Un blog sur lequel je réponds à des internautes m'interroge sur des livres que j'ai publiés, d'une part ; d'autre part, des discussions avec des lecteurs me montrent que des éclaircissements sont nécessaires ; enfin, un commentaire sur ce blog, à propos de la redondance des livres contribue à me décider.
D'abord :
- les différents livres disent des choses différentes, à des moments différents, et je corrige ce qui doit l'être, chaque fois
- les différents livres s'adressent à des "amis" différents : on ne doit pas écrire un livre pour des amis scientifiques comme on écrit un livre pour des amis cuisiniers, ou pour des amis enfants, ou encore pour des amis ingénieurs.
Donc, de la redondance, certes, mais on ne peut pas m'en vouloir de m'évertuer à parler le langage de mes interlocuteurs.
De surcroît, voici très honnêtement l'état des choses :
1. Les secrets de la casserole : normalement, il se lit facilement, il doit piquer la curiosité de tous ; il était périmé par endroits, et la nouvelle édition a rectifié les "erreurs", en fonction de l'avancement des travaux scientifiques
2. Révélations gastronomiques : la suite, sous un format différent
3. La casserole des enfants : pour les enfants... mais je sais que des adultes se sont amusés à le lire
4. Casserole et éprouvettes
5. De la science au fourneau :
deux livres plus difficiles, pour un public différent
6. Traité élémentaire de cuisine : le livre avait été fait en vue de la réforme des CAP, pour les professeurs notamment ; je crois que les élèves des lycées hôteliers devraient tous l'avoir!
7. La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique : c'est le livre que je préfère, parce qu'il parle d'art culinaire, qu'il est "écrit", qu'il est "historique", en ce sens que, à ma connaissance, c'est le premier traité d'esthétiquque culinaire de l'histoire de la gastronomie (attention : esthétique ne signifie pas "beau à voir", mais "beau à manger", c'est-à-dire "bon"
8. Alchimistes aux fourneaux : un beau livre, et surtout la réédition d'un livre ancien, de Nicolas de Bonnefons. Ce dernier était un personnage remarquable, et c'est son texte que j'invite à lire, et pas le mien. De merveilleuses photographies par Rip Hopkins
9. Cours de gastronomie moléculaire 1 : science, technologie, technique, quelles relations : un livre pour des élèves ingénieur... mais c'est vrai que j'ai rassemblé toutes mes inventions (disons, certaines), avec des catégories, pour enseigner à inventer
10. j'en oublie, comme
- Six lettres gourmandes : introuvable, livre de collection, excessivement cher
- Construisons un repas : très simple à lire, des choses sur le constructivisme culinaire, ou sur la prochaine cuisine note à note; des réponses à des questions transmises par Marie-Odile Monchicourt.
Vive la connaissance!
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 17 octobre 2009
lundi 5 octobre 2009
Le Petit Robert nous fait beaucoup d'honneur... mais
Alors que Paris et la France sont pleins d'affiches signalant que l'expression "cuisine moléculaire" s'introduit, je suis désolé d'envoyer au Petit Robert le courrier suivant :
Monsieur le Directeur,
Le Petit Robert m’honore indirectement en introduisant l’expression « cuisine moléculaire » dans ses pages et ses publicités, mais je suis désolé de vous signaler une erreur dans la définition, que vous donnez :
« approche scientifique de la cuisine basée sur l'études des réactions physicochimiques à l'oeuvre lors de la préparation des plats et qui consiste à modifier naturellement la teneur moléculaire des aliments »
En effet, la cuisine moléculaire n’est pas une approche scientifique de la cuisine, mais « une mode culinaire qui fait usage de résultats de la science, et introduit de «nouveaux » ingrédients, méthodes, ustensiles ; le terme « nouveau » est évidemment imprécis, mais il désigne ce qui n’était pas présent en cuisine, en France et dans les pays d’Occident, avant les années 1980.
D’autre part, je suis surpris que votre définition utilise un « basé sur », qui, bien qu’admis, choque des puristes qui préféreraient un « fondé sur ».
Ce n’est hélas pas tout : la cuisine moléculaire ne cherche pas à modifier « naturellement » la teneur moléculaire des aliments, expression qui n’a pas de sesn, car toute intervention humaine est artificielle, et non naturelle, par définition. Enfin, je crains que vos rédacteurs n’aient fait une confusion entre cuisine moléculaire, d’une part, et gastronomie moléculaire, d’autre part. Je préfère vous donner des définitions justes, pour une prochaine édition :
Gastronomie moléculaire : discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qui cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires (introduite en 1988 par le physicien britannique Nicholas Kurti et par le chimiste français Hervé This).
