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mercredi 27 août 2025

A propos de dénominations : pensons à des "façons"

 La question des dénominations culinaires est bien difficile, et notamment parce que chaque chef fait "à sa sauce", varie les ingrédients selon son goût, au mépris de ce qui est consigné dans les recettes dont il s'inspire et dont il prend le nom pour nommer son propre plat.

Sans compter que nombre de praticiens connaissent mal  l'histoire de la cuisine et les raisons pour lesquelles les dénominations ont été choisies,  trompés en cela par les dictionnaires qui n'ont pas correctement fait le travail.

Et c'est ainsi qu'on en vient à croire que le poivre mignonnette est un poivre grossièrement moulu alors qu'on lit très bien dans le Cuisinier gascon, publié en 1740, sous la plume d'un Bourbon, que les mignonnettes sont de petits sachets dans lesquels on enferme les épices avant de le placer dans une préparation liquide.
Et c'est ainsi, de même, que les praticiens ignorent que les "mousselines" ne sont autres que des  farces cuites dans un linge léger nommé mousseline (tout comme on fait une terrine en cuisant une farce dans une terrine, en terre).

Bref, si l'on ignore la différence entre rémoulade (avec moutarde) et mayonnaise (sans moutarde), par exemple,  ou entre un beurre Colbert et un beurre maître d'hôtel, trompé notamment par  des textes culinaires écrits par des cuisiniers qui ignorent l'histoire de leur discipline et qui n'ont pas fait les recherches nécessaires, alors on ne sait plus où donner de la langue.

Quelle est la différence entre un beurre d'escargot et un beurre maître d'hôtel par exemple  ? Je propose d'examiner la question générale des dénominations sur cet exemple parce qu'il est éclairant.

Pour un beurre maître d'hôtel, il s'agit de malaxer du beurre avec du persil haché, du sel, du poivre et un peu de citron.
Rien à voir donc avec ce beurre d'escargot qui est plein d'ail et qui donc mérite un autre nom... tel que beurre d'escargot.
Pourrait-on le nommer beurre d'ail ? Pourquoi pas... sauf que le "véritable beurre d'ail", celui qui a été nommé avant moi, ne comporte pas de persil, mais seulement du beurre et de l'ail...


En tout cas, je propose de considérer que ces dénominations sont comme des dans un paysage montagneux. Il y aurait le pic beurre maître d'hôtel, le pic beurre d'escargot, le pic beurre d'ail, bien séparés. Entre eux, il y aurait toute une série d'intermédiaires. Par exemple, si l'on part d'un  beurre maître d'hôtel et qu'on ajoute un peu d'ail, alors qu'a-t-on ? Ou encore, si l'on ajoute de l'échalote ? Il serait bon d'utiliser l'expression "façon beurre maître d'hôtel" ou "façon beurre d'escargot" pour rappeler la préparation dans la direction de laquelle on se dirige.

En réalité, je connais bien peu de cuisiniers qui suivent exactement les recettes, et, sans ce "façon",  les dénominations qu'ils utilisent sont souvent illégitimes.

Terminons en signalant que l'examen des livres de cuisine anciens montre que, par le passé, certaines dénomination particulières ont été appliquées un peu différemment. La sauce la sauce espagnole de Marie-Antoine Carême n'est pas exactement celle d'Urbain Dubois et Émile Bernard, différant également de celle de Jules Gouffé... Cela doit nous conduire à penser que certains des pics évoqués sont parfois des sommets arrondis.



lundi 17 mars 2025

A propos de mauvaise transmission

Alors que je relis des textes que je consacre à la terminologie culinaire,  je retrouve deux idées essentielles. 
 
