vendredi 20 janvier 2012

Et encore !


J'ai décidément affaire à quelqu'un de merveilleux... qui répond : 






"Je suis attachée à la fraise et aux poireaux et à beaucoup d'autres légumes ou autres ingrédients qui sont ma culture alimentaire, mais pas tout à fait comme les gens du Moyen Age, qui eux n'avaient pas ou peu de choix, et ne pouvaient raisonner leur alimentation.  Et  bien sûr les particularités personnelles ne comptent pas à l'aune de l'histoire de l'alimentation ; mais savourer un poireau ou une carotte c'est,  et ce fût partagé par des milliards d'hommes.  
Permettez moi aussi de revenir sur l'objectif politique, que vous poursuivez avec la cuisine note à note, à destination des agriculteurs. Aujourd'hui, dans les régions qui s'y prêtent le mieux, les agriculteurs  essaient de produire en ayant une relation directe avec le consommateur et donc de travailler en circuit court. Et ce système semble satisfaire les deux parties et rencontrer du succès. Qu'est ce qui inciterait les agriculteurs à transformer leur production  ? Et le risque existe de voir immédiatement l'industrie agroalimentaire s'emparer de ce maillon de la chaine ?"

Ouf, c'est un gros morceau. Allons y doucement. 

Partager un poireau avec des milliards d'êtres humains, nos soeurs, nos frères... Ce sont de grands mots, mais "partage-t-on vraiment" avec ceux qui ont faim ? Et avec ceux qui ne connaissent ni le poireau ni la fraise, parce que, eux, ont des cives (au goût bien différent) ou des fruits de la passion ? 

La production de proximité ? Je veux bien, mais, en région parisienne, et dans les métropoles qui ne cessent de s'étendre, où sont les champs ? Ils sont de plus en plus loin ! Pour la région parisienne, c'est, je crois, un fantasme que de croire que l'on puisse nourrir 10 millions d'individus avec de la culture de proximité... surtout si les terres à blé ne sont pas des terres à carotte ! 
Certes, on n'est pas forcé de faire venir des produits végétaux et animaux de l'autre bout de la Terre, mais le fait est que le public veut à la fois sauver la planète et des tomates en hiver ! Quand la collectivité sera cohérente...
Bref, je ne suis pas là pour juger. Ce que je sais, c'est que, quel que soit le modèle alimentaire, il faut voir plus loin que ses compétences limitées, et c'est pourquoi, pour cette question, j'ai invité mon ami Pierre Combris à venir discuter la question. Lui, est compétent ! Ni mon interlocutrice ni moi. 

Qu'est ce qui empêchera l'industrie alimentaire de s'emparer de la production des composés pour la cuisine note à note ? 
Disons : 
1. pour nos amis canadiens, tous ceux qui produisent sont de l'industrie (au vrai sens du mot) ; les agriculteurs, les cuisiniers, sont des "industriels". 
2. Rien n'empêchera qu'une industrie plus capitalistique s'empare de la production de composés ou de fractions... d'où mon insistance à mettre tout de suite les agriculteurs dans le coup. Comptez sur moi pour aider les agriculteurs à s'enrichir... mais il faut en passer par une transformation, et pas seulement se limiter à la culture (qui est, n'en doutez pas, un vrai métier, avec un vrai savoir faire : que ceux qui ne sont pas convaincus relisent Bouvart et Pécuchet, de Flaubert). La question est différente, donc : faut-il supporter que les agriculteurs ne soient pas bien rétribués pour leur travail de production, et faut-il qu'ils doivent faire "plus" ? Je répondrais que le cuisinier doit faire plus que la cuisine, de la gestion, du commerce, de la représentation. Que le scientifique doit faire plus que de la science : des levées de fond, de la formation d'étudiants, etc. Et c'est sans doute ainsi pour la majeure partie des "métiers". 
Je ne suis pas là pour juger... mais je suis certain que de la valeur ajoutée facilement gagnée, ce n'est pas à négliger. 

Ouvert à la discussion!

Vive la gourmandise éclairée !
vive la connaissance produite et partagée !

4 commentaires:

  1. Je me pose la question suivante depuis un certain temps déjà : est-ce que vous prônez le remplacement total de la cuisine tradtionnelle par la cuisine note-à-note (par exemple pour des raisons d'efficacité énergétique lors de la préparation des plats), ou bien l'évolution de la cuisine artistique des restaurants vers la cuisine note-à-note, qui permet de faire des plats nouveaux, qui ne ressemblent en rien aux plats traditionnels ?

    Ce qui me gène dans la première hypothèse, c'est qu'on perd alors toute la variété des textures produites par la nature et par les méthodes traditionnelles: je n'imagine pas la cuisine note-à-note reproduire le craquant d'une carotte ou d'une pomme chips, ou la texture d'un steak,ni aujourd'hui ni dans 20 ans (mais arrêtez-moi si je me trompe). De plus, la nature est bien plus efficace que l'industrie pour produire des structures complexes à faible coût énergétique (mais elle est bien plus lente, d'où l'intérêt des techniques industrielles).

