Mon cours de gastronomie moléculaire de 2020 sera une série d'expérience de physique et, surtout, de chimie pour bien montrer des effets utiles à tous les cuisiniers. Nous commencerons par le plus important, ce que j'ai en avais nommé les "14 commandements de la cuisine" dans mon livre Mon histoire de cuisine.
Que sont ces "commandements" ? Non pas des ordres, bien sûr, mais plutôt des idées très simples, essentielles, pour bien faire la partie technique de la cuisine. Car on se souvient que la cuisine à trois composantes : à savoir une composante technique, une composante artistique, une composante de lien social. Dans ce cours de 2020, je ne discuterai que la composante technique, parce que là, déjà, il y a beaucoup pas dire... comme je m'en suis aperçu récemment lors d'un d'une conférence filmée de l'Académie de l'agriculture, puis d'un séminaire en ligne pour mon propre laboratoire. Dans le premier, j'expliquais qu'il fallait arrêter de parler à tort et à travers de réaction de Maillard, et, dans le second, j'expliquais comment on peut utiliser la technique d'analyse qu'est la résonance magnétique nucléaire. Dans les deux cas, j'ai voulu faire du simple, du très simple, de l'extrêment clair... et j'ai eu le plaisir de constater, par de nombreuses réactions très positives, que j'avais bien plus rendu service que si je m'étais adressé à moi-même, que si j'avais voulu en imposer par mon savoir !
Oui, décidément, la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, comme disait l'astronome François Arago, mais mieux encore : c'est la condition de communication scientifiques réussies.
Et cela me conforte dans le choix que j'ai fait, pour le cours 2020 de gastronomie moléculaire : nous partirons des commandements, à savoir des idées toutes simples du style "l'huile ne se mélange pas à l'eau", et nous les incarnerons pas des expériences, qui seront l'occasion d'en obtenir des corollaires, des conséquences, des leçons.
Oui, il y aura les 14 commandements, mais il y aura aussi bien plus, car j'ai réuni une série de petites expériences éclairantes (j'espère), pour mieux maîtriser la composante technique de la cuisine.
Reste à fixer la date, et prévoir de bien filmer tout cela, afin de le mettre en ligne.
Et puis, dans les jours qui vont suivre, faire des billets relatifs à chacune de ces expériences !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 25 mai 2020
À propos de changement de couleur et d'acidité
Je comprends mieux, ce matin, qu'il y a lieu de ne jamais oublier de s'émerveiller de ce qui est effectivement merveilleux, et, notamment, de toujours être à l'affût des bizarreries de notre monde, parce que ce sont elles qui sont la clé des découvertes, mais aussi des émerveillements !
Commençons par une observation, en cuisine : nous étions avec mon ami Pierre Gagnaire en train de préparer une sauce wöhler pour je ne sais plus quelle télévision, et, alors que Pierre pochait un oeuf dans cette sauce qui s'apparente à une meurette, nous avons vu la couleur de la sauce passer d'un beau pourpre à un vert brunâtre.
Là, le charme de la meurette était perdu... mais j'y voyais une merveilleuse opportunité de me souvenir que les polyphénols sont -et depuis longtemps- d'excellents "indicateurs" colorés.
Oui, dès le 18e siècle, les chymistes (quand la chimie se dégageait lentement de l'alchimie), puis les chimistes ont utilisé des "sirops de violette" pour détecter les acides et les bases. Car les fleurs, mais aussi nombre de fruits, contiennent des polyphénols, qui ont effectivement la capacité de changer de couleur en fonction de l'acidité du milieu ! Or les polyphénols qui avaient été utilisés étaient des polyphénols de raisins, et, autant ils sont rouges en milieu acide, autant ils virent quand le milieu devient moins acide, plus basique.
Mais là, il faut absolument que j'aille plus lentement pour mes amis qui ne sont pas chimistes. Oui, un récent webinaire que j'ai fait, suivi d'un séminaire que j'ai fait pour mon propre laboratoire, m'ont bien démontré que je devais toujours être très explicite, très clair, pour tous.
Allons y donc doucement : l'eau n'est ni acide ni basique, mais "neutre". Et on mesure cela avec une échelle qui va de 0 à 14 : 0 pour les acides très acides, et 14 pour les bases -ou alcalis- très alcalines, très basiques ; et 7 pour l'eau, neutre, ni acide ni basique. Cette échelle est nommée l'échelle des pH.
