samedi 5 mars 2011

Une bien difficile question : faut-il rémunérer les stages dans les laboratoires publics ? Je crois que non... mais il faut des bourses d'Etat !

Chers Amis

Permettez-moi d'invoquer d'emblée votre indulgence, de solliciter une lecture bienveillante de votre part. N'hésitez pas, d'autre part, si vous pensez que je me trompe, à laisser un commentaire qui, s'il n'est pas injurieux, sera évidemment publié (cela me donne l'occasion de signaler que certains commentaires qui sont déposés ne sont pas publiés, parce que leur ton est excessif : on peut tout dire, mais avec mesure, intelligence... et même humour).

Ce préalable étant posé, il faut donc que j'annonce la couleur : la question que je veux discuter est ici difficile, parce que politiquement terrible.

Il s'agit de la formation des étudiants, et de la rémunération des stages que leurs universités, grandes écoles, IUT, et autres établissements scientifique, technologique ou technique leur demande de faire.


Je propose de poser d'abord un principe, aussi simple que juste

Si un stage s'inscrit dans le cadre d'une formation, ce n'est pas de la production, mais de la formation.


Il en découle que le stage DOIT être un moment de formation


D'où je déduis que :
1. un stage où un étudiant produit, au lieu d'apprendre, ne devrait pas avoir lieu. De ce fait, l'étudiant DOIT signaler ce fait à son responsable de stage "dans l'entreprise", ou bien à son tuteur académique, afin que des mesures soient prises immédiatement pour corriger l'anomalie.

2. le stage ne DOIT PAS être rémunéré : ce serait un comble (inadmissible, je crois) de payer quelqu'un que l'on forme ! Imaginons-nous que des enseignants payent pour faire cours ?


Ces principes étant posés, il y a des questions à régler.
Imaginons un étudiant qui change de ville parce qu'il veut aller découvrir une activité qui ne s'exerce pas dans sa ville. Il lui faudra payer un loyer, des transports, etc. Avec quel argent ?
Observons tout d'abord que ce choix est le sien, et qu'il pourrait sans doute rester dans sa ville, et éviter ces dépenses.
Supposons donc maintenant que les possibilités de stage n'existent pas dans sa ville : il DOIT alors changer, mais n'a peut-être pas les moyens. Là, une certaine solidarité nationale (n'oublions pas alors que l'on fait appel à cette solidarité) peut conduire à aider l'étudiant financièrement, d'accord.

Mais qui doit payer ? L'entreprise qui ne forme ? Ce serait quand même bien anormal. L'université ? Pourquoi pas... à condition qu'elle reçoive de l'Etat les moyens (des lignes budgétaires spécifiques, bien déterminées) pour le faire. L'Etat ? J'ai bien parlé de solidarité nationale.?

Vient alors la question de la distinction public/privé. Oui, il y a des entreprises qui utilisent des stagiaires comme main d'oeuvre non rémunérée, mais, en y pensant un peu, n'est-ce pas aux universités et aux étudiants de refuser cet état de fait?

Car la rémunération de stage a l'inconvénient majeur que, même si cette rémunération est faible, l'entreprise a le sentiment qu'elle est en droit d'attendre de l'aide de l'étudiant qu'elle paye.
Ce qui me fait conclure qu'il est sans doute (peut-être ?) pernicieux de donner des rémunérations de stage (qu'elles se nomment "indemnisations", ou autre).

Pour les laboratoires publics, la question de principe est peu différence, mais je crois que l'Etat est l'Etat, et que la solidarité que j'évoquais doit rester sous le contrôle de l'Etat, et non pas de chaque laboratoire. C'est à l'Etat (nation, région, département, ville...) de décider des bourses qu'il attribue, et plutôt à ceux qui les méritent d'ailleurs (pourquoi aider quelqu'un qui ne fait pas bon usage des deniers publics?).
En tout cas, on le voit, je crois être bien opposé à la rémunération des stages dans les laboratoires publics, non pas parce que ceux-ci ne pourraient pas trouver les moyens de payer les stagiaires, mais pour une question de sain principe.

Je le répète : ce serait marcher sur la tête que de payer pour faire cours, que de payer pour aider quelqu'un.

Et je le répète aussi : accepter un étudiant en stage, c'est un engagement très fort, une immense responsabilité, à savoir que c'est la décision automatique de lui donner de la formation.

Où mon raisonnement est-il fautif ?

