vendredi 23 février 2024

Pas d’états d’âme ? Mais le bonheur, alors ?

 
Avançons sans états d'âme... quoi que : ce qui nous gêne, ce ne sont pas les bonheurs, mais les doutes, les hésitations, les peurs, les craintes... Le bonheur est un état d'âme, mais je propose que nous puissions le montrer, comme une raison d'avancer, d'oeuvrer, de travailler. 

Une journée extraordinaire (au sens littéral) a eu lieu il y a quelques années, et j'en avais fait un bilan. 

D'abord, avec mon ami Pierre Gagnaire, nous sommes allés au Lycée hôtelier d'Illkirch (Strasbourg), où nous étions invités par le Recteur (quel honneur), et accueillis par Ginette Kirshmeyer, inspectrice, Christiane Muylaert, proviseure, Frédéric Leichtnamm, chef de travaux, et leurs collègues. Nos amis à qui nous parlions : des enseignants, des personnels de l'Education nationale, des formateurs, des professionnels... Trois heures de démonstration conférence : cela a été filmé, et tout sera en ligne. 

Après un agréable déjeuner, arrivée à ISIS, l'institut des sciences et ingénierie supramoléculaire de Strasbourg, ce bâtiment de chimie à la gloire de mon ami Jean Marie Lehn, prix Nobel de chimie. Là, pour les 50 ans du laboratoire, une conférence de deux jours, avec des orateurs prestigieux : Roal Hofmann (prix Nobel de chimie), Fraser Stoddart (je ne sais pas combien de dizaines de prix scientifiques internationaux), Jean-Pierre Changeux (des prix scientifiques par dizaines, voire centaines), et ainsi de suite. Jean-Marie m'avait invité à faire la conférence de fin du premier jour, et mon ami Pierre Gagnaire avait accepté de la faire avec moi. 

Un double bonheur, donc... et nous avons fait de notre mieux. Là encore, la conférence sera en ligne. Une conférence scientifique, différente de la première, qui était plutôt une discussion autour de la cuisine, alors que la conférence de l'après midi était une causerie centrée sur la gastronomie moléculaire, même si la cuisine note à note a été évoquée. Dans les deux cas, mon ami Pierre Gagnaire a été remarquable : nous n'aurons pas souvent un tel génie de la cuisine. Quant à Jean Marie Lehn, ses mots à mon égard ont été très excessifs... mais quel bonheur, quand une personne que l'on estime au plus haut point semble considérer que vos travaux ne sont pas rien. 

Bref, pardonnez-moi cette joie naïve, mais j'invite mes amis à se réjouir avec moi, parce que c'est de l'énergie pour continuer à oeuvrer, toujours plus efficacement, et pour le bien de tous. Vive l'Etude, vive la Connaissance produite et partagée !

jeudi 22 février 2024

En sortant du 7e International Workshop on Molecular Gastronomy

 
Lors du septième IWMG N.Kurti , le septième colloque international de gastronomie moléculaire, des participants de 15 pays sont venus à AgroParisTech pour ce colloque organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-INRA. 

Pendant 3 jours, ils ont considéré le développement international de la gastronomie moléculaire avec ses composantes de recherche scientifique et d’enseignement universitaire, en se focalisant sur des questions de traitement thermique des tissus végétaux, autrement dit la cuisson des légumes. 

Chacune des quatre sessions quotidiennes était centrée sur un point particulier susceptible d'être analysé tel que le gonflement des granules d'amidon dans les végétaux ou la déshydratation intra-moléculaire des "hexoses", ces sucres dont la cuisson conduit souvent à l’apparition d’un goût de cuit, ou encore les questions de changement de couleur... Pour chaque session, un président de session était invité à présenter un bref état de l’art et à animer une discussion qui devait conduire à poser des questions scientifiques qui seraient étudiées ultérieurement. 

C’est bien ce qui s’est passé et les participants sont repartis avec une série de questions qu’ils peuvent maintenant explorer dans le silence de leur laboratoire. Lors des discussions plus statutaires, on a répété la différence entre gastronomie moléculaire, cuisine moléculaire ou même cuisine note à note, et l’on a eu l'occasion de voir que la situation évolue dans de nombreux pays : la gastronomie moléculaire, recherche scientifique commence à mieux se distinguer de la cuisine moléculaire, qui est une forme de cuisine que l’on fait avec des ustensiles nouveaux. 

