Y arriver
Alors qu'un jeune
collègue me dit vouloir « arriver », et qu'il se démène
effectivement de façon sociale (relations…) pour obtenir un poste
qu'il brigue, alors qu'une jeune collègue qui vise d'entrer dans une
école d'ingénieur prépare un entretien, je ne peux m'empêcher de
repenser au jeune Michael Faraday, qui était animé d'une passion
pour la science, alors qu'il n'était encore qu'apprenti relieur, et
fils d'un très pauvre forgeron, si pauvre même qu'il n'avait, à
l'âge de onze ans, qu'un morceau de pain pour se nourrir certaines
semaines.
Comment arriver
jusqu'à ces temples du savoir dont rêvait Faraday ? Comment
approcher ces savants qui frayaient avec la noblesse la plus élevée
d'Angleterre quand on est si loin? Si l'on utilisait des
terminologies un peu galvaudées, on parlerait de volonté
d'ascension sociale, mais ce serait un peu inexact, puisque, dans le
cas de Faraday au moins, il s'agit moins d'obtenir une position
sociale que d'être enfin en position de faire un travail que l'on
aime.
Nos jeunes amis
doivent méditer les deux idées suivantes.
D'une part, mes amis
qui travaillent dans le recrutement de personnel m'ont assez dit que,
face à de nombreux candidats, il veulent avoir des preuves
que les postulants ont déjà fait quelque chose de remarquable,
d'extraordinaire (au sens de « qui n'est pas ordinaire »).
Qu'importe que ce soit de la danse, de la collection de trains
électriques, du piano, de la plomberie… Il faut avoir fait preuve
d'une ténacité, d'un travail, d'une application qui ont
inmanquablement conduit au succès. Et j'ai bien dit « preuve » :
il ne s'agit pas simplement de prétendre que l'on connaît les
trains, que l'on danse merveilleusement ; il faut en avoir des
preuves concrètes, tels qu'un prix de conservatoire, une réalisation
pratique de plomberie exceptionnelle qui s'apparente aux chefs
d'oeuvres des compagnon… Pas une première étoile de ski ou une
présentation de danse dans un centre culturel de village.
D'autre part,
l'histoire de Faraday est éclairante. Alor qu'il était apprenti
relieur, un client de la boutique de son patron avait appris que ce
jeune homme refaisait les expériences de chimie décrites dans le
livre de vulgarisation d'une certaine Madame Marcet. Car il est exact
que Faraday, pendant ses temps libres, en plus d'une moralité
extraordinaire (au point qu'il allait tous les mercredis soir, après
son travail, à des réunions d'amélioration de l'esprit, ce qu'il
pouvait prouver), refaisait les expériences de chimie, et c'est
parce qu'il était littéralement extraordinaire (vous trouvez cela
ordinaire, de refaire des expériences de chimie sur son temps libre
?) que cela s'est su et qu'un client de la libriarie lui a donné des
entrées pour les conférences d'Humphry Davy, qui était, à
l'époque, la coqueluche de Londres, faisant des conférences
extrèmement courues, à la Royal Institution of London, dont il
était le directeur.
Le jeune Faraday
assista à la conférence, mais pas comme une oie que l'on gave :
il prit des notes abondantes, puis de retour, il mit ses notes au
propres, refit les expériences, en consignant par écrit les
résultats dans un gros mémoire qu'il relia : du marbre, pas
des paroles !
Quelque temps lpus
tard, alors que s'achevait l'apprentissage de Faraday et que ce
dernier se lamentait de devoir devenir imprimeur, le préparateur de
Davy fut arrêté après un accident de laboratoire, et Davy chercha
un remplaçant. Faraday était connu pour faire des expériences, de
sorte que Davy le fit venir, et voyant le mémoire relié, il
n'hésita pas à le prendre aussitôt avec lui.
Puis comme Faraday
était très bon (ne s'était-il pas entraîné à l'être ?),
il n'y eut plus qu'à lui trouver un poste permanent, et c'est ainsi
que, de fil en aiguille, Faraday devint un des plus grands
physico-chimistes de tous les temps.
Je ne suis pas
Faraday moi-même, hélas, mais mon histoire est une autre
démontration de ce que j'ai proposé ci desssus.
D'une part, j'ai été
embauché dans l'édition scientifique alors que la profession
dégraissait, touchée par une crise : mais il est vrai que
j'avais fait une double formation scientifique et littéraire
(concours, diplômes).
D'autre part, quand
j'ai commencé la gastronomie moléculaire, je l'ai commencée seul,
dans mon laboratoire personnel, à la maison, et c'est parce que mes
travaux ont été connus dans le monde scientifique que l'on m'a
demandé des les présenter dans des séminaires, et que tout s'est
enchaîné. Je me souviens que, enfant, les professeurs me disaient
« This, vous n'avez pas d'ambition ». Et c'était vrai :
je n'ai jamais eu d'autre ambition que de faire ce qui m'amusait…
et que je fais !
La morale est
claire : il ne s'agit pas de vouloir ; il ne faut pas
prétendre, mais il faut démontrer.
Si l'on brique un
poste d'ingénieur, par exemple, mon consiel est invariable: au lieu
d'être un postulant parmi des centaines pour un poste, je crois bien
préférable de préparer un projet d'ingénieur (écrit,
volumineux) pour le poste que l'on vise. Ce projet ne sera peut être
jamais réalisé, mais je suis absolument certain que la personne qui
le recevra ne pourra pas s'empêcher de considérer qu'il y a là une
motivation supérieure à celle de tous les autres candidats, qui se
présentent seulement avec un CV et une lettre de motivation
convenue, et, dans certains cas, de lettres de recommandation qui ne
valent en réalité qualiment rien. Je peux en témoigner : pour
ce qui concerne les recrutements que je fais, je ne crois absolument
pas aux lettres de recommandation provenant de collègues que je ne
connais pas personnellement, et je sais décoder les lettres de
recommandations de convenance.
De toute façon,
aucune recommandation ne vaudra une démonstration. La question est
donc d'être en mesure de démontrer que l'on fera très bien pour la
position que l'on vise.
A ce mot « fera »,
je rappelle que certaines langues n'ont pas de futur, parce qu'il
est bien impossible de savoir de quoi demain sera fait : il y a
quelque décennies seulement, en France, on ne disait pas « j'irai
demain au marché », mais « Si dieu le veut, je peux
aller demain au marché ». D'autre part, je vous invite à lire
le texte merveilleux que le jeune Mirabeau, le frère du vicomte, fit
à propos des serments.
En attendant, il
nous reste à nous appliquer pour devenir capable, pour avoir des
compétences inédites, démontrables, qui serviront le projet que
nous visons. Si nous visons un travail artistique, nous devons avoir
des preuves que nous avons des compétences artistique. Si nous
visons un travail scientifique, nous devons avoir des preuves que
nous avons effectivement des compétences scientiifiques,
expérimentales et calculatoires.