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Pour expliquer pourquoi la
vulgarisation scientifique (certains disent « médiation »,
mais, après plusieurs décennies d'exercice, je crois que la
différence est sans intérêt), prenons deux exemples : la loi d'Ohm
et l'effet photoélectrique.
Au XIXe siècle, le
physicien allemand Georg Simon Ohm mesure des différences de
potentiel (pensons à une chute d'eau) associées à des intensités
de courant (pensons au débit), en faisant passer divers courants
électrique dans un même conducteur (pensons à une tige
métallique), et il découvre que le rapport, le quotient, de la
différence de potentiel par l'intensité du courant est constant,
pour un même conducteur : il nomme « résistance
électrique » de ce conducteur particulier le quotient obtenu.
Jusque là, la
vulgarisation-récit se tient. Pour expliquer la découverte
(croyez-moi, je peux faire mieux que cela, mais l'objectif, ici,
n'est pas d'expliquer la loi d'Ohm), il a suffi d'imposer aux
interlocuteurs une simple division.
Pourquoi la loi d'Ohm
s'observe-t-elle, quand on dispose d'outils scientifiques du XIXe
siècle ? En soi, une loi est sans intérêt autre que technique,
mais, pour parler de science, il faut poursuivre l'explication,
chercher les mécanismes qui sont derrière la loi, et, en
l'occurrence, discuter la notion d'électrons et leur propagation
dans les conducteurs.
Présenter des électrons ?
On pourra encore recourir à une expérience : celle d'un tube
de Crookes, par exemple, un tube où l'on fait le vide et où l'on
applique une différence de potentiel électrique (on branche une
pile, en pratique) entre deux électrodes, placées aux extrémités
du tube. Encore un récit. Et pour décrire le propagation des
électrons dans un conducteur ?O n pourra sans doute, à
nouveau, se limiter à une description en mots.
D'ailleurs, le physicien
Stephen Hawkings, qui publia un livre de vulgarisation pas
extraordinaire, mais qui eut du succès, y explique que son éditeur
lui avait dit d'éviter les équations, sous peine que le livre ne se vende
pas. Voilà donc l'état de la vulgarisation scientifique, en ce
début du XXIe siècle. Des récits, des récits que l'on est invité
à croire, sans pouvoir juger. Bref, la vulgarisation scientifique
est une information par croyance, alors que les Lumières auraient
préféré, n'est-ce pas, qu'elle sollicite la Raison !
Oui, au fond, qui nous
prouve que ces récits sont exacts ? Que ce ne sont pas de
fantasmagoriques élucubrations, comme le sont les récits des
pseudo-sciences ? Les sciences quantitatives ont cela de
merveilleux que ce sont pas des récits au hasard, que ce ne sont pas
des divagations : parmi l'ensemble des possibilités de
mécanismes, c'est l'adéquation des mesures à la théorie qui
conduit à la sélection d'un ou de plusieurs mécanismes
admissibles.
Passons au second
exemple : l'effet photoélectrique, étudié par Albert
Einstein, en 1905. Cette fois, le récit consiste à expliquer que
l'on place deux plaques métalliques en vis-à-vis, à l'intérieur
d'un tube en verre où l'on a fait le vide, et l'on applique une
différence de potentiel modérée entre les deux plaques. Rien ne se
passe.
Puis on éclaire une des
plaques, à l'aide d'une lumière de longueur particulière, par
exemple du rouge. Rien ne se passe. On augmente l'intensité de la
lumière, ce qui correspond à une énergie de plus en plus grande,
et rien ne se passe.
On change alors la
longueur d'onde de la lumière, passant du rouge au bleu, par
exemple, et, soudain, pour une longueur de particulière, un courant
électrique se met à passer entre les plaques.
Jusque là, on a expliqué
le phénomène par un recours à l'expérience ; on a décrit le
phénomène, par un récit, mais comment expliquer le phénomène ?
Cette fois, le recours à
une simple division ne suffit plus. Pour autant, le calcul, dans ce
cas, n'est pas difficile ; il est à la portée d'un étudiant de
baccalauréat. Mais c'est le calcul qui dit tout !
Bien sûr, on aurait pu «
expliquer » que la lumière est faite de « grains »
nommés photons, chacun porteur d'une énergie particulière, mais
comment expliquer l'effet photoélectrique ? Seul le calcul en
donne une explication, et ce n'est pas la transcription du calcul
avec des mots du langage naturel qui aide à comprendre. Au
contraire même : les phrases deviennent très longues, les notions
s'enchaînent les unes aux autres, et l'on découvre à cette
occasion que le calcul formel, où des notions comme l'énergie, la
masse... sont remplacés par les lettres E, m..., est bien
plus efficace pour la compréhension que la description avec
des mots.
La description avec des
mots ne donne pas de compréhension des phénomènes, et seul le
calcul - très simple- permet de comprendre combien le travail
d'Einstein, dans ces circonstances, était merveilleux.
Et puis, il y la question
de la sélection d'un récit parmi d'autres, qui doit être
considérée. Pour expliquer un phénomènes, on peut invoquer mille
mécanismes, mais les sciences quantitatives, je l'ai déjà écrit
dans d'autres billets, ont cette particularité que le calcul permet
de faire la sélection. Le recours aux nombres, aux notions formelles
du calcul, la considération que le monde est écrit en langage
mathématique... C'est cela, la science, et non un récit qui
s'apparente... ôsons le mot, à celui des religions. Il ne s'agit
pas de foi, mais d'émerveillement de voir le monde fonctionner selon
des lois formelles toujours insuffisantes, certes, mais de plus en
plus précisément collées aux phénomènes.
De ce fait, je crois que
la vraie tâche de la vulgarisation, c'est donc d'expliquer les
calculs, et de ne pas se limiter à des récits. C'est une tâche
difficile, merveilleuse, qui nécessite des talents nouveaux, des
énergies puissantes, des esprits tout tendus vers cet objctif
remarquable.
La vulgarisation
scientifique évoluera-t-elle, au XXIe siècle, de façon qu'elle
devienne enfin capable de considérer la vraie activité
scientifique ?