La soude, la potasse, le bicarbonate de sodium, dissous dans l'eau, font une solution basique, avec un pH compris entre 7 et ~14, mais la plupart des ingrédients alimentaires sont plutôt acides, avec un pH entre à et 7. Par exemple, les framboises ont -étonnamment- un pH très faibles, et c'est seulement le sucre qu'elles contiennent qui ne nous permet pas de bien apprécier gustativement que ces fruits sont très acides. Idem pour le jus de citron... mais là, on perçoit l'acidité. Ou pour le jus d'orange.
L'oeuf ? C'est une de ces merveilleuses exceptions : son pH est élevé, et il n'en fallait pas plus pour que je comprenne que la présence de l'oeuf que l'on pochait, dans une petite quantité d'eau et de polyphénols, avait fait augmenter le pH est fait virer les polyphénols.
Comment retrouver une belle couleur pourpre ? Tout simplement en ajoutant un acide : par exemple, l'acide tartrique, puisqu'il est dans le vin. Et aussitôt la couleur a retrouvé son pourpre/rouge initial. D'ailleurs, je dois ajouter que, pour m'amuser, j'ai alors ajouté du bicarbonate de sodium... pour obtenir une effervescence, et de nouveau la couleur verte. Et j'ai encore ajouté de l'acide tartrique pour revenir au rouge, et à un goût plus intéressant.
vendredi 22 mai 2020
Décidément, je m'étonne
Je vois une fois de plus des professionnels parler de "molécules" pour désigner des composés, et je m'étonne : qu'on soit ou non chimiste, une molécule, c'est une molécule, et un composé, c'est une sorte de molécules.
Cette confusion est grave, je le sais d'expérience, car elle conduit le public à ne plus rien comprendre. Et j'en ai comme indication ce souvenir d'un journaliste d'une radio nationale, qui me demandait de lui confirmer qu'il y avait 450 molécules odorantes dans le vin. Pris de doute, j'avais utilisé une précaution oratoire qui m'avait valu une réponse où il apparaissait clairement que le journaliste pensait à 450 objets- molécules, et, d'ailleurs, mon interlocuteur est tombé des nues quand il a appris qu'il y avait des milliards de milliards de molécules, pour chaque composé odorant (et oui, 400 est l'ordre de grandeur du nombre de composés odorants.
J'ajoute que le podcast d'AgroParisTech où j'explique ce qu'est un composé et une molécule est un des plus regardés ! Et que, dans une grande faculté de droit française, les professeurs confondaient également composés et molécules.
Je ne jette donc pas la pierre, mais j'espère que les explications finiront un jour par être utiles, et j'espère que les communautés où l'erreur est faite sauront se réformer, pour le bien de tous.
jeudi 21 mai 2020
Je veux bien rendre service, mais... QUEL EST L'OBJECTIF ?
De nombreuses demandes d'aide m'arrivent, chaque jour, par email, et je cherche toujours à répondre aux questions posées, mais il n'est pas inintéressant d'observer, assez souvent, que les questions sont en réalité étranges, et ce sont plutôt des analyses des questions que des réponses que je donne.
A propos de canard laqué
Par exemple, ce matin, venue de Chine la question de comment obtenir un canard laqué dont la chair serait rose et tendre, et la peau croustillante. Tel le taureau qui fonce sur le torchon rouge, je me dis qu'une cuisson à basse température conserverait la couleur de la viande, et que si cette cuisson était longue, alors la chair serait tendre. D'autre part, c'est un des 14 commandements de la cuisine que celui-ci : "un ingrédient sans liquide" est dur" ; bref, il faudrait sécher la peau, après l'avoir éventuellement enduite de quoi lui donner du goût, tel un caramel déglacé à la sauce soja, par exemple.
Mais je connais mes interlocuteurs, et je suis presque certain que celui-ci ne voudra pas séparer la chair de la peau pour les cuire à part ; il voudra arriver au résultat d'un coup, sans "assemblage". Pourquoi ?
Je me refuse à analyser les raisons pour lesquelles les assemblages sont si souvent refusés. Je me souviens, par exemple, d'une épreuve des meilleurs ouvriers de France où il fallait faire un soufflé sur une tarte. Bon, mais faisons une tarte, faisons un soufflé, et posons le soufflé sur la tarte. Non ? Car pourquoi vouloir courir en se mettant exprès des boulets aux pieds ?
Bref, je n'ai pas de temps à perdre pour aider des individus à faire des choses en dépit du bon sens.