Cuisine moléculaire : mode culinaire qui utilise les résultats de la gastronomie moléculaire, et contribue à rénover les techniques culinaires.
Croyez, Monsieur le Directeur, à mes sentiments distingués.
Monsieur le Directeur,
Le Petit Robert m’honore indirectement en introduisant l’expression « cuisine moléculaire » dans ses pages et ses publicités, mais je suis désolé de vous signaler une erreur dans la définition, que vous donnez :
« approche scientifique de la cuisine basée sur l'études des réactions physicochimiques à l'oeuvre lors de la préparation des plats et qui consiste à modifier naturellement la teneur moléculaire des aliments »
En effet, la cuisine moléculaire n’est pas une approche scientifique de la cuisine, mais « une mode culinaire qui fait usage de résultats de la science, et introduit de «nouveaux » ingrédients, méthodes, ustensiles ; le terme « nouveau » est évidemment imprécis, mais il désigne ce qui n’était pas présent en cuisine, en France et dans les pays d’Occident, avant les années 1980.
D’autre part, je suis surpris que votre définition utilise un « basé sur », qui, bien qu’admis, choque des puristes qui préféreraient un « fondé sur ».
Ce n’est hélas pas tout : la cuisine moléculaire ne cherche pas à modifier « naturellement » la teneur moléculaire des aliments, expression qui n’a pas de sesn, car toute intervention humaine est artificielle, et non naturelle, par définition. Enfin, je crains que vos rédacteurs n’aient fait une confusion entre cuisine moléculaire, d’une part, et gastronomie moléculaire, d’autre part. Je préfère vous donner des définitions justes, pour une prochaine édition :
Gastronomie moléculaire : discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qui cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires (introduite en 1988 par le physicien britannique Nicholas Kurti et par le chimiste français Hervé This).
Cuisine moléculaire : mode culinaire qui utilise les résultats de la gastronomie moléculaire, et contribue à rénover les techniques culinaires.
Croyez, Monsieur le Directeur, à mes sentiments distingués.
samedi 26 septembre 2009
Un texte de l'Humanité qui n'a pas été publié
Dernier document préparé pour l'Humanité, mais le nombre de jours dans la semaine étant inférieur à mon énergie (si l'on peut dire), il n'a pas fait l'objet d'une publication.
Pour autant, je ne crois pas qu'il soit indigne :
Dans cette satire sociale et politique que sont les Voyages de Gulliver, l’écrivain irlandais Jonathan Swift montre deux peuples qui s’affrontent pour savoir par quel bout on doit ouvrir un œuf dur : les gros boutistes luttent à mort contre les petit boutistes.
Est-ce bien raisonnable ? Les études historiques montrent que, trop souvent, les combats pour des vétilles alimentaires de ce type sont un rejet de l’ « étranger ». Pour les Grecs, les barbares étaient ceux qui ne mangeaient pas comme les Grecs, et, bien souvent, les conquérants se hâtaient d’imposer aux vaincus leurs façons de table. Doit-on mettre les mains sur la table ? sous la table ? est-il supportable de poser le pain à l’envers ? doit-on rompre le pain ou le couper ? Se comporter d’une certaine façon, à table, c’est montrer la culture à laquelle on appartient… et c’est souvent être enfant.
Pourquoi certains mangent-ils des fromages qui sentent les excréments (mais à la saveur subtile) et redoutent-ils l’odeur des durians, ces fruits asiatiques… à l’odeur d’excrément et à la saveur douce ? Pourquoi certains sont-ils rebutés par la consommation de cuisses de grenouilles alors qu’à la crème, avec du vin blanc, un peu de persil, une pointe d’ail, hmmmm…
En réalité, nous gagnerions à comprendre que, comme les singes (et l’on découvre que ces derniers ont des cultures alimentaires !), nous sommes à la fois protégés et affligés par un réflexe nommé « néophobie alimentaire » : nous ne mangeons pas ce que nous ne connaissons pas… et c’est dans l’enfance, depuis le stade fœtal, que nous apprenons ce qui est « bon ». Voilà pourquoi les grands chefs ne peuvent pas lutter contre la cuisine de la grand-mère : toutes leurs innovations ne vaudront pas, biologiquement, ce que nous avons appris à reconnaître comme comestible.
