Dans un article de la revue Nature (http://www.nature.com/news/driving-students-into-science-is-a-fool-s-errand-1.12981?WT.ec_id=NATURE-20130516), un journaliste s'interroge sur les programmes d'Etat américains, créés pour attirer les jeunes vers la science. Le raisonnement est environ celui-ci :
- soit les programmes sont efficaces, et ils créent une distorsion du marché du travail
- soit ils ne sont pas efficaces, et ils sont alors inutilement coûteux.
Que penser du raisonnement ? Examinons d'abord plus en détail les arguments
Les Etats-Unis dépensent plus de trois milliards de dollars par an, en programmes fédéraux destinés à attirer les jeunes vers les carrières de science, technologie, technique et mathématiques. Ces sommes sont dépensées à tous les niveaux, de l'école à l'université.
Dans un rapport récent, la cours des comptes américaines demande pourquoi tant de programmes existent, mais le nouveau budget entérine les actions. Notre journaliste conclut que ces subventions sont indues. Il reconnaît que les programmes sont "merveilleux", qu'il en existe dans de nombreux pays soucieux de leur compétitivité économique, mais il juge assez péremptoirement que ces programmes sont de mauvaise politique, parce qu'ils "feraient du mal à la science et à la technologie", en augmentant excessivement le nombre de scientifiques et d'ingénieurs sur le marché du travail. Il compare la distorsion à celle qui aurait lieu si les Etats faisaient de la réclame pour les métiers du droit ou de la comptabilité, et il observe que les jeunes peuvent d'eux-mêmes voir l'intérêt de ces métiers, de sorte qu'ils sont nombreux à postuler. Au contraire, il serait facile de se diriger vers les études de science et de technologie, parce que l'on ferait tout pour attirer les jeunes. Les programmes mis en place conduiraient un nombre excessif de jeunes vers les carrières scientifiques, technologiques et techniques, ce qui conduirait à une dévalorisation de ces carrières, au grand plaisir des industriels, qui pourraient alors disposer d'une main d'oeuvre bon marché.
Et notre homme de dire à l'administration américaine ce qu'elle doit faire. Il s'agirait de faire ce que les parents disent à leur enfants : si tu aimes l'immunologie ou la géophysique, fais-le ; si tu préfères la musique, fais-en.
Ne devons-nous pas craindre le sophisme ?
Je propose quelques faits :
- parmi les étudiants qui postulent pour des stages dans mon groupe de recherche, la plupart veulent faire de la science, et renâclent devant l'industrie ; je conseille évidemment à tous ceux qui n'ont pas le calcul dans le sang de viser des métiers où cette compétence ne sera pas aussi indispensable qu'en recherche scientifique
- le vulgarisateur Louis Figuier, avec ses ouvrages enthousiastes de vulgarisation de la technologie, fit beaucoup pour la France, qui lui doit nombre de grands ingénieurs
- à force de clamer "vive la science", nous avons omis de clamer "vive la technologie"... et il y a sans doute une erreur à confondre science, technologie, technique, et mathématiques (souvent, tout cela est mis dans le même sac, sous le nom de "carrières scientifiques", alors que la carrière scientifique et la carrière technique n'ont pas grand chose à voir)
- méfions-nous des gens "contagieux" : si un musicien (resp. un scientifique) fait penser à des jeunes que le métier de musicien (resp. scientifique) est merveilleux et que de nombreux jeunes vont vers la musique, alors oui, le marché s'auto-régulera... mais des existences seront gâchées. L'Etat, en conséquence, a raison d'être responsable, et d'agir pour le biens des citoyens qui le composent. Les administrations doivent en conséquence prévoir un peu les évolutions.
Surtout, la question est bien difficile, et j'aimerais être certain que notre homme soit compétent pour avoir des certitudes aussi fortes que les siennes.
La seule proposition censée que je voie pour l'instant est la suivante : exposons les jeunes au plus grand nombre possible de personnes "contagieuses" : ne pouvant contracter toutes les "maladies" à la fois, il leur restera... l'enthousiasme, le merveilleux enthousiasme !
Le risque c'est qu'aujourd'hui beaucoup de jeunes soient immunisés contre l'enthousiasme.
RépondreSupprimerIl faut dire qu'à force de répéter que nous sommes en crise alors que nous vivons l'une des, certes plus difficile, mais aussi plus passionnante mutation non seulement du fait de la technologie mais aussi du fait de ce qu'Hubert Vedrine appelle le passage d'un monde dominé par les pôles historiques nés à la fin de la seconde guerre mondiale à un monde multipolaire instable.
Si nous arrêtions de voir dans l'autre la cause de nos difficultés, si nous rendions aux entrepreneurs, aux innovateurs toute la gloire et la reconnaissance que nous leur devons, si nous renoncions à vouloir nous recroqueviller sur nos acquis et des industries dépassées et agonisantes, si nous cessions de répéter en boucle que le bon temps est derrière nous, si nous regardions la montée en puissance des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil non comme une menace mais comme une formidable occasion de partager le progrès avec un plus grand nombre, peut-être que nous pourrions redonner l'espoir et l'enthousiasme à notre jeunesse.
Il n’y a rien de plus grave pour une société que de désespérer sa jeunesse.
Il n’y a rien de plus grave pour des dirigeants que d’enlever à leurs concitoyens la fierté d’être membre d’une communauté et l’espoir d’un avenir.
L’histoire nous enseigne que c’est faire le lit de joueurs de pipeaux qui n’hésitent pas à désigner des faux coupables à nos difficultés et promettre de fausses solutions miracles.