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  2. Comme Hervé This l'a fait remarqué sur quelques-uns de ses billets, son ami, cuisinier et artiste Pierre Gagnaire a expérimenté la cuisine note à note. Il en a fait des plats (ou devrais-je dire des oeuvres d'art ?), tout en continuant son travail d'artistes sur des plats plus traditionels, si tant est qu'on puisse appeler traditionnel ce que fait un artiste comme Pierre Gagnaire.
    Et ca n'est pas un problème, tout comme la cuisine moléculaire n'a pas non plus besoin d'être unique.

    Si je me permet de faire une analogie, il est tout a fait possible de faire cohabiter musique moderne (rap, hip hop) avec de la musique beaucoup plus ancienne (classique), et même avec de la musique qui a une culture complêtement a part (jazz).

    Je me risquerais tout de même a répondre, de mon point point de vue personnel, à votre examen de l'hypothèse que vous avancez. J'ai eu la chance de pouvoir expérimenter la cuisine note-à-note a plusieurs reprises.
    L'expérience la plus marquante a été de déguster un soufflé au homard accompagné d'une sauce au vin. Sans homard. Sans vin. Et bien cela a été une des expériences les plus troublantes que j'ai pû faire, tant l'impression d'avoir un vrai soufflé au homard était forte.

    Je réponds bien entendu a votre commentaire en mon propre nom, et je ne m'avance pas sur ce que pourrait vous répondre Hervé This.

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  3. J'aurais peut-être dû m'expliquer davantage : j'ai écouté Hervé This parler de la cuisine note-à-note à plusieurs reprises. Outre la définition (fabriquer de toutes pièces des structures et des goûts pour produire des plats nouveaux), j'ai le souvenir de l'avoir entendu dire que la cuisine traditionnelle (y compris la cuisine de tous les jours qu'on fait à la maison) gaspillait l'énergie lors de la transformation des aliments. J'ai interprété cela (à tort ou à raison, c'est au maître de céans de me le dire) comme la raison pour laquelle il faudrait industrialiser toute ces transformations (afin de faire une économie d'échelle sur l'énergie dépensée lors de la transformation). Ainsi, il faudrait moderniser la cuisine (y compris à la maison) de sorte à remplacer les préparations culinaires tradtionnelles par des préparation exclusivement note-à-note, en n'utiliser que des composés prétransformés, au lieu d'effectuer soi-même la transformation de manière peu efficace.

    Je suis tout à fait pour la cohabitation entre la cuisine traditionnelle et la cuisine du futur (qu'elle soit note-à-note ou autre chose), mais je ne comprends pas l'utilisation de l'économie d'énergie comme argument pour promouvoir la cuisine note-à-note. À mon sens, la possiblité d'effectivement économiser de l'énergie grâce à la cuisine note-à-note parait négligeable dans la pratique. Si l'argument énergétique était au contraire d'humour au second degré, je dois avouer avoir eu du mal à le distinguer d'un argument au premier degré.

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  4. Ce n'est pas charitable de m'affubler du titre de "maître" : je vieillis avant l'âge, et je risque de devenir plus prétentieux que je suis déjà !
    Cela étant, oui, la cuisine classique est un gaspillage. Non, en revanche, l'industrie n'est pas nécessairement une solution.
    Car :
    - oui, il y a alors des économies d'échelle
    - non, ce n'est pas socialement admissible, car on cuisine pour quelqu'un ; l'industrie alimentaire a vu le recul des plats tout préparés, au profit des ingrédients (gélatine, au lieu du pied de veau) utilisables de façon rapide, commode, pour la préparation culinaire.
    Si la cuisine, c'est de l'amour (disons du lien social), alors l'industrie n'est pas dans cette ligne, puisqu'elle vend. Il faut donc sans doute préconiser la cuisine, d'où l'intérêt d'introduire dès l'Ecole de la cuisine éclairée.

    Etre pour ou contre une cohabitation du traditionnel ou du note à note : pas nécessaire de choisir son camp... car de toute façon, les crises de l'alimentation, de l'eau, de l'énergie, décideront à notre place.

    Pour les arguments en faveur de la cuisine note à note :
    - la "mauvaise foi" évidente est une façon de sourire
    - l'énergie est une vraie question
    - l'eau aussi
    - les possibilités artistiques nouvelles
    - les possibilités techniques
    - les possibilités politiques
    - et ainsi de suite
    personnellement, j'ai du mal à décider quel argument est le meilleur

    PS. Ceux qui connaissent la chaleur latente de l'eau peuvent faire un simple calcul, de comparaison d'énergie dépensée, pour
    - une osmose inverse appliquée aux ingrédients d'une sauce au vin
    - une évaporation de la dite sauce

    Vive la chimie !

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