Du coup, nous aurons beaucoup de difficultés à manger comme l’ « autre », nous aurons beaucoup de difficultés à comprendre comment il peut se laisser aller à manger ces choses « immangeables ».La cuisine sépare.
Pourtant, regardons-y mieux, avec l’œil technique. Quelle différence entre un tajine et une braisé bien conduit (« cendre dessus et dessous ») ? Dans les deux cas, il s’agit d’une cuisson longue et lente. Dans les deux cas, on cuit de la viande, afin de lui donner du goût, de tuer les micro-organismes et parasites qui l’infestent, on modifie la consistance pour la rendre fondante. D’ailleurs, l’analyse technique peut réconcilier les Anciens et les Modernes : au fond, la cuisson « à basse température », sous vide ou non, si en vogue aujourd’hui dans les restaurants les plus en pointe, n’est que du braisage bien conduit. Correctement conduit, avec des matériels autrement plus appropriés que le feu, et ses cendres ou braises à la température quasi incontrôlable.
D’accord, on y perd en poésie, la nostalgie de l’enfance en prend un coup… Quoi que : si l’on va au clair de lune avec son amoureuse ou son amoureux, est-on moins amoureux quand on sait pourquoi la lune brille ?
Allons, réconcilions-nous à table. Vive la connaissance !
Pour autant, je ne crois pas qu'il soit indigne :
Dans cette satire sociale et politique que sont les Voyages de Gulliver, l’écrivain irlandais Jonathan Swift montre deux peuples qui s’affrontent pour savoir par quel bout on doit ouvrir un œuf dur : les gros boutistes luttent à mort contre les petit boutistes.
Est-ce bien raisonnable ? Les études historiques montrent que, trop souvent, les combats pour des vétilles alimentaires de ce type sont un rejet de l’ « étranger ». Pour les Grecs, les barbares étaient ceux qui ne mangeaient pas comme les Grecs, et, bien souvent, les conquérants se hâtaient d’imposer aux vaincus leurs façons de table. Doit-on mettre les mains sur la table ? sous la table ? est-il supportable de poser le pain à l’envers ? doit-on rompre le pain ou le couper ? Se comporter d’une certaine façon, à table, c’est montrer la culture à laquelle on appartient… et c’est souvent être enfant.
Pourquoi certains mangent-ils des fromages qui sentent les excréments (mais à la saveur subtile) et redoutent-ils l’odeur des durians, ces fruits asiatiques… à l’odeur d’excrément et à la saveur douce ? Pourquoi certains sont-ils rebutés par la consommation de cuisses de grenouilles alors qu’à la crème, avec du vin blanc, un peu de persil, une pointe d’ail, hmmmm…
En réalité, nous gagnerions à comprendre que, comme les singes (et l’on découvre que ces derniers ont des cultures alimentaires !), nous sommes à la fois protégés et affligés par un réflexe nommé « néophobie alimentaire » : nous ne mangeons pas ce que nous ne connaissons pas… et c’est dans l’enfance, depuis le stade fœtal, que nous apprenons ce qui est « bon ». Voilà pourquoi les grands chefs ne peuvent pas lutter contre la cuisine de la grand-mère : toutes leurs innovations ne vaudront pas, biologiquement, ce que nous avons appris à reconnaître comme comestible.
Du coup, nous aurons beaucoup de difficultés à manger comme l’ « autre », nous aurons beaucoup de difficultés à comprendre comment il peut se laisser aller à manger ces choses « immangeables ».La cuisine sépare.
Pourtant, regardons-y mieux, avec l’œil technique. Quelle différence entre un tajine et une braisé bien conduit (« cendre dessus et dessous ») ? Dans les deux cas, il s’agit d’une cuisson longue et lente. Dans les deux cas, on cuit de la viande, afin de lui donner du goût, de tuer les micro-organismes et parasites qui l’infestent, on modifie la consistance pour la rendre fondante. D’ailleurs, l’analyse technique peut réconcilier les Anciens et les Modernes : au fond, la cuisson « à basse température », sous vide ou non, si en vogue aujourd’hui dans les restaurants les plus en pointe, n’est que du braisage bien conduit. Correctement conduit, avec des matériels autrement plus appropriés que le feu, et ses cendres ou braises à la température quasi incontrôlable.
