Les cryptands
Mon cher Pierre,
Tu te doutes bien que le nom que je donne à cette invention du mois a quelque rapport avec la chimie… et tu as bien raison : c'est notre ami commun Jean-Marie Lehn qui a introduit les cryptands en chimie, à savoir des molécules analogues à des cages… comme le sont les bonbons de chocolat, où une enveloppe un peu dure renferme un coeur tendre, souvent fait de « ganache ».
La ganache ? On part de crème bouillie que l'on ajoute à du chocolat fondu, et la cuiller ou la spatule tournent autour de la crème afin d'incorporer les deux matières. Ce que les pâtissiers et les chocolatiers ne savent pas toujours, c'est que le geste d'incorporation s'apparent tout à fait à l'ajout d'huile, en fouettant, dans une mayonnaise en cours de constitution. Dans la mayonnaise, qui est une « émulsion », l'huile est divisée en gouttelettes qui sont dispersées par le fouet dans l'eau initialement apportée par le vinaigre et le jaune d'oeuf (un jaune d'oeuf, c'est pour moitié de l'eau). De même, dans la ganache, il y a la crème, qui est déjà une émulsion, et le chocolat fondu, qui est fait de moitié sucre et moitié matière grasse. Evidemment, cette émulsion qu'est la ganache encore chaude évoluera en refroidissant, une partie du chocolat (la matière grasse) émulsionné cristallisant, ce qui conduira à une « suspension » de cristaux de matière grasse dans l'eau où le sucre se sera dissous, formant un sirop.
Généralisons
L'invention du mois ? Il s'agit de généraliser les bonbons de chocolat, en conservant leur vertu principale, à savoir qu'il y a cette mince coque rigide et cet intérieur tendre.
La coque, tout d'abord : on pourrait jouer avec du beurre dont on réglerait la consistance en refroidissant, mais c'est du tintouin. Pourquoi ne pas utiliser du beurre de cacao, par exemple, puisqu'il n'a pas de goût. En l'infusant avec une matière odorante (du thym, de l'ail, du café…), on obtient une graisse qui a du goût, et que l'on peut alors fondre pour enduire les puits d'un moule à bonbons de chocolat : on remplit le moule de graisse fondue, puis on le retourne afin de faire égoutter la graisse en excès et de ne conserver qu'une mince couche, qui durcira au réfrigérateur.
Pour généraliser la ganache, c'est également tout simple, puisqu'il s'agit de faire une émulsion qui évoluera en suspension. Partons d'un liquide qui a du goût, en salé ou en sucré : par exemple un bouillon, un thé, un café, un jus de fruit, un jus de légume, un fumet, un fond… Puis ajoutons lentement du beurre de cacao fondu en fouettant : nous obtenons une émulsion que, quand elle a un peu refroidi, nous coulons dans les puits enduits du moule sorti du réfrigérateur. Nous remettons au froid pour durcir l'ensemble, puis nous coulons de la matière grasse fondue par dessus l'ensemble, afin de fermer les…
Les bonbons ?
Le terme « bonbon » convient bien pour du chocolat, puisque ce dernier contient du sucre, mais on voit mal utiliser ce mot pour désigner des objets qui auraient un goût de sole (on serait parti d'un fond de poisson) ou de viande (en partant d'une demi glace de volaille, par exemple).
C'est pour cette raison que je propose plutôt d'utiliser le mot « cryptand » : on aurait des cryptands de sole, de volaille, d'épinards, d'asperges, d'orange, de thé, de café…
En pratique
En pratique, commencer par fondre du beurre de cacao, puis immerger une matière qui peut lui céder du goût : café, aromate, fleurs (comestibles!)… Cette matière fera la coque des cryptands.
Puis, dans une casserole, mettre un liquide qui a du goût, chauffer doucement ce dernier, et ajouter lentement du beurre de cacao fondu, ou bien du beurre clarifié fondu, voire un bon beurre noisette fondu et refroidi. On obtient une émulsion, qui, en refroidissant, fera l'homologue de la ganache.
Evidemment, je n'ai pas à m'immiscer dans le processus artistique, mais je ne peux m'empêcher de penser que des cryptands de beurre, ail et citron seraient de merveilleux objets sur des filets de poisson ou en accompagnement de bulots ou d'escargots. Qu'en penses-tu ?