13 commentaires:

  1. « Je le répète : ce serait marcher sur la tête que de payer pour faire cours, que de payer pour aider quelqu'un. »

    Pourquoi serait-ce marcher sur la tête ? Je pense qu’en économie il ne faut pas forcément raisonner par principes, mais de façon pragmatique. Rémunérer la formation la rend plus accessible et plus attractive, elle encourage les personnes à gagner en qualification. Cette rémunération a effectivement un coût mais il sera compensé par la valeur ajoutée du travail réalisé par la personne formée et donc compétente.
    Autrement dit, on peut voir cette rémunération comme un investissement pour l’avenir : on espère qu’en payant les gens pour apprendre ils rapporteront, en travaillant, plus que ce qu’on aura dépensé.
    Il s’agit là d’un jeu à somme non nulle[1] : les personnes formées y gagnent parce que la formation est accessible, les formateurs y gagnent parce que la montée en compétences génère plus de richesses.

    « Et je le répète aussi : accepter un étudiant en stage, c'est un engagement très fort, une immense responsabilité, à savoir que c'est la décision automatique de lui donner de la formation. »

    À mon avis, dire cela c’est décourager les entreprises à accueillir des stagiaires alors que la situation actuelle n’est déjà pas favorable pour l’insertion des jeunes[2]. Par ailleurs je ne suis pas d’accord avec la dichotomie « formation / production ». Produire un travail contribue à consolider les compétences et qualifications du jeune formé. Le stage de fin d’études est donc un moyen de se former **par** la production d’un travail. Le fait de produire quelque chose réduit le fossé entre les connaissances théoriques de l’étudiant et les besoins pratiques de l’entreprise, et a des chances de faciliter l’insertion professionnelle du jeune.

    La rémunération de cette production est d’une part une façon de reconnaître le travail effectué mais est également nécessaire pour que même les étudiants issus de familles modestes puissent se permettre de terminer leur cursus : avec une réglementation à environ 420 € mensuels à partir de 2 mois de stage l’autonomie du jeune n’est pas facile !

    [1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_jeux#Jeux_de_strat.C3.A9gie_.C3.A0_somme_nulle_et_non_nulle
    [2] http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=14&date=20100603

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  2. Qu’elle es la différence entre un élève en stage pour quelques mois ou quelques années ?
    Si on pousse votre raisonnement, on voit qu'il n'est pas nécessaire de rémunérer les étudiants en thèse, puisque après tout le doctorat est une formation.

    Or il y a une différence entre un étudiant qui reçoit un cours en amphi et un étudiant qui travaille sur la recherche de son superviseur. Dans le premier cas, l'aide est unilatéral: le prof délivre son cours, l'étudiant y gagne du savoir mais le prof lui n'y gagne rien. On pourrait même dire que pour un prof passionné par sa recherche, l’enseignement est un fardeau qui le détourne de sa passion. Dans le second cas, l'élève travaille dans un labo et fait avancer -même modestement- la recherche de son superviseur. La situation est bénéfique pour les deux.

    Revenons au financement du doctorat: en Angleterre, un étudiant non-anglais ne peut prétendre a une bourse de doctorat, il doit trouver lui même son financement. La justification de cet état de fait suit votre ligne de raisonnement: puisque un PHD est une formation, l'étudiant en thèse devrait se considérer très chanceux de recevoir une formation et ne devrait pas avoir l’outrecuidance de demander a être payé en plus.

    Tout le problème est d'évaluer a quelle moment un étudiant en stage cesse d'être un poid et commence a être bénéfique a son superviseur. La question est loin d'être triviale et cela depend du type de tache.

    Une entreprise pourrait utiliser votre raisonnement pour sous-payer ses stagiaires. Apres tout, cela prend quelques semaines, voire mois, avant que le stagiaire maîtrise un tant soi peu les ficelles de son entreprises. Pendant cette période de rodage, le stagiaire n’est pas productif pour l’entreprise et ne devrait pas être paye.

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  3. Merci de ce commentaire... qui me permet de dire que les doctorants ne sont pas des "étudiants", statutairement. Il faut le dire et le redire, car c'est un élément important de la discussion.

    Et puis, il faut bien lire les mots que j'ai écrits : j'ai parlé de formation, et pas de production. Une thèse, c'est une production (d'ailleurs, on "soutient une thèse"), et pas une formation.
    Evidemment, on peut toujours apprendre en produisant, mais c'est là la marque d'un esprit intéressant (qui devrait être celui de chacun d'entre nous, non?).

