mardi 27 mai 2025

De l'huile dans de l'eau ou de l'eau dans de l'huile : questions d'émulsions

On m'interroge : "Pourquoi les émulsions eau dans huile sont-elles moins stables que les émulsions huile dans eau  ?"

Avant de poser cette question, il faut s'assurer de se base : est-il vraiment certain que les émulsions eau dans huile sont moins stables que les émulsions huile dans eau ? 

Mais il faut commencer par expliquer ce que sont les unes et les autres. 

Les émulsions, tout d'abord, sont des dispersions de gouttelettes d'un liquide dans un autre liquide, sans qu'il y ait mélange. Par exemple, quand on fouette un peu d'huile avec beaucoup d'eau, on voit le fouet qui divise l'huile en gouttelettes (d'huile, donc), ces dernières étant dispersées dans l'eau. Si les gouttelettes sont suffisamment petites, on obtient un système dit "colloïdal" qui est une émulsion, puisque ces systèmes sont : 

A fluid colloidal system in which liquid droplets and/or liquid crystals are dispersed in a liquid. The droplets often exceed the usual limits for colloids in size. An emulsion is denoted by the symbol O/W if the continuous phase is an aqueous solution and by W/O if the continuous phase is an organic liquid (an 'oil'). More complicated emulsions such as O/W/O (i.e. oil droplets contained within aqueous droplets dispersed in a continuous oil phase) are also possible. Photographic emulsions, although colloidal systems, are not emulsions in the sense of this nomenclature.

Source:  PAC, 1972, 31, 577. (Manual of Symbols and Terminology for Physicochemical Quantities and Units, Appendix II: Definitions, Terminology and Symbols in Colloid and Surface Chemistry) on page 606 [Terms] [Paper]


Cela tant, un tel système n'est pas stable, parce que les gouttelettes d'huile viennent "crémer", et fusionner, reformant rapidement une couche continue à la surface de l'eau. 

Quand on produit une émulsion, on ajoute généralement un troisième élément, à savoir des molécules dites "tensioactives" qui :
1.  réduisent l'énergie nécessaire à la dispersion des gouttes d'huile dans l'eau, pour les émulsions de type huile dans eau,
2. tapissent la surface des gouttes dispersées, prévenant leur association, leur fusion, leur "coalescence". 

Ces molécules ont des parties "hydrophobes", qui vont dans l'huile, et des parties "hydrophiles", qui vont dans l'eau. Et elles agissent alors de diverses manières  :
- d'une part, il y a ce que l'on nomme l' "encombrement stérique", qui correspond à la place que prennent les atomes, les molécules,
- mais il y a surtout des forces de répulsion électrique entre des parties électriquement chargées des molécules (par exemple, des charges négatives pour des groupes phosphate de lécithines, ou des charges portées par les protéines).

Or les parties moléculaires électriquement chargées sont celles qui vont dans l'eau, alors que ce sont des parties moléculaires non chargées qui vont dans l'huile, et qui au contraire s'associent par des liaisons chimiques faibles nommées notamment forces de van der Waals. 

De sorte que, avec une émulsions de type eau dans huile, il y a peu de répulsion entre les gouttes d'eau, alors que pour une émulsion huile dans eau, les parties chargées des molécules tensioactives se font face et se repoussent. 

Ajoutons de surcroît que l'interface eau-huile se courbe naturellement de façon à mettre l'huile à l'intérieur, comme on le voit par le raisonnement suivant : supposons un interface plane, avec les molécules tensioactives placées comme des clous entre la phase huile, au dessus, et la phase eau par dessous : les parties chargées des molécules tensioactives seraient donc par dessous... mais, se repoussant elles incurveraient l'interface vers le haut, pour former des gouttelettes d'huile.
 

Des oeufs mollets au four ?

Une question m'arrive ce matin : est-il possible de faire des œufs mollets (blanc prix mais jaune coulant) par une cuisson au four ? 

 

On peut répondre de nombres façon à cette question mais je propose d'aller plus simple au plus compliqué. 

Le plus simple c'est oui... et non.

 

Un peu plus en détail : je réponds en évoquant les "œufs parfaits" que j'ai introduits il y a plusieurs décennies, et qui consistent  à cuire des oeufs à 65 degrés. On peut le faire dans de l'eau ou dans un four, mais aussi dans un lave-vaisselle, par exemple. 

