vendredi 23 mai 2025

Astringence et amertume

Alors que je sors de discussion avec des étudiants, je m'aperçois que la différence entre astringence et amertume n'est pas toujours connue. 

L'amertume est une sensation gustative, une saveur et il y en a d'ailleurs de très nombreuses qui sont différentes. Par exemple le Schweppes est sucré, certes, mais également amer. Un oignon rôti, également a de l'amertume, et la bière, parmi les saveurs différentes qui font son intérêt à de l'amertume. 

Le remarquable artiste culinaire qui était Édouard Nignon a bien discutéla question dans un chapitre entièrement consacré aux amers. Cet homme intelligent avait bien repéré qu'il n'y a pas l'amertume mais des amertume et  des amertumes très différentes.

Pour l'astringence, ce n'est pas une perception du même type mais plutôt l'impression de resserrement de la bouche. 

On a par exemple cette sensation quand on boit un vin tannique un peu jeune. D'ailleurs, quand on fait l'expérience de boire une gorgée d'un tel vin, de la mâcher, puis de la recracher, on voit bien des précipités parce que des tanins du vin se sont liés aux protéines de la salive,  et c'est parce que la bouche n'est plus lubrifiée par ses protéines salivaires que l'on sent cette sensation d'assèchement, de resserrement de la bouche. 

Bien sûr, dans les aliments réels, il y a souvent de l'amertume associée à de l'astringence et vice versa mais ce n'est pas obligatoire.  Par exemple le Schweppes est amer mais il n'est pas astringent tandis que certains vins sont astringents mais pas amers.

jeudi 22 mai 2025

Bon pour la santé

Lors de notre dernier workshop de gastronomie moléculaire,  un exposé  vantait les mérites de certains ingrédients. À entendre l'intervenant, ces ingrédients étaient parfaitement bons pour la santé... de tous les points de vue. 

Une panacée donc... Pourtant, pendant son intervention, je suis allé sur Google scholar pour taper le nom de l'ingrédient et le mot toxicité,  et j'ai trouvé un très grand nombre de pages décrivant des toxicités associées à cet ingrédient. 

En réalité, si un aliment ou un ingrédient alimentaire contient des composés bioactifs, alors il n'y a pas de raison qu'il soit parfaitement sain car, à minima, il y a déjà le fait que c'est la dose qui fait le poison : tout est poison, rien n'est poison et c'est la dose qui compte. 

D'où l'intérêt, en toxicologie de la notion de dose journalière admissible. 

Mais il y a mieux : certains composés qui ont un effet favorable en se liant à certains récepteurs de l'organisme peuvent avoir un effet défavorable en se liant à d'autres récepteurs, ailleurs dans l'organisme. 

Et c'est ainsi que les cancérologues ont été parfaitement déçus par les SERM, ces composés qui devaient à la fois se lier à des récepteurs du sein et à d'autres récepteurs dans les ovaires et qui n'ont pas donné l'effet escompté malgré l'intelligence du concept. 

 

Bref, méfions-nous si nous prononçons l'expression  "bon pour la santé" et méfions-nous des exposés qui nous disent cela.

mercredi 21 mai 2025

Ce sont des phénols, pas des polyphénols !

 
Militons pour plus de clarté terminologique.

Alors que notre workshop de gastronomie moléculaire et physique se termine, c'est l'occasion de revenir sur une discussion à propos du mot "polyphénol". 

Plusieurs ouvrages ont déjà dénoncé l'emploi un peu fautif de ce terme pour désigner les composés qui donnent de la couleur aux fruits et aux fleurs par exemple, ou pour désigner   d'autres composés du même type. 

Le monde, quand il est insuffisamment précis, parle de polyphénols, mais l'Union internationale de chimie pure et appliquée parle plus justement de phénols ou de composés phénoliques. Ce n'est pas la même chose ! 

 

La définition est claire : un phénol ou composé phénolique est un composé dont les molécules contiennent notamment un groupe de 6 atomes de carbone formant un cycle  hexagonal, avec au moins un groupe hydroxyle lié à un des atomes de carbone. Un groupe hydroxyle :  cela signifie un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. 

Quand il y a un seul groupe hydroxyle lié à un cycle hexagonal carbonée, alors le composé est un monophénol ;  quand il y en a deux, c'est à diphénol et ainsi de suite. 

Ces composés sont des oligophénols parce que le nombre de groupes hydroxyle est inférieur à 10 ou 20 environ.
Il y a la même terminologie que pour les peptides, qui sont des enchaînements de résidus d'acides aminé. À moins de 10 ou 20 résidus, on parle d'oligopeptide et au-delà de ce nombre, on parle plutôt de polypeptide. 

Bref, les anthocyanines, ces composés qui donnent de la couleur aux fruits aux fleurs, ne prends pas  des polyphénols mais plutôt des oligophénols. 

Les polyphénols sont plus rares. Il y a par exemple des lignines, ou des mélanoïdines... 

 

Bref, n'allongeons pas les terminologies pour paraître savant : la plupart du temps, il suffit de parler de phénols plutôt que de polyphénols.

A propos de soupe à l'oignon

 Soupe à l'oignon ? Potage à l'oignon ? 

Le potage est liquide, et la "soupe" est une tranche de pain, mais il est vrai que, souvent, on voit des potages à l'oignon avec, dedans, du pain (frotté d'ail, par exemple) gratiné. On a alors une soupe à l'oignon. 

