J'avais promis de réfléchir à la question : pourquoi la science et la technologie font-elles peur ?
D'abord, il est toujours judicieux, quand on considère du vivant, de ne pas oublier que celui que nous considérons aujourd'hui est le produit de l'évolution biologique. Or pour être présent aujourd'hui, la vie à dû surmonter mille épreuves : proies, prédateurs, famines dues aux grands froids, aux grandes sécheresses, inondations, gel, canicules... Tout s'y est mis pour éliminer la vie, et seuls les plus "adaptés" ont réussi à survivre.
Il faut en conclure que nous avons dans notre passé de l'espèce, voire du genre, des milliers de mécanismes qui assurent notre survie.
Et si la prudence en était un ? Si nous étions a priori méfiant, de tout changement... en même temps que très opportuniste, et prêts à sauter sur l'occasion? Pour faire ces choix, nous avons besoin d'un jugement, et ce jugement ne peut guère tenir compte des résultats des sciences ou des techniques. C'est quelque chose d'instinctif. Mieux, même, plus la nouveauté est obscure, et moins nous sommes sans doute capable de l'apprécier.
Or la science et la technologie modernes sont "alambiqués", composés, peu intuitifs. Il est donc "prudent", à l'aune de l'évolution biologique, de les refuser.
Autre piste importante : le fait que l'enseignement ait longtemps sélectionné les élèves, à l'école, sur les capacités d'abstraction, de calcul, de science, de technologie. Autrement dit, la science et la technologie sont des règles avec lesquelles les enseignants de l'Ecole, du Collège et du Lycée ont tapé sur les doigts... du plus grand nombre (sélectionner, c'est ne garder que quelques uns).
Comment voulons-nous, ensuite, que la masse du public aime les sciences et la technologie ? Bien impossible ! Et nous aurons beau faire, il faudra vaincre une sorte de "réflexe conditionné", ce qui ne se fait pas en un jour.
A cela, il faut ajouter que nos capacités explicatives sont assez médiocres : allez donc expliquer, sans calcul, les arcanes de la mécanique quantique, de la décohérence, de l'intrication, ou même, plus modestement, la seconde loi de Fick, ou même le fait que le dénominateur de l'écart-type d'un échantillon doive s'écrire n-1... Allez donc expliquer "avec les mains" l'effet gyroscopique, ou pourquoi les vagues arrivent parallèlement au rivage...
Certes, on parvient à donner des idées de, ou le goût de, avec des exemples tel que la conjecture de Syracuse, dont nous avions fait un dessin animé sur Arte, mais les difféomorphismes du cercle ? les tores à trois dimensions ? la démonstration par Andrew Wiles du théorème de Fermat-Wiles ?
Autrement dit, si nous ne savons pas expliquer, comment attendre que nos amis puissent comprendre ? Et donc qu'ils puissent accepter. Sommes-nous assez fiables pour qu'ils aient confiance ?
Cela étant posé, il y a sans doute d'autres causes que je n'ai pas le temps de considérer et d'évoquer. Mieux vaut proposer avec optimisme et dynamisme des pistes pour améliorer les choses.
D'abord, "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême", disait La Fontaine. Apprenons à raconter des histoires, et racontons-les. Activement. Pas besoin de "science citoyenne", surtout quand elle est trouble, mais mobilisons-nous pour :
1. être des citoyens exemplaires
2. donner des explications, afin de ne pas former une caste supérieure, méprisante du peuple
3. refusons d'être des gourous, et ne parlons que dans le domaine d'expertise qui est le nôtre
4. apprenons à nous enthousiasme pour la science, la technologie, la Connaissance, la Culture !
Et c'est ainsi que la physico-chimie est belle ;-)
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 15 mars 2013
jeudi 14 mars 2013
La science peut-elle être citoyenne ?
Non, la science ne peut pas être citoyenne, sauf pour les personnes qui ne savent pas parler français, ou pour celles qui ne savent pas ce qu'est la science.
Quand on parle d'une fleur bleue, c'est la fleur qui est bleue. De ce fait, on ne peut pas parler de "cortège présidentiel", sauf si le cortège est le président lui-même. Sinon, c'est la faute célèbre du partitif.
Bref, le cortège du président n'est pas le cortège présidentiel.
