Apprenons à lire
Hervé This
Bien sûr, nous savons lire, sans quoi
nous ne serions pas avec ce texte devant nous. Toutefois la question
n'est pas là : elle est de savoir si nous savons assez planter
les dents dans l'os, comme un pitbull, si nous savons comprendre ce
que nous lisons, si nous savons transformer une connaissance (une
idée lue, intégrée) en une compétence (une idée utilisable).
D'ailleurs, par « lire »,
je n'entends pas seulement « lire des phrases », mais
lire un document, lequel, au XXIe siècle, peut comporter des images,
des sons, des films, bientôt des odeurs, des saveurs peut-être...
En outre, si l'idée du pitbull est
terrible, il n'en faut retenir que la capacité de ne pas « lâcher
le morceau », car c'est ainsi seulement que nous parvenons à
l'avaler, en toutes circonstances, sans sauter un mot, une phrase ou
une idée quand ils nous échappent. Il existe en effet des mots,
comme « gastronomie », dont nous ne faisons que supposer,
parce que nous avons la paresse d'y voir plus loin. D'où la
conséquence : lire, c'est aussi aller y voir de près, chercher
au delà du texte. Lire, c'est un travail, une activité « active ».
Passons à l'intégration. Il semble
dérisoire de recommander de lire tous les mots d'un texte, mais
l'expérience de l'enseignement universitaire montre que là est
l'une des principales difficultés : on lit trop vite... parce
qu'on lit.
Expliquons : la lecture,
généralement, pour un manuel comme pour un journal, se fait de
façon quasi constante, à savoir que la lectrice ou le lecteur est
devant le texte, et que ses yeux parcourent les lignes. Le cas idéal
serait que chaque mot soit lu, mais l'expérience prouve que les
lecteurs vont trop vite. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on
dit qu'il faut apprendre sept fois pour savoir : puisqu'on a
sauté un mot sur sept, il faudra sept lectures pour avoir tous les
mots !
Bref, un bon conseil : lire tous
les mots !
Une fois les mots « avalés »,
il y a le sens à faire. Là encore, il y a du travail, et c'est
évidemment le lecteur qui fait le sens... dans l'hypothèse
minimaliste où il ne décode pas :
- les intentions de celui qui a écrit : pourquoi l'a-t-il fait ? Pourquoi l'a-t-il fait ainsi ? Pourquoi l'a-t-il fait à ce moment précis ? Qu'a-t-il voulu que je pense ? Qu'a-t-il écrit ? Pourquoi a-t-il voulu que je pense ce que je pense...
- les intentions des vecteurs du document
- etc.
Bref, une phrase n'est pas une phrase
qu'on lit, mais une phrase que l'on comprend.
Pour autant, une phrase que l'on
comprend n'est pas encore une phrase que l'on est capable de
restituer : une connaissance n'est pas une compétence !
Ici, il faut à nouveau s'arrêter une
seconde sur le mot « phrase » : à la lumière de ce
qui précède, on a compris que je parle moins d'une phrase faite de
mots que d'une phrase du XXIe siècle, avec des mots, des sons, des
images, fixes ou animées, etc.
Même ainsi, il y a la question de la
compétence. Comment s'assurer que nous l'avons ?
Tout cela est bien difficile, et l'on
voit que lire prend du temps. Je me demande, d'ailleurs, si lire ne
consiste pas à écrire, afin de poser devant nous des objets plus
« matériels ». Certes, il y a dans le peuple des génies
qui ont la capacité extraordinaire de manier les idées sans les
voir, mais... quels génies !
Pour les autres, il y a la nécessité
de poser tout cela, de le matérialiser, de faire retomber le soufflé
de l'abstraction, afin de le déguster plus sûrement. Lire, c'est
écrire, pour ceux-là, c'est dessiner, c'est modeler de la pâte,
c'est sentir...
Au fait, comment pourrais-je diriger
autrui moi qui ne me gouverne pas moi-même ? Je me vois sur une
mauvaise pente, à dire positivement comment lire, à répondre à la
question « Comment lire ? ».
Non, plutôt, je propose que nous nous
posions la question : comment lire ?
http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/
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