D’accord, on y perd en poésie, la nostalgie de l’enfance en prend un coup… Quoi que : si l’on va au clair de lune avec son amoureuse ou son amoureux, est-on moins amoureux quand on sait pourquoi la lune brille ?
Allons, réconcilions-nous à table. Vive la connaissance !
De la correspondance utile
Je ne suis évidemment pas d'accord avec un des commentaires publiés sur ce blog et qui prétend que le livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 contient des choses déjà publiées (jusqu'à la page 50) : c'est dans ce livre, et dans ce livre seulement, que je présente la distinction entre science, technologie, technique, que je montre les diverses interprétations épistémologiques de la science, et, surtout, que je présente une typologie technologique que je crois tout à fait inédite. Mais passons. Au moins, ce commentaire me permet de faire la mise au point.
Ce matin, beaucoup de correspondance, venant d'élèves de Première, qui font des Travaux personnels encadrés. L'un de ces messages posait deux questions :
La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine traditionnelle ?
La réponse s'impose :
Non. La question est comme « la musique sérielle peut-elle améliorer la musique baroque » : cela n’a pas de sens. La musique baroque est la musique baroque, et la musique sérielle est la musique sérielle.
En revanche, oui, je crois que de nouveaux ustensiles s’imposent, pour mieux filtrer, mieux chauffer, mieux broyer, mieux… Par exemple, l’emploi de l’azote liquide fait des sorbets et des glaces aux cristaux de glace bien plus petits qu’avec une sorbetière. Par exemple, un filtre à verre fritté de laboratoire clarifie mieux qu’une clarification à l’œuf battu.
La cuisine moléculaire doit-elle être considérée comme un art ou comme une réelle avancée scientifique ?
Réponse : je vois que vous confondez cuisine moléculaire (de la cuisine, donc une activité qui donne du bonheur, avec une composante artistique, et une composante technique ; aucune science là-dedans), et la gastronomie moléculaire, qui est une discipline scientifique, et qui n’est donc pas une avancée scientifique, pas plus que la chimie ou l’astronomie ne sont des avancées scientifiques (lisez moi lentement, svp).
Je répète : l’astronomie ou la biologie moléculaire, ou la chimie, ou la physique, ou la gastronomie moléculaire sont des sciences, des disciplines scientifiques. Ce ne sont pas des avancées scientifiques, donc.
En revanche, dans chaque discipline, il y a des découvertes (scientifiques, donc, puisque ce sont des sciences). Par exemple, je crois que le travail que j’avais publié sur la « robustesse » des recettes est un beau travail scientifique, dans le champ de la gastronomie moléculaire.
La cuisine moléculaire, qui est une des applications de la gastronomie moléculaire, n’est donc ni une avancée scientifique, puisque c’est une application de la science, et que, de ce fait, elle sort du champ scientifique, ni une discipline scientifique. C’est de la cuisine. Donc il y aura certains cuisiniers qui la feront dans une direction artistique, et d’autres dans une direction technique. Dans les deux cas, sans volonté de donner du bonheur aux convives, c’est sans intérêt (cette dernière déclaration est un parti pris personnel de quelqu’un qui ne cesse de répéter que « le summum de l’intelligence, c’est la bonté et la droiture »).
Ce matin, beaucoup de correspondance, venant d'élèves de Première, qui font des Travaux personnels encadrés. L'un de ces messages posait deux questions :
La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine traditionnelle ?
La réponse s'impose :
Non. La question est comme « la musique sérielle peut-elle améliorer la musique baroque » : cela n’a pas de sens. La musique baroque est la musique baroque, et la musique sérielle est la musique sérielle.
En revanche, oui, je crois que de nouveaux ustensiles s’imposent, pour mieux filtrer, mieux chauffer, mieux broyer, mieux… Par exemple, l’emploi de l’azote liquide fait des sorbets et des glaces aux cristaux de glace bien plus petits qu’avec une sorbetière. Par exemple, un filtre à verre fritté de laboratoire clarifie mieux qu’une clarification à l’œuf battu.
La cuisine moléculaire doit-elle être considérée comme un art ou comme une réelle avancée scientifique ?