Mais il y a pire : au fond, je comprends bien que notre ami veuille une chair de canard fondante, avec une peau bien croustillante, mais pourquoi vouloir la chair rose ? D'autant que si je lui conseillais d'utiliser du salpètre, comme pour les langues à l'écarlate, ou pour les jambons, je le vois bien me répondre qu'il ne veut pas ces composés, qu'il veut quelque chose de "naturel". Et je serai reparti dans cet engrenage de la définition du naturel, obligé d'expliquer que la cuisine n'est pas naturelle, et que la barrière entre l'admissible selon lui et selon moi est arbitraire, et je perdrais encore mon temps.
Et là, on voit que je suis retombé dans mon travers habituel : j'ai répondu à la question, au lieu de m'arrêter à "pourquoi rose ?". Oui, pourquoi passer du temps à vouloir faire une chair rose ? Sans réponse à cette question, il ne faut certainement pas chercher de réponse.
D'autant que la question n'est pas là : en cuisine, la vraie question est celle du goût, pas de l'apparence !
Et pour terminer, observons que le "canard laqué", c'est du canard laqué, produit au terme d'une préparation traditionnelle assez codifiée. Le canard rose et fondant, avec un peau croustillante, ne serait pas du canard laqué. Ce serait une autre préparation, qu'il faudrait nommer autrement.
A propos de canard laqué
Par exemple, ce matin, venue de Chine la question de comment obtenir un canard laqué dont la chair serait rose et tendre, et la peau croustillante. Tel le taureau qui fonce sur le torchon rouge, je me dis qu'une cuisson à basse température conserverait la couleur de la viande, et que si cette cuisson était longue, alors la chair serait tendre. D'autre part, c'est un des 14 commandements de la cuisine que celui-ci : "un ingrédient sans liquide" est dur" ; bref, il faudrait sécher la peau, après l'avoir éventuellement enduite de quoi lui donner du goût, tel un caramel déglacé à la sauce soja, par exemple.
Mais je connais mes interlocuteurs, et je suis presque certain que celui-ci ne voudra pas séparer la chair de la peau pour les cuire à part ; il voudra arriver au résultat d'un coup, sans "assemblage". Pourquoi ?
Je me refuse à analyser les raisons pour lesquelles les assemblages sont si souvent refusés. Je me souviens, par exemple, d'une épreuve des meilleurs ouvriers de France où il fallait faire un soufflé sur une tarte. Bon, mais faisons une tarte, faisons un soufflé, et posons le soufflé sur la tarte. Non ? Car pourquoi vouloir courir en se mettant exprès des boulets aux pieds ?
Bref, je n'ai pas de temps à perdre pour aider des individus à faire des choses en dépit du bon sens.
Mais il y a pire : au fond, je comprends bien que notre ami veuille une chair de canard fondante, avec une peau bien croustillante, mais pourquoi vouloir la chair rose ? D'autant que si je lui conseillais d'utiliser du salpètre, comme pour les langues à l'écarlate, ou pour les jambons, je le vois bien me répondre qu'il ne veut pas ces composés, qu'il veut quelque chose de "naturel". Et je serai reparti dans cet engrenage de la définition du naturel, obligé d'expliquer que la cuisine n'est pas naturelle, et que la barrière entre l'admissible selon lui et selon moi est arbitraire, et je perdrais encore mon temps.
Et là, on voit que je suis retombé dans mon travers habituel : j'ai répondu à la question, au lieu de m'arrêter à "pourquoi rose ?". Oui, pourquoi passer du temps à vouloir faire une chair rose ? Sans réponse à cette question, il ne faut certainement pas chercher de réponse.
D'autant que la question n'est pas là : en cuisine, la vraie question est celle du goût, pas de l'apparence !
Et pour terminer, observons que le "canard laqué", c'est du canard laqué, produit au terme d'une préparation traditionnelle assez codifiée. Le canard rose et fondant, avec un peau croustillante, ne serait pas du canard laqué. Ce serait une autre préparation, qu'il faudrait nommer autrement.
jeudi 14 mai 2020
Note by note cooking: explanations
If you want to lean more about note by note cooking:
An article with an audio interview :
https://latest.worldchefs.org/podcast/episode-4-is-note-by-note-the-future-of-food/?utm_source=ALLLL&utm_campaign=ca358340ed-EMAIL_CAMPAIGN_2019_11_25_12_11_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_217a14193d-ca358340ed-199477805
An article with an audio interview :
https://latest.worldchefs.org/podcast/episode-4-is-note-by-note-the-future-of-food/?utm_source=ALLLL&utm_campaign=ca358340ed-EMAIL_CAMPAIGN_2019_11_25_12_11_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_217a14193d-ca358340ed-199477805
mardi 12 mai 2020
Des questions à propos de cuisine note à note
Aujourd'hui, voici le message intéressant qui m'arrive :
Je me permets aujourd'hui de vous contacter, suite à un Fun Mooc intitulé "L'aromatique alimentaire au service du goût" que j'ai suivi, réalisé par Isipca, où vous intervenez.
