Je ne vais pas aux congrès scientifiques, sauf pour y donner des conférences, parce que je considère que je suis plus efficace à lire les publications et à interroger mes collègues de façon ponctuelle et précise, par téléphone ou par email.
Je n'érige évidemment pas mon cas particulier en recommandation : à chacun son chemin vers la découverte scientifique.
Cela dit, c'est un fait que, dans les congrès, il y a de bonnes conférences, mais aussi de moins bonnes, dont il est difficile de s'échapper, de sorte que l'on perd un peu son temps. On me dira que les congrès sont également l'occasion de rencontrer des collègues, mais ne pouvons-nous pas le faire à n'importe quel moment ? En outre, c'est un fait que les voyages nous font perdre du temps : dans les aéroports, dans les gares… et comme je ne suis pas intéressé à dire béatement « ah, c'est beau ! » en regardant les montagnes, la mer ou le soleil couchant, je ne vois pas l'intérêt de voir d'autres mers ou montagnes que celles que j'ai déjà sous les yeux. Bref, je ne vais pas dans les congrès scientifiques si je n'ai pas de conférence à y donner, je n'assiste pas aux conférences que je ne fais pas…
Mais je dois reconnaître que la réunion organisée pour les 50 ans du laboratoire de Jean-Marie Lehn à Strasbourg, a été tout à fait extraordinaire, en raison de la qualité remarquable des intervenants.
Je vous invite à visionner ces conférences sur <a href="http://www.canalc2.tv/video.asp?idvideo=13531">http://www.canalc2.tv/video.asp?idvideo=13531</a>. Jean Pierre Changeux, dont personne n'a oublié le livre intitulé L'Homme neuronal, ni les travaux de biologie moléculaire, a discuté la question de la conscience, prise en termes chimiques. Quel bonheur ! Takuzo Aida a montré les polymérisations qu'il obtient à partir d'entités supramoléculaires. Il y a là des auto-assemblages tout à fait remarquables. Jean-Marie Lehn, bien sûr, fait toujours des conférences éblouissantes et il nous a fait le plaisir supplémentaire de commenter la retransmission de cette conférence historique de Robert Woodward, où ce dernier annonça l'achèvement de travaux qui avaient duré des années, pour synthétiser la vitamine B12. Le moment avait été historique, et deux des protagonistes étaient dans la salle : Jean-Marie Lehn lui-même, et Roald Hoffmann, également prix Nobel de chimie, qui avaient touts les deux faits des morceaux de la molécule, lors de leur séjour post-doctoral avec Woodward. Roald Hoffmann raconta une histoire de bleu, à la mémoire de Woodward, dont les cravates étaient de cette couleur. Il évoqué le pourpre de Tyr, obtenu à partir d'une glande de coquillages, ou le bleu égyptien, obtenu à partir de verres colorés et réduits en poudre, l'indigo, cultivé sur toute la planète, et encore d'autres façons qui furent employées par le passé pour obtenir la couleur bleue. Derrière toutes ces pratiques anciennes, il y avait des transformation moléculaires mises en œuvre alors que la théorie chimie n'était pas encore établie, et je tire comme leçon de cette belle conférence l'idée qu'il y a lieu de s'étonner de chaque phénomène afin d'utiliser ensuite les idées que nous y aurons trouvées. C'est bien cela, la chimie, la production de composés nouveaux, que l'on ait ou non la connaissance théorique qui explique les phénomènes.
D'ailleurs, ce fut une partie de ma propre conférence (http://www.canalc2.tv/video.asp?idvideo=13476) que de discuter cette question de la confusion de la chimie technique et de la chimie science.
Dans un autre billet, j'ai proposé de nommer différemment les deux activités, mais cela est devenu encore plus clair quand j'ai reconsidéré un des diagrammes de Jean-Marie Lehn, où il considère l'évolution de la complexité du monde depuis le big-bang. En réalité, ce n'est pas la physique qui est née quelques minutes après l'explosion primordiale, mais les particules, qui sont alors apparues. La physique, qui est une science n'a été créée par l'être humain que bien plus tard, avec les Grecs ou avec Galilée, selon le point d'origine que l'on décide de choisir. De même pour la chimie : ce n'est pas la chimie, qui est née au début de l'univers, mais les atomes, les molécules, et la chimie n'est apparue que bien plus tard, peut-être avec le feu, pour ce qui est la technique, ou encore plus tard, pour la science chimique moderne. D'ailleurs Jean-Marie Lehn parle bien de sciences chimiques.
J'oublie des conférences remarquables : celle de Pierre Corvol, professeur au Collège de France, ou celle de James Fraser Stodart, de Manfred Reetz, Claude Cohen-Tannoudji… Chacun d'entre nous avait fait du mieux qu'il pouvait, conscient de s'adresser à un auditoire choisi. Et il est bien certain que, cette fois ci, les écueil de la conférence scientifique que je mentionnais en début de billet n'ont pas été rencontrés. Aucun d'entre nous n'a perdu une miette de ce qui s'est dit, aucun d'entre nous n'a pu se lasser, n'a perdu son temps, et ce furent deux jours merveilleux qui nous ont été offerts par les organisateurs, que l'on ne saurait assez remercier. Un mot pour y revenir, sur la question de perdre son temps, qui s'apparente à celle de la poussière du monde, discutée dans d'autres billets. J'avais dit, et je ne me renie pas, que la poussière du monde n'existe pas, sauf si nous la faisions exister. C'est à nous de mettre de l'intelligence dans les choses, et non pas aux choses d'avoir une intelligence qui nous gaverait. De ce fait, ne pourrait-on pas dire que même une conférence ennuyeuse pourrait être utile ? Si nous mobilisons toutes nos petites cellules grises, nous parviendrons sans doute à tirer le meilleur d'un réel banal, mais faut-il vraiment que nous nous exposions volontairement à ce dernier, quand nous pouvons avoir bien mieux ?
Allons, ne manions pas trop le paradoxe, et réjouissons nous d'avoir des amis qui font de leur mieux pour nous offrir des bouquets aux lieu de fleurs éparses : à la beauté des fleurs s'ajoutera l'art dont nos amis ont fait preuve lors de la composition du bouquet. Que les sciences de la nature sont belles !