L'huile
de palme a mauvaise presse. Pourquoi ? Est-ce justifié ?
Ce
qui est certain : bien rares sont les polémistes qui savent ce
dont ils parlent vraiment : on voit répétés des mots tels que
« poly-insaturés », « risque cardiovasculaire »...
mais ils sont souvent seulement répétés, et pas compris.
D'ailleurs l'expérience prouve que même la seule notion d'
« huile » est mal comprise : des individus cultivés
croient que l'huile est faite d'acides gras, car n'est-ce pas ce qui
figure sur les étiquetages ? La déloyauté de ces derniers est
le baton qu'une certaine industrie alimentaire donne pour se faire
battre.
Allons,
cherchons simplement à comprendre.
Ce
qui est clair, c'est que nos sociétés ont trop eu de connaissance
de la chimie, d'une part, et de la nutrition, d'autre part, pour
juger. A défaut de comprendre, on répète, donc, et la prudence qui
a conduit l'espèce humaine a se reproduire et évoluer jusqu'à être
présente aujourd'hui conduit à répéter les discours les plus
prudents, pour ne pas dire alarmistes.
Evidemment,
on serait naïf de ne pas voir, aussi, derrière la polémique de
l'huile de palme, des raisons raisons politico-économiques, avec
notamment des manipulations protectionnistes fondées sur des clichés
faciles à répéter. Pour voir la paille dans l'oeil du voisin, on
sait que les Espagnols ou les Italiens vantent excessivement les
« vertus » de leur huile d'olive, tandis que d'autres
groupes feront la promotion de telle ou telle culture oléagineuse
nationale. C’est ainsi que les pays producteurs de soja du
continent américain diabolisent l’huile de palme, comme le font
également les pays producteurs de tournesol et de colza en Europe,
et le Sénégal producteur d’arachide depuis la privatisation de la
SONACOS.
En
conséquence, une description simpliste ou fausse des lipides, avec
soit une assimilation de ces derniers à des acides gras, soit (dans
les meilleurs cas) une interprétation des lipides en les seuls
termes de composition globale en acides gras. Ces deux descriptions,
fausses ou simplistes, conduisent quasi automatiquement à un
classement erroné, en termes de corps gras soit bons, soit mauvais
(pour la santé humaine, laquelle, on oublie de le dire, est
quotidiennement menacée par le tabagisme, la consommation d'alcools,
la consommation de sucres, de sodas, la consommation de viande
grillées, fumées... dont l'effet est bien supérieur).
Passons
sur les milles formes que la mauvaise foi humaine revêt, et partons
d'une bouteille d'huile raffinée.
Au
premier ordre, il s'agit d'un liquide composé d'un très grand
nombre (des millions de milliards de milliards) d'objets minuscules,
tous identiques, qui se déplacent en tous sens, et entre lesquels il
y a du vide, rien. Ces objets sont des « molécules ».
Dans
l'huile raffinée, les molécules ont quasiment toutes la même
structure : ce sont comme des peignes à trois dents souples, on
pourrait dire aussi comme des diapasons. Le manche du peigne, ou le
point de jonction du manche de diapason et des branches, est fait de
trois atomes de carbone enchaînés, et les dents ou branches sont
liés par de petits groupes d'atomes d'oxygène. Puis les dents
elles-mêmes sont faites d'enchaînement d'atomes de carbone, tous
ces atomes de carbone étant liées à des atomes d'hydrogène. Ces
molécules sont nommées des « triglycérides ».
Nous
avons vu que toutes les molécules de l'huile (ou presque) sont des
triglycérides, mais il existe des triglycérides différents. Les
dents/branches peuvent avoir des longueurs différentes, et elles
peuvent être plus ou moins « souples », déformables.
En
effet, les atomes de carbone peuvent se lier soit simplement, soit
par des liaisons « doubles », auxquels cas les
triglycérides sont dits « insaturés ». Avec une seule
liaison double, il y a une mono-insaturation ; avec plusieurs
liaisons doubles, il y a poly-insaturation.