En effet, la séquence portant sur les enjeux alimentaires de demain m'a fortement interpellée. Vous y présentez la cuisine note à note. Je suis actuellement étudiante à xxxxxx, mais je n'ai jamais entendu parler de votre concept avant aujourd'hui.
J'ai donc fait quelques recherches, et notamment regardé vos vidéos où vous créez le "dirac". Ces dernières m'ont permis de répondre à quelques unes de mes questions, mais j'en ai toujours d'autres en tête. Je vous joins aujourd'hui pour savoir si vous seriez disposé à y répondre !
1. Le "Dirac" est présenté comme une sorte de viande, mais comment peut-on avoir la même mâche en bouche avec un aliment composé uniquement de poudre et d'eau ? Est-ce grâce à une réaction purement chimique que cette texture est recréée ? La texture d'un aliment me semble importante dans la notion de plaisir de manger, d'où ma question.
2. Est-ce que tous les éléments nutritifs aujourd'hui nécessaire à l'Homme sont reproduisibles dans la cuisine note à note ?
3.Existe-t-il aujourd'hui des restaurants servant au moins un plat note à note en France, et sinon à l'étranger ? (j'ai regardé, je n'ai pas trouvé)
4.Ce type de cuisine est-il vraiment peu cher ? Je pars du postulat que toute nouveauté est souvent synonyme de prix élevés.
5.La tendance culinaire d'aujourd'hui tend vers le retour aux aliments "vrais", peu modifiés, comme les champignons, les poissons crus, les céréales telles que l'orge, le sarrasin... La cuisine note à note n'est-elle pas complètement à contre-courant des désirs actuels des consommateurs ?
6.Aujourd'hui, de nombreux maux viennent d'une alimentation très modifiée de ce qu'elle était à l'origine (blé OGM par ex). La cuisine note à note ne va-t-elle pas empirer le problème ?
7. Je n'ai que très peu de connaissances en chimie. Mais je suppose qu'afin de créer un arôme de champignons, plusieurs produits chimiques sont utilisés. Ingérés en grande quantité lors d'une consommation de cuisine note à note,ne sont- ils pas dangereux pour la santé ?
Merci à mon interlocutrice, à qui je m'empresse de répondre, en partageant la réponse à tous, puisque mon objectif est de diffuser de l'information juste, à tous (je n'oublie pas qu'agent de l'état, je dois mon travail à tous ceux qui y contribuent).
Et pour faire simple, je reprends systématiquement les phrases du message dans l'ordre, en ajoutant des commentaires et des réponses :
Je me permets aujourd'hui de vous contacter, suite à un Fun Mooc intitulé "L'aromatique alimentaire au service du goût" que j'ai suivi, réalisé par Isipca, où vous intervenez.
Je me réjouis que des étudiants en cuisine s'intéressent à des questions traitées par l'ISIPCA : il est temps que l'on dépasse l'idée naïve de la "cuisine naturelle" (une impossibilité, puisque est naturel ce qui ne fait pas l'objet d'une transformation par l'être humain), et que le monde culinaire ne se prive pas de possibilités extraordinaires.
Et puis, des étudiants qui étudient en plus de leur cursus : quel bonheur ! Mille bravos !
Et oui, j'interviens dans ce MOOC, parce qu'il est question de permettre à tous d'étudier, sans nécessaire suivre un cursus diplômant, mais, surtout, pour avoir des connaissances supplémentaires.
Et j'ai profité de mon intervention (je n'ai pas eu le temps de voir le résultat) pour :
-expliquer que la terminologie du goût était à utiliser proprement : si l'on confond les termes, on risque de faire du mauvais travail
- promouvoir des techniques vraiment modernes
- diffuser ds connaissances utiles à tous les cuisiniers (depuis 1980, ce sont les cuisiniers domestiques ou de restaurant qui m'intéressent en priorité, même si l'industrie alimentaire s'intéresse beaucoup à nos travaux
- présenter cette cuisine note à note, qui sera la prochaine grande tendance (à part elle, rien de neuf sous le soleil ; je rappelle que j'ai introduit la cuisine moléculaire il y a 40 ans ! Les cuisiniers qui font de la cuisine moléculaire sont donc très en retard par rapport à ceux qui font de la cuisine note à note, puisque je n'ai introduite cette dernière que vers la fin des années 1990).
