Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 30 novembre 2019
A propos d'oxydation
En cuisine, on entend parler parfois d'oxydation : c'est un mot un peu compliqué qui me fait soupçonner que certains de mes interlocuteurs ne savent pas exactement ce qu'ils disent. Il y a peu, j'ai entendu quelqu'un dire que les oxydation conduisaient toujours à du brunissement, et je viens de trouver un exemple qui réfute cette idée.
Pour commencer, examinons en termes très simples ce qu'est une oxydation. Prenons l'exemple de l'action de l'oxygène -par exemple, celui de l'air, qui devrait d'ailleurs être nommé plus justement dioxygène- sur du fer. Le fer rouille : il est oxydé par le dioxygène.
Pourquoi ? Parce que les atomes du fer métallique cèdent des électrons aux atomes d'oxygène du dioxygène gazeux, ce qui fait des "ions" fer et des "ions oxygène". Ces ions sont électriquement chargés, et ils s'attirent comme la règle en plastique frottée attire les cheveux, ou comme un pôle nord d'un aimant attire un pôle sud.
Dans cette réaction, il y a au bilan le fait que le fer a perdu les électrons qui ont été gagnés par les atomes d'oxygène. Dans un langage ancien, on aurait dit qu'il y avait une affinité entre le fer et l'oxygène, mais aujourd'hui, on dirait qu'il y a une réaction d'oxydation du fer par l'oxygène. D'ailleurs, dans cette réaction, l'oxygène a été réduit, ce qui est l'opposé de l'oxydation.
Mais arrivons maintenant à l'exemple que je voulais donner. Quand il y a du carbone -pensons à du charbon- et de l'oxygène, alors cela peut faire du dioxyde de carbone : le carbone a été oxydé, comme le fer l'est quand il rouille. Mais dans ce cas du carbone, la couleur noire du carbone disparaît, puisque le dioxyde de carbone est un gaz sans couleur. On voit donc que l'oxydation a fait disparaître une couleur marron, au lieu de la créer ! C'est bien ce que je disais : un brunissement ne correspond pas toujours à une oxydation.
vendredi 29 novembre 2019
Comment faire de bonnes frites ?
De bonnes frites ?
On m'interroge à propos de la confection des frites : la question est d'obtenir des frites bien cuites, avec un bon croustillant.
Il faut analyser en termes physico-chimiques évidemment :en partant du fait qu'une pomme de terre est un assemblage de petit sacs plein d'eau et de petits grains durs que l'on nomme des grains d'amidon.
Quand la pomme de terre est mise dans de l'huile à une température bien supérieure à celle de l'ébullition de l'eau, l'eau qui est présente dans les cellules de la surface se met à bouillir... et c'est là qu'il est bon d'avoir en tête cet ordre de grandeur : un gramme d'eau, cela fait un litre de vapeur. Autrement dit, la vapeur prend beaucoup plus de place que l'eau liquide, de sorte qu'il n'est pas étonnant de voir des jets de bulles de vapeur sortir les frites que l'on plonge dans un bain d'huile chaude.
Évidemment, si l'eau est évaporée, en surface des frites, alors elle ne se trouve plus à l'intérieur, qui s'emplit de vapeur. Toutefois, il y a mieux, si l'on se souvient d'un des "commandements de la cuisine" (voir mon livre Mon histoire de cuisine, éditions Belin) : un aliment qui contient un liquide est mou, mais un aliment qui ne contient pas de liquide (huile, eau...) est dur.
De sorte que si l'on élimine l'eau de surface, on fait une "croûte", croustillante.
Comme pour la croûte du pain, comme pour la croûte d'un petit chou, comme dans la croûte d'une viande, comme pour un soufflé, une croûte se forme donc progressivement autour des frites que l'on met dans l'huile chaude, et cette croûte est d'autant plus épaisse que le temps de cuisson est long.