Tant que nous y étions à discuter de terminologie, le terme "scientifique" a été considéré aussi, car, surtout ailleurs qu’en France, les distinctions sont moins claires. Qui est scientifique ? Ceux qui ne font que de la recherche scientifique dans un laboratoire ? Ceux qui cherchent à appliquer les connaissances ainsi produites ? Et des enseignants qui enseignent la gastronomie moléculaire à l’université : sont-ils des scientifiques ? Et la gastronomie moléculaire peut-elle être le titre de leur enseignement ? On aura intérêt à ne pas oublier que, dans les collèges et les lycées, il y a des cours de physique ou de chimie : il peut donc y avoir des cours de gastronomie moléculaire où l’on enseigne les résultats, peu importe les qualifications des élèves. Autrement dit, il n’y a pas lieu d’être exagérément strict, et même s’il est important de reconnaître que la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique qui se pratique donc par des scientifiques dans les laboratoires, il faut admettre qu’elle sorte des laboratoires pour aller contribuer à des enseignements variés. 

On notera d’ailleurs avec intérêt le fait que l’Université de Dublin organise maintenant des thèses en Culinary Arts où, d’ailleurs, la gastronomie moléculaire aura toute sa place. Bref, il n’y a pas lieu de refuser la présence d’amis à notre table, et si nous devons garder une idée claire de ce qu’est la recherche scientifique, avec le mot "scientifique" pris dans l’acception de "sciences de la nature", on doit considérer la possibilité d’utilisation de la discipline dans des environnements variés, pédagogiques ou technologiques. 

Finalement, le colloque s’est achevé sur une série de décisions dont voici quelques unes : tout d’abord, nous avons de nous retrouver à nouveau en mai 2017 pour un nouveau colloque. Entre temps, certains participants auront produit un livre qui rassemblera des initiatives relatives à l’enseignement. Le partage des expériences sera au bénéfice de tous. Surtout chacun d’entre nous aura commencé à soumettre des articles scientifiques au journal de gastronomie moléculaire (International Journal of Molecular Gastronomy), un journal en ligne, gratuit pour les auteurs et les lecteurs, mais sans céder un pouce sur la rigueur du procédé d’évaluation. En revanche, le comité éditorial fera un premier passage pour améliorer les manuscrits, qui seront envoyés de façon complètement anonyme aux rapporteurs. Pour ces textes, on insistera sur la partie des "Matériels et méthodes", souvent sacrifiés aujourd’hui par manque de place dans les journaux scientifiques, et l'on adoptera une position nouvelle par rapport aux discussions des résultats : les discussions feront l’objet d’une partie séparée des résultats avec la possibilité pour les rapporteurs de présenter leur propre interprétation, ce qui évitera des discussions classiques qui n’ont pas lieu d’être dans les revues organisées autrement. Le fait que ce journal soit en ligne permet beaucoup plus de flexibilité et conduira immanquablement à une amélioration des processus de publication et d’évaluation par les pairs, ce qui est la condition de la publication de résultats de grande qualité. Il y a eu bien d’autres décisions prises lors de la séance de conclusion de notre colloque, mais je les réserve pour une autre fois.

mercredi 21 février 2024

Quelle température dans les aliments ?

Il y a des données techniques éclairantes, mais mal connues. Pourquoi ne pas les partager ? Leur prise en compte conduit à la fois à des techniques rénovées et à des changements utiles de mentalité. 

Examinons donc la question : quelle est la température dans les aliments ? 

 

Sans soutien théorique, on serait tenté de faire des expériences... bien inutiles ! De même que l'on aura raison de penser que "les calculs nous sauvent toujours", on sera avisé de croire que l'analyse théorique s'impose absolument avant toute expérimentation, même si l'on veut seulement être réfuté par l'expérience, dans un sain mouvement scientifique. 

Pour répondre à la question posée, il faut une donnée de base : tant que de l'eau est liquide à la pression atmosphérique, sa température est inférieure à 100 degrés. 

Et c'est ainsi que si l'on met une boule de pâte à pain dans un four à 250 degrés, certes la surface de la boule est rapidement portée à cette même température de 250 degrés, mais puisque l'intérieur contient de l'eau liquide, la température de l'intérieur est inférieure à 100 degrés. Après un moment, une croûte se forme : à l'extérieur de la croûte, la température est de 250 degrés, mais au niveau exact de l'intérieur de la croûte, la température n'est que de 100 degrés. Et cette croûte on n'a que quelques millimètres d'épaisseur après plusieurs dizaines de minutes. 