Premièrement, il est extraordinairement étonnant qu'aucune référence ne soit jamais donnée dans les livres de cuisine  :  chacun y va de son affirmation, de sa recette, qui fait  table rase de tout ce qui s'est publié par le passé. 
Et c'est ainsi que naissent les plus grandes incohérences, les plus grandes confusions, les plus grandes ignorances, avec, ce qui est pire, la transmission d'informations fausses aux suivants. 
On aurait pu penser que les bons praticiens fassent l'effort d'un peu de rigueur de ce point de vue, même si je leur reconnais évidemment le droit de créer des variations pour les recettes classiques, d'ajouter ou non une pincée de noix muscade dans une purée, d'ajouter ou non une pincée de cannelle dans un appareil à boudin, de changer les proportions des ingrédients pour obtenir plus de fermeté ou au contraire plus de moelleux.... Mais rien !
 
Deuxièmement, en relation avec cette absence de références, il y a la question des justes dénominations, auxquelles le monde culinaire tord le bras de façon éhontée. 
En science, la règle est que le découvreur soit celui qui nomme  (un astre, un élément chimique, un composé, etc.);  en technologie, la règle est que l'inventeur soit celui qui nomme. Et c'est ainsi  je me vois répéter que nous devons nommer les préparations conformément à la première occurrence des dénominations. 
 
Cela signifie, en pratique, aller chercher dans les  livres de cuisine du passé la véritable signification des termes que l'on trouve aujourd'hui : à la Sainte-Ménehould, rémoulade, ravigote, gribiche, et  aussi toutes ces  dominations qui apparaissent plus tardivement : à la reine, à l'espagnole, à l'allemande, à la jacobine, au perdouillet...
 
On ne peut pas comprendre correctement et pratiquer correctement la cuisine sinon l'on confond la moutarde et la rémoulade, si l'on confond la pâte à savarin et la pâte à baba. 
Il ne peut pas y avoir de décision d'autorité par un praticien moderne, fut-il 3 étoiles au guide Michelin, et au contraire, c'est sur ces personnalités que pèse la plus grande responsabilité concernant l'utilisation des dénominations culinaires : nos amis devraient faire l'effort soit de faire les recherches eux-même, soit d'utiliser les résultats des recherches qui sont effectuées par ailleurs. 
 
Et c'est ainsi que je les engage évidemment à se reporter constamment au Glossaire des métiers du goût publié par le Centre international de gastronomie moléculaire et physique Inrae-Agroparistech : là, les dénominations sont données avec des références, et même si certains ouvrages ne sont pas cités, ils ont été lus, consultés, et que l'on a pesé les informations qui s'y trouvaient par rapport à des informations qui se trouvaient dans d'autres livres plus anciens. 
Ne suivons pas des ouvrages comme le Guide culinaire, qui est plein d'erreurs de ce point de vue là, qui confond les farces et les mousselines, les mayonnaises et les rémoulades... alors que même un des auteurs de ce livre a expliqué la différence dans  un autre livre, qu'il écrivait seul ! 
 
Bref, utilisons les bons mots, car il s'agit de la bonne pensée, et de la bonne pratique.

mercredi 6 novembre 2019

Il faut de l'honnêteté, en matière de commerce de denrées alimentaires ! (et pas seulement, bien sûr)