Mais il y a un écueil : à savoir que si le temps de cuisson est long, alors la surface des frites risque d'être trop brune, ce que l'on dirait trop cuite. Pour l'éviter, il suffit simplement de ne pas frire à une température trop élevée, et alors on peut prolonger le temps de cuisson. On règle alors l'épaisseur du croustillant comme on veut .
Il y a aussi la question des frites grasses, mais j'ai résolu cette question depuis longtemps en observant que c'est l'absorption d'huile par la frite quand la friture est terminée qui est responsable les frites grasses. Si l'on éponge les frites immédiatement au sortir du bain, alors il n'y a pas de l'huile absorbée. Le gain est considérable puisque il y a presque un demi gramme d'huile en plus ou en moins par frite !
On m'interroge à propos de la confection des frites : la question est d'obtenir des frites bien cuites, avec un bon croustillant.
Il faut analyser en termes physico-chimiques évidemment :en partant du fait qu'une pomme de terre est un assemblage de petit sacs plein d'eau et de petits grains durs que l'on nomme des grains d'amidon.
Quand la pomme de terre est mise dans de l'huile à une température bien supérieure à celle de l'ébullition de l'eau, l'eau qui est présente dans les cellules de la surface se met à bouillir... et c'est là qu'il est bon d'avoir en tête cet ordre de grandeur : un gramme d'eau, cela fait un litre de vapeur. Autrement dit, la vapeur prend beaucoup plus de place que l'eau liquide, de sorte qu'il n'est pas étonnant de voir des jets de bulles de vapeur sortir les frites que l'on plonge dans un bain d'huile chaude.
Évidemment, si l'eau est évaporée, en surface des frites, alors elle ne se trouve plus à l'intérieur, qui s'emplit de vapeur. Toutefois, il y a mieux, si l'on se souvient d'un des "commandements de la cuisine" (voir mon livre Mon histoire de cuisine, éditions Belin) : un aliment qui contient un liquide est mou, mais un aliment qui ne contient pas de liquide (huile, eau...) est dur.
De sorte que si l'on élimine l'eau de surface, on fait une "croûte", croustillante.
Comme pour la croûte du pain, comme pour la croûte d'un petit chou, comme dans la croûte d'une viande, comme pour un soufflé, une croûte se forme donc progressivement autour des frites que l'on met dans l'huile chaude, et cette croûte est d'autant plus épaisse que le temps de cuisson est long.
Mais il y a un écueil : à savoir que si le temps de cuisson est long, alors la surface des frites risque d'être trop brune, ce que l'on dirait trop cuite. Pour l'éviter, il suffit simplement de ne pas frire à une température trop élevée, et alors on peut prolonger le temps de cuisson. On règle alors l'épaisseur du croustillant comme on veut .
Il y a aussi la question des frites grasses, mais j'ai résolu cette question depuis longtemps en observant que c'est l'absorption d'huile par la frite quand la friture est terminée qui est responsable les frites grasses. Si l'on éponge les frites immédiatement au sortir du bain, alors il n'y a pas de l'huile absorbée. Le gain est considérable puisque il y a presque un demi gramme d'huile en plus ou en moins par frite !
jeudi 28 novembre 2019
Une question difficile
Aujourd'hui, une question difficile, parce qu'elle porte sur une des réactions complexes de la science des aliments : la caramélisation, à ne pas confondre avec les réactions fautivement nommées "de Maillard", ni avec bien d'autres qui font apparaître des couleurs brunes dans les aliments.
Mais j'anticipe, et voici la question
"Je me permets de vous soumettre une question qui m'intrigue depuis longtemps : avant d'attendre le stade de caramel, le sucre (saccharose) subit-il des transformations physiques ou chimiques lors de sa cuisson avec de l'eau ?