Réponse : je vois que vous confondez cuisine moléculaire (de la cuisine, donc une activité qui donne du bonheur, avec une composante artistique, et une composante technique ; aucune science là-dedans), et la gastronomie moléculaire, qui est une discipline scientifique, et qui n’est donc pas une avancée scientifique, pas plus que la chimie ou l’astronomie ne sont des avancées scientifiques (lisez moi lentement, svp).
Je répète : l’astronomie ou la biologie moléculaire, ou la chimie, ou la physique, ou la gastronomie moléculaire sont des sciences, des disciplines scientifiques. Ce ne sont pas des avancées scientifiques, donc.
En revanche, dans chaque discipline, il y a des découvertes (scientifiques, donc, puisque ce sont des sciences). Par exemple, je crois que le travail que j’avais publié sur la « robustesse » des recettes est un beau travail scientifique, dans le champ de la gastronomie moléculaire.
La cuisine moléculaire, qui est une des applications de la gastronomie moléculaire, n’est donc ni une avancée scientifique, puisque c’est une application de la science, et que, de ce fait, elle sort du champ scientifique, ni une discipline scientifique. C’est de la cuisine. Donc il y aura certains cuisiniers qui la feront dans une direction artistique, et d’autres dans une direction technique. Dans les deux cas, sans volonté de donner du bonheur aux convives, c’est sans intérêt (cette dernière déclaration est un parti pris personnel de quelqu’un qui ne cesse de répéter que « le summum de l’intelligence, c’est la bonté et la droiture »).
vendredi 25 septembre 2009
Que mangerons-nous demain ?
Je poursuis la publication des billets parus dans l'Humanité. Voici le dernier publié, mais pas le dernier préparé.
Il y a un siècle, on prédisait que, en l’an 2000, on mangerait des « tablettes nutritives », que la « chimie » résoudrait le problème de l’alimentation du monde. En 2009, nous continuons à manger des poulets rôtis, comme au Moyen-Âge. Et demain ?
Nous mangerons ce que nous avons décidé de manger… si notre agriculture suffit à nourrir une humanité qui augmente encore… et il n’y aura jamais de chimie en cuisine. Oui, il n’y aura jamais de chimie en cuisine, parce que la chimie est une science, c’est-à-dire une activité de production de connaissances ! Cessons de confondre la science (qui cherche les mécanismes des phénomènes ; par exemple, pourquoi les steaks sautés brunissent-ils ?) et la technologie, c’est-à-dire l’application des connaissances en vue de « perfectionner » les techniques. Louis Pasteur s’est battu toute sa vie pour expliquer qu’il n’y a pas de « sciences appliquées », mais seulement des applications des sciences. D’ailleurs, les prétendues « technosciences » ne seraient-elles pas que de la technologie fautivement nommée ?
La science, dangereuse ? Non, mais ses applications peuvent l’être. Qui est responsable d’Hiroshima ? Pas Pierre et Marie Curie quand ils ont exploré la structure de l’atome, mais bien ceux qui ont fabriqué la bombe et qui l’ont lâchée sur une ville japonaise. Qui est responsable des gaz de combat ? Pas les chimistes, mais ceux qui les ont fabriqué et utilisé.
Le problème vient souvent des mots, et ici, je crois qu’il faut cesser de nommer « chimie » l’activité d’applications des résultats de la science chimique. D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que l’application des connaissances de la chimie n’est pas systématiquement mauvaise, et j’invite les lecteurs de l’Humanité au colloque « Chimie et alimentation » qu’organise la Maison de la chimie le 7 octobre, à Paris. N’ayons pas peur de discuter de la chimie, de ses relations avec la cuisine : pourquoi l’ancien serait-il toujours bon (le barbecue dépose sur les viandes des benzopyrènes cancérogènes) et le nouveau toujours mauvais (les pesticides…) ? Evidemment, le nouveau n’est pas toujours bon non plus.
Regardons y de plus près : la cuisine de demain peut être encore meilleure que celle d’aujourd’hui… si nous travaillons, réfléchissons, débattons, cherchons. Vive la connaissance !
Il y a un siècle, on prédisait que, en l’an 2000, on mangerait des « tablettes nutritives », que la « chimie » résoudrait le problème de l’alimentation du monde. En 2009, nous continuons à manger des poulets rôtis, comme au Moyen-Âge. Et demain ?
