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mardi 16 juillet 2024

Le bleu du ciel


Il y a ce moine chinois du 18e siècle, Shitao (ce qui signifie citrouille amère) qui produisit un extraordinaire traité de peinture intitulé L'unique trait de pinceau. Le livre est merveilleux et l'un de ses arguments est que l'on ne peut peindre correctement que si l'on est capable de faire du premier coup un trait qui ne sera pas corrigé, l'unique trait de pinceau.
L'auteur prétend qu'il n'y a pas de correction possible et il dit en également que, pour arriver à cette maîtrise, il est nécessaire de méditer beaucoup et de se débarrasser de ce qu'il nomme la poussière du monde. 


Évidemment, tout ce qui n'est est écrit dans les livres n'est pas nécessairement juste, et, d'autre part, il n'est pas suffisant de dire des choses pour les faire exister : on pensera au Père Noël ou au carré rond, par exemple. 


Bien sûr, on connaît cette certaine catégorie de discours qui nous abaissent, nous salissent : certaines personnes sécrètent la poussière du monde... mais je me reprends car faut-il conserver l'expression "poussière du monde" ou bien simplement poussière ? Poussière du monde ne se soutiendrait que si le monde avait une acception comme le "grand monde", par exemple. 

Mais on me connaît et je n'aime pas avoir le nez vers la boue ; je suis de ceux qui proposent de montrer le bleu du ciel. 

 

Certes, je ne dis pas que le ciel est toujours entièrement bleu mais je propose d'apprendre à voir le bleu qui est dans le ciel, je propose d'apprendre à faire bleuir le ciel, je propose d'apprendre à voir le bleu derrière d'éventuels nuages, je propose d'apprendre à chasser les nuages pour voir le bleu.


J'ignore si la considération du bleu permettra effectivement de faire de meilleurs traits de pinceau mais je sais que l'observation du bleu du ciel nous met dans un état d'esprit plein d'entrain qui nous permet de nous mettre en chemin. Une fois en route, nous cheminons, nous nous préoccupons du chemin et nous oublions l'état d'esprit initial (le bleu du ciel) pour nous concentrer sur le chemin, ses aspérités, et cetera. 

Mais au moins nous serons en route au lieu de craindre la poussière. Décidément, je préfère voir le bleu du ciel

vendredi 24 novembre 2017

L'exigence




Lors d'une remise de décoration récente, le discours d'éloge a signalé qu'une des qualités d'un de mes amis était l'exigence.
L'exigence ? Etre exigeant, c'est demander beaucoup aux autres, mais, en l'occurrence, mon ami n'est pas exigeant, sauf pour lui-même. C'est un ami précisément parce qu'il n'est pas de ceux qui fabriquent de la poussière du monde, mais que, au contraire, il fait partie du groupe de ceux qui empêchent cette poussière d'exister.
Car on se souvient que la poussière du monde est cette notionn qui était discutée par le moine peintre Shitao, dans son traité de peinture et de calligraphie. Shitao déclarait en substance que, pour bien peindre, il fallait méditer, s'améliorer personnellement, lutter contre la poussière du monde… comme si cette dernière existait. Je maintiens que la poussière du monde n'existe que si nous la faisons exister : c'est notre comportement qui la crée, comme par exemple dans ces discussions idiotes où l'on demande « Avez-vous le dernier film ? », « Avez-vous lu le dernier livre ? ».

Dans nos emails que nous échangeons chaque soir dans le Groupe de gastronomie moléculaire, il y a des « cases » (puisque c'est un tableau) pour énoncer le snouvelles connaissances ou compétences… mais il y a, juste à côté, des cases pour évaluer ce que nous avons appris, et aussi des cases de commentaires qui permettent précisément de faire autre chose que des énumérations. L'énoncé de faits a peu d'intérêt, et c'est le traitement analytique et synthétique qui s'ensuit qui constitue le véritable travail. Voir un film, admirer le soleil couchant, aimer un plat, c'est à la portée d'un animal. En revanche, s'interroger sur les raisons pour lesquelles on peut admirer le soleil couchant ou aimer un plat, c'est le début d'une démarche positive et active, qui peut conduire à des changements profonds.

L'exigence vis à vis de soi même, c'est la rigueur, la volonté constante d'amélioration, mais c'est peut-être aussi cela : ne pas être de ceux que l'on gave comme des oies, mais, au contraire, avoir pour règle de ne jamais créer la poussière du monde, de construire sans cesse. Je ne suis pas certain qu'il y avait tout cela dans le discours que j'ai entendu, mais, après tout ce que j'ai dit, ne dois-je pas être de ceux qui construisent ?

samedi 4 octobre 2014

Ne prenons pas les examinateurs pour des idiots


Le « pari de Pascal »  (Pensées, 1670) est célèbre : « Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »

Ne pourrions-nous proposer, de même, de faire le pari de la bienveillance, de l'intelligence et de la culture, sans prétention ? D'une part, il y a les malfaisants, les jaloux, les méchants, les malhonnêtes, les paresseux, les autoritaires…  qui nous nuiront quoi que nous fassions. D'autre part,  il y les bienveillants et ceux qui n'ont pas d'idée a priori de nos travaux. Si nous mettons de l'intelligence dans nos productions, les individus de cette seconde catégorie, les seuls à qui il soit digne de s'adresser, nous seront redevables  des pétillements que nous aurons glissés dans notre version des faits.
Là, il faut que je demande pardon à mes amis, et que je rectifie une erreur que j'ai faite dans un de mes livres et quelques articles : ébloui par le moine Shitao, ce théoricien chinois de la peinture et de la calligraphie, je l'avais suivi quand il évoquait la « poussière du monde »


La poussière du monde ? Ce sont les modes, les « chiens écrasés », les potins, les agissements des grenouilles qui veulent se faire plus grosses que le  bœuf (ceux qui prétendent diriger, alors qu'il n'est pas certain qu'ils se dirigent eux-mêmes : je pense aux « dirigeants » dont les enfants  sont délinquants, ou s'entretuent pour des histoires de mœurs  sordides, sans compter ceux qui affichent  impudiquement leur vie publique… minable). Bref, il y aurait la « poussière du monde ».
Toutefois, dire un mot ne fait pas exister l'objet « matériellement » ! Le manteau  du père Noël n'est ni rouge ni bleu… puisque le père Noël, n'existant pas, n'a pas de manteau. La poussière du monde ? L'idée est fascinante, mais si nous nous efforçons de mettre de l'intelligence dans nos actes, pensées, discours, rien n'est anodin, rien n'est poussière.
Et  c'est ainsi que nos productions seront plus belles, adressées à des « amis ».