Il y a d'abord le mot, le simple mot, qui reconnaît une activité de l'esprit... mais existe-t-il des activités humaines qui ne soient pas des activités de l'esprit ?
Existe-t-il vraiment des activités purement manuelles, où la tête ne pense plus ? Je ne le crois pas, et, que nous soyons attentifs à des questions de l'ordre de la pensée ou à des gestes, notre tête fonctionne.
Puis il y a le mot avec ses connotations, ses définitions idiosyncratiques qui furent données par des Mirbeau, Zola, Aron, Sartre, Camus, Bourdieu, Chomsky, Foucault et tant d'autres. Là, chacun y met sa patte, de sorte que, aucun n'ayant de légitimité suffisante pour imposer une définition, aucune définition proposée n'est légitime, et nous perdons notre temps à suivre ces propositions.
Plus intéressante est l'idée de Georges Dumézil, qui considérait que les mythes mettaient constamment en scène trois types d'humains : les agriculteurs, les soldats et les prêtres. Les premiers produisent des biens matériels, les deuxièmes protègent cette production, et les prêtres se chargent des travaux de l'esprit. Manifestement, les intellectuels d'aujourd'hui seraient les prêtres d'antan.
Les scientifiques ? On n'oublie pas que la science était nommée jadis "philosophie naturelle", mais on aurait dû traduire "philosophie de la nature".
Bref, les scientifiques ne sont certainement pas des soldats, mais sont-ils des agriculteurs ou des prêtres ? Car après tout, ils produisent du savoir, et n'agitent pas seulement des questions morales ou politiques.
La question étant posée, on observera que je me suis éloigné de tous ces "intellectuels" auto-proclamés, dans des champs tels que la philosophie ou la politique. Non que certains ne puissent bien faire, mais, surtout, que toutes les idées sont à prendre, et pas seulement celles de ceux qui sont embarrassés de leurs mains.
Dans ma "collection d'idées pour rendre plus intelligent", je veux tout aussi bien l'apport des scientifiques, des philosophes, des historiens, des géographes... que des maçons, des cuisiniers, des électriciens, des agriculteurs.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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jeudi 13 septembre 2018
samedi 2 avril 2016
Il n'est pas vrai que la tête guide la main
Derrière toutes ces discussions, il y a évidemment la question des métiers dits manuels et des métiers dits intellectuels, comme si l'on pouvait réduire un métier à l'emploi de ses mains ou de sa tête ! La tête guide la main ? Cette phrase est écrite sur une poutre du Musée du compagnonnage, à Tours, et je l'avais affichée sur mon mur. Elle est aujourd'hui barrée.
Pourquoi évoquer la tête et la main, dans un laboratoire de chimie ? Parce que, dans un tel lieu, il est de la plus haute importance que les expériences soient faites avec le plus grand soin : le bris de récipients qui contiendraient des acides ou des solvants toxiques exposerait le personnel du laboratoire à des dangers parfois terribles. Il faut absolument que nous fassions nos expériences avec calme, précision, concentration.
Voilà pourquoi il ne doit y avoir aucun bruit dans un laboratoire de chimie. Aucun bruit de verre, notamment, car un verre heurté peut se briser, et conduire à des catastrophes.
Toutefois, un jour, alors que des Compagnons du Tour de France sont venus me rendre visite au laboratoire, ils ont vu cette phrase sur mon mur, m'ont interrogé sur sa présence, et, à leur stupéfaction, le commentaire de la phrase que j'ai fait devant eux m'a conduit, devant eux, à barrer la phrase, car j'ai compris qu'elle était fausse.
Commençons par à analyser pourquoi il n'est pas vrai que la tête guide la main. Imaginons que nous voulions prendre un verre posé devant nous. Il faut d'abord que la tête donne l'ordre au bras de s'étendre et à la main de se diriger vers le verre : la tête guide la main. Toutefois il faut sans cesse corriger le mouvement du bras, ce qui impose à l'oeil de déterminer la position de la main et du verre. Les informations de l'oeil vont à la tête. Évidemment, on pourrait considérer que l'oeil fait partie de la tête, mais à ce moment-là, la main aussi, et ce serait le corps qui guide le corps, ce qui serait une tautologie.
Mais continuons l'analyse. Les doigts approchent du verre, et la tête leur dit de se refermer. Si les doigts qui se referment ne disent pas à la tête la pression exercée, alors la tête ne pourra pas modifier cette pression et éviter le bris du verre. C'est d'ailleurs quelque chose qu'ont bien compris les constructeurs de robots : il faut sans cesse un échange entre la tête, la main, l'oeil, le pied, que sais-je ?
Avec sa Lettre sur les aveugles, Diderot avait très bien analysé que nous ne pouvons penser sans les sens, et que, de ce fait, la question de la tête et de la main est mal posée. Il n'y a pas la tête d'un côté et la main de l'autre ; il y a l'être, avec tête et mains… et voilà pourquoi j'ai barré cette phrase, que je ne crois pas juste.
Pourquoi évoquer la tête et la main, dans un laboratoire de chimie ? Parce que, dans un tel lieu, il est de la plus haute importance que les expériences soient faites avec le plus grand soin : le bris de récipients qui contiendraient des acides ou des solvants toxiques exposerait le personnel du laboratoire à des dangers parfois terribles. Il faut absolument que nous fassions nos expériences avec calme, précision, concentration.
Voilà pourquoi il ne doit y avoir aucun bruit dans un laboratoire de chimie. Aucun bruit de verre, notamment, car un verre heurté peut se briser, et conduire à des catastrophes.
Toutefois, un jour, alors que des Compagnons du Tour de France sont venus me rendre visite au laboratoire, ils ont vu cette phrase sur mon mur, m'ont interrogé sur sa présence, et, à leur stupéfaction, le commentaire de la phrase que j'ai fait devant eux m'a conduit, devant eux, à barrer la phrase, car j'ai compris qu'elle était fausse.
Commençons par à analyser pourquoi il n'est pas vrai que la tête guide la main. Imaginons que nous voulions prendre un verre posé devant nous. Il faut d'abord que la tête donne l'ordre au bras de s'étendre et à la main de se diriger vers le verre : la tête guide la main. Toutefois il faut sans cesse corriger le mouvement du bras, ce qui impose à l'oeil de déterminer la position de la main et du verre. Les informations de l'oeil vont à la tête. Évidemment, on pourrait considérer que l'oeil fait partie de la tête, mais à ce moment-là, la main aussi, et ce serait le corps qui guide le corps, ce qui serait une tautologie.
Mais continuons l'analyse. Les doigts approchent du verre, et la tête leur dit de se refermer. Si les doigts qui se referment ne disent pas à la tête la pression exercée, alors la tête ne pourra pas modifier cette pression et éviter le bris du verre. C'est d'ailleurs quelque chose qu'ont bien compris les constructeurs de robots : il faut sans cesse un échange entre la tête, la main, l'oeil, le pied, que sais-je ?
Avec sa Lettre sur les aveugles, Diderot avait très bien analysé que nous ne pouvons penser sans les sens, et que, de ce fait, la question de la tête et de la main est mal posée. Il n'y a pas la tête d'un côté et la main de l'autre ; il y a l'être, avec tête et mains… et voilà pourquoi j'ai barré cette phrase, que je ne crois pas juste.
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