En effet, l'évaporation de l'eau (de la croûte) consomme beaucoup d'énergie, de sorte que cette évaporation consomme de l'eau liquide, mais maintient la température à 100 degrés. L'analyse vaut pour l'augmentation de température dans une casserole : quand on commence à chauffer, l'énergie donnée par la source de chaleur passe à la casserole, qui la transmet en partie à l'eau : la température de l'eau augmente, en même temps que l'eau commence à s'évaporer davantage.
Puis vient un moment où la température atteint 100 °C, et alors l'eau bout ; toutefois l'évaporation de l'eau consomme tant d'énergie que le flux ne suffit pas à augmenter la température de l'eau, qui reste à 100 °C tant qu'il y a de l'eau liquide. 

 

Pour en revenir à la boule de pâte à pain, il faut se représenter qu'au début de la cuisson, la température est partout égale à la température ambiante, c'est-à-dire en pratique environ 20 degrés. Quand on enfourne la boule de pâte, la température à la surface augmente progressivement et il est vrai que de la chaleur s'introduit progressivement dans la boule de pâte. Mais, pendant un long moment, la température à coeur ne change pas et reste égale à 20 degrés. Quand la température atteint les 250 degrés à la surface et que la croûte se forme, il y a donc à partir de la surface de 250° pour la surface extérieure, 100° pour la surface intérieure de la croûte et une température qui diminue jusque non pas exactement 20° mais guère plus, et c'est ainsi que après des dizaines de minutes, la température à coeur augmente péniblement de 20 à 30, 40, 50, 60 et 70° et guère plus. 

Je n'ai pas mesuré la température à coeur d'une boule de pâte à pain, mais je l'ai fait pour des soufflés d'une dizaine de centimètres de diamètre. Pour ces derniers la température à cœur atteignait à peine 65° après 45 minutes de cuisson, ce qui correspond à un intérieur très moelleux, quasi liquide, un peu comme une omelette.

mardi 20 février 2024

Impressions à propos du Troisième Concours international de cuisine note à note


Le 8 juin 2015, s’est tenu à AgroParisTech la finale du Troisième Concours international de cuisine note à note, organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra. 

Une petite centaine de concurrents s'étaient inscrits au concours et 25 ont envoyé des recettes qui faisaient usage, conformément au règlement, de protéines (végétales ou laitières), de polyphénols et d’octénol en solution dans l’huile. Ces ingrédients avaient été fournis par les organisateurs aux concurrents qui avaient évidemment le droit d'utiliser bien d'autres produits. Les critères d’évaluation étaient bien sûr la conformité aux règles techniques, c'est-à-dire l'emploi des produits envoyés, et aussi l'intelligence des travaux proposés, intelligence technique, intelligence artistique, intelligence sociale, et encore : originalité, créativité... 

Certains concurrents ont fourni des travaux absolument extraordinaires, et le jury a eu le plus grand mal à les départager. Le jury ? Il y avait des chefs, à savoir Thierry Méchinaud, chef du Balzac, le vaisseau amiral de Pierre Gagnaire, et Nicolas Fontaine, chef du Gaya de Pierre Gagnaire. Puis il y avait les représentants des partenaires, ces sociétés qui ont fourni des ingrédients aux concurrents, à savoir la société Ingredia, qui avait fourni des protéines laitières sériques (des protéines coagulantes), la société Louis François qui a remis des lots aux gagnants, le Groupe d’étude et de promotion des protéines végétales (GEPV), qui a fourni des protéines de pois texturé, les éditions Belin qui ont remis des lots aux gagnants, et une société qui n’a pas voulu apparaître, mais qui a fourni l’octénol et a remis d’extraordinaires cadeaux aux gagnants. Enfin le jury comprenait les trois organisateurs : Odile Renaudin du site Enfance et nutrition, Yolanda Rigault et Hervé This. Une présélection avait été faite, et l’on avait retenu dix préparations, qui ont fait l’objet d’une exposition publique pendant cet après midi de finale. 

