Amusant : en discutant avec des collègues "montés en grade", je m'aperçois que ces "directeurs" (qui font toutefois un travail merveilleux, sans quoi je ne perdrais pas de temps à leur parler) ne voient plus la différence entre les scientifiques et les administrateurs. Pourtant...
Un scientifique, une scientifique, c'est un individu qui produit de la connaissance scientifique, par un travail qui comprend les étapes suivantes : observation de phénomènes, caractérisation quantitative des phénomènes, réunions des données numériques en "lois" synthétiques, production de "théorie" par induction de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois, recherche de conséquences théoriques testables expérimentalement, tests expérimentaux des conséquences, et l'on boucle à l'infini.
Un administrateur, c'est quelqu'un qui administre, qui cherche des moyens d'organiser l'activité des autres, qui représente, éventuellement, qui cherche des financements, qui les distribue... Rien à voir avec la production de connaissances, même si l'activité d'administration est indispensable à l'avancement des connaissances.
Un directeur ? Là, la question devient plus épineuse, parce que nos institutions sont plein de ces personnes qui, étymologiquement, doivent donner une direction. Sur quelles bases ? Avec quelle légitimité ?
Comme la question est difficile, je propose de la prendre en remontant, de la paillasse vers la direction scientifique d'un grand institut de recherche. En faisant l'hypothèse que le but de la recherche scientifique est bien la production de connaissances. Et, mieux encore, je propose de partir d'une discussion que j'avais eue avec Jean-Marie Lehn, qui me disait que j'allais un jour cesser de manipuler, pour "diriger une équipe". Le temps a passé, et j'ai finalement accepté des étudiants en stage, puis des doctorants, des post-doctorants, des collègues en séjour sabbatique. Il est vrai que toutes ces personnes m'ont "volé" mes expérimentations... mais je n'ai jamais arrêté de faire de la science, parce que nos documents nommés "FMS" me permettent d'expérimenter sans être à la paillasse : il s'agit de prévoir toutes les étapes des manipulations, de les penser et, donc, de les faire encore plus précisément que si on les faisait en vrai. Et puis, il y a les calculs, qui sont également une "expérimentation scientifique", et que je n'ai jamais cessé de faire... bien au contraire : j'y passe tout le temps que mes jeunes amis ne passent pas.
Bref, avec cette façon de faire, je continue de faire de la science, même si je "dirige" un groupe de recherche. D'ailleurs, je sais que Jean-Marie Lehn fait de même : s'il n'a pas de blouse à la paillasse, il participe extrêmement précisément aux travaux, discute tous les résultats des manipulations qui sont faites, commente, imagine... et perd peu de temps en administration.
La preuve est donc faite que l'on peut "diriger" et faire de la science. Mais administrer ? Cela est moins sûr, parce que ce temps-là n'est pas focalisé sur la science, sur la productions de résultats expérimentaux, sur les calculs, en un mot sur les étapes énoncées au début de ce billet.
Alors, finalement, qui fait de la science ? Ceux qui ne font pas d'administration, ceux qui se focalisent sur la production de résultats expérimentaux, de notions, de concepts, de mécanismes, de théories.
Je propose donc de considérer comme "scientifiques" ceux qui publient dans des revues scientifiques des travaux dont ils connaissent le moindre détail expérimental ou de calcul.
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