Et
les acides gras, dans l'affaire ?
Quand
un chimiste veut « synthétiser » un triglycéride, il
peut le faire de nombreuses façons, mais la plus simple consiste à
« estérifier » du glycérol par trois acides gras. Le
glycérol ? Trois atomes de carbones attachés ensemble, avec,
sur chacun, un groupe « hydroxyle », avec un atome
d'oxygène et un atome d'hydrogène, plus des atomes d'hydrogène
pour faire le « compte » (chaque atome de carbone doit
finalement être lié à quatre autres atomes) :
Les
acides gras ? Des atomes de carbone liés de façon linéaire,
avec, à une extrémité, un groupe « acide carboxylique »,
avec un atome d'oxygène lié doublement à l'atome de carbone
terminal, et un groupe d'hydroxyle lié à ce même atome.
Autrement
dit, le chimiste de base reconnaît simplement des motifs dans les
triglycérides, et, même si la synthèse n'a pas été faite par
l'estérification précédemment décrite, beaucoup de mauvais
chimistes voient du glycérol et des acides gras dans les
triglycérides. Ce n'est pourtant pas juste : il y a seulement
des « résidus de glycérol » et trois « résidus
d'acides gras ». Mais, insistons, on pourrait très bien
décrire les molécules de triglycérides différemment, car elles
peuvent se constituer, ou de dissocier, d'innombrables façons où
les glycérol et les acides gras n'ont aucune part !
Evidemment,
si l'on conserve cette façon simple de décrire les triglycérides,
on pourra numéroter les atomes de carbone du résidu de glycérol :
1, 2, 3. Notons que les triglycérides de lait de ruminants ont des
résidus d'acides gras différents, aux positions 1 et 3. Ces
positionnements sont fondamentaux sur le plan de la nutrition :
ils règlent le mécanisme d’absorption des acides gras (je dis
bien, cette fois, des acides gras, car divers mécanismes digestifs
conduisent à séparer des acides gras des triglycérides) à travers
la paroi intestinale pendant la digestion. Lors de cette dernière,
une enzyme nommée lipase pancréatique, sécrétée par le pancréas
(on s'en serait douté) et chargée de digérer les lipides, n'agit
pas de même sur les résidus d'acides gras des positions 1 et 3,
d’une part, et les résidus d'acides gras de la position 2, d’autre
part : seuls les acides gras des positions 1 et 3 sont libérés
et se retrouvent, lors de la digestion, sous forme d’acides gras
libres (on trouve parfois les abréviation a.g.l., ou agl, ou AGL, ou
encore A.G.L.), qui peuvent réagir avec des ions calcium présents
dans l'environnement digestif, pour former des « sels de
calcium » ; les acides gras de la position 2 restent liés
au résidu de glycérol pour former des 2- monoglycérides (tiens,
j'y pense : savez-vous que les monoglycérides sont considérés
comme des « additifs »?).
Les
sels de calcium des acides gras saturés sont insolubles, et ils sont
excrétés dans les fèces ; quant aux acides
gras poly-insaturés, après hydrolyse partielle de leurs sels
de calcium, ils traversent en partie la paroi intestinale et
alimentent les systèmes métaboliques en acides gras essentiels.
Les 2-monoglycérides, eux, traversent rapidement la paroi
intestinale : ce sont des vecteurs d'acides gras, et la
« biodisponibilité » d’un acide gras donné est
maximale lorsque ce dernier est lié au résidu de glycérol par la
position 2.
On
comprend alors aisément que, si la position 2 est riche en résidus
d'acides gras insaturés, ces derniers seront transportés sans
difficultés à travers la paroi intestinale vers le canal
thoracique ; de même, si la position 2 est riche en résidus
d'acides gras saturés, ces derniers seront transportés également
sans difficulté vers le canal thoracique. La position 2 est aussi
qualifiée de position de biodisponibilité des résidus d'acides
gras.
