vendredi 28 novembre 2025

La cuisiine note à note est venue après la cuisine moléculaire. Mais après la cuisine note à note ?

Dès le début des années 1980, j'ai milité pour une rénovation des techniques culinaires, proposant de faire venir en cuisine des ustensiles venus des laboratoires (de chimie, de physique, de biologie", et, en 1999, j'ai donné un nom à cette technique culinaire rénovée : cuisine moléculaire (à bien distinguer de la gastronomie moléculaire et physique, qui, elle, est une discipline scientifique). 

 

Puis, en 1994, j'ai eu l'idée  de la "cuisine de synthèse", laquelle a succédé à la cuisine moléculaire, et dont le versant artistique a pour nom "cuisine note à note". 


Mais après ?

 

Dès que j'ai réfléchi à la cuisine note à note, je me suis interrogé sur la suite, et c'est ainsi que, il y a déjà de nombreuses années, j'ai imaginé  que, dans le futur, puisque l'on commence à savoir injecter des idées dans le cerveau d'un rat, on pourrait injecter des goûts, et découpler le goût de la consommation. J'ai nommé cela de la "cuisine cérébrale".



 

Conducteur, mécanicien, chef de projet


C'est un fait que nombre d'étudiants restent mal fixés à propos de la carrière qu'ils feront, alors même qu'ils sont largement engagés dans des études. Comment les aider ?

Très récemment, lors d'un cours à des étudiants de master, j'ai bien mieux compris qu'il fallait distinguer des conducteurs de voitures et des mécaniciens, notamment à propos de physico-chimie.

Et, d'autre part, nous avons bien fait la différence entre un ingénieur "technologique" et un ingénieur chef de projet.

Un cas pour mieux comprendr

Tout est parti d'une expertise que j'ai faite (gratuitement) pour une société qui fabrique des gâteaux au chocolat (notamment) dans l'Ouest de la France : certains de leurs gâteaux avaient une espèce de fleur blanche sur le dessus, et les (petits) industriels n'avaient pas les moyens de comprendre les raisons qui causaient des retours de leurs produits, et une perte de réputation.
L'analyse physico-chimique n'a pas été difficile : il m'a fallu moins de cinq minutes pour identifier qu'il y avait un problème de moisissures, qui se formaient sur des produits contenant beaucoup d'eau et qui étaient emballés sous des films plastique : le problème résultait de la condensation de l'humidité de la pièce de ressuyage, là où on stocke les produits après la cuisson et avant le conditionnement.
Car on sait -quand on a appris la chimie- que des produits chauds refroidis dans une atmosphère humide se chargent d'eau en surface.
Or les micro-organismes prolifèrent quand ils disposent d'eau, de nutriments, de chaleur. Sans ces idées, les industriels imaginaient une foule de causes possibles, tels des changements de la qualité des oeufs, des irrégularités des fours, etc., mais les oeufs sont des oeufs, de composition quasi constante, et le seul changement important dans la production, précédent l'apparition du problème, avait l'agrandissement de la pièce de ressuyage, et sa ventilation insuffisante, qui chargeait l'atmosphère d'humidité.

Nous avions là un cas concret pour aider les étudiants à se déterminer, pour leur carrière.

Chef de projet, tout d'abord, cela consiste surtout à être le chef d'orchestre, d'assurer le planning, de connaître le procédé afin de gérer les flux : pas besoin de savoir établir l'équation de Laplace (qui donne la pression dans une bulle d'air d'une mousse), pas besoin de connaître la formule chimique de l'amylopectine...
Et, en cas de problème, il faut surtout savoir consulter, ce qui d'ailleurs avait été fait par l'industriel évoqué plus haut.
Là, pour la physico-chimie, on est plutôt conducteur, pas mécanicien.

Inversement, si l'on veut être un ingénieur "mécanicien", il y a lieu d'avoir une véritable compétence technique, de dépasser la gestion d'une production. &