Certains concurrents étaient venus de loin : par exemple Tara Elliott représentait le groupe qui avait travaillé au Dublin Institute of Technology, en Irlande. Pour l’évaluation, chaque membre du jury est invité, séparément, à noter les divers candidats, et c’est la somme des notes qui a désigné le gagnant, à savoir Dao Nguyen, et son mari Pasquale, de Genève ; puis Olivier Herr et Elham Tehrani, et, enfin, Frédéric Clarembeau, de Belgique. Cette finale à été l’occasion de voir que, progressivement, les cuisiniers se familiarisent avec la cuisine note à note, au point de fournir des recettes élaborées, qui peuvent maintenant être diffusées très largement, ce qui constitue une base utile pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans cette nouvelle forme de cuisine. Selon les commentaires de Thierry Méchinaud, ces ingrédients doivent être appris, c’est-à-dire qu’il faut les tester comme on testerait d’autres ingrédients plus classiques, afin de déterminer la bonne façon de les mettre en oeuvre. 

La finale à été l’occasion de montrer repas effectué par Pierre Ganaire lors de la visite de journalistes du New York Times, à partir de composés isolés tels le 1-cis-hexèn-3-ol, le gaïacol ou la piperine. Pierre Gagnaire a produit des plats en utilisant des ingrédients de toutes provenances. Les goûts étaient d’inouïe nouveauté, et, surtout, les plats préparés n'auraient pu exister sans les composés qui en ont constitué l'épine dorsale. Décidément, cette troisième édition du Concours international de cuisine note à note aura été un moment très important dans le développement de la cuisine, tant il est vrai qu'une nouvelle forme de cuisine apparaît maintenant, et s'établit plus fermement, jour après jour. 

Récepteurs et métabolisme

 
Ce matin, au cours d'une conférence, alors que j'évoquais la découverte récente de récepteurs des ions calcium dans la bouche, un des auditeurs m'a demandé si ces récepteurs étaient chez tous les individus ; il pensait à une distribution géographique, avec certaines populations qui auraient eu le récepteur du calcium, et d'autres qui ne l'auraient pas eues. 

La découverte des récepteurs gustatifs du calcium est si récente que l'on ne sait pas répondre à sa question pour l'instant, mais on peut raisonnablement supposer que ces récepteurs sont chez tous les êtres humains, car nous avons tous besoin de calcium pour construire nos os ; cela est une caractéristique constitutive de l'être humain, quelle que soit son origine génétique, géographique, culturelle, etc. 

Il en va différemment du métabolisme du lactose, par exemple. Le lactose est un sucre (pas le sucre habituel, qui, lui, est le saccharose) présent dans le lait et que les adultes humains ne métabolisaient plus (on verra plus loin pourquoi je mets la chose au passé). C'est un sucre, ce qui signifie qu'il contient beaucoup d'énergie sous forme chimique, potentiellement utilisable par l'organisme. Toutefois, il y a plus de 6000 ans, les adultes humains ne métabolisaient généralement pas le calcium, et c'est sans doute la raison pour laquelle notre espèce en est venue à consommer des produits laitiers fermentés, notamment par les bactéries lactiques qui, partant du lactose, produisent de l'acide lactique, lequel a l'avantage supplémentaire d'acidifier les milieux et de prévenir sa contamination par des micro-organismes qui ne supportent pas l'acidité. Il y a très longtemps, l'être humain n'avait pas de besoin biologique de métaboliser le lactose après l'adolescence, et c'est le développement de l'agriculture et de l'élevage qui ont conduit à la disponibilité de lait.
On a découvert, il y a peu, que, sans doute au nord de l'Europe, une mutation génétique est apparue dans l'espèce humaine, donnant aux individus qui avaient cette mutation la possibilité de métaboliser le lactose. Etre capable de métaboliser aussi bien le lactose que l'acide lactique est un avantage biologique, et le gène du métabolisme du lactose s'est rapidement répandu en Europe. On voit que c'est là une capacité nouvelle, qui n'est pas constitutive de l'être humain, qui pourrait vivre sans métaboliser le lactose à l'âge adulte. 

Ces deux exemples ne sont que des exemples, mais je trouve qu'ils montrent bien comment la biologie de l'évolution permet de mieux comprendre les caractéristiques « alimentaires » de l'espèce humaine. Je sais qu'il faut éviter d'utiliser la biologie de l'évolution pour justifier des faits, mais j'espère ne pas avoir été trop téléologique dans ma description. 