Est-ce ceci : https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:isipca+111002+session01/about ?
En effet, la séquence portant sur les enjeux alimentaires de demain m'a fortement interpellée. Vous y présentez la cuisine note à note. Je suis actuellement étudiante à xxxxxx, mais je n'ai jamais entendu parler de votre concept avant aujourd'hui.
Là, je trouve étonnant qu'une institution de formation fasse l'impasse sur une possibilité aussi importante que la cuisine note à note. Bien sûr, savoir cuisiner, c'est savoir se pencher précisément sur les casseroles, mais quand même, levons le nez un peu, et observons qu'il y aura sans doute 10 milliards d'humains sur la Terre, et qu'il faudra les nourrir. A votre avis, comment fera-t-on pour trouver de quoi nourir presque la moitié de plus que ce que nous sommes aujourd'hui ? Ne pas s'en préoccuper me semble un peu irresponsable. A qui laisse-t-on le soin de se poser ces questions, et pourquoi ?
Je propose que mes amis regardent ces séances de l'Académie d'agriculture de France, où la question est discutés : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seance/academie/la-cuisine-note-note-questions-nutritionnelles-toxicologiques?191212
Ainsi que mon cours de 2012: http://www2.agroparistech.fr/podcast/-Cours-2012-La-cuisine-note-a-note-.html
Et je leur signale que le gouvernement de Singapour, lui, a lancé un programme national "Sustainable food without waste" : cela me semble responsable !
J'ai donc fait quelques recherches, et notamment regardé vos vidéos où vous créez le "dirac". Ces dernières m'ont permis de répondre à quelques unes de mes questions, mais j'en ai toujours d'autres en tête. Je vous joins aujourd'hui pour savoir si vous seriez disposé à y répondre !
Un étudiant qui cherche par lui-même : c'est gagné !
Le dirac : oui, c'était un exemple parmi mille, choisi pour frapper l'imagination, comme le gibbs (un soufflé en quelques secondes : cela marche toujours, dans le monde culinaire !).
Des questions qui demeurent ? Ca, c'est merveilleux : on doit sans doute préférer les gens qui se posent des questions que ceux qui sont trop sûrs d'eux, n'est-ce pas ? D'ailleurs, j'ajoute que j'ai moi-même mille questions, notamment à propos de la cuisine note à note... et j'en avais encore plus en finissant d'écrire mon livre sur le sujet qu'avant !
Disposé à répondre aux questions ? Oui, mille fois oui si...
... si mes interlocuteurs sont prêts à "entendre" les réponses. Cela semble être le cas de mon interlocutrice, mais je me souviens d'un cuisinier écossais qui était fermé à toute discussion, figé qu'il était sur l'idée que la cuisine note à note n'aurait pas été de la "vraie cuisine" : je lui ai demandé ce qu'il entendait pas vraie cuisine, mais j'attends toujours une réponse sensée de sa part;
... si je peux partager mes réponses avec tous ;-). C'est d'ailleurs cela que je fais maintenant, après avoir anonymisé la réponse
... si j'ai le temps... mais je crois suffisamment intéressantes les questions pour le prendre, même si je n'en ai guère;
... si les questions sont de ma compétences ; et l'on se souvient que j'ai fait le serment de ne plus parler publiquement de toxicité ni de nutrition, puisque (1) ce n'est pas mon métier (même si je commence à bien connaître) et (2) cela ne sert généralement à rien, puisqu'on ne convainc pas (ce qui est le cas, aussi, pour les OGM, où les positions sont braquées) : ne perdons pas des amis à vouloir donner des arguments qui ne sont pas écoutés.
1. Le "Dirac" est présenté comme une sorte de viande, mais comment peut-on avoir la même mâche en bouche avec un aliment composé uniquement de poudre et d'eau ? Est-ce grâce à une réaction purement chimique que cette texture est recréée ? La texture d'un aliment me semble importante dans la notion de plaisir de manger, d'où ma question.
Tout d'abord, je préfère parler de diracs au pluriel, et sans majuscule : comme un parmentier de pomme de terre, le terme est commun, maintenant.