Science citoyenne ? De même, il faudrait admettre que la science est un citoyen... ce qui n'est vraiment pas possible !
Supposons que l'on admette la faute, avec une indulgence excessive ; peut-on envisager une science citoyenne, qui serait une science en vue du citoyen ? Là, il y a hélas soit un pléonasme, soit un oxymoron.
Pléonasme : si l'activité scientifique est payée par l'Etat, alors les résultats doivent être mis à la disposition de tous les contribuables. C'est une évidence, donc un pléonasme
Oxymoron, en revanche : si l'on veut dire que le citoyen doit pouvoir guider la science, alors c'est bien impossible, comme quand on parlait de "science prolétarienne", par exemple. La science ne se commande pas, et les découvertes sont hélas imprévisibles. La démocratie ne peut rien au royaume de l'activité scientifique, et tant pis pour nos "décideurs", souvent prétentieux, qui voudraient guider les découvertes. Ne prenons pas nos désirs pour des réalités.
Ou alors, il y a confusion entre science et technologie... mais on ne peut pas imaginer que nos élites fassent une confusion si élémentaire, quand même.
Bref, la science ne sera jamais citoyenne !
Dernière minute :
Quand on parle d'une fleur bleue, c'est la fleur qui est bleue. De ce fait, on ne peut pas parler de "cortège présidentiel", sauf si le cortège est le président lui-même. Sinon, c'est la faute célèbre du partitif.
Bref, le cortège du président n'est pas le cortège présidentiel.
Science citoyenne ? De même, il faudrait admettre que la science est un citoyen... ce qui n'est vraiment pas possible !
Supposons que l'on admette la faute, avec une indulgence excessive ; peut-on envisager une science citoyenne, qui serait une science en vue du citoyen ? Là, il y a hélas soit un pléonasme, soit un oxymoron.
Pléonasme : si l'activité scientifique est payée par l'Etat, alors les résultats doivent être mis à la disposition de tous les contribuables. C'est une évidence, donc un pléonasme
Oxymoron, en revanche : si l'on veut dire que le citoyen doit pouvoir guider la science, alors c'est bien impossible, comme quand on parlait de "science prolétarienne", par exemple. La science ne se commande pas, et les découvertes sont hélas imprévisibles. La démocratie ne peut rien au royaume de l'activité scientifique, et tant pis pour nos "décideurs", souvent prétentieux, qui voudraient guider les découvertes. Ne prenons pas nos désirs pour des réalités.
Ou alors, il y a confusion entre science et technologie... mais on ne peut pas imaginer que nos élites fassent une confusion si élémentaire, quand même.
Bref, la science ne sera jamais citoyenne !
Dernière minute :
Ayant posté ce billet hier, je reçois presque aussitôt des messages :
1. Cher collègue,
Merci pour l'information et félicitations pour votre
réaction énergique. La science est de plus en plus souvent instrumentalisée à
des fins politiques et c'est très dangereux : les OGM et le climat en sont
des exemples navrants.
Cordialement.
xxxx, Professeur émérite de chimie-physique, Université de Bruxelles.
2. Merci pour ce mail édifiant!
3. Cependant, l'accès à l'information scientifique dans un pays comme la France étant largement disponible, ce rejet des sciences a une autre cause que la simple méconnaissance. Il n'y a en effet rien de plus simple si l'on veut apprendre que de se rendre dans une bibliothèque ou lire des sites sérieux sur Internet.
Je vois donc deux raisons à cette méconnaissance des faits:
- paresse intellectuelle : il suffit de voir le succès des documentaires de propagande type M R. Et encore, ce genre de documentaire militant ne touche qu'une toute petite partie de la population, la majorité
préférant les bêtises de la télé (arme de distraction massive)
- collusions entre les scientifiques/politiques et les industriels (sang contaminé, amiante, médicaments, etc.)
4.
2. Merci pour ce mail édifiant!
3. Cependant, l'accès à l'information scientifique dans un pays comme la France étant largement disponible, ce rejet des sciences a une autre cause que la simple méconnaissance. Il n'y a en effet rien de plus simple si l'on veut apprendre que de se rendre dans une bibliothèque ou lire des sites sérieux sur Internet.
