Note ajoutée quelques jours après avoir fait le billet : n'hésitez pas à aller voir le commentaire qui a été placé par "patricedusud".
Le billet lui-même :
Alors que je cherchais à savoir ce qu'un étudiant de fin de "master en agro-alimentaire" (j'utilise l'expression pour simplifier) doit avoir comme compétences, j'avais dressé une liste :
- expression du potentiel chimique
- expression de l'enthalpie libre
- relation de de Broglie
- expression d'une gaussienne
- loi des gaz parfaits
- expression de la force de Stokes
- loi fondamentale de la dynamique
- loi d'Einstein pour la viscosité de systèmes dispersés
- divers colloïdes
- expression de la tension de surface
- lois de Fick
- définition du module d'élasticité
- règle de Hückel pour l'aromaticité
- équation de Schrödinger
-..
Dans cette liste, figuraient des questions comme :
- quel est le pH d'un acide faible en solution dans l'eau ?
- quelle est la primitive de la fonction sin(x).cos(x) ?
Toutefois, je viens de comprendre que nous sommes au XXI e siècle, et que des choses qui semblent importantes aux enseignants ne le sont peut-être pas.
Ainsi, des logiciels de calcul formel donnent en un clic la primitive de sin(x).cos(x)... ou de toute autre fonction. Ne sommes nous donc pas en train de demander d'extraire à la main des racines carrées, à des gens qui disposent de calculettes ?
Pour le calcul du pH d'un acide faible dans l'eau, de même : la formule classique (qui n'est pas inutile) s'obtient après avoir effectué des approximations, mais les calculs de pH ont longtemps été des moments difficiles de l'enseignement de la physico-chimie, parce que, derrière la partie de compréhension, il y avait une partie de calcul qui coinçait.
Pour établir les équations dont la résolution donne le pH d'une solution, il faut écrire :
- la loi de conservation de la masse
- la loi de conservation de la charge électrique
- la loi de conservation de l'énergie (Ka)
- les équilibres chimiques en jeu
Ensuite, on calcule... ou bien, au XXI e siècle, on dit au logiciel de résoudre le système d'équations, et, avec 200 décimales, on obtient un résultat bien meilleur que celui que l'on aurait en faisant des approximations. Surtout, cette méthode moderne évite les contorsions que l'on trouve parfois dans des livres de chimie des solutions, où l'on enchaîne les cas plus ou moins particuliers, et tous sans intérêts : après tout, c'est la physico-chimie qui nous intéresse, pas les calculs qu'une machine peut faire, non ?
Tout cela pour dire que, même si les enseignants en ont bavé à apprendre des choses devenues inutiles, il semble... inutile d'encombrer les programmes avec ces dites choses rendues inutiles par l'avènement de l'informatique.
Ce qui m'a fait comprendre le sentiment qu'ont certains cuisiniers dont le savoir est réfuté par les explorations scientifiques. Oui, nous avons le sentiment d'avoir perdu notre temps, à apprendre des choses devenues sans intérêt, périmées. Mais quel bonheur, au fond, de pouvoir apprendre davantage, mieux !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Mais quel bonheur, au fond, de pouvoir apprendre davantage, mieux !
RépondreSupprimerApprendre aussi différemment entre autre parce que la puissance fractale de l'internet (grâce au lien hypertexte en particulier) permet de naviguer de concept en concept, de se laisser aller à une serendipité qui ressemble avec une efficacité immensément plus redoutable à ce vagabondage que nous faisions autrefois dans les encyclopédies.
Nul doute que l’environnement éducatif des natifs digitaux ressemblera de moins en moins à celui pas encore si lointain où les règles à calcul et des tables de logarithmes étaient nécessaires pour résoudre des problèmes somme toute répétitifs et inutiles dans leur nombre.
Le danger de ce monde où des applications diverses et variées ne cessent de nous proposer de plus en plus d’aides pour nous éviter des tâches laborieuses, c’est qu’elles soient utilisées sans que les concepts qu’elles sous-tendent ne soient compris et assimilés.
Inutile de savoir extraire une racine carrée à la main à condition de tout de même savoir qu’elle est sa définition.
Les aides peuvent repousser le côté fastidieux et long de certaines approches mais peuvent-elles dispenser de la compréhension et du raisonnement ?
Aujourd’hui on commence à voir apparaître des prothèses cognitives, dont on a un avant-goût avec par exemple l'IBM Watson vainqueur des hommes au jeu Jeopardize et qui a déjà des suites dans le domaine de la médecine et des assurances.
Nul doute qu’elles envahiront surement notre environnement dans les décennies à venir.
Elles finiront de compléter une réalité augmentée par tous ces outils de communications, toutes ces prothèses sensorielles nous libérant d’handicap mais aussi multipliant nos capacités «naturelles».
