Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 13 janvier 2024
Mon invention des "chaptals"
Titre :
Les Chaptals
Chapeau :
Vive la chimie !
Texte :
Continuons ce mois-ci l’entreprise entamée l’été dernier, et qui consiste à donner des noms de chimistes célèbres à des mets. Cette fois, ce sera le nom de Chaptal, qui sera donné, parce qu’il est question d’ajouter du sucre à une préparation.
Je vous rappelle les chimistes qui ont été précédemment honorés :
● Le nom de Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) a été donné aux préparations qui mettent en œuvre un contraste simultané des goûts.
● Le nom de Michael Faraday (1791-1865) a été donné aux mets de formule ((G+H+S1)/E)/S2.
● Le nom de Joseph-Louis Gay-Lussac (1778-1850) a été donné aux veloutés mousseux.
● Le nom de Claude Joseph Geoffroy () s’applique désormais aux émulsions que l’on obtient en fouettant de l’huile dans un blanc d’œuf.
● Le nom de Josiah Willard Gibbs (1839-1903) a été donné aux émulsions gélifiées chimiquement, ce que j’avais préalablement nommé des « doubles dispersions ».
● Le nom d’Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) a été donné aux royales de l’extrême, telle celle qui figurait dans le menu que nous avions préparé en l’an 2000.
● Le nom de Justus von Liebig (1803-1873) a été donné aux émulsions gélifiées physiquement.
● Le nom de Louis-Camille Maillard (1878-1936) a été donné aux demi glaces de légumes.
● Le nom de Dmitri Mendeleiev (1834-1907) a été donné aux infusions généralisées, dans l’huile, dans l’alcool, à froid, à chaud…
● Le nom de Parmentier (1737-1813) a été donné aux pains obtenus à partir d’une farine sans gluten, à laquelle on ajoute du gluten extrait d’une farine de blé.
● Le nom de Louis Pasteur (1822-1895) a été donné aux plats où, par l’exercice d’une cuisine note à note, de l’acide tartrique est employé.
● Le nom de Eugène Melchior Péligot (1811-1890) a été donné aux caramels de glucose, de fructose…
● Le nom de Charles Gabriel Pravaz (1791-1853) a été donné aux mets qui font usage des intrasauces.
● Le nom de Friedrich Wöhler (1800-1882) a été donné aux sauces où, encore en vertu de l’exercice d’une cuisine note à note, des polyphénols sont présents.
● Le nom de Charles Adolphe Würtz (1817-1884), enfin, a été donné aux mousses gélifiées.
Intertitre :
Et maintenant, le Chaptal
Les descriptions de ces diverses préparations sont détaillées dans les pages de ce site. Il ne manque que la description du Chaptal. L’idée est d’utiliser le fait que l’on puisse faire un mètre cube de blanc en neige avec un seul blanc d’œuf. Dit ainsi, l’idée est fausse, bien sûr, parce que si l’on considère qu’une seule bulle fait déjà un blanc en neige, le calcul montre qu’un blanc d’œuf permet de faire un volume de plus de 1000 mètres cubes ! Plus exactement, c’est avec des bulles de la taille d’un blanc en neige classique que l’on peut obtenir un mètre cube de blanc en neige à partir d’un blanc d’œuf. Il suffit de se poser la question : pourquoi le blanc en neige classique ne monte-t-il pas plus qu’un tiers de litre ? Et la réponse est : parce qu’il manque d’eau, pour accueillir les bulles d’air.
D’où l’idée qui consiste à ajouter de l’eau. Naturellement, cette eau peut avoir du goût : ce peut être du jus de pomme verte, du café, du jus de citron, du bouillon…
Pour stabiliser la mousse obtenue, il faut fouetter vigoureusement, afin que les bulles soient plus petites : elles « tiendront » mieux l’eau, par des forces de surface analogues à celles qui font le « ménisque » (voir la photographie) au bord d’un verre, la surface du verre tirant l’eau vers le haut.
Une autre possibilité, pour stabiliser les Chaptals, consiste à ajouter du sucre : on obtient un appareil à meringue cru, que l’on peut servir dans un dessert, par exemple.
Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) ne mérite-t-il pas tous tes soins artistiques ?
vendredi 12 janvier 2024
Mon invention des "cryptands"
Les cryptands
Mon cher Pierre,
Tu te doutes bien que le nom que je donne à cette invention du mois a quelque rapport avec la chimie… et tu as bien raison : c'est notre ami commun Jean-Marie Lehn qui a introduit les cryptands en chimie, à savoir des molécules analogues à des cages… comme le sont les bonbons de chocolat, où une enveloppe un peu dure renferme un coeur tendre, souvent fait de « ganache ».
La ganache ? On part de crème bouillie que l'on ajoute à du chocolat fondu, et la cuiller ou la spatule tournent autour de la crème afin d'incorporer les deux matières. Ce que les pâtissiers et les chocolatiers ne savent pas toujours, c'est que le geste d'incorporation s'apparent tout à fait à l'ajout d'huile, en fouettant, dans une mayonnaise en cours de constitution. Dans la mayonnaise, qui est une « émulsion », l'huile est divisée en gouttelettes qui sont dispersées par le fouet dans l'eau initialement apportée par le vinaigre et le jaune d'oeuf (un jaune d'oeuf, c'est pour moitié de l'eau). De même, dans la ganache, il y a la crème, qui est déjà une émulsion, et le chocolat fondu, qui est fait de moitié sucre et moitié matière grasse. Evidemment, cette émulsion qu'est la ganache encore chaude évoluera en refroidissant, une partie du chocolat (la matière grasse) émulsionné cristallisant, ce qui conduira à une « suspension » de cristaux de matière grasse dans l'eau où le sucre se sera dissous, formant un sirop.
Généralisons
L'invention du mois ? Il s'agit de généraliser les bonbons de chocolat, en conservant leur vertu principale, à savoir qu'il y a cette mince coque rigide et cet intérieur tendre.
La coque, tout d'abord : on pourrait jouer avec du beurre dont on réglerait la consistance en refroidissant, mais c'est du tintouin. Pourquoi ne pas utiliser du beurre de cacao, par exemple, puisqu'il n'a pas de goût. En l'infusant avec une matière odorante (du thym, de l'ail, du café…), on obtient une graisse qui a du goût, et que l'on peut alors fondre pour enduire les puits d'un moule à bonbons de chocolat : on remplit le moule de graisse fondue, puis on le retourne afin de faire égoutter la graisse en excès et de ne conserver qu'une mince couche, qui durcira au réfrigérateur.
Pour généraliser la ganache, c'est également tout simple, puisqu'il s'agit de faire une émulsion qui évoluera en suspension. Partons d'un liquide qui a du goût, en salé ou en sucré : par exemple un bouillon, un thé, un café, un jus de fruit, un jus de légume, un fumet, un fond… Puis ajoutons lentement du beurre de cacao fondu en fouettant : nous obtenons une émulsion que, quand elle a un peu refroidi, nous coulons dans les puits enduits du moule sorti du réfrigérateur. Nous remettons au froid pour durcir l'ensemble, puis nous coulons de la matière grasse fondue par dessus l'ensemble, afin de fermer les…
Les bonbons ?
Le terme « bonbon » convient bien pour du chocolat, puisque ce dernier contient du sucre, mais on voit mal utiliser ce mot pour désigner des objets qui auraient un goût de sole (on serait parti d'un fond de poisson) ou de viande (en partant d'une demi glace de volaille, par exemple).
C'est pour cette raison que je propose plutôt d'utiliser le mot « cryptand » : on aurait des cryptands de sole, de volaille, d'épinards, d'asperges, d'orange, de thé, de café…
En pratique
En pratique, commencer par fondre du beurre de cacao, puis immerger une matière qui peut lui céder du goût : café, aromate, fleurs (comestibles!)… Cette matière fera la coque des cryptands.
Puis, dans une casserole, mettre un liquide qui a du goût, chauffer doucement ce dernier, et ajouter lentement du beurre de cacao fondu, ou bien du beurre clarifié fondu, voire un bon beurre noisette fondu et refroidi. On obtient une émulsion, qui, en refroidissant, fera l'homologue de la ganache.
