manuels encore en
vente aujourd'hui parlent d'émulsions stables. J’en passe, et des
meilleures.
Je dois dire ici je suis très heureux
d'avoir participé à la rénovation des Certificats d’Aptitude
Professionnele (CAP cuisine tout particulièrement), grâce à l'inspecteur
général Christian Petitcolas, en charge des filières
Hôtellerie-restauration et Métiers de l’alimentation, qui a mené les
choses de façon intelligente et efficace, malgré de nombreuses
résistances. Les notions anciennes de cuisson par concentration ou de
cuisson par expansion étaient fausses, et je m'étonne qu'aujourd'hui
encore certains professionnels ou certains enseignants osent les
propager. Cela me semble être un scandale inacceptable, et j'espère que
nous serons très rapidement débarrassés des idées fausses qui
encombraient les cuisines, qui encombrent l'enseignement culinaire et
qui sont des freins au développement culturel des jeunes cuisiniers.
A
noter que, quand ces questions se sont posées, j’ai produit le livre «
Traité élémentaire de cuisine » (Editions Belin), comme une sorte de
manuel de la réforme. Je ne renie pas ce livre, aujourd’hui !
Quels sont les nouveaux matériels qui doivent être mis en avant face à l'évolution des techniques?
Je
préfère répondre de façon beaucoup plus générale : il est temps que
collectivement, les acteurs du monde culinaire réfléchissent, regardent
les ustensiles qu’ils utilisent et cherchent plutôt des ustensiles
efficaces au lieu de se satisfaire des actuels dont les fonctions et
efficacité sont souvent dépassés. Cela fait des décennies que je milite
pour l'induction, dont le rendement énergétique est bien supérieur à
celui des plaques gaz ou des plaques électriques classiques. Les
catalogues de matériel pour laboratoires sont bourrés de produits qui
pourraient s'imposer en cuisine : je ne cesse de le dire depuis 1984
mais votre question me rassure, parce qu'elle montre que le monde
professionnel, enseignant en l'occurrence, commence à se poser la
question.
Créons des groupes de travail qui réuniront
des enseignants, des professionnels : lors de réunions de travail,
identifions les fonctions, les gestes de la cuisine ; et l'on pourra
ensuite voir collectivement les fabricants pour leur demander des
appareils enfin adaptés aux fonctions nécessaires. Je vous renvoie, pour
ce point, à un séminaire extraordinaire que nous avions eu il y a
quelques années à ce propos.
Quelles nouvelles techniques de cuisson doit on intégrer dans l'apprentissage de la cuisine?
La
cuisson à basse température est un moyen merveilleux de valoriser des
viandes à braiser, peu coûteuse, mais au goût merveilleux. Cet
enseignement doit être bien donné sans quoi nous aurons des accidents.
Je crois donc qu'il y ait un vrai effort à faire dans l'enseignement de
ce côté-là, notamment.
Que
pensez vous qu'il serait nécessaire d'intégrer au référentiel de BTS
face aux évolutions du marché, des techniques et matériels nouveaux?
Oui,
l'enseignement des techniques et des usages de matériels nouveaux
s'impose. Mais il faut redire ici que, si les référentiels des CAP ont
changé, ceux du BEP n'ont pas encore été modifiés. Non seulement il
faut introduire de nouveaux matériels de nouvelles techniques, mais il
faut aussi éradiquer toutes les erreurs anciennes.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 7 décembre 2017
Une conférence à l'Imperial College, London, UK
Vive la chimie !
J'ai eu des hésitations, mais je crois que ma pensée s'est maintenant stabilisée à propos du statut de la "chimie".
1. Qu'est-ce que la chimie ? Comme beaucoup de mes amis, j'ai d'abord eu cette pensée irréfléchie selon laquelle la chimie serait à la fois une technique, une technologie et une science.
2. Puis j'ai considéré que cela n'était pas possible, car une activité humaine se définit par son objectif, lequel conditionne sa "méthode" (en grec, methodon signifie "chemin"). Et la technique n'a pas le même objectif que la science (de la nature). Je m'étais donc demandé à quelle activité réserver le nom de "chimie".