Une deuxième leçon à tirer de notre séance avec les étudiants de master, c'est que la considération de la physique ou de la chimie "avec les mains" ne suffit pas, et le meilleur exemple à donner est l'analyse que j'avais initialement faite à propos des soufflés en 1980.
A l'époque, quand j'avais raté un soufflé, le 16 mars, la théorie en vigueur était que les soufflés auraient gonflé parce que les bulles d'air des blancs en neige se seraient dilatées à la chaleur. Mais, avec cette théorie, on est incapable de comprendre pourquoi un soufflé peut ne pas gonfler, car si le soufflé contient des blancs en neige, celles-ci devraient se dilater lors de la cuisson, non ? Ce que j'ai découvert -et cela semble évident a posteriori, c'est que les soufflés gonflent surtout en raison de l'évaporation de l'eau, au fond des ramequins.
Imaginons que nous soyons en face de deux théories concurrentes : laquelle choisir ? Cela ne se fait que de façon quantitative, avec des mesures, des équations, de la théorie donc. D'où l'intérêt de ne pas s'arrêter à de vagues discours sur les notions possibles : il faut aller jusqu'à l'appréciation quantitative des phénomènes. Et, pour cela, il faut un corpus théorique, des compétences de calcul matriciel, de calcul différentiel et intégral, de statistiques, etc.
Finalement, c'est quand on dispose de l'équation qui décrit théoriquement le phénomène que l'on peut identifier les paramètres sur lesquels on pourra jouer pour diriger les évolutions.
Par exemple, si l'on considère l'équation qui donne la vitesse de sédimentation en régime stationnaire (la vitesse d'une particule qui tombe vers le fond d'un liquide, passé les brefs instants initiaux d'accélération), on peut voir que cette vitesse dépend de la taille des particules, de la viscosité du liquide, de la densité relative des particules par rapport au liquide...
Ayant ces paramètres, on est en mesure de décider comment accélérer ou ralentir les sédimentations.

Finalement

 Le mécanicien est celui qui sait retrouver cette équation, et le conducteur de voiture est celui qui apprend à utiliser l'équation qu'il ne démontre pas. Là, avec ces exemples, je suis heureux que les étudiants aient réussi à se situer, à se déterminer. Bien que la connaissance ne soit jamais inutile, bien qu'on ne soit jamais assez savant, il est bon de savoir l'objectif que l'on s'est fixé.

jeudi 27 novembre 2025

La pâtisserie serait plus "précise" que la cuisine ? Certainement pas !


Lors d'un cours de gastronomie moléculaire, il y a plusieurs années, j'ai fini par comprendre que la composante technique de l'art culinaire est en quelque sorte sans intérêt, tant c'est facile : battre un blanc en neige, faire une mayonnaise, sauter une viande, cuire une tarte...

Quel intérêt que de faire ce qu'une machine ferait mieux ? Et c'est bien la question "artistique", celle du "bon", qui est difficile et essentielle.

Sans compter la composante "amour", disons lien social.

Bref, pourquoi certains considèrent-ils qu'apprendre la cuisine est difficile ? Certainement parce que ces trois composantes sont indistinctement mêlées dans l'apprentissage classique de la cuisine, qui n'avait pas appris à les reconnaître...

D'où des confusions : par exemple, quand on passe des heures à faire du sucre filé ou tiré, au lieu de comprendre.  

J'ai aussi trop méconnu la question de l'illettrisme... et l'on me connaît assez pour ne pas penser que j'écrive cela de façon hautaine ou méprisante, mais, au contraire, compatissante. Car oui, les chiffres officiels, qui sont sans doute sous estimés, voient 17 pour cent de Français souffrant d'illettrisme, pour des gens qui ont fait huit ans d'études en France ! Comment lire une recette, dans ces conditions ?

Mais, aussi, il y a ce fait que les recettes ne donnent pas bien, quand elles sont écrites, les "objectifs". Par exemple, dans la confection d'une pâte à chou, un œuf de plus ou de moins fait toute la différence... et cela se détermine à l’œil, car les farines donnent des résultats différents, imprévisibles.

De même, pour une pâte à foncer (les "pâtes à tarte"), la quantité d'eau à ajouter se joue à trois fois rien, comme on peut en faire la démonstration en faisant simplement un pâton à partir de farine et d'eau. Bref, il y a bien des cas, dans les activités du goût, où il faut ajuster à l’œil les proportions des ingrédients, et cela se rencontre souvent quand il est question de pâtes, quand on utilise de la farine...

On arrive à la question du titre

 Raison pour laquelle il est ahurissant que le monde culinaire ait prétendu que c'est pour la pâtisserie qu'il fallait avoir des mesures précises. Je dirais au contraire que c'est pour la pâtisserie qu'il ne faut pas les mesures précises !
 
 Dans un séminaire, nous avions mesuré la "précision" nécessaire pour différentes recettes et nous avions bien montré que cette précision n'était pas la même pour les différentes réalisations.
 
 Par exemple, quand on cuit un mince filet de poisson (cuisine), alors tout se joue en quelques secondes.
 