Ensuite, oui, la composition moléculaire est analogue à celle de la viande, puisque c'est effectivement une copie de la viande, en terme de nutrition ; ou disons plutôt que la viande est une inspiration pour ces systèmes, à base d'eau, de protéines et de lipides, structurés.
Peut-on avoir la même mâche ? Il faudrait tout d'abord savoir ce qu'est la mâche de "la" viande, car il y a mille viandes, entre l'araignée, la bavette, l'entrecôte, d'animaux jeunes ou vieux, différemment nourris, ayant différemment fait de l'exercice, entre le boeuf et l'agneau, le poulet ou le canard...
Mais pour faire simple, pourquoi craindre qu'on ne puisse pas reproduire des mâches particulières, bien définies ? En réalité, je sais que se cache, derrière la question, la crainte de ne pas avoir de "dur", mais considérons le caramel, qui est typiquement note à note : c'est dur !
Ou en termes de dirac, je ne saurais assez proposer de comparer des verres où l'on a mis respectivement 5 pour cent de protéines avec de l'eau, puis 10 pour cent, 20 pour cent et 30 pour cent : on chauffe ces verres ensemble, au four à micro-ondes, et l'on compare : la consistance passe du blanc d'oeuf sur le plat, tendre, à celle de la viande la plus dure !
Oui, on peut tout faire, et si l'on strie, on a comme du surimi, mais mieux, on peut faire foisonner, émulsionner plus ou moins, feuilleter, et à l'infini.
Et oui, la consistance (plutôt que la texture, car la consistance est ce qui est, et la texture ce que l'on sent, selon la façon de manger) est un plaisir important de la dégustation.
2. Est-ce que tous les éléments nutritifs aujourd'hui nécessaire à l'Homme sont reproduisibles dans la cuisine note à note ?
Reproduisibles ? J'aurais "reproductibles"... mais c'est parce que je suis pédant. D'ailleurs, je croyais que le mot n'existait pas en français... et le TLFi me montre qu'il existe, mais pour un sens un peu différent ("Qui peut recommencer, se répéter une nouvelle fois.") : j'ai appris grâce à mon interlocutrice, que je remercie... et en échange, je lui ai appris qu'on aurait dû écrire "reproductible".
Cela dit, il ne faut pas esquiver la question... qui, hélas, est une question de nutrition ! Or on se souvient de mon serment : je vais donc répondre sans sortir de ma compétence que, si l'on fractionne les végétaux sans rien jeter, on aura, dans toutes les fractions, l'ensemble des produits important pour la santé humaine.
D'autre part, il faut bien dire que la chimie de synthèse reproduit aujourd'hui jusqu'aux molécules les plus complexes. Et le cas de la vitamine B12 est intéressant : dans les années 1950, il a fallu 300 chimistes talentueux pour la reproduire... mais on la produit aujourd'hui par des fermentations et des extractions qui s'apparentent à de la préparation du pain ou de la bière.
Pas de problème, donc.
3.Existe-t-il aujourd'hui des restaurants servant au moins un plat note à note en France, et sinon à l'étranger ? (j'ai regardé, je n'ai pas trouvé)
Des restaurants qui font de la cuisine note à note ? Disons que la cuisine note à note pure est sans intérêt, et que c'est de la cuisine note à note pratique, tout comme cela a été le cas pour la cuisine moléculaire.
Je m'explique, en prenant les choses à rebours de la phrase précédente.
Pour la cuisine moléculaire, la définition est d'utiliser des ustensibles venus des laboratoires : évaporateurs rotatifs, sondes à ultrason pour faire les émulsions, siphons ou foisonneuses pour faire des mousses, thermocirculateurs pour cuire à température contrôlée, et j'en passe. Même les cuisiniers les plus moléculaires, si l'on peut dire, font jouxter cela avec des casseroles classiqus (hélas), et l'on voit que cela n'a pas empêché des progrès.
De même pour la cuisine note à note : pas besoin d'être un puriste, et il suffit pour mon intérêt gourmand que quelques cuisiniers sortent du classique pour que je puisse les admirer (si le résultat est bon), les aider, les encourager.
Et c'est ainsi qu'Andrea Camastra, à Varsovie, a fait des choses tout à fait extraordinaires, tout comme beaucoup de cuisiniers dont les travaux sont montrés dans le Handbook of Molecular Gastronomy que nous publions tout prochainement.
N'oubliez pas, aussi, d'aller voir les résultats des concours de cuisinier note à note... et de vous procurer des produits de la société Iqemusu, pour les tester : ils sont remarquables (www.iqemusu.com).
