La mauvaise littérature fait un usage déraisonnable des
adjectifs et des adverbes, tombant facilement dans le cliché ou la
périssologie (la forme fautive du pléonasme) : « le blanc manteau
immaculé de la neige », « un terrible drame »…
L'épithétisme non
voulu est redoutable, et les auteurs naïfs ne doivent pas s'étonner que
leurs manuscrits soient si facilement refusés : une lecture d'un
paragraphe suffit souvent à se faire une idée de la médiocrité des
textes médiocres.
Evidemment, en écrivant ce qui précède,
je me surveille : n'ai-je pas écrit « mauvaise », « déraisonnable »,
« facilement », « redoutable », « naïfs », etc. ?
Oui, je m'en
suis amusé, et l'on me connaît assez pour bien comprendre que cet
amusement est pure joie de vivre, et non ironie caustique. Il s'agit
d'aider mes amis à vivre mieux, et, en l'occurrence, à mieux maîtriser
l'usage de la langue. Pourquoi cet accès soudain ? Parce que je viens de
commencer la lecture critique d'un manuscrit scientifique soumis à une
revue de chimie, et que je ne cesse d'écrire dans le rapport :
« précis », combien ? « grande sensibilité analytique », combien ?
« bien connu », de qui ? « forte proportion », combien ?
La
méthode des sciences de la nature faisant usage de la caractérisation
quantitative des phénomènes, puis imposant que les mécanismes proposés
pour les phénomènes soient « encadrés » par les lois quantitatives, on
comprend que les adjectifs et les adverbes soient des mots difficiles à
manier. Petit ? Jolitorax venu voir Astérix et Obélix disait que son
canot était plus grand que le casque de son neveu mais plus petit que le
jardin de son oncle. Et si l'on riait d'une telle déclaration, vu la
différence important de taille des trois objets, il y avait le germe
d'une saine pratique de la description scientifique. Oui, une
gouttelette d'huile dans une sauce mayonnaise, avec un diamètre compris
entre 0,001 et 0,1 millimètre est « petite » (sous-entendu, par rapport à
nous), mais elle est énorme par rapport aux lipoprotéines qui sont
dispersées dans le plasma d'un jaune d'oeuf, et, a fortiori, dans la
sauce mayonnaise.
Il faut répéter que la description scientifique
n'est pas de la littérature, de la poésie ; l'information doit être
aussi précise que possible, mais aussi succincte… et c'est la raison
pour laquelle notre Groupe de gastronomie moléculaire s'est fait une
règle de ne pas utiliser adjectifs et adverbes.
Bien sûr,
parfois, ils s'imposent, surtout quand la question est la communication,
mais chaque fois que nous rédigeons un rapport, un article…, nous
faisons, en fin de travail de rédaction, un balayage pour éliminer ces
mots épineux.
Et si cette règle que j'ai introduite il y a
quelques décennies à mon usage était imposée à tous ? Et si elle
figurait dans les « conseils aux auteurs » ?
Merci de m'aider à penser que ma proposition est insensée.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)