Nous mangerons ce que nous avons décidé de manger… si notre agriculture suffit à nourrir une humanité qui augmente encore… et il n’y aura jamais de chimie en cuisine. Oui, il n’y aura jamais de chimie en cuisine, parce que la chimie est une science, c’est-à-dire une activité de production de connaissances ! Cessons de confondre la science (qui cherche les mécanismes des phénomènes ; par exemple, pourquoi les steaks sautés brunissent-ils ?) et la technologie, c’est-à-dire l’application des connaissances en vue de « perfectionner » les techniques. Louis Pasteur s’est battu toute sa vie pour expliquer qu’il n’y a pas de « sciences appliquées », mais seulement des applications des sciences. D’ailleurs, les prétendues « technosciences » ne seraient-elles pas que de la technologie fautivement nommée ?
La science, dangereuse ? Non, mais ses applications peuvent l’être. Qui est responsable d’Hiroshima ? Pas Pierre et Marie Curie quand ils ont exploré la structure de l’atome, mais bien ceux qui ont fabriqué la bombe et qui l’ont lâchée sur une ville japonaise. Qui est responsable des gaz de combat ? Pas les chimistes, mais ceux qui les ont fabriqué et utilisé.
Le problème vient souvent des mots, et ici, je crois qu’il faut cesser de nommer « chimie » l’activité d’applications des résultats de la science chimique. D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que l’application des connaissances de la chimie n’est pas systématiquement mauvaise, et j’invite les lecteurs de l’Humanité au colloque « Chimie et alimentation » qu’organise la Maison de la chimie le 7 octobre, à Paris. N’ayons pas peur de discuter de la chimie, de ses relations avec la cuisine : pourquoi l’ancien serait-il toujours bon (le barbecue dépose sur les viandes des benzopyrènes cancérogènes) et le nouveau toujours mauvais (les pesticides…) ? Evidemment, le nouveau n’est pas toujours bon non plus.
Regardons y de plus près : la cuisine de demain peut être encore meilleure que celle d’aujourd’hui… si nous travaillons, réfléchissons, débattons, cherchons. Vive la connaissance !
jeudi 24 septembre 2009
Dans la série des textes publiés dans l'Humanité la semaine passée, voici le troisième.
A noter, pour les quelques uns qui croient que je suis communiste (commentaires reçus mais non publiés) que les Ateliers expérimentaux du goût avaient été introduits grâce au ministre de l'Education nationale, en 2001, quand le gouvernement était socialiste, et que l'Institut des hautes études de la gastronomie a été créé en 2004, quand Renaud Dutreil, de droite, était ministre des PME.
Alors...
Pourquoi sommes-nous si peu à nous inquiéter du gaspillage d’énergie dû à l’activité culinaire ? Il y a pourtant une grande déraison à rejeter dans l’atmosphère l’essentiel de cette énergie que nous devons produire, ce qui engendre des déchets, que nous devons transporter, ce qui multiplie les installations (avec rendement de 20 pour cent, on diminuerait le nombre de lignes par quatre !), que nous payons (à la fin du mois, la facture d’énergie est lourde)…
Comment nous y prendre mieux ? Les fours à micro-ondes sont bien plus efficaces que les plaques à gaz ou les classiques plaques chauffantes… mais, malgré les « plats brunisseurs » et autres gadgets jamais vraiment utilisés, on ne fait pas de poulet rôti avec des micro-ondes.
Reste l’induction, et je suis heureux d’avoir récemment vu, dans un supermarché de campagne, les premières plaques à induction à prix abordable. Ce sont des outils culinairement remarquables : à volonté, elles chauffent très doucement, régulièrement, ou, au contraire, très fort, passant instantanément de l’un à l’autre. Que les lecteurs de l’Humanité se rassurent : je n’ai aucun intérêt dans les sociétés qui les fabriquent ou qui les vendent, sauf l’intérêt collectif, le souci du gaspillage énergétique actuel.
Hélas, ces systèmes font peur : induction électromagnétique ! Ne vont-ils pas nous donner des cancers ? Nous avons sans doute raison de nous méfier de ce que nous comprenons mal, mais nous devons nous seulement nous méfier, et pas plus. Par exemple, mettons une main, paume vers la joue, le plus près possible sans que la main touche la joue : nous sentons de la chaleur… parce que des rayonnements infrarouges passent de la main à la joue. Avons-nous peur de ces rayons invisibles ?