La téléologie ? C'était la faute de Pangloss, ce philosophe mis en scène par Voltaire dans sa nouvelle intitulée Candide et qui proposait que Dieu nous ait équipé d'un nez pour que nous puissions porter des lunettes. C'est évidemment une naïveté terrible, mais je l'évoque, car une certaine vulgarisation de la biologie de l'évolution conduit à des discours analogues. 

Terminons plus positivement en reconnaissant que les études scientifiques, qu'elles soient de physiologie sensorielle ou de sciences nutritionnelles, conduisent à plus d'intelligence, et apprenons seulement à ne pas confondre la vulgarisation avec la science.

lundi 19 février 2024

Température de cuisson des financiers et des gâteaux

Une question : 

Lors d'un de mes cours en pâtisserie nous devions réaliser des financiers et autres cakes lorsqu'un de mes apprentis me posa une "colle" : quelle est la température à laquelle le cake est il cuit ? Je lui demandais pourquoi il cherchait une température précise, il me répondit que c'était pour limiter l'évaporation de l'eau et donc d'optimiser le moelleux. D'où mes questions : quelle est la température idéale pour la cuisson à coeur d'un cake, peut on cuire un cake façon "basse température" ? Est il préférable de cuire un cake : 40 minutes à 175 ° ou à 140 pendant 1 heures par exemple ? Après cuisson quel est l'attitude la mieux adaptée: mettre le cake sur grille (sorte de ressuage) mais perte d'eau, ou mettre directement les cake en cellule de refroidissement afin de limiter l'évaporation ?

 

 Je propose la réponse suivante : 

 

Un cake, c'est : 

- de l'oeuf 

- de la farine 

- du beurre 

- du sucre. 

Le sucre, tout d'abord, reste stable environ jusqu'à 140 degrés, après quoi il caramélise. 

Le beurre, ensuite, finit de fondre vers 55 degrés, et, ensuite, ses protéines peuvent se dégrader, quand la température augmente considérablement (pensons au beurre noisette). 

La farine est faite de grains d'amidon, qui évoluent quand ils sont chauffés en présence d'eau. D'abord, de l'eau est absorbée entre les espaces amorphes des grains, ce qui conduit à un gonflement. Puis l'eau entre dans les zones où l'amylopectine est concentrée. Les molécules d'amylose passent alors en solution ; la fraction cristalline diminue jusqu'à ce que les grains perdent leur biréfringence en lumière polarisée. Enfin les molécules d'amylose sont relâchées dans l'eau environnante. Au total, selon la nature des amidons, la température de gélatinisation est comprise entre 55 et 85 degrés, ce qui signifie, en pratique, que la température de 85 degrés est la température maximale à considérer, du point de vue qui nous intéresse. 

Pour l'oeuf, enfin, il y a des températures de coagulation différentes, entre 61 et 100 degrés : plus la température est élevée, plus la coagulation est "ferme" (parce que le nombre de protéines qui ont coagulé est alors maximum). 

De ce fait, on pourrait considérer qu'une température de 85 degrés serait parfaite pour conserver du moelleux... mais la petite croûte de surface ? Et puis, si l'on veut limiter l'évaporation de l'eau, pourquoi ne pas ajouter de l'eau avant la cuisson, pour que l'évaporation en laisse autant que l'on veut ? En tout cas, il faut effectivement considérer les temps : dans ce qui précède, j'ai considéré que les températures indiquées étaient les températures à coeur... et l'on pourrait imaginer de cuire plusieurs heures à 85 degrés (par exemple), avec un coup de chalumeau (pas de flamme qui dépose des benzopyrènes cancérogènes : privilégiez un pistolet décape peinture) pour faire la croûte brune (quelques réactions de Maillard, mais surtout de la pyrolyse et de la caramélisation, sans compter les diverses oxydations, déshydratation intramoléculaires, hydrolyses...) et croustillante.

A propos de cuisine note à note : je ne suis pas nutritionniste ni toxicologue... mais il y a des faits simples !


Ce matin, je reçois le message suivant : 

"Quelques question qui me travaillent depuis votre présentation "note à note", il y a deux semaines". 

Suivent les questions, auxquelles je propose de répondre ici : 

"Si tout peut être fait à partir de poudres, la notion d'aliment "frais" n'apporte rien de plus à l'humain ?" 