L'histoire de la tour de Babel est connue  : des hommes présomptueux avaient pour projet de construire une tour si grande qu'elle attendrait le ciel,  et Dieu lui-même. Celui-ci suscita les langues qui séparaient les communautés et stoppa le projet.
Les mots sont donc essentiels,  et il est vrai que, en matière alimentaire, la question des mots est primordiale, ce qui est bien reconnu par la loi sur le commerce des denrées alimentaires de 1905 : les produits doivent être sains, marchands, mais aussi loyaux :  du "cheval" n'est pas du "bœuf",  et vice et versa.
Les métiers du goût doivent  être particulièrement vigilants sur cette question parce qu'il en va de leur image auprès du public. À une époque où des élus menacent de taxer  les produits de charcuterie pour des raisons idiotes (éliminer les nitrites... qui pourtant sont utilisés pour combattre le botulisme), certains industriels finauds prévoient de contourner des réglementations ou de faire des publicités nauséeuses, par exemple en cuisant les jambons dans les bouillon de légumes qui apportent des nitrites qui ne seront donc pas déclarés sur l'étiquetage des produits,  alors nous devons examiner soigneusement les dénominations des produits et militer vigoureusement pour l'application la réglementation voir sur sa définition même. Aujourd'hui, je prends l'exemple de la béarnaise, cette sauce qui, certes, a varié au cours du temps, mais qui quand même, s'est fixée à une réduction d'échalotes dans du vinaigre, de l’œuf,  du beurre et de l'estragon, plus évidemment quelques constituants secondaires comme le sel et le poivre.
La question de la loyauté n'est pas facile, parce que  la simple pratique culinaire, mais aussi et la recherche d'innovations, conduisent souvent à être tenté de garder les anciennes dénominations pour des préparations nouvelles. Par exemple, nous faisons aujourd'hui des crèmes anglaises avec seulement 8 jaunes d’œufs par litre de lait, alors qu'il y en avait 16 il y a un siècle : la préparation moderne n'a rien à voir. Ou encore, je me souviens avoir inventé il y a plusieurs décennies ce que j'avais nommé des mayonnaise sans œuf, et je n'avais pas compris,  alors,  que cela était non seulement impossible mais déloyal. Non pas qu'il soit impossible de préparer des émulsion sans œuf,  et ce fut mon invention des "ollis", mais surtout que ces préparations ne sont pas des mayonnaises. Une mayonnaise sans œuf, c'est comme un carré rond... puisque la réglementation reconnaît fort heureusement qu'il faut au minimum 8 pour cent de jaune d'œuf dans une mayonnaise. Sans quoi, c'est un autre produit.
Tout comme le vin, qui est le produit de la fermentation du jus de raisin. On peut parfaitement faire des préparations synthétiques qui confondent parfaitement avec du vin, mais elles devront porter un autre nom que celui de vin.
Revenons à l'exemple de la béarnaise. Certes, Marie-Antoine Carême on donne une recette différente de celle d'aujourd'hui, et même aujourd'hui on obtient des résultats bien différents selon que l'on commence par produire un sabayon ou pas. On rappelle qu'il y a en cuisine des subtilités merveilleuse et que, par exemple, le beurre noisette versé dans du vinaigre fait un résultat bien différent de celui que l'on obtient en mettant du vinaigre dans le beurre noisette. D'ailleurs il faut ici discuter le mot différent  : il peut y avoir des différences de consistances, mais les différences de goûts sont essentielles,  et c'est cela qui pose problème pour les brevets : deux sauces qui ne diffèrent que par une pincée  de piment de Cayenne sont en réalité différentes.
Mais quand même, comment ne pas se mettre en colère quand on voit des industriels prétendre nommer béarnaise des sauces faites à partir de matière grasse végétale, et non de beurre ? D'aromatisant estragon et pas d'estragon ? Je ne dis pas que ces sauces ne sont pas bonnes, mais je dis qu'elles sont déloyales, malhonnêtes ! Je l'avais signifié par courrier au fabricant, et ma colère s'est accrue quand j'ai reçu une lettre de réponse me disant que la pratique était parfaitement autorisée dans le cadre du Codex alimentarius.
C'est  la preuve que nous n'avons pas assez milité pour des dénominations justes. Et c'est la démonstration aussi du fait que ce fabricant est un salaud, qui prend une lourde part de la responsabilité d'une sorte de nivellement par le bas de la cuisine,  de sorte qu'il ne faudra pas s'étonner si plus tard, le public en vient à le critiquer pour ses pratiques.
D'ailleurs, dans toute cette affaire, je vois que les scientifiques sont en quelque sorte utilisés par le monde professionnel artisanat, car ce sont eux qui montent au créneau, alors que c'est la profession tout entière qui devrait réagir.
Et voilà pourquoi je ne cesse de réclamer la création d'académies pour chaque profession du goût : son rôle doit d'abord être de codification.
Mais revenons à notre béarnaise : on peut parfaitement faire une sauce analogue à la béarnaise, sans œuf ou sans beurre, mais ce n'est pas une béarnaise