De toute façon, les hésitations seront balayées par l’augmentation prochaine du prix de l’énergie. Avec la fin du pétrole, nous serons tous obligés de nous préoccuper de l’énergie gaspillée dans nos cuisines. Nous devrons parler à nouveau d’ « économie domestique », notion considérée comme ringarde, mais qui a l’avantage qu’elle nous fait la vie plus belle individuellement et collectivement… et c’est alors que nous comprendrons que des braisages bien conduits sont économiques : les viandes ainsi cuites ne se contractent pas à la cuisson (quand on cuit 100 grammes de viande, on sert presque 100 grammes de viande) ; les viandes dures s’attendrissent (or du collier de bœuf, à quatre euros le kilogramme, c’est quand même moins cher que du filet à vingt euros) ; les préparations ont plus de goût, pour des raisons un peu longues à expliquer ici.
Demain ? J’espère que l’on parlera à nouveau d’économie domestique dès l’Ecole !
A noter, pour les quelques uns qui croient que je suis communiste (commentaires reçus mais non publiés) que les Ateliers expérimentaux du goût avaient été introduits grâce au ministre de l'Education nationale, en 2001, quand le gouvernement était socialiste, et que l'Institut des hautes études de la gastronomie a été créé en 2004, quand Renaud Dutreil, de droite, était ministre des PME.
Alors...
Pourquoi sommes-nous si peu à nous inquiéter du gaspillage d’énergie dû à l’activité culinaire ? Il y a pourtant une grande déraison à rejeter dans l’atmosphère l’essentiel de cette énergie que nous devons produire, ce qui engendre des déchets, que nous devons transporter, ce qui multiplie les installations (avec rendement de 20 pour cent, on diminuerait le nombre de lignes par quatre !), que nous payons (à la fin du mois, la facture d’énergie est lourde)…
Comment nous y prendre mieux ? Les fours à micro-ondes sont bien plus efficaces que les plaques à gaz ou les classiques plaques chauffantes… mais, malgré les « plats brunisseurs » et autres gadgets jamais vraiment utilisés, on ne fait pas de poulet rôti avec des micro-ondes.
Reste l’induction, et je suis heureux d’avoir récemment vu, dans un supermarché de campagne, les premières plaques à induction à prix abordable. Ce sont des outils culinairement remarquables : à volonté, elles chauffent très doucement, régulièrement, ou, au contraire, très fort, passant instantanément de l’un à l’autre. Que les lecteurs de l’Humanité se rassurent : je n’ai aucun intérêt dans les sociétés qui les fabriquent ou qui les vendent, sauf l’intérêt collectif, le souci du gaspillage énergétique actuel.
Hélas, ces systèmes font peur : induction électromagnétique ! Ne vont-ils pas nous donner des cancers ? Nous avons sans doute raison de nous méfier de ce que nous comprenons mal, mais nous devons nous seulement nous méfier, et pas plus. Par exemple, mettons une main, paume vers la joue, le plus près possible sans que la main touche la joue : nous sentons de la chaleur… parce que des rayonnements infrarouges passent de la main à la joue. Avons-nous peur de ces rayons invisibles ?
De toute façon, les hésitations seront balayées par l’augmentation prochaine du prix de l’énergie. Avec la fin du pétrole, nous serons tous obligés de nous préoccuper de l’énergie gaspillée dans nos cuisines. Nous devrons parler à nouveau d’ « économie domestique », notion considérée comme ringarde, mais qui a l’avantage qu’elle nous fait la vie plus belle individuellement et collectivement… et c’est alors que nous comprendrons que des braisages bien conduits sont économiques : les viandes ainsi cuites ne se contractent pas à la cuisson (quand on cuit 100 grammes de viande, on sert presque 100 grammes de viande) ; les viandes dures s’attendrissent (or du collier de bœuf, à quatre euros le kilogramme, c’est quand même moins cher que du filet à vingt euros) ; les préparations ont plus de goût, pour des raisons un peu longues à expliquer ici.
Demain ? J’espère que l’on parlera à nouveau d’économie domestique dès l’Ecole !
mercredi 23 septembre 2009
Le naturel ? On nous ment !
