j'ai
relu pour vous la biographie de Gay-Lussac par Maurice Crossland
(Editions Belin, Paris). C'est un livre intéressant, qui raconte
bien comment Gay-Lussac fut à la fois bourgeois et savant,
scientifique et technologue. Tout le travail de Gay Lussac pose cette
question lancinante des relations de la science et de la technique,
via la technologie. Mieux encore, le travail de Gay-Lussac pose la
question des relations de la physique et de la chimie.
Gay-Lussac
commença ses travaux avec Berthollet, en examinant la dilatation
des gaz. A l'époque, il y avait cette question de l'affinité
entre les corps, et cette étude sur la dilatation des gaz était une
façon d'aller explorer l'affaire. Toutefois, stricto sensu,
puisqu'il n'y a pas de transformation moléculaire (avec notre
langage et nos notions actuelles), il ne s'agissait pas de chimie,
mais de physique. Pour des raisons conjoncturelles, Gay-Lussac fut
élu à l'Académie des sciences dans la classe de physique, et non
de chimie. Mais c'était un simple manque de place, pas plus, et
François Arago a dit plus tard de Gay Lussac : « C'est un
bon physicien, mais un excellent chimiste ».
On sent là cette
espèce de sentiment de supériorité déplacé qu'ont certains qui
manipulent les équations, envers ceux qui expérimentent avec les
molécules. La « gueguerre » n'est pas nouvelle, et l'on
en trouve des échos jusque dans nos enseignements. Par exemple,
récemment, dans un master de physico-chimie, il était tout à fait
étonnant d'observer que nombre d'étudiants se sont intéressés à
des questions telles que la loi de Gibbs, la force de Laplace, et
autres descriptions physiques, alors que, pourtant formés à de la
chimie et à de la biochimie, qu'ils devaient donc maîtriser bien
mieux, ils n'allaient pas tenter de comprendre les mécanismes en
termes moléculaires. Oui, les grandes lois synthétiques ont une
beauté, mais elles ne doivent pas nous faire oublier que ce sont des
mécanismes qui nous intéressent. Sans quoi nous en restons bloqués
à un stade précoce de la méthode scientifique, laquelle va de
l'observation à l'observation en passant par les étapes que sont la
quantification des phénomènes, la réunion des données en lois
synthétiques, la recherche des mécanismes et la constitution des
théories, la recherche des conséquences de ces théories, et la
recherche d'expériences pour tester les théories.
A
la réflexion, on retrouve là un défaut fréquent des travaux
scientifiques un peu médiocres, qui s'arrêtent aux lois et oublient
d'aller chercher le couronnement de leurs travaux dans les
interprétations. Dans les stages, par exemple de mastère, et même
dans les thèses, les jeunes scientifiques se donnent de beaucoup de
mal pour quantifier les phénomènes, pour chercher des lois, mais,
généralement, la partie interprétation, certes toujours menacée
par le manque de temps puisqu'elle arrive en fin de travail, est
négligée. Elle est négligée pour des questions contingentes, mais
aussi parce que c'est une question difficile, ou, plus exactement,
une question à la quelle nous ne nous sommes pas assez entraînés.
On
en conclut qu'il serait bon que l'enseignement scientifique insiste
sur cette question cruciale.
Je
vous invite à lire cette biographie de Gay-Lussac.
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