Pour l'enseignement de la cuisine, il y a des classifications simples, et hélas parfois trop fausses.
Par
exemple, pour les émulsions, certains ont distingué des émulsions
stables et des émulsions instables, alors qu'en réalité, toute émulsion
est instable, puisque les gouttelettes d'huile dispersées dans l'eau
d'une émulsion viennent crémer, en raison de leur densité inférieure.
Plus ou moins vite, mais le crémage a quand même lieu, et il est donc
assez illégitime de parler d'émulsion stable.
De toute
façon, cela n'a guère d’intérêt, car quelle que soit l'émulsion que l'on
réalise en cuisine, on souhaite une certaine stabilité. De surcroît, de
nombreuses sauces sont considérées comme des émulsions, alors qu’elles
n'en sont pas.
Par exemple les sauces béarnaises ou hollandaises
contiennent, certes, de la matière grasse liquide (le beurre fondu),
mais, comme la crème anglaise, elles doivent surtout leur viscosité à la
coagulation des protéines apportées par l'oeuf.
Mais revenons à la crème fouettée.
Pour
faire une crème fouettée, on part de crème. Déjà là, il y aurait une
imprécision importante à la décrire comme une émulsion, car non
seulement la phase aqueuse (de l'eau où se dissolvent notamment le
lactose et certaines protéines) disperse des gouttelettes de matière
grasse, mais elle disperse aussi de petits agrégats faits de protéines
et de sels minéraux. Autrement dit, d’emblée, on doit considérer que la
crème est un système hybride entre l'émulsion et la suspension.
Il y a pire, car la matière grasse laitière n'est pas entièrement liquide à la température ambiante.
Prenons
un échantillon de matière grasse laitière débarrassée de son eau, le
beurre clarifié. A la température ambiante, on a un système mou, parce
que composé d'une partie de graisse liquide et d'une partie de graisse
solide. Dans la crème, chaque gouttelette de matière grasse est ainsi
faite de graisse liquide et de graisse solide. On n'a donc pas stricto
sensu une émulsion.
Quand on fouette de la crème, il est
certain que le fouet introduit des bulles d'air, fait « foisonner ». Le
système final est donc « foisonné, ce qui est la caractéristique des
mousses. Mais contrairement aux mousses simples, avec des bulles de gaz
dispersées dans un liquide, la crème fouettée doit sa fermeté à un
autre phénomène, à savoir la fusion partielle des gouttes de matière
grasse et l'établissement d'un réseau continu,de graisse solide. S'il y a
un réseau continu, c'est que le système est formellement un gel, avec
un réseau continu qui emprisonne un liquide (et des bulles d'air).
D'une
certaine façon, en simplifiant, la crème fouettée doit donc être
décrite comme un gel foisonné. C'est plus juste que de dire qu'elle
serait une mousse.
Suis-je en train de
« compliquer » ? Je ne connais pas d'enfant qui ne puisse comprendre une
telle structure, surtout si elle est assortie d'un schéma simple. En
tout cas, une caractérisation juste de l'état du système permet de mieux
comprendre les causes de ratage éventuel, à savoir qu'une quantité
insuffisante de matière grasse ne permet pas de stabiliser les bulles
d'air, car, avec trop peu de matière grasse, on ne parvient pas à faire
le réseau continu de graisse du gel.
D'autre part, tous ceux qui
ont essayé de fouetter de la crème en été, dans un pays un peu chaud,
savent bien que la température est essentielle, preuve que la proportion
de graisse solide est un paramètre fondamental de réussite, et aussi
indication que la caractérisati
Quand on ajoute des glaçons, on
augmente la proportion de matière grasse solide qui fait le réseau
continu où seront piégés la matière grasse liquide, les bulles d'air, la
phase aqueuse.
J'ajoute que rien de tout cela n'est compréhensible si l'on confond mousses et émulsions, et
je conclus que quatre termes sont essentiels pour l'enseignement, dont
nous étions partis : gels, émulsions, mousses, suspensions.
En
conséquence, il semble indispensable de présenter ces quatre systèmes
aux jeunes cuisiniers, afin de leur donner des outils intellectuels qui
leur serviront pour leur pratique technique et artistique, sans parler
de leurs réflexions technologiques.
Vient de paraître aux Editions
de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la
jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de
réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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