Tableau
1 : Composition et distribution des résidus d'acides gras de
trois matières grasses riches en résidus d'acides gras saturés, la
graisse de porc (lard), l’huile de palme et le beurre de cacao.
Dans
le tableau 1, on compare trois matières grasses saturées : la
graisse de porc (lard), l’huile de palme et le beurre de cacao,
qui contiennent respectivement 48,5, 52,0 et 60,5 % de résidus
d’acides gras saturés (arrondissons à 50, 50, 60) et 51,5, 48,0
et 39,5 % de résidus d’acides gras insaturés (arrondissons à 50,
50, 40). Les arrondis montre que la graisse de porc et l'huile de
palme sont très semblables, alors que le beurre de cacao est bien
différent.
L’analyse
des matières grasses, connue depuis presque un demi-siècle permet
de connaître la composition en résidus d'acides gras des
triglycérides, par couplage des chromatographies sur couche mince et
en phase gazeuse, après digestion ménagée in
vitro des
échantillons, soit par le bromure d’éthyl magnésium, soit par la
lipase pancréatique de porc biochimiquement identique à celle de
l’homme. La méthode à la lipase pancréatique est d’ailleurs
normalisée depuis longtemps ; on consultera utilement les
articles et normes référencées ci après :
Brockerhoff
H., (1967 – Stereospecific analysis of triglycerides: an
alternative method – J. Lipid Research, 8,
167-169
(AFNOR :
Association Française de Normalisations – IUPAC:
International Union for Pure and Applied Chemistry)
L’application
de la norme AFNOR a permis de déterminer la composition des résidus
d'acides gras en position 2 de ces trois matières grasses et de
constater que cette position comprend 80 % de résidus d’acides
gras saturés et 20 % d’insaturés dans le lard, alors que pour les
deux matières grasses végétales, palme et cacao, le rapport est
inversé par rapport au lard avec respectivement 80 et 90 % de
résidus d’acides gras insaturés et 20 et 10 % d’acides gras
saturés.
Ces
résultats signifient, sans ambigüité, que :
dans
le cas du lard, les 2-monoglycérides issus de l’action de la
lipase pancréatique vectorisent essentiellement des résidus
d'acides gras saturés à travers la paroi intestinale,
alors
que dans le cas de l'huile de palme et du beurre de cacao les
2-monoglycérides vectorisent essentiellement des résidus d'acides
gras insaturés ;
quant
aux résidus d'acides gras saturés qui occupaient les positions 1
et 3, ils sont éliminés dans les fèces sous forme de sels de
calcium insolubles.
Répétons :
dans le cas du palme et du cacao,
les acides gras absorbés par l’intestin sont essentiellement des
acides gras insaturés, alors que ce sont des acides gras saturés
dans le cas du lard.
L’huile
de palme et le beurre de cacao se comportent donc comme les huiles
riches en réssidus d'acides gras insaturés dont la position 2 est
exclusivement composée de résidus d'acides gras insaturés, les
résidus d'acides gras saturés étant répartis sur les positions 1
et 3 des triglycérides.
Lorsque
l’EFSA (l'Agence européenne de sécurité des aliments) fit
connaître sa réponse à la saisine de la Commission européenne, en
juillet 2004, elle souligna la relation positive entre la
concentration en résidus d'acides gras trans (il ne s'agit pas
d'OGM, mais d'une particularité chimique qu'il n'est sans doute pas
nécessaire d'expliquer ici ; je me tiens à la disposition de
ceux qui voudraient des éclaircissements) et risques
cardiovasculaires. Elle observa que cette relation n’est pas
établie pour les autres pathologies à haute prévalence, et que
cette consommation doit être rapportée à celle des résidus en
acides gras saturés – largement plus élevée que celle des
résidus d'acide gras trans et également associée à une
augmentation du risque cardiovasculaire. Enfin l'EFSA signala que la
corrélation ne valait pas pour tous les pays d'Europe, tant sont
grandes les différences de consommation entre pays.
