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lundi 10 mai 2021

L'analyse d'un plat

 L'analyse d'un plat

Au fond, le déclic est venu quand j'ai publié mon livre la cuisine c'est de l'amour de l'art et de la technique

Il y a plus de 20 ans, quand on considérait la cuisine, c'était souvent seulement du point de vue technique : je me souviens de ce directeur de cabinet d'un ministre de la culture pour qui la cuisine n'était pas un art.
On parlait d'art culinaire, mais, en réalité, on ne mettait pas la cuisine au même rang que la littérature, la peinture, la sculpture, la musique...

Et un jour, en plein milieu d'un cours de gastronomie moléculaire, j'ai expliqué que la question technique était simple, et que l'intérêt de la cuisine venait surtout de ses composantes artistiques ou sociales (ce que je nomme l'amour).

 Je propose de le voir avec un plat de Pierre Fagnaire, dans son livre sur la Cuisine des cinq saisons. 

Dans ce plat, une préparation verte avec des escargots, des tomates cerises travaillées et des feuilles croustillantes.

Pour la préparation verte, on fait un beurre noisette, que l'on étend avec un peu de lait, puis ajoute du cresson, et l'on mixe le tout avec un peu d'ail. 


Pour les escargots, on les fait revenir dans cette préparation. 


Pour les tomates cerises, on les coupe en quartiers, et on les fait revenir dans de l'huile d'olive avec un peu de bon vinaigre. 


Pour les feuilles de brick, on détaille des triangles que l'on passe au beurre fondu avant de passer au four.


Au fond, il n'y a bien peu de transformations physico-chimiques dans cette affaire.

Pour le beurre noisette, il faut partir du beurre, qui est en réalité ce que l'on nomme un "gel", avec un réseau solide de matière grasse où sont emprisonnées de la matière grasse liquide et de l'eau.
Quand on chauffe le beurre, le réseau solide fond, et c'est ainsi que le beurre libère le petit lait, qui sédimente au fond de la casserole, surmonté par la matière grasse fondue.

Quand on chauffe plus fort, le petit-lait se met à bouillir,  puisque c'est essentiellement de l'eau avec des protéines et d'autres solutés. C'est ce qui conduit à la formation de bulles de vapeur.
Puis, quand il n'y a plus d'eau, la température dépasse 100 °C, et les protéines réagissent, allant jusqu'à former des dépôts noirs.

Dans cette opération, les triglycérides sont peu modifiés : la meilleure preuve en est que l'on ne peut pas faire de beurre noisette avec un beurre clarifié, c'est-à-dire débarrassé préalablement de son petit lait, avec notamment les protéines.

Décuire le beurre noisettes avec le lait, c'est ajouter un ingrédient qui apporte de l'eau, laquelle refroidit le beurre noisette au bon degré de brunissement. La matière grasse du lait s'ajoute aux triglycérides du beurre, et l'on obtient une émulsion, bien lisse.

Pour le cresson, il est fait de feuilles, qui sont elles-mêmes constituées que cellules, sortes de sacs plein une solution qui a un goût de cresson,  emprisonné dans un réseau fait de beaucoup de cellulose (qui donne la cohésion aux feuilles).

Quand on broie le cresson, on libère ce liquide de l'intérieur des cellules, en même temps que l'on disperse le matériaux solides des parois végétales sous la forme de groupes de cellules, de cellules isolées entières ou ouvertes, de fragments de parois végétales.

Le système obtenu est-ce que l'on nomme une suspension, car, effectivement, les particules solides sont suspendues dans le liquide, et elles ne sédimentent que très lentement, donnant au liquide formé une consistance un peu épaisse

Pour les tomates, la cuisson amollit, également, parce que la chaleur dégrade un peu les parois végétales, ciment entre les cellules.

Quant aux escargots, ils sont juste réchauffés : la chaleur communiquée à leur surface, par le contact avec le liquide chaud où ils sont placés, se propage progressivement vers l'intérieur. Cela se fait en proportion de leur diamètre.

 

On le voit : la question technique est vite discutée, mais c'est la question artistique qui doit nous retenir.

Pour la préparation verte, par exemple,  il y a à la fois le goût envoûtant du beurre noisette, son épaisseur un  peu liquide et lisse, un goût aillé, le piquant du cresson,  le goût du lait, et la chaleur qui est agréable.
Par-dessus,  les escargots sont de vedette, qu'il faut mâcher : on a alors leur goût terreux, mais on percoît mieux le goût de la préparation verte, d'autant que cette dernière est une émulsion, avec la matière grasse qui tapisse la bouche, et laisse sentir longuement
Enfin il y a les tomates qui sont revenus, donc tiède dans leur vinaigrette,  et le croustillant des feuilles de brick, qui emporte dans une autre direction.


La question sociale ?

Il y a le vert printanier de la préparation verte, la forme en triangle des feuilles de brick, le rouge des tomates qui vient sur le vert, mais la matière grasse, le sucré, le petit piquant, également, sont des éléments de communication.

Il y a le soin avec lequel l'assiette est dressée, le temps passé par la cuisinière ou le cuisinier, qui est en réalité un temps donné aux convives. Il y a aussi le soin de la préparation, l'assemblage des ingrédients, le souci que la préparation soit équilibré gustativement, bien salée, pas trop acide, un peu sucrée mais pas trop, piquante mais raisonnablement, avec des goûts qui se font entendre comme des chants.


Cela,  c'est l'essentiel, car comme je l'ai dit mets de la cuisine c'est de l'amour, de la et de la technique,  mais c'est l'amour qui vient en premier.