4.Ce type de cuisine est-il vraiment peu cher ? Je pars du postulat que toute nouveauté est souvent synonyme de prix élevés.
Cher, un mélange de protéines laitières extraites à la tonne, de l'huile et de l'eau ? Non, au contraire.
Cela dit, je veux que cela coûte cher, au début, parce que c'est la stratégie que j'utilise pour promouvoir le public : je reprends l'idée de Parmentier, qui réservait la pomme de terre au roi ! Et c'est ainsi que j'ai réussi à promouvoir la cuisine moléculaire, il y a 30 ans.
Je n'oublie pas que c'est pour tout le public, pas nécessairement fortuné, que je propose cette cuisine, qui pourra être soit bon marché, soit chère.
Mais j'ajoute aussi qu'un dessin au fusain de Picasso vaut des millions : on ne paye pas le papier ni le fusain, mais l'art de l'artiste.
Et c'est ainsi que l'on doit payer très cher la cuisine d'un grand artiste culinaire.
Non, ce n'est pas nouveauté qui doit faire le prix. Tiens, d'ailleurs, j'insiste pour dire que je ne touche pas un centime dans l'affaire, alors pourquoi pensez-vous que j'y passe tant d'énergie ?
5.La tendance culinaire d'aujourd'hui tend vers le retour aux aliments "vrais", peu modifiés, comme les champignons, les poissons crus, les céréales telles que l'orge, le sarrasin... La cuisine note à note n'est-elle pas complètement à contre-courant des désirs actuels des consommateurs ?
Oui, je sais cela... et il y a lieu de s'en inquiéter. D'ailleurs, les académies d'agriculture du monde entier s'inquiètent de cette mode un peu naïve, un peu bobo, car la nature n'est pas bonne. Les poissons crus ? Attention quand même aux parasitoses (qui se multiplient). Eviter les pesticides ? Attention quand mêmes aux mycotoxines toxiques. Eviter le nitrite des charcuteries ? Attention quand même au botulisme, et ainsi de suite : il faut avoir les moyens de nos revendications naïves.
D'autant que la vraie question est moins la sécurité sanitaire des aliments que la sécurité alimentaire, ce qui signifie produire assez pour que tout le monde sur terre ait assez à manger. Il n'est pas certain qu'il y ait assez de protéines pour tous en 2050, date à laquelle je serai sans doute mort, mais je vous pose la question à vous qui avez vingt ans : que comptez vous faire pour passer ce cap ?
Et puis, les temps changent : j'ai déjà essuyé les critiques de la cuisine moléculaire, qui s'est imposée, alors ne comptez pas sur moi pour tenir compte d'opinions changeantes du public... d'autant que je n'ai rien à vendre.
Et j'ajoute que je déteste le terme de "consommateurs", qui est un terme mercantile. Moi, je parle de citoyens et de citoyennes.
6. Aujourd'hui, de nombreux maux viennent d'une alimentation très modifiée de ce qu'elle était à l'origine (blé OGM par ex). La cuisine note à note ne va-t-elle pas empirer le problème ?
Etes-vous bien certaine que les maux viennent de la modification de l'alimentation ? Moi pas, et je vous renvoie sur les séances récentes de l'Académie d'agriculture de France où a été discutée la notion très contestable d'aliments "ultratransformés" (en gros, ce terme ne veut rien dire, comme vous le découvrirez).
Je rappelle que c'est l'abondance et un mauvais comportement qui fait l'obésité. On peut bien sûr être maigre en n'ayant pas assez, mais c'est étonnant de voir que ce sont les groupes les plus pauvres qui souffrent le plus d'obésité. Il faut enseigner à manger : équilibré, pas des frites à tous les repas, pas du gras et du sucre en excès, et ainsi de suite.
Et personnellement, je milite pour que l'on enseigne, dès l'école, à cuisiner et à manger.
Dans ce débat, la cuisine note à note n'est pas, et ne sera pas en cause. Ne confondons pas l'objet et l'usage que l'on en fait : un couteau peut aussi bien nous aider en cuisine que tuer. Idem pour la cuisine note à note.
7. Je n'ai que très peu de connaissances en chimie. Mais je suppose qu'afin de créer un arôme de champignons, plusieurs produits chimiques sont utilisés. Ingérés en grande quantité lors d'une consommation de cuisine note à note,ne sont- ils pas dangereux pour la santé ?