 A l'inverse, quand on cuit une brioche (pâtisserie), quelques minutes de cuisson de plus ou de moins sont sans importances.
 
 Lors de ce mêmes séminaire, certains, qui étaient confrontés à l'observation que je viens de rapporter (nous avions fait des mesures) m'ont fait observer que cette précision prétendue concernait les proportions, qui auraient été essentielles en pâtisserie, moins en cuisine.
 
 Je crois au contraire que ce n'est pas le cas. Car quand on prépare des pâtes, pensions à des pâtes à choux, à des pâtes à foncer (pour les tartes), et cetera, alors il faut adapter la quantité d'eau à la température, à la nature de la farine, notamment. Et il ferait inconcevable utiliser des proportions fixes, puisque les ingrédients ne le sont pas.
 
 Bref, la pâtisserie n'est pas plus précise que la cuisine. Mais, en passant, observons combien la vidéo est plus utile que l'écrit, pour l'apprentissage de la cuisine : il est très difficile de décrire avec des mots une consistance, alors que l'on voit bien, sur une vidéo, comment la pâte s'écoule ou ne s'écoule pas.
 
 Mais je reviens à ma conclusion : il n'est pas vrai que la pâtisserie sois plus précise que la cuisine.

A propos de coloration en cuisine

Voici que s'achève notre séminaire de gastronomie moléculaire de novembre 2025. Nous avons exploré deux questions : la coloration d'une viande cuite dans un sirop, d'une part, et, d'autre part la coloration des pommes dauphine auxquelles on aurait ajouté un peu de sucre.


Pour la première expérience, il s'agissait donc de cuire un blanc de volaille, clair, dans un sirop, initialement clair également. Ce que je voulais montrer, c'est que la viande brunit avant que le sirop ne brunisse aussi, à une température légèrement supérieure à 140 degrés.
C'était une démonstration de ce que le brunissement de la viande n'est pas une "caramélisation" puisqu'il n'a pas lieu à la même température.

D'autre part, pour les pommes dauphines, qui sont faites de purée de pommes de terre mêlée à de la pâte royale (ce que certains nomment fautivement de la pâte à choux), il y a donc une différence de coloration selon que l'on met ou non du sucre dans la préparation.
Cela est apparu clairement quand nous avons cuit deux petites masses, l'une de préparation pour pomme dauphine non sucrée, et l'autre sucré à raison de 10 ou 20 g de sucre pour 100 g de pâte.

Mais les pommes dauphines ne se limitent pas à ce mélange de pâte royale et le purée de pommes de terre. La préparation est panée à l'anglaise, ce qui signifie qu'elle est trempée alternativement dans de l'œuf battu et dans de la farine.
Et là, la pâte est couverte par la panure et, quand on cuit les deux préparations panées l'une sucrée et l'autre pas, alors la différence de couleur est bien moins bien moins importante que dans la première expérience, sans panure.

Ce que nous avons vu aussi, c'est que la cuisson est longue, plus de 5 ou 6 minutes à 180 degrés pour obtenir un bon contraste entre l'extérieur croustillant et l'intérieur très tendre.

Mais surtout, nous avons observé que les préparations n'ont pas soufflé, contrairement à ce qui est souvent supposé, notamment parce que nous nous fondons sur des pommes des dauphines industrielles, pour lesquelles l'œuf n'est pas simplement de l'œuf battu, mais de l'œuf foisonné, par exemple avec du blanc d'œuf battu en neige. C'est évidemment un moyen pour l'industrie de vendre plus de volume avec moins de matière.

Cela étant, nos pommes dauphines ont été très intéressantes, qu'elle soient ou non sucrées. Dans ce deuxième cas, elles s'apparentaient à de petits beignets.

J'ajoute que, comme pour chaque séminaire, je vais maintenant préparer un compte rendu détaillé, avec les indications techniques, les pesées, les durées, et cetera, mais aussi des interprétations techniques, scientifiques, historiques, terminologiques, et cetera.
Tout ce qui sera écrit là sera référencé, et, d'autre part, le projet de compte-rendu sera envoyé  aux participants avant diffusion, et c'est le compte rendu corrigé, validé, qui sera finalement mis en ligne.

mercredi 26 novembre 2025

Analyser une formule

 
Je reçois aujourd'hui un message amical, assorti d'une question :

Je m'interrogeais sur la problématique suivante : comment fait-on pour analyser la contenance d'arômes dans un produit ? Imaginons une entreprise qui souhaite copier le goût du soda phare de son concurrent, quelles techniques utilise-t-elle pour lister tous les produits présents dedans ? Existe-t-il des techniques plus rigoureuses qu'un nez bien aiguisé ?