3. Ayant interrogé des amis (VIP, bien sûr), j'ai reçu l'argument d'autorité selon lequel la chimie est une science. Dont acte. Je me suis donc réformé, et j'ai conclu que la cuisine n'était donc pas de la chimie, puisque ce n'est pas une science, mais une technique, doublée d'art (parfois).
4. Puis est venu un moment terrible où j'ai cru que je m'étais trompé, et que l'on devait réserver le nom de chimie à la technique : après tout, dans l'histoire (récente) de l'Ecole supérieure de physique et de chimie de Paris, il y a ce fait que, lors des 50 ans de l'école, on discutait encore du fait que les élèves "chimistes" étaient initialement des préparateurs, et pas des scientifiques. Ou le fait que les chimistes du Museum auraient été moins bien que les pharmaciens. Avec le fait que la "physique" est la science de la nature par excellence, le mot "physis" signifiant "nature", j'avais proposé que l'on parle de sciences de la chimie, de sciences chimiques, de physique chimique.
5. Mais je viens de bien regarder ce moment historique où la chimie s'est séparée de l'alchimie. Pour l'alchimie, il y a eu différents courants, mais c'est un fait que la chimie s'est séparée quand elle a oublié les questions de transmutation, de pierre philosophale, de grand oeuvre... Certes, on continuait de s'intéresser à la constitution de la matière, mais sans faire d'hypothèses autre que la rationalité. D'où les progrès des 17 et 18e siècles, avec notamment la découverte des "éléments", surtout avec Lavoisier, pour le début des travaux.
Et Lavoisier se disait "chimiste", il faisait de la chimie, à côté de Laplace, qui était physicien et faisait de la physique.
Je demande pardon à mes amis, mais ma position est maintenant clarifiée : même si, personnellement, j'ai de l'intérêt pour de la physique, et j'en fais un peu, je ne cesse de considérer dans mes travaux les comportements des assemblages d'atomes (molécules, agrégats, que sais-je?), et je crois que la chimie est une science merveilleuse, parce qu'elle détermine in fine le comportement d'une large partie du monde matériel.
Vive la chimie !
mercredi 6 décembre 2017
Quel scientifique dort la nuit ?

On me connaît : je prône la jovialité dans le travail, et je ne suis pas d'un naturel inquiet.
Pourtant, je me demande comment un scientifique peut dormir tranquillement la nuit : comment pouvons-nous être assurés que nos calculs sont justes?
Cette question arrive alors que les institutions scientifique multiplient les procédures de traçabilité, d'évaluation, d'administration... La qualité est dans ce lot qui nous tombe dessus... mais n'est-ce pas une évidence que nous devons nous préoccuper de la qualité de nos résultats ? N'est-ce pas même faire offense à un scientifique que de le lui rappeler ?
Il faut être vraiment débutant pour croire que les balances donnent un résultat juste, que les thermomètres indiquent vraiment la température! Après tout, on le sait, qu'il faut étalonner, contrôler, valider sans cesse... Et si on ne le sait pas, on doit l'apprendre, avant de faire de la science.
Cela dit, à ce propos, je suis un peu vexé, mais je dors sur mes deux oreilles, parce que, agent de l'Etat, je m'efforce de faire bien.
En revanche, je m'étonne que JAMAIS ne soit évoquée la question de la qualité des calculs. Quel scientifique senior refait tous les calculs des étudiants qui lui font l'honneur de venir travailler avec lui ? Et comment sommes-nous nous mêmes assurés de nos propres calculs ?
Les ordres de grandeur ("robustesse") ? Une bien piètre solution.
La validation d'un calcul par un calcul différent ? C'est encore un peu faible.
Je propose l'ouverture d'un chantier national indispensable : au lieu de dépenser notre énergie à contrôler les balances de façon "administrée", contrôlons les balances avec l'énergie raisonnable qui sied à la question, comme nous savons le faire depuis longtemps, et réfléchissons à l'essentiel de la science : le calcul!
