vendredi 12 juillet 2019

Autres questions et autres réponses


Amusant, que les questions que l'on me pose sont sans cesse les mêmes ! Ce matin :

La fermeture d'El Bulli en 2011 a-t-elle sonné le glas de la cuisine moléculaire ?

Le glas de la cuisine moléculaire ? Où avez vous vu cela. Je ne cesse de recevoir des emails (plusieurs par jour) de personnes du monde entier qui me font part de leur bonheur de produire une cuisine moderne !
D'autre part, la cuisine moléculaire est aujourd'hui partout... et l'on n'oublie pas que sa définition, c'est de cuisiner avec de nouveaux outils. Or la plupart des restaurants du monde font aujourd'hui de la cuisson basse température, et mon "oeuf parfait", ou mon chocolat chantilly sont  dans tous les pays. Des supermarchés très populaires vendent des siphons, et tous les professeurs de lycées hôteliers reçoivent une formation de gastronomie moléculaire.
C'est donc un travail non pas achevé, mais très bien engagé, et El Bulli ne compte pour rien, dans tout cela. Regardez les restaurants les plus en vogue: ils n'ont plus que de la cuisine moléculaire... que je cherche  à tuer pour installer la "cuisine note à note"... qui est déjà également enseignée dans nombre de pays.


Vous attendiez-vous aux problèmes d'ordre sanitaire et médical qu'a connu Adria Ferran ?

Les problèmes sanitaires de Ferran Adria ? Ils valent pour tous les restaurants : la Food and Drug Administration a publié sont études des désordres intestinaux, et montré que la moitié de ceux-ci résulte d'un passage dans un restaurant où les cuisiniers se sont insuffisamment lavés les mains. Il y a peu, je suis revenu de Tunisie avec une diarrhée terrible, qui résultait d'une cuisine parfaitement traditionnelle. Quel journal va en parler ? Qui incriminera la cuisine traditionnelle ?
Avec les cuisiniers publiquement exposés, il y a seulement le fait que quand le roi pète, tout le monde s'en aperçoit, notamment la presse la plus réactionnaire. Inversement, on ne parle pas des mille inconvénients de la cuisine classique, qui conduit à l'obésité, ou à faire manger des benzopyrènes cancérogènes (le nord de l'Europe meurt de manger trop de produits fumés...).
Cela étant, depuis le début de la cuisson à basse température, je ne cesse d'alerter sur le fait qu'il faut faire attention aux utilisations des nouveaux outils : ne pas cuire longtemps à des températures inférieures à  60 °C pour des cuissons longues, ne pas cuire le porc, le sanglier, à des températures inférieures à 85 °C, par exemple.
Surtout, cuisiner en sachant ce que l'on fait. C'est comme pour l'emploi d'un couteau : il y a du danger... mais il faut éviter les risques, en apprenant à s'en servir. Du coup, vous auriez aussi pu me parler de l'azote liquide, où il y a eu deux accidents... mais combien d'intoxications par la cuisine traditionnelle ? Combien d'empoisonnements aux champignons ? Aux herbes de la forêt ? Etc.
Bref, cessons de parler craintivement de tout ce qui est nouveau (le plus lourd que l'air ne volera pas  ; les chemins de fer feront tourner le lait des vaches, etc.), et promouvons  le travail, la connaissance, qui contribue à minimiser les risques (puisque, cuisine classique ou pas, il y a du danger).


Certains critiques gastronomiques sont vent debout contre les jugements du guide Michelin. Il aurait tendance à délaisser la cuisine française de terroir.

Question difficile. C'est comme si l'on se plaignait que les revues de musique se plaignaient que l'on parle plus de Lady Gaga, Justin Bieber que de Karajan jouant Mozart. Chaque époque a son art majeur, en cuisine comme en musique, comme en peinture.


Quel est votre rôle, à propos de la Fondation Science et Culture Alimentaire ?
Mon rôle : je suis directeur scientifique de la Fondation Science & Culture Alimentaire de l'Académie des sciences. A ce titre, je dois susciter la création de pôles, contribuer à leur développement, rendre compte au Conseil scientifique et au Conseil d'administration, mettre les divers pôles en relation, aider ceux qui, localement, font un travail d'animation autour du fait alimentaire.
A noter que, dans cette mission, je mets complètement de côté mes envies et idées de cuisine moléculaire, cuisine note à note ou même gastronomie moléculaire. J'agis seulement pour que naissent des initiatives qui réconcilient le grand public, l'éducatif, l'artisanat, l'industrie, la recherche, le politique, autour du développement régional, en matière alimentaire. Il n'y aura de mes envies que si nos amis le demandent, mais c'est secondaire. En revanche, je fais tout mon possible pour satisfaire à ce mot d'ordre "Vive la connaissance produite et partagée".


Votre plat préféré ?

Celui que je partage avec des amis ! Des amis, c'est-à-dire des gens qui considèrent que le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture. Des gens qui ne sont ni dans la quête du  pouvoir ou de l'argent, des gens qui se soucient du collectif, de la "convivialité". Des gens qui se préoccupent des générations futures. Un plat, quel qu'il soit, rien qu'avec des gens merveilleux, vieux, jeunes, femmes ou hommes, peu importe. Pour moi, les êtres humains sont plus importants, vous l'avez compris, que ce que je me mets dans la bouche.
Évidemment, quand mon ami Pierre Gagnaire cuisine, ce n'est pas rien... mais alors il ne s'agit plus de "manger", mais d'apprécier des œuvres d'art, comme l'on va à l'Opéra. Et quand on partage le bonheur de la culture avec de "belles personnes", c'est évidemment encore mieux.

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