Evidemment, je n'ai pas à m'immiscer dans le processus artistique, mais je ne peux m'empêcher de penser que des cryptands de beurre, ail et citron seraient de merveilleux objets sur des filets de poisson ou en accompagnement de bulots ou d'escargots. Qu'en penses-tu ?
jeudi 11 janvier 2024
Mon invention intitulée "la fraise plus que la fraise"
La fraise encore plus que la fraise !
Mon cher Pierre,
Nous savons tous que les fruits et les légumes n'ont leur goût que si le cuisinier magnifie ce dernier : le goût d'un mets se construit. Par exemple, pour sentir la pomme, il faudra ajouter du citron, du gingembre, du poivre, cuire, concentrer… Pour faire sentir les marrons, il faudra ajouter du fenouil. Pour faire sentir la courgette, il faudra sans doute de la menthe, que sais-je ?
Oui, j'ignore le détail de ces opérations des bons cuisiniers professionnels, même si je n'ignore pas que ces informations circulent de cuisine en cuisine, au gré des rencontres du compagnonnage, par exemple. Et je sais aussi combien les cuisiniers « concentrent » : l'un d'entre eux a même dit que la cuisine était l'art de « quintessencer ».
Qu'intessencer ? Il s'agit de produire la « quinte essence », le cinquième élément… par dérivation de cette opération des chimistes qui fut la production d'éthanol, l'alcool des « eaux-de-vie », un produit qui n'était ni la terre, ni l'air, ni l'eau, ni le feu. Le sens s'est élargi pour désigner des concentrations, lesquelles donnent plus de goût aux mets.
Or tu te souviens que je t'ai proposé de stocker de la poudre de café dans de l'huile, pour extraire le goût du café par macération. On peut aussi produire des infusions, ou des décoctions, ou distiller, ou extraire à la vapeur d'eau, ou même, comme je l'ai proposé dès 1980, utiliser des évaporateurs rotatifs pour récupérer, sans chauffer, les composés volatils les plus délicats. Ce serait merveilleux si les cuisiniers disposaient même d'extracteur au dioxyde de carbone supercritique, mais je crois que nous n'y sommes pas encore.
En attendant, revenons à notre fraise, dont nous voudrions qu'elle ait un puissant goût de fraise. Bien sûr, en choisissant bien les fraises, en s'assurant qu'elles ont eu assez de temps et de lumière pour mûrir, je ne doute pas que tu aies pu choisir des fruits avec beaucoup de goût, mais ne pourrions-nous pas, même pour ces dernière, en retirer le meilleur ? Un goût de fraise plus que celui de la fraise ?
C'est ce que je propose ici.
A cette fin, je te propose de bien nous souvenir que le goût des aliments est fondé sur la perception de leur « odeur rétronasale », leur saveur, leur action trigéminale, notamment.
L'odeur ? C'est cette odeur que l'on perçoit en mastiquant, quand les molécules odorantes libérées par la mastication dans l'air de la bouche remontent vers le nez par les fosses rétronasales. Ce que l'on comprend bien quand on se pince le nez et qu'on croque une graine de cardamome, le nez pincé : on ne sent rien, pas de « goût »… mais si on libère le nez, alors l'odeur -et le goût- de la cardamone se font sentir. Cette odeur rétronasale est due à des molécules que l'on dit « molécules odorantes », sans surprise.
Puis la saveur : c'est ce que l'on perçoit dans la bouche, avec des récepteurs des « papilles ». D'ailleurs, on dit « papilles gustatives », mais je propose de les nommer plutôt des « papilles sapictives », puisqu'elles détectent les saveurs. Dans l'expérience précédente, avec la cardamome, on perçoit très peu de saveur… parce que les graines de cardamone ne sont qu'huile essentielle et structure végétale insipide, mais d'autres produits sont très sapides : pensons au vinaigre, au sucre, au vin… ou aux fraises. Oui, dans les fraises, nous aimons le sucre et l'acide, notamment, mais aussi des sels minéraux et plein d'autres saveurs. Mais, bien sûr, ce sont les sucres et les acides qui dominent, comme dans beaucoup de fruits.