Comment fait-on pour analyser la "contenance d'arômes" dans un produit ?

Je crois que la première chose est de bien comprendre la question... et je dis cela d'emblée parce que le mot "arôme" est piégé. Un arôme, en bon français, c'est l'odeur d'un aromate ou d'une plante aromatique. Pas d'une boisson, pas d'un soda, pas d'une viande...

Je vais donc répondre plutôt à la question : comment connaître la composition chimique d'un aliment, et, notamment, sa composition en composés odorants. Dans tous les aliments, mais aussi dans les boissons et dans les sodas, il y a des composés variés, le principal étant l'eau, mais il y a aussi des protéines, des lipides, des glucides...
Connaître la composition d'un produit, cela signifie déterminer ces compositions qui sont principales.
Puis il y a de nombreux composés qui ont des effets sensoriels. Et, là, il est bon de distinguer les composés qui agissent sur des récepteurs visuels (couleur), ceux qui agissent sur les récepteurs olfactifs, sur les récepteurs de la saveur, sur les récepteurs du nerf trijumeau (piquants et frais), etc.

D'ailleurs, il faut observer que les molécules ne sont pas spécifiques de voies sensorielles  : certains composés sont à la fois odorants et sapides, d'autres odorants et frais, etc.

Un exemple ? L'éthanol, ou alcool des vins, bières, spiritueux, est un composé à la fois brûlant, odorant, sapide. Le (-)-menthol, présent dans la menthe, est à la fois odorant (odeur de menthe) et frais. Tout cela étant dit, il y a donc des composés qui sont suffisamment volatils pour arriver jusqu'aux récepteurs olfactifs du nez, soit qu'ils arrivent quand on hume, soit qu'ils passent par les fosses rétronasales, où la bouche communique avec le nez (voie dite "rétronasale"). Ce sont les mêmes composés "odorants", dans les deux cas.

Et les "arômes" sont les odeurs particulières des aromates, dus à des composés odorants.

Les déterminer ? C'est aujourd'hui une analyse classique (je n'ai pas dit que ce soit rapide), qui consiste - par exemple- à enfermer un produit dans un récipient fermé, en présence d'une fibre : les composés odorants libérés par le produit passent dans l'air du récipient, et s'adsorbent (se collent, en quelque sorte) sur la fibre. Puis on "désorbe" ces composés odorants dans un appareil de "chromatographie en phase gazeuse couplé à de la spectrométrie de masse", ce qui signifie que la fibre est placée à l'entrée d'un tube très long (plusieurs dizaines de mètres) et très fin (comme un cheveu) ; à l'aide d'un gaz (par exemple de l'hélium ou de l'hydrogène), on pousse les molécules désorbées dans le tube, de sorte que, en raison de leurs interactions différentes avec des particules qui emplissent le tube, on fait avancer les molécules des divers composés odorants à des vitesses différentes : elles arrivent séparées à la sortie de cette "colonne de chromatographie". A la sortie de la colonne de chromatographie, ces molécules séparées sont envoyées dans le "spectromètre de masse", qui les charge électriquement et les sépare en fonction de leur masse et de leur charge électrique : des séparations, on déduit la nature chimique des composés séparés. Bref, on détermine la composition de l'odeur d'un produit en composés odorants.

Reste que le goût d'un produit, c'est bien plus que son odeur, anténasale (quand on hume) ou rétronasale (quand on mastique, et que les composés odorants remontent vers le nez, en passant par les canaux qui font communiquer le nez et la bouche). Il y a notamment les composés sapides, qui se lient aux récepteurs des papilles. Ces papilles que l'on dit "gustatives", et que l'on ferait mieux de dire "sapictives". Là, ces composés sont principalement en solution, et ils passent de l'eau de l'aliment vers la salive, avant d'atteindre les récepteurs des papilles.

Les analyser ? Des techniques analogues à la première sont utilisables, mais d'autres, aussi. Et puis, il y a les composés qui se lient aux récepteurs du nerf trijumeau, suscitant des fraîcheurs et des piquants. On les trouve soit dans la fraction liquide, soit dans la fraction odorante. D'ailleurs, j'ai omis de dire que, pour comprendre l'effet de chaque composé séparé lors de l'analyse, on peut le faire sentir, à mesure qu'il sort, par un juré, qui attribue un "descripteur".