Le frais est quelque chose de bien difficile... et nous avons même eu une thèse sur ce sujet au laboratoire. Il y a le pain frais, par exemple, et c'est un fait qu'une baguette qui sort du four n'a rien de comparable avec la même baguette qui a attendu. Dans ce cas, on comprend parfaitement le mécanisme. Pour le poisson, le frais... se sent immédiatement, surtout pour la raie ! 

Pour les viandes, c'est bien compliqué, parce que la tendreté de la viande évolue avec la temps qui s'est écoulé depuis que l'animal a été abattu. Une viande d'un animal jeune est tendre, juste après l'abattage. Puis la viande durcit (c'est la "rigidité cadavérique", ou rigor mortis), parce que les muscles qui ne reçoivent plus d'impulsions électriques cohérentes du cerveau se contractent et accumulent de l'acide lactique, ce qui fait comme des crampes. Puis, progressivement, l'acidité de l'intérieur des fibres musculaires vient dissocier des agrégats de protéines, et c'est l'attendrissage que savent bien orchestrer les bons bouchers : on dit que la viande rassit... et elle coûte alors plus cher, bien sûr, parce qu'il faut stocker la viande, ce qui immobilise des fonds. 

Pour les légumes et fruits, enfin, on ne dira jamais assez combien il y a des qualités différentes en fonction de la fraîcheur : les premiers haricots sont merveilleux, mais la troisième repousse est plus coriace ; et des légumes sortis du jardin sont bien différents des mêmes légumes qui auraient attendu sur un étal, fut-il d'épicerie bio. Qu'apportent ces légumes et fruits ? De l'eau, des fibres, des sucres (carottes ou oignons apportent principalement glucose, fructose, saccharose, mais les pommes de terre apportent aussi de l'amidon), des acides aminés et des protéines, des polyphénols (pas tous bons), des vitamines, et de nombreux autres composés. Par exemple, des poireaux apportent des composés bêta bloquants, ou encore l'estragon et le basilic sont des sources de ce composé qui fait leur goût et qui a pour nom "estragole", composé cancérogène et tératogène. Le frais aurait-il quelque chose de plus que le moins frais n'aurait pas ? Très honnêtement, je ne sais pas... mais je sais que les légumes et fruits, frais ou non, ne sont plus frais quand ils sont cuits, ou coupés. Par exemple, on sait qu'une pomme brunit quand elle est coupée (parce que la lame du couteau libère alors des polyphénols et des enzymes). Mais on sait aussi qu'un fruit chauffé fortement fait une compote, parce que les pectines qui font le ciment entre les cellules sont dégradées par la chaleur. Les vitamines ? On a dit que la vitamine C, par exemple, était dégradée par la cuisson, mais elle l'est en réalité bien peu, avec la cuisson d'une compote. Le carotène bêta, qui contribue fortement à la couleur orange des carottes et qui est la "provitamine A" (elle est transformée en vitamine A), est davantage assimilable à partir de la purée de carottes qu'à partir d'une salade de carottes. 

La question est donc bien difficile... car nous sommes bien ignorants, encore, de la nutrition, mais, inversement : (1) pour des effets petits (pas encore découverts, car petits), il y a mille faits avérés... dont nous ne tenons pas compte : par exemple, on sait que le tabac, l'alcool, le fumage, le barbecue, et ainsi de suite sont mauvais pour la santé... et cela n'empêche personnes de se laisser aller (2) derrière la question du frais, il y a souvent (je n'ai pas dit que c'était le cas de ma correspondante) du "vitalisme", la croyance que le vivant n'est pas réductible aux lois physico-chimiques ; il y aurait une force vitale qui s'ajouterait à la physico-chimie. Là, aucune discussion possible, parce que le vitalisme de relève de la foi... mais je ferais observer que le vitalisme ne cesse de perdre du terrain, depuis que les chimistes travaillent. Au 18e siècle, il y eut la synthèse de l'urée, molécule organique, du domaine vivant donc, à partir d'une matière minérale. Puis il y eut la chimie de synthèse, qui sait reproduire à peu près n'importe quelle molécule de l'organisme. Puis il y eut la découverte de l'ADN, et l'on sait aujourd'hui faire des molécules d'ADN qui se multiplient toutes seules. Plus récemment, il y eut la construction de "vésicules", de petits sacs moléculaires analogues à des cellules vivantes, et, mieux encore, la construction de vésicules capables de se diviser, comme des cellules vivantes. Il y eut la synthèse de virus, entièrement artificiels, mais en tous points semblables à des virus classiques (la grippe...). On attend pour (j'espère) bientôt la construction d'une cellule vivante, avec un ADN synthétique, dans une vésicule synthétique, des enzymes synthétiques... 