Les composés trigéminaux ? Ce sont les frais et les piquants. Il y en a dans de très nombreux végétaux, de la menthe à la girole en passant par l'ail, le piment… Et je ne crois pas anodin que les cuisiniers qui veulent « créer » le goût des produits sachent si bien marier un poivre avec un gingembre, une menthe avec un piment…
Bon, cette fois, nous y sommes. Ma proposition consiste à séparer odeur de fraise et saveur de fraise, mais en faisant odeur exacerbée de fraise, et saveur exacerbée de fraise.
Par exemple, si l'on secoue des fraises broyées avec de l'huile neutre, dans un bocal, on extrait dans l'huile les composés odorants des fraises. Cela revient en quelque sorte à faire ce que fait l'industrie des parfums, à qui l'on pourrait d'ailleurs acheter un extrait odorant de fraises. Ce cette huile, faisons un gibbs, en fouettant l'huile dans un peu de blanc d'oeuf, puis en cuisant quelques secondes au four à micro-ondes.
Pour la saveur, on récupère le jus, et on l'amende, avec acide citrique, acide ascorbique, acide malique, par exemple, mais aussi glucose, saccharose (sucre de table) et fructose… tous composés qui sont dans le jus de fraise, mais parfois en quantités insuffisantes. Et, avec la solution formée, on fait un gel.
On dispose alors du parfum de la fraise séparé de la saveur de la fraise. Juxtaposé, ils redonneront la fraise, en plus fraise que fraise, mais pourquoi ne pas les séparer dans l'assiette ? Là, je m'arrête, parce que c'est ton expertise unique !
Mon invention du beurre feuilleté
Beurre feuilleté
Le chocolat ? Oui, le chocolat... à condition de comprendre que le beurre de cacao n'a pas le même comportement de fusion que le beurre, parce que sa composition est différente. Analysons.
La différence entre le beurre et le chocolat, cela tient à deux aspects essentiels, à savoir la composition en composés odorants ou sapides, d'une part, et la composition en triglycérides, d'autre part.
D'abord, le beurre. Il est principalement fait de lipides (matière grasse), d'eau, d'un sucre nommé lactose, de protéines. Lors de la clarification d'un beurre, l'eau chargée de lactose et de certaines protéines tombe au fond de la casserole, tandis que surnage la matière grasse, et une écume faite de protéines, notamment.
Le chocolat ? Du beurre de cacao, du sucre, des matières végétales, avec de nombreux composés qui donnent du goût, formés lors de la fermentation ou de la torréfaction.
Cela étant, pour nos affaires de beurre feuilleté, la question essentielle est le comportement mécanique, qui découle principalement de la constitution en molécules de "triglycérides". Oui, les matières grasses sont faites de composés que l'on nomme de triglycérides, dont les molécules sont comme des peignes à trois dents. Selon la longueur des "dents", les triglycérides fondent à froid ou à chaud.
Pour le beurre, il y a des triglycérides d'innombrables sortes (des dizaines de millions), de sorte que le beurre commence à fondre vers -10 degrés, et finit de fondre vers 50 degrés. A la température de 20 degrés, il y a environ 70 pour cent de triglycérides fondus dans le beure, ce qui lui donne son comportement mou, tartinable.
En revanche, pour le chocolat, la fusion commence vers 30 degrés, et elle est achevée vers 40 degrés, ce qui explique que, à la température de 20 degrés, le chocolat soit dur.
Autrement dit, sans précautions particulières (notamment une pièce à une température précise), on ne pourra pas faire du "beurre de cacao feuilleté", ni même utiliser du beurre de cacao ou du chocolat pour faire une couche de feuilletage.
Comment faire, alors, pour produire ces deux résultats ? On peut tout d'abord observer que le chocolat, c'est du beurre et du chocolat, pour faire simple : pourquoi ne pas ajouter du sucre (glace) à du beurre (du vrai, pas du beurre de cacao) ou à de la margarine, avant d'y mettre de la poudre de cacao ? Autre solution simple : ajouter du beurre ou de l'huile, ou dela margarine à du chocolat fondu, pour en changer le comportement de fusion. Combien ? Tout dépend de la matière grasse ajoutée, mais la proportion sera entre 20 et 70 pour cent en masse. Cela n'empêchera pas qu'il faudra surveiller la température, mais les pâtissiers ont l'habitude.
mardi 9 janvier 2024
Tu lis trop vite
Tu lis trop vite : il y a dans cette déclaration une réminiscence d'une phrase de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, l'auteur de ce merveilleux livre intitulé Physiologie du goût qui éblouit les gourmands tous les pays depuis sa publication en 1825. Toutefois, avec le "Tu lis trop vite", je pense à des questions d'enseignement plutôt que de gourmandise, comme on le verra plus loin.