Et j'ajoute que, dans la foulée, j'avais proposé des œufs à 62, 63, 64, 65, etc. degrés. L'oeuf  à 65 degrés a un blanc pris très délicatement, et un jaune coulant. A des températures inférieures (mais plus de 62 degrés), le blanc est plus laiteux, plus délicat, et le jaune est inchangé. 

A des températures supérieures, il y a des changements. Par exemple, à 67  degrés,   le blanc est pris, mais le jaune prend  une consistance de pommade. 

A quelle température serait produit l'oeuf mollet ? Je crois qu'il est particulier et qu'on ne l'obtient que dans l'eau, si l'on est un peu précis. L'oeuf mollet  ? Il lui faut 5 minutes et 15 secondes de cuisson dans l'eau bouillante. Dans un four on pourrait mettre un oeuf pendant 5 minutes et 15 secondes à 100 degrés, mais le résultat serait un peu différent. 

 

Enfin, plus compliqué encore, on s'interrogera sur ce que la question  signifie vraiment, on cherchera à comprendre les phénomènes. 
 

Le blanc et le jaune d'oeufs coagulent en raison des protéines qu'ils contiennent. Pour le blanc, il y en a environ 300 (je dis bien 300 c'est-à-dire 300 sortes de molécules différentes non pas 300 molécules différentes : il y a des milliards de milliards de chaque sorte), et chaque protéine coagule à une température particulière. 

Pour le blanc d'oeuf, la première coagulation d'une protéine s'effectue vers 62 degrés. Plus il y a de protéines coagulées et plus le blanc est pris, opaque et blanc. 

Pour le jaune, c'est un peu la même chose mais il y a ce phénomène étonnant que la première des protéines qui coagule le fait vers 61 degrés, étant toutefois en quantité trop faible pour faire prendre le jaune. Il faut donc attendre que d'autres protéines coagulent pour que la consistance se mette à changer

dimanche 25 mai 2025

De l'air !

Nous sommes bien d'accord que tout ce qui doit être fait doit être bien fait... et notamment lors de la rédaction des articles ou des documents PowerPoint, par exemple. 

Tout compte pour faire la qualité d'un texte,  de l'orthographe à la rhétorique, en passant par la grammaire, la typographie, la mise en page...

 

La typographie ? De même que l'on doit mettre une espace entre 25 et g quand on écrit en abrégé "25 g",  on doit mettre une espace entre un nombre et le symbole du pourcentage qui le suit. 

Les indications de ce genre se trouve dans le Code de la typographie de l'Imprimerie nationale, pour la langue française. 

Pour l'anglais ? J'ai cherché, la règle des espaces est la même, contrairement à ce que font beaucoup de mes collègues.  

vendredi 23 mai 2025

A propos de sel et de blancs d'oeufs

On me dit que le sel permettrait d'éliminer des traces de graisses sur les parois des récipients ce qui permettrait mieux aux blancs d'oeufs de monter en neige...

 

MAIS : 

 

Non, le sel ne permet pas d'éliminer la matière grasse, et seuls de détergents "tensioactifs" y parviennent. De même pour le vinaigre, qui est inutile.  Pour bien nettoyer, rien ne vaut d'y penser en termes de chimie : 

1. de l'eau froide pour enlever le plus gros

2. de l'eau chaude pour enlever ce qui ne part par à l'eau froide, dans le lot des composés hydrosolubles

3. en laboratoire de l'acétone pour dissoudre les graisses, mais en cuisine, on sera limité à du savon et de l'eau chaude

4. de nouveau de l'eau chaude pour finir d'enlever les traces de savon

5. et de l'eau froid pour terminer (en laboratoire, on termine avec de l'eau distillée). 

Astringence et amertume

Alors que je sors de discussion avec des étudiants, je m'aperçois que la différence entre astringence et amertume n'est pas toujours connue. 

L'amertume est une sensation gustative, une saveur et il y en a d'ailleurs de très nombreuses qui sont différentes. Par exemple le Schweppes est sucré, certes, mais également amer. Un oignon rôti, également a de l'amertume, et la bière, parmi les saveurs différentes qui font son intérêt à de l'amertume. 

Le remarquable artiste culinaire qui était Édouard Nignon a bien discutéla question dans un chapitre entièrement consacré aux amers. Cet homme intelligent avait bien repéré qu'il n'y a pas l'amertume mais des amertume et  des amertumes très différentes.