Je vois donc deux raisons à cette méconnaissance des faits:
- paresse intellectuelle : il suffit de voir le succès des documentaires de propagande type M R. Et encore, ce genre de documentaire militant ne touche qu'une toute petite partie de la population, la majorité
préférant les bêtises de la télé (arme de distraction massive)
- collusions entre les scientifiques/politiques et les industriels (sang contaminé, amiante, médicaments, etc.)
4.
Merci pour cette information. Je partage tout à fait votre point de
vue. La Science traite du réel et n'a que faire des idéologies. Dans
notre monde de la France d'aujourd'hui,
il y a trop d'affabulations développées à partir de résultats
scientifiques qui trompent les citoyens. Sans une forte culture
scientifique, il est difficile de faire la part des choses; et le bon
sens n'est pas bien répandu. Je pense qu'il y aurait un remède à cela,
c'est de préciser ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas. Les
médias ne savent pas dire "ce que l'on ne sait pas" ; le citoyen
ordinaire a l'impression que l'on sait tout, et mélange l'affabulation et
le réel. Au point de penser que la Science doit devenir citoyenne!
Pour moi qui suis électricien, ce que l'on ne sait
pas c'est le lien entre le champ électromagnétique et la matière (le
boson de Higgs?) et de ce fait on véhicule des tas d'images fausses: par
exemple, assimiler le flux d'électrons à un flux d'eau (les électrons
ont un parcours moyen limité), confondre l'effet des ondes à une
discontinuité de la propagation avec un phénomène mécanique, etc.
Il faut donc que les scientifiques communiquent pour
dire ce qu'ils ont trouvé en en précisant la limite. Je pense que si le
message scientifique contenait la limite de la connaissance acquise, le
bon sens reviendrait et la question de la Science citoyenne serait sans
objet.
A propos du nouveau pape François
Les Jésuites ont cette phrase merveilleuse :
Il faut se comporter en Chrétien, et non en tant que Chrétien.
Il faut se comporter en Chrétien, et non en tant que Chrétien.
mercredi 13 mars 2013
Un stage pour déterminer sa carrière ?
Ce matin, une "nouvelle amie" du laboratoire m'avoue qu'elle utilisera son stage pour déterminer sa carrière. Erreur !
Imaginons qu'elle soit dans un environnement amical et que, en conséquence, elle fasse des travaux qui lui plaisent. Elle risque de penser que la recherche scientifique est ce qu'elle veut faire. Mais ne pourrait-elle pas, aussi, tomber avec des gens désagréables, avec la même activité scientifique, qui lui feraient conclure que la recherche scientifique est une activité désagréable ?
Alors, comment se déterminer ?
Imaginons qu'elle soit dans un environnement amical et que, en conséquence, elle fasse des travaux qui lui plaisent. Elle risque de penser que la recherche scientifique est ce qu'elle veut faire. Mais ne pourrait-elle pas, aussi, tomber avec des gens désagréables, avec la même activité scientifique, qui lui feraient conclure que la recherche scientifique est une activité désagréable ?
Alors, comment se déterminer ?
Ah, la recherche !
Ce matin, une nouvelle "amie" au laboratoire (un stage), qui me signale qu'elle veut faire de la recherche.
Ces temps ci, le mot revient, encore et encore... mais de quoi s'agit-il vraiment ? J'ai fait un livre entier sur la question (Science, technologie, technique : quelles relations).
La recherche scientifique ? C'est de la recherche scientifique, ou de la science, qui se fait dans les laboratoires de l'Etat.
La recherche technologique ? C'est ce qui se fait, dans l'industrie, et l'on cherche à obtenir un résultat pratique : guérir du SIDA, la mise au point d'un test de dépistage du cancer de l'estomac par une simple inhalation, le remplacement du crâne humain chez un patient vivant, un réfrigérateur quantique...
La recherche technique ? C'est de la technologie (voir cas précédent).
La recherche artistique ? C'est de l'art, pas dans un laboratoire scientifique.
La recherche historique? géographique?
Bref, le mot "recherche" est à toutes les sauces, mais, quand je l'entends, je sais qu'il faut poser la question "de quoi parlons-nous vraiment ? " (et savons nous bien de quoi nous parlons?)
Vive la connaissance !
Ces temps ci, le mot revient, encore et encore... mais de quoi s'agit-il vraiment ? J'ai fait un livre entier sur la question (Science, technologie, technique : quelles relations).
