A
propos du documentaire « Manger plus pour se nourrir moins »
(France
5, 3 avril 2016)
L’annonce
accrocheuse de cette émission dans la Presse était catégorique et
alarmante : « Au cours des 50 dernières années, les
aliments ont perdu jusqu’à 75 % de leur valeur nutritive ».
Cette affirmation, répétée au début du documentaire, était
aussitôt accentuée par d’autres absurdités, à savoir qu’il
faut 100 pommes actuelles pour le même apport de vitamine C qu’une
seule pomme ancienne et 20 oranges au lieu d’une pour l’apport de
vitamine A. Idem pour le calcium et la pro-vitamine A du brocoli et
de façon plus générale pour le blé, la viande et le lait…C’est
évidemment grossièrement faux !
Les
principaux appuis scientifiques utilisés sont les articles
d’Anne-Marie Mayer, sympathisante bio, reposant sur des
comparaisons des tables anciennes et récentes de composition des
aliments, les revues de synthèse de David Davis, interprétant les
rares études comparatives publiées et, dans une moindre mesure, les
déclarations de chercheurs de l’Inra d’Avignon. Le reproche fait
à la sélection végétale est de n’avoir ciblé que le rendement
en matière sèche, donc la production de glucides et de protéines,
en négligeant les teneurs en micronutriments, à savoir les éléments
minéraux majeurs, les oligoéléments et les vitamines. C’est donc
le principal objet de ce réquisitoire contre l’agriculture
moderne.
Dans
ce cas particulier des micronutriments, les comparaisons sont souvent
biaisées par le manque de fiabilité de données anciennes produites
par des méthodes d’analyse peu sensibles et précises. C’est le
cas du fer, du zinc, du cuivre et de la plupart des vitamines.
Il
est évident que la composition chimique des végétaux dépend, au
sein d’une même espèce, du cultivar. Il est donc possible, voire
probable, que des variétés anciennes, d’un format différent,
soient plus riches en certains micronutriments. De même, il est
indéniable, comme tend à le montrer D. Davis, qu’il se produit un
certain « effet de dilution » dans le cas de plantes très
productives, à croissance rapide, provenant de cultures irriguées
ou/et très fertilisées. Le stade de maturité détermine aussi les
teneurs en eau et en vitamines.
Cependant,
comme le déclare D. Davis et comme le montre la lecture attentive
des graphiques de ses articles, les
éventuelles baisses de teneurs ne sont en moyenne que de 10 à 20 %,
avec quelques exceptions, comme le cuivre, pouvant résulter de
contaminations plus importantes autrefois avec le seul fongicide
alors disponible, la bouillie bordelaise. Quoi qu’il en soit, on
est bien loin de l’énorme déclin stigmatisé dans le
documentaire !
La
forte baisse de teneur en calcium relevée pour le brocoli est
probablement due au fait qu’il s’agit de deux variétés très
différentes. De même, les teneurs inférieures de 20 à 40 % en
minéraux du blé pourraient être expliquées par la taille
différente du grain et donc par la proportion de son, beaucoup plus
riche en matières minérales. Nous n’avons pourtant pas constaté
de forte modification de la composition minérale du blé depuis nos
premières analyses faites il y a 60 ans…
L’exemple
de la tomate est souvent cité pour démontrer les moindres qualités
organoleptiques et nutritives des variétés modernes. En
l’occurrence, les teneurs en calcium et magnésium auraient baissé
de la moitié. En fait, la tomate, quelle qu’elle soit, ne contient
pratiquement pas de calcium et de magnésium par rapport aux besoins
alimentaires. Une telle différence n’a donc pas de signification
nutritionnelle. Il aurait aussi fallu dire que de nouvelles variétés
de tomates conventionnelles sont plus riches que les tomates bio en
lycopène, puissant antioxydant aux effets bénéfiques.
Un
autre exemple emblématique du documentaire est la longue séquence
sur l’abricot et la comparaison entre arboriculture intensive (ici
raisonnée) et la culture bio dans un jardin broussailleux d’une
néo-rurale écolo qui suit les conseils éclairés du couple
Bourguignon, avec une scène désopilante de diagnostic (onéreux !)
de la qualité du sol destiné à prévoir la bonne qualité
nutritive des fruits. Après analyse, il s’avère que les teneurs
en glucides, vitamine C et provitamine A ne diffèrent pas entre le
bio et le conventionnel mais que les abricots bio sont 3 à 4 fois
plus riches en calcium, fer et zinc. Or, comme la tomate, l’abricot
est toujours très pauvre en ces éléments minéraux et de tels
écarts n’ont pas d’impact nutritionnel. Tripler presque rien ne
donnera pas plus que presque rien ! Il est dit aussi dans le
documentaire que la production citée d’abricots bio était 10 fois
plus faible qu’en arboriculture intensive et que le prix de vente
de ces abricots était le double de celui des abricots
conventionnels, ce qui a quand même conduit le commentateur à
conclure raisonnablement que, pour satisfaire les consommateurs, le
bio ne suffirait pas et qu’il fallait aller vers un compromis entre
les modes extrêmes de production…
Quant
au lait et à la viande, également visés dans l’introduction du
documentaire pour avoir une valeur nutritive plus faible qu’il y a
50 ans, il s’agit aussi d’une contre-vérité. Il va de soi que
la composition de la viande et du lait peut varier sensiblement,
notamment pour les teneurs en lipides, en fonction de la race, de
l’âge et du degré d’engraissement. Il est bien connu aussi que
l’alimentation à l’herbe (ou avec addition de graine de lin)
augmente la teneur du lait en acides gras polyinsaturés oméga-3.
Cependant, la sélection et la productivité n’ont pas modifié de
façon significative les teneurs en minéraux, oligoéléments et
vitamines du lait. Les teneurs en minéraux actuellement relevées
dans le lait ne diffèrent pas des moyennes calculées à partir
d’une revue bibliographique exhaustive sur la composition minérale
du lait de plusieurs espèces utilisant des données publiées il y a
un demi-siècle (Guéguen L., 1971, Annales de Nutrition et
Alimentation, 25, A335-A381).
En
conclusion, encore beaucoup de bruit médiatique pour rien, dans le
but d’angoisser le consommateur et de lui faire croire, ce que ne
dira plus JP Coffe, que les aliments actuels « c’est de la
m…. ».
L. Guéguen
Directeur de recherches honoraire de l’Inra
Membre émérite de l’Académie d’Agriculture de France
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