Pour l'astringence, ce n'est pas une perception du même type mais plutôt l'impression de resserrement de la bouche. 

On a par exemple cette sensation quand on boit un vin tannique un peu jeune. D'ailleurs, quand on fait l'expérience de boire une gorgée d'un tel vin, de la mâcher, puis de la recracher, on voit bien des précipités parce que des tanins du vin se sont liés aux protéines de la salive,  et c'est parce que la bouche n'est plus lubrifiée par ses protéines salivaires que l'on sent cette sensation d'assèchement, de resserrement de la bouche. 

Bien sûr, dans les aliments réels, il y a souvent de l'amertume associée à de l'astringence et vice versa mais ce n'est pas obligatoire.  Par exemple le Schweppes est amer mais il n'est pas astringent tandis que certains vins sont astringents mais pas amers.

jeudi 22 mai 2025

Bon pour la santé

Lors de notre dernier workshop de gastronomie moléculaire,  un exposé  vantait les mérites de certains ingrédients. À entendre l'intervenant, ces ingrédients étaient parfaitement bons pour la santé... de tous les points de vue. 

Une panacée donc... Pourtant, pendant son intervention, je suis allé sur Google scholar pour taper le nom de l'ingrédient et le mot toxicité,  et j'ai trouvé un très grand nombre de pages décrivant des toxicités associées à cet ingrédient. 

En réalité, si un aliment ou un ingrédient alimentaire contient des composés bioactifs, alors il n'y a pas de raison qu'il soit parfaitement sain car, à minima, il y a déjà le fait que c'est la dose qui fait le poison : tout est poison, rien n'est poison et c'est la dose qui compte. 

D'où l'intérêt, en toxicologie de la notion de dose journalière admissible. 

Mais il y a mieux : certains composés qui ont un effet favorable en se liant à certains récepteurs de l'organisme peuvent avoir un effet défavorable en se liant à d'autres récepteurs, ailleurs dans l'organisme. 

Et c'est ainsi que les cancérologues ont été parfaitement déçus par les SERM, ces composés qui devaient à la fois se lier à des récepteurs du sein et à d'autres récepteurs dans les ovaires et qui n'ont pas donné l'effet escompté malgré l'intelligence du concept. 

 

Bref, méfions-nous si nous prononçons l'expression  "bon pour la santé" et méfions-nous des exposés qui nous disent cela.

mercredi 21 mai 2025

Ce sont des phénols, pas des polyphénols !

 
Militons pour plus de clarté terminologique.

Alors que notre workshop de gastronomie moléculaire et physique se termine, c'est l'occasion de revenir sur une discussion à propos du mot "polyphénol". 

Plusieurs ouvrages ont déjà dénoncé l'emploi un peu fautif de ce terme pour désigner les composés qui donnent de la couleur aux fruits et aux fleurs par exemple, ou pour désigner   d'autres composés du même type. 

Le monde, quand il est insuffisamment précis, parle de polyphénols, mais l'Union internationale de chimie pure et appliquée parle plus justement de phénols ou de composés phénoliques. Ce n'est pas la même chose ! 

 

La définition est claire : un phénol ou composé phénolique est un composé dont les molécules contiennent notamment un groupe de 6 atomes de carbone formant un cycle  hexagonal, avec au moins un groupe hydroxyle lié à un des atomes de carbone. Un groupe hydroxyle :  cela signifie un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. 

Quand il y a un seul groupe hydroxyle lié à un cycle hexagonal carbonée, alors le composé est un monophénol ;  quand il y en a deux, c'est à diphénol et ainsi de suite. 

Ces composés sont des oligophénols parce que le nombre de groupes hydroxyle est inférieur à 10 ou 20 environ.
Il y a la même terminologie que pour les peptides, qui sont des enchaînements de résidus d'acides aminé. À moins de 10 ou 20 résidus, on parle d'oligopeptide et au-delà de ce nombre, on parle plutôt de polypeptide. 

Bref, les anthocyanines, ces composés qui donnent de la couleur aux fruits aux fleurs, ne prends pas  des polyphénols mais plutôt des oligophénols. 

Les polyphénols sont plus rares. Il y a par exemple des lignines, ou des mélanoïdines... 

 

Bref, n'allongeons pas les terminologies pour paraître savant : la plupart du temps, il suffit de parler de phénols plutôt que de polyphénols.