N'hésitez pas à contribuer à cette discussion ici : dans certaines circonstances, je n'affiche pas les commentaires, mais, dans cette circonstance, il y a le feu, et toutes les contributions seront acceptées avec reconnaissance.
Je retrouve ceci
Le travail est sa propre récompense
Ipsa quidem virtus sibimet pucherrima merces
(attribué à Silius Italicus, Punica, bk XIII, I, 663)
Cela signifie : "La vertu est sa propre récompense".
Je généralise au travail, quand il est droit, honnête.
Il faut considérer que les rapporteurs ont toujours raison même quand ils ont tort
Le titre de ce billet est évidemment paradoxal, mais je suis certain que l'idée est juste.
Lors de la soumission d'un manuscrit pour publication, l'auteur reçoit de l'éditeur en charge du texte un ou plusieurs rapports de rapporteurs, c'est-à-dire une série d'observations, remarques, questions posées par des « pairs ». Evidement les journaux cherchent des rapporteurs aussi compétents, intelligents, consciencieux que possible, mais il faut admettre que s'applique ici aussi la célèbre « Loi du petit Wolfgang », qui stipule que 90 pour cent des échantillons d'un groupe sont médiocres. De même que les scientifiques ne sont pas tous exceptionnellement bons, les rapporteurs, qui sont un échantillon de ce premier groupe, n'ont pas de raison d'être particulièrement meilleurs, en proportion.
Il faut donc que les auteurs des manuscrits, qui ne sont pas particulirement meilleurs que les rapporteurs (en proportion), considèrent les observations des rapporteurs avec discernement, avec jugement.
Il se trouve que certaines des remarques, observations, critiques, propositions sont inappropriées, et cela cause, chez les auteurs, des frustrations, voire de la paranoïa. Et c'est ce qui conduit certains auteurs à refuser, butés, certaines remarques des rapporteurs et crée des tensions dans le monde scientifique. Certes, parfois, les observations sont hors de propos ; certaines demandes faites par les rapporteurs sont injustifiées…
Mais, au fil des soumissions de manuscrits, les auteurs ont vite fait de considérer qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte, et on les voit se raidir dans des postures de refus, qui, bien évidemment, conduiront les rapporteurs et les éditeurs à se raidir également… et à refuser les articles.
Tout cela me paraît bien improductif, et je propose plutôt de considérer l'idée essentielle suivante : si un rapporteur a buté à un moment particulier de sa lecture, c'est qu'il y a « quelque chose ».
Je me fonde sur vingt ans d'édition d'articles de vulgarisation scientifique ou de publication d'ouvrages (dont j'étais soit auteur, soit éditeur), et sur l'observation empirique, mais régulière du fait que toute partie de phrase, tout mot, tout paragraphe qui « coince » à une lecture donnée coincera régulièrement par la suite.
J'ai assez enseigné aux auteurs à penser que toute observation qui est leur est faite appelle une modification du texte initial. Pas nécessairement la modification particulière qui est réclamée par l'éditeur, le lecteur ou le rapporteur, mais il faut de l'auteur un travail supplémentaire qui permettra au manuscrit de monter d'un cran dans l'échelle de la qualité.
Ce qui vaut pour des traités assez généraux vaut également pour des manuscrits scientifiques, car, dans les deux cas, une clarté extrème s'impose. Certes, on ne doit pas pallier l'ignorance des lecteurs ou des rapporteurs, mais en tout cas, on doit être parfaitement clair. De sorte que même si une observation d'un rapporteur se fonde sur l'ignorance toute idiosyncratique de celui-ci, l'auteur a, avec l'observation qui a été faite, une invitation à faire mieux. Il ne faut pas répondre au rapporteur en lui donnant tout le pan de connaissances qu'il n'a pas, en palliant toute son ignorance éventuelle, mais profiter de l'observation pour chercher à faire mieux. Le rapporteur a peut être tort, mais on aura raison de tenir compte de son observation.