Plus précisément, lorsqu'on réalise un sorbet, par exemple, les recettes préconisent généralement de faire un sirop avec l'eau et le sucre, puis d'ajouter celui-ci au jus des fruits avant de sangler le mélange. Quel est l'intérêt de cette méthode ? N'obtiendrais-je pas le même résultat en dissolvant directement le sucre dans le jus de fruits ? Le sorbet n'en serait-il pas meilleur, dans la mesure où j'aurais évité la dilution par un apport d'eau supplémentaire ?
J'ai commencé à me poser cette angoissante question lorsque j'ai découvert, dans je ne sais quel grimoire, le verbe "décuire", qui me semble impliquer la réversibilité de la cuisson du sucre - contrairement à toutes les autres cuissons que je connais...
Si vous aviez l'amabilité d'éclairer ma lanterne, je vous en serais fort reconnaissant !
Des réactions avant la caramélisation ? Oui.
Commençons par le commencement. On part de sucre de table et d'un peu d'eau, et l'on chauffe. D'abord, le sucre se dissout, puis on atteint l'ébullition : des bulles apparaissent, partant du fond de la casserole, montant dans le sirop et venant éclater en surface (en projetant de microscopiques gouttelettes qui salissent autour de la casserole ;-)).
Bien sur, il y a de la fumée, qui résulte de l'évaporation de l'eau, puis de la recondensation en gouttelettes dans l'air froid qui surmonte la casserole.
Puis on voir la taille et l'aspect des bulles changer : si l'on mesurait la température, on verrait que, plus le sirop se concentre, plus sa température augmente, passant de 100 °C à 110, 120...
Puis, quand on atteint 140 °C environ, une couleur apparaît, d'abord jaune, puis blonde, puis brune (à ce stade, il y a une belle odeur de caramel), et enfin une odeur âcre envahit la cuisine.
Certainement, quand la couleur change, des réactions ont lieu, mais oui, il y a aussi des réactions quand une odeur apparaît... et même avant, surtout quand le sirop a été additionné de composés acides ou basiques : la molécule de saccharose se dissocie (on dit "hydrolyse") en glucose et en fructose, ce qui n'est pas anodin, car ces composés sont des "anticristallisants", qui évitent que le sirop, s'il était coulé sur un marbre froid, ne cristallise.
Bref, des transformations physiques, il y en a : le fait que les cristaux de sucre, formés d'empilements réguliers de molécules de saccharose, se dissocient, parce que les molécules d'eau, rapides (c'est cela, la "chaleur"), viennent heurter les empilements réguliers, ce qui libère les molécules de saccharose individuelles, lesquelles partent flotter dans l'eau.
Mais mon correspondant est en réalité plus intéressé par la chimie que par la physique, et oui, les molécules de saccharose sont dégradées, au moins, d'abord, en glucose et en fructose.
Quand la température augmente un peu, la dégradation est plus poussée, et l'odeur de "cuit" que l'on sent est alors due à une foule de composés formés par le réarrangement des atomes de glucose, de fructose et de saccharose. Notamment se forme du 5-hydroxyméthylfurfural, qui s'échappe avec la vapeur. Et se forment aussi des "dianhydrides de fructose" qui, eux, ne s'échappent pas, restent dans la casserole, et réagissent avec des molécules de glucose pour former des polymères qui, au refroidissement, contribueront à la masse du caramel. Mais à ce stade, il y a mille molécules, parce que l'on oublie de dire que la caramélisation est une réaction telle que les chimistes hésiteraient à les faire, tant elle est énergique. Les dégradations sont dans tous les sens !
A propos de sorbet, maintenant
Ici, la question est donc de faire un sorbet, et notre ami nous dit que certaines recettes préconisent de faire un sirop avec l'eau et le sucre, puis d'ajouter celui-ci au jus des fruits avant de sangler le mélange. Obtiendrait-on le même résultat en dissolvant directement le sucre dans le jus de fruits ?