Brunir les oignons ? Chacun fait comme il veut, mais il est vrai que suer les oignons dans de la matière grasse y fait passer des composés variés qui augmentent le goût. D'autre part, l'ajout de sel, lors de cette opération, contribue au brunissement. 

Quel liquide ajouter ? On peut naturellement utiliser de l'eau, mais aussi du vin blanc, un bouillon de volaille, un fond de veau : chacun fait comme il aime, parce qu'il y a là une question "artistique", et non pas une question technique.

Dans la série des réponses aux commentaires

Est publié aujourd'hui un commentaire sur un billet ancien, à propos du sel glace, que j'ai inventé il y a des décennies. 

A-t-il été commercialisé ? Non, parce que je ne vends rien : je distribue mes (faibles) connaissances à tous, librement. 

Et je vous invite ainsi à consulter : 

- les comptes rendus des séminaires de gastronomie moléculaire : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires

- le glossaire des métiers du goût  : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire 

- les articles des revues Notes Académiques de l'Académie d'agriculture de France et International Journal of Molecular and Physical Gstronomy :  https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-international-centre-of-molecular-gastronomy

mardi 20 mai 2025

Manger ? Nous ne sommes pas des animaux

Naguère, il y avait des mots et des phrases  que l'on ne devait pas utiliser à propos des aliments et, par exemple, le juriste Jean Anthelme Brillat-Savarin, qui popularisa l'usage du mot gastronomie en français, écrivit en 1825  : "les animaux se repaissent, l'homme mange mais seul l'homme d'esprit sait manger". 

Je n'aime guère cette différence entre les hommes et les hommes d'esprit, et je regrette aussi que les femmes ne soient pas évoquées, mais je conserve de cet aphorisme l'idée que l'être humain fait plus que simplement mastiquer des aliments et récupérer des nutriments. 

Savoir manger, c'est un acte de culture : il s'agit de penser à celle ou à celui qui a préparé le mets (on verra pourquoi je ne dis pas "aliment"), à celle ou celui qui l'a apporté jusqu'à nous, qui nous l'a servi ;  savoir manger, c'est être capable d'une appréciation gustative, le goût étant cette sensation synthétique qui inclut jusqu'au mot.

 Savoir manger, cela signifie savoir reconnaître des codes de préparation des mets, mais surtout savoir comprendre qu'il y a une différence essentielle entre les aliments et les mets. 

Nous ne mangeons pas des ingrédients, nous ne mangeons pas des nutriments,  et l'alimentation humaine diffère de l'alimentation animale par la préparation culinaire. Et cela fait la différence avec l'animal. 

C'est pour ces raisons (et d'autres) qu'il était  naguère considéré comme vulgaire de parler de manger : on parlait de déjeuner, de dîner, de souper. On  ne souhaitait pas un "bon appétit", et si le "bonne dégustation" que l'on entend aujourd'hui échappe à cette vulgarité stomacale, elle a toutefois la prétention de laisser penser on que ce qu'on nous présente mérite beaucoup de considération, une façon de pêcher des compliments. 

Dans la catégorie des affreuses expressions, je me souviens de collègues à New York qui, vers midi, m'ont dit "let's grad food",  allons ramasser de quoi bouffer. Bien sûr, ma traduction est exagérée, mais l'idée y est quand même. 

Je me souviens également, dans un pays étranger, pour le déjeuner au cours d'une réunion qui durait une journée entière, avoir vu entasser d'abominables sandwichs, sans goût, avec du fromage insipide, un pain tout mou... Manifestement, nos collègues organisateurs n'étaient pas des gourmands et encore moins des gastronomes. D'ailleurs, les mêmes, le soir, se bâfraient  de bière,  ignorant que notre Brillat-Savarin avait un autre aphorisme : quiconque s'indigère ou s'enivre ne  sait ni boire ni manger. 

Manifestement, il y a lieu d'enseigner à manger, dès le plus jeune âge, dès l'école si les parents sont défaillants, et même ensuite, car nous mangeons trop vite. 

Nous ne cherchons pas suffisamment   la culture derrière les mets  ; nous négligeons trop la communion intellectuelle avec l'équipe qui a préparé les mets, ou avec nos commensaux. 

Le diable, c'est de manger des ingrédients, des nutriments... Le paradis, c'est le mets, préparé avec soin, dégusté en  bonne compagnie. 

D'un côté l'animalité et de l'autre l'amour !

Nous venons de terminer : tristes mais heureux

 

Nous venons de terminer le 14e rencontre de gastronomie moléculaire et physique et il fut un succès humain et scientifique. 

Non seulement l'ambiance était extrêmement amicale, de sorte que nous avons pu discuter vraiment de science, au lieu d'écouter des présentations un peu convenues, comme dans nombre de congrès. 

Mais surtout, nous avons réussi à faire parler de nombreux jeunes collègues de tous les pays  :  23 pays étaient représentés soit physiquement, soit en visioconférence. 

Les présentations ont été de belle qualité scientifique, sur le thème de la nourriture du futur, et il y a eu à la fois des présentations techniques, des présentations qui prenaient plus de recul, des présentations expérimentales, des présentations conceptuelles. 

Celles et ceux qui étaient présents avaient le bonheur de déjeuner et de dîner ensemble... et aussi, puisque c'est une caractéristique de ces workshops, de partager régulièrement un verre de crémant d'Alsace autour de la gastronomie moléculaire et physique. 

Quel bonheur !