Car on ne doit pas oublier que l'évaluation par les pairs est surtout un moyen d'améliorer la qualité des manuscrits jusqu'à atteindre une qualité scientifique suffisiante pour passer à la publication. Il en va de même de nos travaux, quand ils sont évalués par d'autres : ces autres ne sont pas nécessairement dans le vrai, mais nous aurons intérêt à profiter des remarques pour nous améliorer.
mardi 5 décembre 2017
Le sanciau berrichon : entre blinis et soufflé
Le sanciau ? On nous dit de battre un jaune d'oeuf avec deux
cuillerée à soupe de sucre et 100 grammes de farine, puis d'ajouter le
blanc battu en neige, avant de cuire à feu très doux, en cocotte, en
retournant après 25 minutes.
C'est bien cela, la cuisine classique : nous sommes invités à suivre une procédure, sans la comprendre. Je propose plutôt d'analyser, en vue d'améliorer.
Tout d'abord, l'objectif : c'est une sorte de blinis, avec une croûte dont l'épaisseur dépend de la durée de la cuisson, avec un centre foisonné qui doit être coagulé, mais aussi tendre que possible, afin de faire un bon contraste. Blinis, donc, mais blinis sucré... et le sucre contribue à faire tenir la mousse que l'on cuit.
On pourrait aussi dire que le produit s'apparente à un soufflé cuit dans une cocotte... ou une casserole, puisque cocotte ou casserole fonctionnent de même, en l'occurrence.
De sorte que le sanciau, inversement, pourrait très bien être cuit comme un soufflé, et il serait d'ailleurs un soufflé. Ce qui doit nous conduire inmanquablement à dire que les blinis, qui sont parfois bien long à cuire un à un, dans de petites poeles, peuvent être cuits tous ensemble au four, comme des soufflés... dans des ramequins.
La confection de l'appareil (on nomme ainsi la préparation à cuire), aussi, peut être utilement modifiée. Par exemple, on aura intérêt à battre le jaune d'oeuf avec le sucre jusqu'au "ruban" (quand le mélange blanchit et devient lisse), à l'aide d'un fouet. Et l'on aurait intérêt à réserver la moitié du sucre pour "serrer" les blancs en neige (l'ajout de sucre les stabilise).
Pour le goût, une pincée de sel s'impose, mais, surtout, pourquoi ne pas donner du goût au sanciau : calvados, eau de fleur d'oranger, vanille, etc. ?
Une fois le système compris techniquement, les talents artistiques peuvent s'exprimer.
C'est bien cela, la cuisine classique : nous sommes invités à suivre une procédure, sans la comprendre. Je propose plutôt d'analyser, en vue d'améliorer.
Tout d'abord, l'objectif : c'est une sorte de blinis, avec une croûte dont l'épaisseur dépend de la durée de la cuisson, avec un centre foisonné qui doit être coagulé, mais aussi tendre que possible, afin de faire un bon contraste. Blinis, donc, mais blinis sucré... et le sucre contribue à faire tenir la mousse que l'on cuit.
On pourrait aussi dire que le produit s'apparente à un soufflé cuit dans une cocotte... ou une casserole, puisque cocotte ou casserole fonctionnent de même, en l'occurrence.
De sorte que le sanciau, inversement, pourrait très bien être cuit comme un soufflé, et il serait d'ailleurs un soufflé. Ce qui doit nous conduire inmanquablement à dire que les blinis, qui sont parfois bien long à cuire un à un, dans de petites poeles, peuvent être cuits tous ensemble au four, comme des soufflés... dans des ramequins.
La confection de l'appareil (on nomme ainsi la préparation à cuire), aussi, peut être utilement modifiée. Par exemple, on aura intérêt à battre le jaune d'oeuf avec le sucre jusqu'au "ruban" (quand le mélange blanchit et devient lisse), à l'aide d'un fouet. Et l'on aurait intérêt à réserver la moitié du sucre pour "serrer" les blancs en neige (l'ajout de sucre les stabilise).
Pour le goût, une pincée de sel s'impose, mais, surtout, pourquoi ne pas donner du goût au sanciau : calvados, eau de fleur d'oranger, vanille, etc. ?
Une fois le système compris techniquement, les talents artistiques peuvent s'exprimer.
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