 

"Existe-t-il une liste de nutriments journaliers de référence qui apporterait tout ce dont l'humain a besoin pour vivre ? " 

Je ne sais pas, mais puisque la cuisine note à note est l'objet de la discussion, je vais reprendre les choses différemment. Une précision, pour commencer : les composés de la cuisine note à note ne sont pas nécessairement des "poudres" ; il peut y avoir des liquides... car l'huile, par exemple, est un mélange de triglycérides ; l'eau est un composé, également, liquide aussi, et indispensable pour la cuisine note à note ; et ainsi de suite. D'où viendront ces composés ? Et pourquoi pas des végétaux ? Après tout, l'huile vient des végétaux, comme l'amidon, ou encore les pectines (même celles qui sont vendues en sachets), ou encore le sucre, qui provient des betteraves. Imaginons que nous cultivions des plantes, et que nous divisions ces dernières, récupérant l'eau, les sucres, les protéines et les acides aminés, les polyphénols, les vitamines... sans rien jeter au cours du "fractionnement" : tous les composés des plantes seront conservés, de sorte que si l'espèce humaine se nourrit depuis toujours avec des plantes, il n'y a pas de raison pour laquelle elle ne pourrait pas se nourrir... avec les plantes, sous une forme de composés isolés. 

Evidemment (on voit que je réponds honnêtement), on pourrait synthétiser des composés des plantes : par exemple, il est bien moins coûteux de produire de la vanilline (principal composé de l'odeur de vanille) à partir de pâte à papier que d'en faire un extrait à partir de gousses de vanille, mais la molécule est la même, synthétisée ou extraite... et puis, la vanilline n'est pas utile pour vivre, sauf à considérer que le bonheur du goût est essentiel à la survie (et je suis de ceux qui pensent que le bonheur du goût est effectivement essentiel). 

 

"On parle beaucoup de la nécessité de se créer une flore intestinale "vitale" pour notre immunité. Si toute cette alimentation est composée d'aliments connus, comment former cette flore . " 

Une alimentation composée d'aliments connus ? Je ne suis pas certain de bien comprendre la question, alors je réponds comme je peux. Oui, nous en sommes à un moment très merveilleux de la science de la nutrition, qui découvre l'importante de la flore intestinale. On découvre notamment que cette flore s'établit dès la naissance, et qu'il y a des associations remarquables entre la flore et l'organisme. On découvre aussi que si l'on mange des algues, lesquelles contiennent des sucres non assimilables, alors en une semaine, les micro-organismes qui vivent sur les algues et qui, eux, savent "manger" les sucres, transfèrent leurs gènes à notre flore, laquelle devient capable d'assimiler les sucres des algues. Et ainsi de suite. Surtout, "aliments connus" ou composés, nous sommes entourés de micro-organismes, et ils viendront tout aussi bien nous coloniser (ou ne pas nous coloniser, car il a été montré que notre flore indigène résiste assez bien aux "envahisseurs", ce qui, d'ailleurs, sape un peu la possibilité de modifier durablement notre flore. Cela dit, mon interlocutrice m'entraîne sur un terrain qui est la nutrition, qui est passionnant, mais dont je ne suis pas spécialiste. J'appelle donc mes collègues nutritionnistes à explorer ces nouvelles questions... en rappelant à tous que nos comportements alimentaires, cuisine note à note ou cuisine traditionnelle, sont parfaitement incohérents : je rappelle le tabac, l'alcool, le barbecue, et tout le reste : thé, café, chocolat, huile d'olive ou non, herbes aromatiques. Deux cerises sur le gâteau pour terminer : - hier, j'ai rencontré des amis de la nature qui mangeaient les baies de l'if (sans croquer la graine toxique, certe) : qu'avons-nous besoin d'avoir des comportements à risque ? - et la mode est aux pommes de terre que l'on ne pèle plus (oui, c'est du travail en moins)... mais qui, jeunes ou vertes, bio ou pas, contiennent des glycoalcaloïdes toxiques, qui résistent à la cuisson : je m'étonne que l'on procède ainsi quand, au même moment, on me dit que l'on veut "manger sainement".