La nature ? Je ne comprends pas pourquoi nous voulons à toute force qu’elle soit « bonne « ! Pourtant nature produit la cigüe, à côté de la carotte (sauvage), et la cigüe tue ! Il faut que l’humanité choisisse judicieusement la carotte pour ne pas périr empoisonnée. Mieux, même, il faut qu’une longue sélection conduise de la carotte sauvage, fibreuse, grosse comme un crayon, à nos grosses carottes orange et sucrées, pour que nous ayons le plaisir de manger de délicieuses « carotte à la Vichy »… qui sont donc artificielles.
Oui, nos aliments ne sont pas naturels, mais artificiels : est naturel ce que l’on trouve dans la nature ; or on n’a jamais trouvé de soufflé, de frites, de pot-au-feu… dans la nature. Ces mets délicieux (quand ils sont bien faits et quand nous les aimons) sont « artificiels », puisqu’ils sont le produit du travail, du soin, du savoir-faire !
Pourtant, nos produits alimentaires, aux étiquettes rédigées par des hommes et des femmes du « commerce », ne cessent de mentir, en nous faisant gober des « arômes naturels », des ingrédients « naturellement riches » (riches !) en vitamines… Regardons autour de nous : nous verrons ainsi mieux que tous ceux qui nous refilent du « naturel » veulent en réalité nous vendre des produits ou de l’idéologie. Résistons !
A ce point, on voit combien Cicéron avait raison de dire que « tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant » : en matière alimentaire, nous ignorons souvent que nous sommes la première génération de l’histoire de l’humanité qui n’a pas souffert de famine (dans nos pays industrialisés !). Pour comprendre ce que nous mangeons, pour être libre, libre notamment de choisir ce que nous voulons mangeons, il nous faut de la connaissance.
Et, évidemment, me voici conduit à évoquer le rôle essentiel de l’Ecole. Il est normal que l’enseignement de la cuisine en ait disparu, parce que le rôle de l’Ecole n’est pas de « gaver des oies », mais d’allumer des brasiers, d’instiller l’esprit de recherche, qui nous fera passer du rôle de machine à celui de technicien éclairé, de technologue…L’Ecole faisait une erreur en enseignant la technique de préparation du pot-au-feu ; elle doit plutôt conduire les enfants à réfléchir sur la préparation. De tous les points de vue : historique, géographique, sociologique, scientifique, littéraire, artistique… C’est pour cette raison que les Ateliers expérimentaux du goût (on les trouve en ligne ; j’invite les professeurs d’école à les utiliser) ont été introduits, depuis 2001.
Vive la connaissance !
Oui, nos aliments ne sont pas naturels, mais artificiels : est naturel ce que l’on trouve dans la nature ; or on n’a jamais trouvé de soufflé, de frites, de pot-au-feu… dans la nature. Ces mets délicieux (quand ils sont bien faits et quand nous les aimons) sont « artificiels », puisqu’ils sont le produit du travail, du soin, du savoir-faire !
Pourtant, nos produits alimentaires, aux étiquettes rédigées par des hommes et des femmes du « commerce », ne cessent de mentir, en nous faisant gober des « arômes naturels », des ingrédients « naturellement riches » (riches !) en vitamines… Regardons autour de nous : nous verrons ainsi mieux que tous ceux qui nous refilent du « naturel » veulent en réalité nous vendre des produits ou de l’idéologie. Résistons !
A ce point, on voit combien Cicéron avait raison de dire que « tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant » : en matière alimentaire, nous ignorons souvent que nous sommes la première génération de l’histoire de l’humanité qui n’a pas souffert de famine (dans nos pays industrialisés !). Pour comprendre ce que nous mangeons, pour être libre, libre notamment de choisir ce que nous voulons mangeons, il nous faut de la connaissance.
Et, évidemment, me voici conduit à évoquer le rôle essentiel de l’Ecole. Il est normal que l’enseignement de la cuisine en ait disparu, parce que le rôle de l’Ecole n’est pas de « gaver des oies », mais d’allumer des brasiers, d’instiller l’esprit de recherche, qui nous fera passer du rôle de machine à celui de technicien éclairé, de technologue…L’Ecole faisait une erreur en enseignant la technique de préparation du pot-au-feu ; elle doit plutôt conduire les enfants à réfléchir sur la préparation. De tous les points de vue : historique, géographique, sociologique, scientifique, littéraire, artistique… C’est pour cette raison que les Ateliers expérimentaux du goût (on les trouve en ligne ; j’invite les professeurs d’école à les utiliser) ont été introduits, depuis 2001.
Vive la connaissance !
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