Tout est-il réglé ? Non, parce que, malgré les extraordinaires performances des appareils d'analyse, il existe des "composés traces", c'est-à-dire des composés présents en très petite quantité, mais qui ont une grande influence sensorielle. Pour ceux là, il faut des étapes préliminaires de concentration, notamment. Et c'est ainsi que, récupérant des tables de compositions, les bons parfumeurs savent reproduire presque n'importe quelle odeur, non pas en utilisant les centaines de composés identifiés, mais en assemblant une dizaine des principaux.

C'est ainsi que j'ai reçu d'un merveilleux professionnel, Roman Kayser, qui travaille pour la Société Givaudan, des reproductions de Haut-Brion 1985, de Gewurtztraminer vendanges tardives, etc. Mais, pour des applications industrielles, un nombre de composés entre 1 et 10 suffit.

J'insiste un peu sur l'état actuel des questions analytiques : sortent, semaine après semaine, dans des revues de sciences et technologies des aliments, des articles qui établissent l'odeur de différents aliments : tout récemment le durian, le riesling stocké pendant 10 ans, des thés, etc. Le flot est interrompu, parce que la technique est maintenant bien maîtrisée.

Pour autant, c'est un vrai savoir faire que de "formuler" les composés odorants, parce qu'il y a des "effets de matrice". Pour les expliquer, prenons l'exemple des molécules d'amylose (présentes dans les féculents) : elles se mettent en hélice autour des composés odorants, de sorte que la libération de composés que l'on aurait formulés ne se fait alors pas librement. Or le décours temporel de la libération des composés odorants est essentielle, comme on le comprend en imaginant un mélange fait de deux composés, la vanilline, qui a une odeur de vanille, et le benzaldéhyde, qui a une odeur d'amande amère. Si on libère les deux composés ensemble, on a une odeur particulière, mais si on libère d'abord la vanilline et plus tard le benzaldéhyde, alors on sent d'abord la vanille puis l'amande amère, mais pas l'odeur du mélange qui était visée.

On voit donc combien les effets de matrice sont essentiels, et c'est bien un savoir faire des formulateurs de compositions odorantes que de parvenir à donner une odeur sur mesure à une préparation particulière.

mardi 25 novembre 2025

Il faut distribuer très largement le texte suivant



Par ces temps de plomb où l'argent tient lieu de valeur morale, par ces temps de confusion de direction de la science et de son exercice bien fait, par ces temps de confusion de la science et de la technologie, il y a lieu de relire le discours prononcé par Albert Einstein pour le soixantième anniversaire de Max Planck :

Le Temple de la Science se présente comme une construction à mille formes. Les hommes qui le fréquentent ainsi que les motivations morales qui y conduisent se révèlent tous différents. L
’un s’adonne à la Science dans le sentiment de bonheur que lui procure cette puissance intellectuelle supérieure. Pour lui la Science se découvre le sport adéquat, la vie débordante d’énergie, la réalisation de toutes les ambitions. Ainsi doit-elle se manifester!
Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Temple qui, exclusivement pour une raison utilitaire, n’offrent en contrepartie que leur substance cérébrale! Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Temple tous les hommes qui font partie de ces deux catégories, ce Temple se viderait de façon significative mais on y trouverait encore tout de même des hommes du passé et du présent.
Parmi ceux-là nous trouverions notre Planck. C’est pour cela que nous l’aimons.
Je sais bien que, par notre apparition, nous avons chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes de valeur qui ont édifié le Temple de la Science pour une grande, peut-être pour la plus grande partie. Pour notre ange, la décision à prendre serait bien difficile dans grand nombre de cas.
Mais une constatation s’impose à moi. II n’y aurait eu que des individus comme ceux qui ont été exclus, eh bien le Temple ne se serait pas édifié, tout autant qu’une forêt ne peut se développer si elle n’est constituée que de plantes grimpantes! En réalité ces individus se contentent de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances extérieures décideront de leur carrière d’ingénieur, d’officier, de commerçant ou de scientifique. Mais regardons à nouveau ceux qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils se révèlent singuliers, peu communicatifs, solitaires et malgré ces points communs se ressemblent moins entre eux que ceux qui ont été expulsés.
Qu’est-ce qui les a conduits au Temple? La réponse n’est pas facile à fournir et ne peut assurément pas s’appliquer uniformément à tous.
Mais d’abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m’imagine qu’une des motivations les plus puissantes qui incitent à une oeuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables.
Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives.
Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
A cette motivation d’ordre négatif s’en associe une autre plus positive. L’homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l’univers du vécu parce qu’il s’efforce dans une certaine mesure de le remplacer par cette image. Chacun à sa façon procède de cette manière, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un poète, d’un philosophe spéculatif ou d’un physicien.
A cette image et sa réalisation il consacre l’essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu’il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l’expérience tourbillonnante et subjective.