La recherche scientifique ? C'est de la recherche scientifique, ou de la science, qui se fait dans les laboratoires de l'Etat.
La recherche technologique ? C'est ce qui se fait, dans l'industrie, et l'on cherche à obtenir un résultat pratique : guérir du SIDA, la mise au point d'un test de dépistage du cancer de l'estomac par une simple inhalation, le remplacement du crâne humain chez un patient vivant, un réfrigérateur quantique...
La recherche technique ? C'est de la technologie (voir cas précédent).
La recherche artistique ? C'est de l'art, pas dans un laboratoire scientifique.
La recherche historique? géographique?
Bref, le mot "recherche" est à toutes les sauces, mais, quand je l'entends, je sais qu'il faut poser la question "de quoi parlons-nous vraiment ? " (et savons nous bien de quoi nous parlons?)
Vive la connaissance !
mardi 12 mars 2013
Un combat à mener
Militons ! Hier, j'ai appris que l'Education nationale représentait la molécule de benzène avec trois doubles liaisons, au lieu de la représentation plus cohérente d'une délocalisation des électrons pi.
Est-ce grave, au fond ? Oui, parce que je vois, ensuite, des étudiants avancés qui croient qu'il y a des doubles liaisons dans la molécules de benzène, et qui, en conséquences, iront chercher à faire des additions, et s'étonneront de la réactivité particulière de ce composé.
D'ailleurs, tant qu'on y est, on serait avisé de combattre le mot "résonance", pour conserver celui de mésomérie. En effet, s'il y avait une résonance, il y aurait une fréquence de résonance !
Non, il n'y a pas "oscillation" entre les formes limites !
Donc représentons le benzène avec un petit cercle au milieu, et parlons de mésomérie.
Est-ce grave, au fond ? Oui, parce que je vois, ensuite, des étudiants avancés qui croient qu'il y a des doubles liaisons dans la molécules de benzène, et qui, en conséquences, iront chercher à faire des additions, et s'étonneront de la réactivité particulière de ce composé.
D'ailleurs, tant qu'on y est, on serait avisé de combattre le mot "résonance", pour conserver celui de mésomérie. En effet, s'il y avait une résonance, il y aurait une fréquence de résonance !
Non, il n'y a pas "oscillation" entre les formes limites !
Donc représentons le benzène avec un petit cercle au milieu, et parlons de mésomérie.
Rien que du bonheur
Il y a quelques années, l'Education nationale avait pris une décision déplorable : il avait été décidé que la double flêche, qui représente les équilibres chimiques, serait représentée par un signe égal.
C'était une mauvaise décision... parce que Gherd Van't Hoff avait reçu le prix Noble de chimie, en 1901, pour avoir précisément remplacé le signe égale par une double flèche.
La question est de savoir de quoi on parle : représente-t-on un mécanismes, des objets, ou bien fait-on une équation ?
La seconde possibilité n'est pas admissible, car quand on écrit "Fe2+" à gauche du signe =, on doit supposer que c'est la quantité d'ions ferreux. Or ce n'est pas ce qui est entendu par cette représentation là.
Bref, sous l'influence de physiciens insuffisamment compétents en matière de transformations moléculaires, on avait fait quelque de mauvais.
La bonne nouvelle, c'est que l'Education nationale (qui était quand même bien isolée, dans le monde!) est revenue en arrière !
Il faut savourer cette victoire. Vive la physico-chimie !
C'était une mauvaise décision... parce que Gherd Van't Hoff avait reçu le prix Noble de chimie, en 1901, pour avoir précisément remplacé le signe égale par une double flèche.
La question est de savoir de quoi on parle : représente-t-on un mécanismes, des objets, ou bien fait-on une équation ?
La seconde possibilité n'est pas admissible, car quand on écrit "Fe2+" à gauche du signe =, on doit supposer que c'est la quantité d'ions ferreux. Or ce n'est pas ce qui est entendu par cette représentation là.
Bref, sous l'influence de physiciens insuffisamment compétents en matière de transformations moléculaires, on avait fait quelque de mauvais.
La bonne nouvelle, c'est que l'Education nationale (qui était quand même bien isolée, dans le monde!) est revenue en arrière !
Il faut savourer cette victoire. Vive la physico-chimie !
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