Mais d'abord considérons la phrase de Brillat-Savarin, qui apparaît à la fin de l'avant-propos de la Physiologie du goût : l'auteur se met en scène avec un de ses amis qui veut le convaincre de publier ce livre qui est en réalité déjà publié, première coquetterie littéraire d'un livre qui n'est presque que cela. L'auteur était en réalité non point un "physiologiste", non pas un "docteur", comme il se présente à ses lecteurs, mais un avocat un juriste, conseiller à la Cour de cassation, et le dialogue qu'il nous livre dans cet avant-propos est une deuxième coquetterie d'auteur : il dit à son ami qu'il ne peut pas publier un livre si différent des affaires sérieuses dont il s'occupe d'habitude. Son ami le menace : "Si tu ne publies pas ton livre, je dirais au monde ton plus gros défaut. Et quel est-il, demande l'autre tremblant ? Tu manges trop vite !
Oui, manger trop vite, c'est un des un des gros défauts des gourmands, qui manquent ainsi d'humanité parce qu'ils ne savent pas prendre le temps d'apprécier les bonnes choses, d'en parler, de transformer de la matière en culture. On passe vite de la gourmandise à la goinfrerie à ce compte-là !
Et nous arrivons maintenant à la question des études. Dans de nombreux billets, j'ai discuté le fait que, pour apprendre quelque chose, et pour savoir quelque chose, il faut l'apprendre sept fois (environ), et je crois avoir bien compris, en analysant les échecs de mes jeunes amis et de moi-même, que ces échecs sont dus à un temps insuffisant passé sur les notions que nous étudions. Quand nous lisons, quand nous lisons trop vide, donc, nous sautons un mot de temps en temps, de sorte que les notions que ces phrases transportent nous échappent et notre apprentissage se fait mal.
Oui, c'est un fait que nous lisons trop vite. Souvent des cours que nous voulons apprendre nous paraissent compliqués, parce que nous les lisons trop vite, parce que nous ne prenons pas le temps d'analyser correctement leur contenu.
Bien sûr il existe de mauvais documents d'enseignement, qui compliquent notre apprentissage. On voit nombre de documents d'enseignement recopiés les uns sur les autres, éventuellement avec des erreurs introduites par ceux qui ont recopié. On voit des documents d'enseignements que l'on a du mal à comprendre... parce que ceux qui les ont produit ne les comprenaient pas... J'ai vu cela de nombreuses fois, à propos de mécanique quantique, à propos de spectrométrie de résonance magnétique nucléaire, à propos de chimie organique... et l'on n'y peut rien car il y aura toujours une proportion d'enseignants qui ne seront pas au niveau où on voudrait les voir, tout comme il y a une proportion d'étudiants qui ne sont pas au niveau où les professeurs voudraient les voir. Mais qu'importe. Ce qui compte, c'est d'apprendre et pour apprendre, il faut aller lentement.
Laurent Schwartz, mathématicien qui a reçu la médaille Field (l'équivalent du prix Nobel pour les mathématiques), a bien raconté que, dans sa jeunesse, il était très lent à comprendre et à apprendre, et il a expliqué qu'il lui fallait en effet mettre les notions nouvelles au milieu des précédentes, comme on place une pièce dans un puzzle en constitution. En revanche, a-t-il dit, une fois que la notion était insérée et solidement assujettie aux autres, alors il était extrêmement rapide et extrêmement efficace.
