"J'aime les produits naturels. J'aime les voyages. J'aime la chimie des parfums. Je n'aime pas l'industrie. Je n'aime pas les calculs..."
Il y a la litanie de ce que je reçois des étudiants qui postulent pour des stages dans notre groupe, et je me hâte de dire que, malgré ces déclarations, nous les acceptons a priori, parce que la règle de notre groupe, c'est d'aider des amis à apprendre, quel que soient leur "niveau".
Mais je ne discute pas ici le fait que ces "j'aime" ou "je n'aime pas" soient si stéréotypés (les voyages, la "nature", les parfums, les cosmétiques...). Si je préfère d'emblée ceux qui aiment quelque chose (esprit positif) à ceux qui n'aiment pas (esprit négatif), je veux surtout discuter des affirmations données sans justifications, et qui, en réalité, sont à l'opposé d'une des devises de notre laboratoire, qui est de reconnaître que nous sommes ce que nous faisons. Il ne s'agit pas d'aimer ou de ne pas aimer, mais de faire !
D'ailleurs, un conseil pour les étudiants qui font des CV : s'il vous plaît, évitez les "je suis décidé, attentif, soigneux, impliqué", car tout cela est du baratin. Dites plutôt ce que vous avez fait de bien.
Mais passons. Ce que j'observe, c'est que ces "j'aime" ou "je n'aime pas" sont souvent des généralités très abusives, et donc très contestables.
Par exemple, je reçois trop d'étudiants qui "n'aiment pas l'industrie". Ils n'aiment pas l'industrie ? Analysons que cette dernière produit des biens et des services qu'elle vend aux citoyens. Mais, au fond, la fonction publique ne reçoit-elle pas, aussi, de l'argent des mêmes citoyens, pour des services qu'elle rend (ou doit rendre) ?
Et puis, on me dit ne pas aimer l'industrie, mais... toute l'industrie ? Je connais aussi bien des petites et des grosses entreprises parfaitement éthiques, et des services de l'état qui mériteraient d'être réformés. La généralisation est décidément trop dangereuse pour que l'on puisse dire "j'aime" ou "je n'aime pas" d'une façon si naïve, si enfantine.
Plus positivement, le "j'aime" ou "je n'aime pas" sont une façon (paresseuse) de ne pas décortiquer ce goût, de ne pas produire une argumentation... qui justifierait ou réfuterait ces affirmations.
Que l'on me comprenne bien : je ne conteste évidemment pas que nos amis puissent s'"exprimer" (beuh), mais je propose quand même d'aller un peu plus loin, d'identifier les raisons pour lesquelles il pourrait aimer ou ne pas aimer. Il n'y a pas de peur à avoir à faire de tel d'analyses, sauf que je vois certains crispés sur leurs goûts, pour des raisons familiales, sociales, d'environnement... Mais quand même, ne vaut-il pas mieux poser la question très tôt, avant de s'engager dans une voie où seule une fossilisation et de la mauvaise foi nous ferais rester ?
Souvent, les étudiants à qui je propose de se lancer dans une analyse de leurs goûts (et je ne parle même pas de leurs valeurs) ne voient pas comment questionner leurs goûts, mais j'ai donné la réponse ailleurs : il s'agit de faire un soliloque, méthode que l'on trouvera ici notamment : http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/le-soliloque-et-le-calcul/. En gros, il s'agit d'interroger chaque mot, de le décortiquer, de creuser un peu, progressivement, de proche en proche.
Pour ce qui me concerne, c'est ce que j'ai fait pendant longtemps à propos de ma signature automatique qui était "vive la chimie", et cela m'a conduit à une meilleure compréhension de l'objet que je chérissais de façon enfantine. Je peux témoigner que, à l'issue de ce processus, j'aime sans doute mieux la chimie que je ne l'aimais, car j'ai mieux compris ce qu'elle était, et qu'elle était la chimie que j'aimais. Le plus difficile a sans doute été de débouter les "bons sentiments" qui venaient entraver le raisonnement, ces espèces d'instincts animaux qui nous piègent dans des postures qui semble indiscutable, au sens littéral du terme.
Mais pour conclure cette question épineuse, je crois pouvoir dire que le plus difficile est d'être assez courageux pour s'interroger sur soi-même, en profondeur, au lieu de rester un enfant paresseux.
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