Une sorte de méta-réalité où nos capacités sensorielles et cognitives seront démultipliées comme l’est déjà depuis longtemps la puissance de calcul à notre disposition.
L'Human Brain Project vise à dépasser les limites du simple apprentissage laborieux basé sur la compilation de pétaoctets d'information.
Il ambitionne de créer des circuits équivalents à des circuits neuronaux dont le fonctionnement n'a rien de binaire.
Il projette de reproduire l'architecture même du cerveau mais aussi d’explorer les mécanisme d'auto-apprentissage du cerveau qui met, dans les premiers temps de la vie d'un enfant, des milliards de neurones en connexion selon des lois que nous ne faisons qu'approcher dans les travaux sur le fonctionnement de "type" bayésien de certains apprentissages du langage.
Qu'arrivera-t-il le jour où ces "cerveaux artificielles" auront la capacité d'apprendre à un rythme sans commune mesure avec le lent processus biologique de l'homme?
Déjà, aucune des dernières découvertes dans le domaine de l'astronomie, de la physique des particules, de la génétique, aucun de nos avions, aucun de nos trains, aucun de nos téléphones portables, aucune bientôt de nos voitures, et la liste est trop longue ne pourrait fonctionner sans ces milliards de puces qui les animent.
Peut-être un jour ces cerveaux artificiels nous annonceront des découvertes dont nous ne pourrons pas vérifier la validité et que nous devrons admettre comme un entendement supérieur de "notre" monde devenu celui de nos "robots"?
Auront-ils la «sagesse» suffisante pour nous guider et aurons nous la volonté d’écouter leurs «conseils éclairés» ou la seule caractéristique qui séparera l’homme des ces robots hypercognitifs restera cette acharnement de l’homme à se détruire et à détruire son environnement ?
Merci de ce commentaire détaillé. Je vais modifier le début du billet pour le mettre en évidence.
RépondreSupprimer> au XXI e siècle, on dit au logiciel de résoudre le système d'équations
RépondreSupprimerEt qui écrira les nouvelles versions de ce logiciel, si plus personne n'apprend à résoudre des systèmes d'équations ? De la même manière, au XXIè siècle, on a sûrement des logiciels qui savent calculer le pH d'un acide faible dans l'eau à partir de son pKa et de sa concentration (j'espère que je ne dis pas de bêtise, mes cours de physico-chimie remontent à loin), mais qui écrira les nouvelles versions de ces logiciels quand plus personne n'aura appris à mettre ce problème en équation?
Le problème est similaire en informatique (que je connais mieux) : les jeunes se demandent pourquoi ils doivent apprendre à construire certaines structures de données, alors que dans leur pratique quotidienne, leur langage de programmation préféré leur permet d'utiliser de telles structures sans se soucier de comment ça marche. Le bât blesse au moment où il faut traiter une grande quantité de données et que la structure choisie n'est pas adaptée, ce qui ralentit considérablement leur logiciel. Dans ce cas, une connaisance théorique suffisante devient nécessaire pour améliorer les performances du-dit logiciel. Je ne sais pas si le non-apprentissage des connaissances de base en physico-chimie pourraient avoir à l'avenir des conséquences similaires.
J'essaie d'être bien clair : il ne s'agit pas d'abdiquer la connaissance du calcul différentiel ou intégral ! Mais simplement de savoir comment occuper son temps : si on utilise le temps des étudiants à calculer inlassablement des pH, alors qu'un claquement de doigt résout la question, si l'on extrait des racines carrées à la main pendant des mois, certes on aura une compétence d'extraction de racines carrées... mais le temps pour l'étude des notions modernes sera réduit d'autant !
RépondreSupprimerOui, parfaitement d'accord sur la connaissance, la culture scientifique, mais le débat porte sur les compétences !
Un très vieux débat, à propos duquel je m'interroge, plutôt que je ne donne de réponse. Et une question très générale, puisqu'elle déborde la physico-chimie... jusque vers la cuisine.
Enfin, il y a la question de notre "fétichisme" : avons nous vraiment besoin de crayons ? de livres ? de même, même si nous avons été éduqué en chars à boeufs, devons-nous les utiliser sous prétexte que les voitures peuvent tomber en panne ?
On comprend que je souris... D'ailleurs, plus généralement, permettez moi de vous dire que j'ai décidé de ne plus me laisser atteindre par la bave du crapaud (je parle de l'ambiance politique générale, la morosité de la crise, etc.), et que JE VEUX DE LA LUMIERE ! Le meilleur moyen d'en avoir, c'est de s'éblouir des beautés de la connaissance. C'est un engagement personnel : comptez sur moi pour essayer de partager mon sentiment d'une bouteille plus qu'à moitié pleine ;-)