Ce
que l'on a vu précédemment explique qu'il faut interpréter cette
déclaration : ce que visait l'EFSA, ce sont les résidus
d'acides gras trans et saturés, absorbés par la paroi intestinale
et qui, de ce fait, étaient issus de la position 2 des triglycérides
ingérés.
Il
ne faut pas faire l’amalgame entre les lipides absorbés dans la
prise alimentaire et les lipides absorbés par la paroi intestinale
après action de la lipase pancréatique.
Ainsi,
un repas contenant des lipides riches en résidus d'acides gras
saturés ne signifie pas que ces derniers traverseront
automatiquement la paroi intestinale : ils traverseront la paroi
intestinale s’ils occupent la position 2 des triglycérides ingérés
(cas des graisses animales et de porc, en particulier), mais ils ne
traverseront pas la paroi intestinale s’ils occupent les position 1
et 3 des triglycérides (cas de l’huile de palme et du beurre de
cacao), et seront alors éliminés, dans ce cas, dans les fèces sous
formes de sels de calcium.
Notons,
en outre, qu’il n’y a pas plus de maladies cardiovasculaires en
Malaisie, où la population consomme presqu’exclusivement de
l’huile de palme, qu'au Japon, où la population consomme beaucoup
de poisson et, donc, beaucoup de lipides de poisson réputés
protecteurs contre les maladies cardiovasculaires. En revanche, en
Bretagne ou l’on consomme beaucoup de viande de porc et de
charcuteries, et, donc, beaucoup de graisse de porc, l'incidences des
maladies cardiovasculaires est nettement plus élevé que chez les
habitants du pourtour méditerranéen français.
Pour
terminer, notons que toutes les cellules qui nous constituent sont
limitées par une membrane composée de 70 % de phospholipides :
pour ces composés, il y a deux résidus d'acides gras. Le
fonctionnement correct impose une proportion convenable de résidus
d'acides gras saturés, mono-insaturés et poly-insaturés,
permettant le transfert transmembranaire de sels et de biomolécules,
par des complexes protéiques nommés transporteurs, et permettant le
bon fonctionnement des protéines logées dans les cellules
(fonctions de reconnaissance cellulaire, etc.). Le bon choix des
matières graisses est essentiel... mais la critique de l'huile de
palme mérite d'être sainement examinée. Les êtres humains ont
appris à trouver dans la nature toute une gamme d’huiles, qui,
purifiées, se caractérisent par leur composition en résidus
d'acides gras, avec des propriétés particulières :
insaturations, positions dans le triglycéride (avec la position 2
très importante, on l'a vu). D'autre part, pour ce qui concerne
les aspects politiques, observons que la plantation de palmiers à
huile (qui se fait par défrichement des forêts tropicales) conduit
à produire dix fois plus d’huile à l’hectare que le soja :
le soja est donc responsable de la disparition de dix fois plus de
surfaces riches en biodiversité que le palmier, notamment au
Brésil.
Articles
utiles à consulter :
The
positional distribution of fatty acids in palm oil and lard
influences their biologic effect in rats. Serge C. RENAUD, Jean C.
RUF and Dominique PETITHORY. J. Nutr. (1995), 125,
229 – 237
Biodisponibilité
des acides gras et apports nutritionnels conseillés. Nicole COMBE.
OCL, (2002), 9,
135 – 138
Huile
de palme rouge de Colombie : Un équivalent tropical de l’huile
d’olive. M.
Pina et
al.
OCL, (2005), 12,
180-182
Dietary
lipids and cardiovascular disease: effect of palm oil. Gerard
HORNSTRA. Oléagineux, (1988), 43,
311 – 315.
D'après
un document de Jean Graille, consultant en agroalimentaire.