Faire un goût de champignons ? Rien de plus simple : le 1-octène-3-ol est merveilleux... et je l'utilise très souvent, dans ma cuisine. Faites donc l'essai avec le produit nommé Chlole d'Iqemusu.
En pratique, les aromaticiens utilisent moins de 11 composés pour faire les reproductions les plus extraordaires (j'ai ainsi de la truffe, du Haut-Brion 1985, du gewurtztraminer vendanges tardives...), mais là, avec la cuisine note à note, on redonne au cuisinier le choix de ses goût.
Dangereux pour la santé ? Ces composés sont présents dans les aliments, et ils sont en quantités infimes des parties par milliards ou par trillon !
Mais j'ai fait le serment de ne pas parler de toxicologie.
Allons, il faut conclure, et on ne va quand même pas rester sur une note négative, alors que s'offre à nous un continent de goût nouveaux !
Réjouissons-nous :
- que mon ami Pierre Gagnaire soit le premier artiste à avoir servi un plat note à note (en 2009, à Hong Kong), avec mon aide
- qu'Andrea Camastra ait bouleversé la cuisine
- que Michael Pontif ait créé cette société Iqemusu
- que la société Louis François procurent d'autres composés
- que Singapour se soit nationalement lancé sur une piste utile
- que des jeunes cuisiniers débordent leurs professeurs en s'intéressant à ce futur qu'ils doivent dès aujourd'hui construire !
samedi 9 mai 2020
Mon feuilleté de pieds de porc d'hier
Mes amis me reprochent de ne pas noter les meilleures de mes recettes, et de ne pas les partager. En voici une faite hier... et le résultat était très décent.
Feuilletés de pieds de porc
1. Commencer par laver les pieds, brûler les poils restants, laver à nouveau, puis mettre dans une grande cocotte avec de l’eau, du laurier, beaucoup de carottes et d’oignons ; cuire à tout petits frémissements.
2. Pendant ce temps, commencer la pâte feuilletée :
- sortir le beurre à température ambiante
- sur le plan de travail, 200 g de farine et 50 g de beurre, du sel
- sabler entre les doigts
- ajouter de l'eau par petites quantités pour faire une boule de détrempe homogène
- filmer et mettre au réfrigérateur pendant 30 minutes
- sortir la détrempe et l'étaler en un disque épais
- malaxer 100 g de beurre entre les doigts, puis en faire un disque plus petit que le disque de détrempe, et que l'on pose sur ce dernier
- refermer la détrempe sur le beurre, comme une enveloppe
- poser le côté replié sur le plan de travail fariné, puis étaler au rouleau trois fois plus long que large (ce "laminage" doit être très régulier : c'est une condition indispensable pour un bon feuilletage qui lève bien)
- replier en trois
- tourner d'un quart de tour, et étaler trois fois plus long que large
- replier
- mettre au frais pendant 20 minutes
- sortir, et faire deux autres tours
- remettre au frais jusqu'au moment où l'on veut faire cuire le pâté
3. Pendant ce temps, lancer la sauce:
- dans une petite casserole, une grosse noix de beurre et autant de farine
- chauffer très doucement jusqu'à coloration
- ajouter alors un gros verre de bouillon de volaille, un gros verre de vin blanc d'Alsace, un gros verre du fond de cuisson des pieds, un clou de girofle et deux baies de genièvre
- faire réduire à tout petit feu
4. Après 5 heures de cuisson,
récupérer la chair et les légumes. Attention aux tout petits os, qui échappent facilement à la vigilance (on peut écraser les chairs séparées avec le dos d'une fourchette et écouter le bruit ou sentir la pression.
5. Remettre les os à cuire avec ce qui adhère pendant quelques heures, avant de
tout finir de séparer.
6. Quand on est prêt, préchauffer le four à 180 °C
7. Puis sortir la pâte feuilletée, et faire les deux derniers des six tours. Puis abaisser la pâte
feuilletée en un grand rectangle.
8. Poser un lit d’oignons et de carottes récupérés
de la cuisson au centre de la pâte, et ajouter du pied par dessus ; refermer la pâte, souder les parties refermées, et poser le pâté en le retournant sur une plaque, pour que la soudure soit sous le pâté. Dorer au jaune d'oeuf.
9. Cuire le pâté sur plaque
pendant 50 minutes.
10. Finir la sauce :
- quand elle est bien réduite, la monter au beurre
- puis terminer avec une goutte de vin cru, rectifier
le sel, poivrer abondamment.
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