C'est bien là la question : il s'agit de lire lentement, afin d'appréhender tous les mots, de voir leurs relations, de voir le sens qu'ils recouvrent, de comprendre le sens qu'ils recouvrent, et cela ne se fait pas rapidement. On ne lit pas un manuel de physique ou de chimie "en passant", car il y a essentiellement du concept à bien intégrer, lentement. Il s'agit de lire, et certainement aussi de relire mais d'abord il faut lire lentement et relire lentement.
Oui, en général, on lit trop vite !
Mon invention des billets doux
Une ancienne invention, quand je proposais à Pierre Gagnaire de la réaliser :
Billets doux
Mon cher Pierre,
Tu te souviens de ces emballages de fondants, où le papier, précurseur des carambars, contenait une maxime, une morale… Ou de ces gaufrettes sur lesquelles il y avait quelques mots… Oui, les mets en eux-mêmes sont -pour le Véritable Art Culinaire tel que je sais qu'il t'habite- un acte de communication, mais il n'est pas interdit d'utiliser toutes les ressources de la Culture humaine pour faire des œuvres encore plus explicites.
Car on se souvient que la cuisine, c'est de la technique, certes, mais c'est surtout de l'art, et, en tout premier lieu, une façon de dire « Je t'aime ».
Est-ce inélégant de le dire ? Les mets ne doivent-ils pas seulement le suggérer ? Je te sais suffisamment fin, délicat, intelligent, sensible, pour savoir que même ce qui pourrait devenir une vulgarité deviendra entre tes mains la possibilité d'un petit joyau artistique.
Tout cela pour dire que des mots pourraient être posés sur des aliments… mais il y a mieux : je sais que ta manière de mettre des « chapeaux » sur les mets, des voiles qui couvrent, cachent, protègent t'est sans doute essentielle, et je vois aussi, dans cette affaire, une relation avec l'emballage. Un mot pas très élégant : empaquetage serait mieux ? Guère. Mais pensons à ces cadeaux que nos amis japonais ne manquent de nous faire, toujours dans des papiers merveilleusement pliés, qui sont déjà du « je t'aime ».
Bref, il y a lieu de penser à des papiers !
Oui, pour écrire, du papier ; pour emballer, du papier. Mais pas de ces papiers plein de colle, de charges pigmentaires minérales inmangeables. Non, nous voulons du papier comestible.
Il y a plusieurs solutions, et, par exemple, ces emballages à base d'amidon tels qu'ils ont été bien explorés -jusqu'à l'étape industrielle- par mes collègues de l'Inra de Montpellier.
Mais je fais ici une autre proposition. Pense à ces papiers artisanaux que l'on faisait enfant, en mettant du bois à tremper dans de l'eau ; après une longue macération, on écrasait pour produire une sorte de pâte que l'on étalait sur un linge ; l'eau s'écoulait, et l'on finissait par soulever une feuille d'un papier un peu rustique, avec des fibres apparentes.
La
version culinaire ? On évitera évidemment les bois, les
chiffons sales ou les papiers plein d'encre. Non, on produira plutôt
de la cellulose quasi pure en extrayant le jus de carottes (pelées,
bien sûr) : le résidu solide sera lavé et séché, et c'est lui
qui sera utilisé pour faire les feuilles souhaitées. D'ailleurs, je
dis « carottes », mais pourquoi pas poireau, chou,
persil, cerfeuil, oignon… Et puis, tu peux très bien modifier les
fibres si elles ne te conviennent pas, sil elles sont trop rustiques,
par exemple : mets les, une fois sèches, dans un petit mixer, pour
les avoir plus délicates, ce qui fera un papier plus lisse.
D'ailleurs, il y a bien d'autres utilisations pour la cellulose
: je t'avais proposé , il y a plusieurs années, de l'utiliser dans
des confitures, pour leur donner une mâche un peu originale
:
http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/89.
Tout cela étant dit, il y a bien des façons d'agrémenter ces papiers. Car on se souvient que l'amidon chauffé fait un empois, par exemple. Ou que des colorants alimentaires peuvent colorer ! Sans compter l'introduction de sucre, de sel, de composés odorants…
Car l'eau de la pâte n'a aucune raison d'être de l'eau pure : ce peut être un bouillon, un fonds, un fumets, un jus de fruit…
Ah, je rêve déjà des billets doux que tu écriras à tes amis !