Certes, on peut mettre le sucre dans le jus de fruit, mais il faudrait alors chauffer le jus de fruit... et celui-ci prendrait un goût de cuit. Par exemple, il y a une étonnante différence avec les granny-smith, les poires, l'ananas, la fraises... et personnellement (mais c'est un goût personnel), j'aime bien avoir le goût du fruit non cuit, dans certains sorbets, et le goût du fruit cuit dans d'autres.
Autrement dit, c'est une affaire de goût : si l'on veut le goût des fruits frais, la confection d'un sirop concentré que l'on ajoute au fruits que l'on broie est une bonne solution, mais si l'on préfère un goût cuit, alors oui, on peut ajouter le sucre au jus de fruits et chauffer.
Décuire
Enfin, vient la question de la "décuisson", qui n'est pas une véritable décuisson, en ce sens que ce n'est pas en ajoutant de l'eau et en chauffant un mélange de glucose et de fructose que l'on refera du saccharose !
Et la fameuse "décuisson" des sirops n'ira certainement pas transformer un caramel en sucre (contrairement à la décuisson des oeufs, que j'avais proposée dès 1987 !).
Bref, le mot "décuisson" signifie seulement que l'on récupère un liquide, une "solution", au lieu d'avoir une masse solide.
Et plus
J'y pense : pour aider mes amis, je viens de publier dans l'Encyclopédie de l'Académie d'agriculture de France un texte sur les "sucres" : quelle est la différence entre un sucre, un glucide, un saccharide, un ose...
N'hésitez pas : c'est en ligne !
lundi 18 novembre 2019
Coup de feu sur les braisés !
Le braisage est une merveilleuse opération culinaire, que l'on fait en mettant dans une cocotte du lard, des oignons et des carottes, une viande, puis, par dessus, carottes, oignons et lard, plus un bon verre d'eau de vie.
On met à four très chaud, pour brunir l'ensemble, puis on couvre et l'on cuit longuement "cendres dessus et dessous", ce qui signifie "à basse température". De la sorte, le tissu collagénique se dégrade, et la viande s'attendrit sans que l'intérieur des fibres musculaires ne durcisse.
Tout cela étant dit, je reçois ce message :
Monsieur This Bonjour,
Il m’est arrivé ce week-end de perdre foi dans ma cocotte Staub, dans ma plaque à induction puis dans mon boucher que j’adore. Ma blanquette Ô combien si traditionnelle et facile fut dure comme du bois. Et du bois dur… Rien n’y fit. Pas même le lendemain.
J’ai lu vos lignes et j’ai compris (un peu tard…) les fibres, le collagène, la température basse. J’ai vu – et je vous l’annonce honteusement – la mienne bouillir. Il était trop tard.
Bien, désormais la science à travers vos lignes a fait son travail et j’ai compris le pourquoi.
Maintenant que mon dos est tout fouetté
d’erreur : avais je une solution autre que la rage et l’accusation des
uns et des autres ? Ma question est simple : si notre vie trop
moderne ne nous a pas permis de surveiller la température de la joue,
du jarret, du quasi et qu’il est devenu tout dur, révolté d’avoir été
chauffé : y a-t-il une science inverse pour récupérer
l’affaire ?
Et est ce applicable à temps pour servir à Madame ? Aidez-moi par pitié !
Sans attendre, ma réponse :
Cher Monsieur
Ne perdons pas confiance dans nos
cocottes... mais mettons-les dans un four correctement réglé, notamment à
des températures comprises entre 60 et 100 °C. Evidemment, il faut des
fours modernes, à la norme "verte", pour une cuisson très longue.
En
revanche, nos Anciens avaient raison de dire que le "coup de feu" est
la mort des braisés : on ne peut dé-coaguler une viande trop cuite, et
la seule ressource, alors, consiste à cuire encore plus longtemps, afin
d'obtenir une complète gélatinisation du tissu collagénique, quitte
ensuite à faire tremper cela dans une émulsion qui ira nourrir les
chairs de matière grasse.
Madame devrait donc attendre !
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