Munis de cet éclairage, regardons autour de nous, dans les laboratoires, les universités, les instituts de "recherche" (un mot merveilleux qui est malheureusement dévoyé quand il est utilisé pour confondre, et non pour discerner mieux)... Que voyons-nous ?

lundi 24 novembre 2025

Je veux surtout frayer avec des gens gentils

 

1. Discutant avec un collègue d'un comité éditorial, nous évoquons le cas de ces rapporteurs qui mêlent des jugements de valeurs désobligeants aux critiques fondées qu'ils peuvent faire.

2. Mais, pour expliquer la question, il faut reprendre à la base & expliquer que quand un manuscrit est soumis à une revue, le secrétariat de rédaction confie à un éditeur le soin de chercher deux rapporteurs, qui vont donc lire le manuscrit & en faire une analyse.
Il y a des situations variées, notamment certaines revues veulent simplement une évaluation du manuscrit, mais généralement, les rapporteurs doivent analyser le texte ligne à ligne & identifier toutes les corrections qui devront être faites pour que le texte soit publiable par la revue.

3. C'est là où commence la difficulté car "analyse critique" ne signifie pas critique, mais seulement dépistage factuel d'erreurs de tous ordres : les rapporteurs doivent relever les erreurs, les imprécisions, etc., & cela concerne tout aussi bien le projet scientifique que les fautes d'orthographe.

4. Or la communauté scientifique sait très bien qu'il y a l'écueil de ces rapporteurs qui mêlent des jugements de valeurs à leurs analyses, & cela n'est pas bon : on a le droit de signaler beaucoup d'erreurs, mais on n'a pas le droit de dire que l'article est "mauvais",  & c'est donc la tâche de l'éditeur que de gommer ces phrases qui peuvent être selon les cas méprisantes, désobligeantes, déplacées, hors de propos... sachant de surcroît que, comme je le montrerai dans un autre billet, les rapporteurs ne sont pas parfaits, loin s'en faut.

5. Il y a donc lieu d'être prudent quand on est éditeur d'un article à propos de ce que l'on transmets aux auteurs, & c'est là que notre discussion d'aujourd'hui commence : mon collègue avec qui je discutais me disait que, étant scientifiques, nous ne devons pas avoir à craindre les blessures narcissiques &  que tout cela n'est pas très grave.

6. Je m'oppose absolument à cette idée & non pas seulement pour ce qui me concerne mais surtout pour tous les jeunes scientifiques nous voulons encourager. Ce n'est pas en tapant sur les cornes de l'escargot qu'on lui permettra d'avancer, ce n'est pas en blessant nos amis que nous créerons une communauté soudée, amicale, cohérente...

7. D'autant que les rapporteurs sont loin d'être parfaits, & que, bien souvent, on voit des commentaires fautifs !

8. Mon collègue, à qui je réponds cela, me rétorque que si l'on récuse ces rapporteurs déplaisants, personne n'acceptera plus de faire le travail de rapporteur...
Mais pas du tout : c'est seulement que nous n'aurons plus ces rapporteurs détestables, & ce sera tant mieux !

9. En tout cas, il n'y a pas lieu d'encourager un état d'esprit agressif, dans les évaluations (terme mal choisi) de manuscrits. Au contraire, il faut enseigner (je dis bien "enseigner") à nos collègues à être civils, gentils, indulgents, encourageants...

10. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais moi-même publié un article qui disait en substance que nous avions moins besoin d'évaluations que d'analyse des manuscrits & de conseils à donner aux auteurs pour qu'ils améliorent ces derniers jusqu'au point de les rendre publiables.

11. Et, en disant cela, je ne cède en rien sur la qualité des textes publiés, qui doit être parfaite. Il doit y avoir autant d'aller-retours que nécessaires pour arriver à la publication, & il est hors de question de publier des articles scientifiques insuffisants.

12. Le jugement des textes par les pairs est un bon principe, qu'il faut conserver (en plus du double anonymat ; voir https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/lanalyse-critique-des-manuscrits-et-les-conseils-damelioration-donnes, et améliorer. Pour cela, il faut encourager la gentillesse, l'intelligence, la droiture... & les qualités scientifiques.