    D'autre part, je rebondis sur le "on pourrait même dire que pour en chercheur l'enseignement est un fardeau" : je propose de ne pas utiliser le conditionnel. L'enseignement, si tant est qu'il prend du temps à la recherche, est effectivement gênant. Personnellement, je n'accepte d'étudiants au laboratoire que parce que j'ai réalisé que, dans le temps, quelqu'un m'a accepté en stage.

    Pour les entreprises, j'ai déjà répondu que les stages de production DOIVENT être rémunérés... mais que c'est un bien étrange principe.

    Et une question connexe est : nos dispositifs de formation, et les étudiants eux-mêmes, ne devraient-ils pas penser que, au lieu de considérer l'entreprise comme un vache à lait, c'est à eux d'apporter quelque chose à l'entreprise ? C'est ce même principe qui me conduit à dire que l'on doit enseigner des éléments qui aideront l'entreprise, la feront avancer, et pas de la science du siècle passé.

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  4. A propos de la dichotomie "formation/production" : j'y tiens absolument, parce que, dans un cas, on a obligation de moyens, et l'autre obligation de résultats.
    Pour une formation, on doit apprendre, pas produire. Si on produit en apprenant, tant mieux. Mais l'essentiel est d'apprendre.

    D'ailleurs, je propose que tout étudiant (Michel Eugène Chevreul se disait, à l'âge de 100 ans, le doyen des étudiants de France), à la fin de chaque journée, note le libellé de ce qu'il a appris dans la journée : on sait mieux quelque chose quand on sait qu'on le sait!

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  5. Et que faites-vous de l'apprentissage ? N'est-ce pas pour vous une forme d'apprentissage ?



    PS : pour ce qui est du statut d'étudiant des doctorants je le confirme, nombre de mes amis en thèse ont une bien belle carte d'étudiant délivrée par les autorités compétentes !

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  6. L'apprentissage ? Je n'en ai pas parlé, parce que je voulais seulement considérer ici la question des stages dans les laboratoires publics.
    Pour l'apprentissage, c'est un autre contrat, qui pourrait faire l'objet d'un autre sujet.

    Oui, les jeunes scientifiques en thèse ont une carte d'étudiants, mais c'est une faveur qui leur est faite, vu les rénumérations parfois faibles qui leur reviennent ; pour autant, la réglementation de Bologne insiste bien sur le fait que les doctorants ne sont pas statutairement des étudiants. Cela est très important, et doit absolument intervenir dans les relations entre directeurs de thèse et doctorants.

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  7. Je suis en accord avec le premier commentaire, et donc en désaccord avec vous, à propos de cette dichotomie formation/production : un stage fait partie d'une formation, mais la question est : une formation à quoi ? à un métier, donc la production ! Aussi vrai qu'un apprenti boulanger apprend à faire du pain, nous apprenons notre métier d'ingénieur, en apprenant comment produire, et cela ne s'apprend pas seulement sur les bancs d'école. De plus, de même qu'un professeur contrôle le travail de ces étudiants en leur donnant un devoir (production intellectuelle de l'élève), le maître de stage demande à son stagiaire de "produire". La seule différence, c'est que là où le professeur ne tire aucun bénéfice (sinon la satisfaction d'avoir inculqué un savoir à ses élèves, le maître de stage tire un bénéfice réel de son stagiaire, il paraît donc normal qu'une partie du bénéfice rejaillisse sur le-dit stagiaire.

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  8. Merci du commentaire.
    Je me réjouis que l'on puisse être en désaccord et accepter de discuter. Ce soir, je n'ai pas le temps de répondre à cette argumentation, mais je le ferai dans les jours prochains, sans faute.
    Ma réponse tournera autour du fait que ce n'est pas vrai que le maître de stage tire un bénéfice réel de son stagiaire : dans notre Groupe de gastronomie moléculaire, j'insiste pour dire que les étudiants n'ont qu'un devoir, apprendre, et moi un devoir, être à leur disposition pour qu'ils apprennent. C'est cela, une formation.
    Si le contrat est la production, alors les choses changent.

    Vive la discussion saine et aimablement contradictoire !

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  9. "Où mon raisonnement est-il fautif ? "

    La réponse est juste au dessus de la conclusion. Trop de gens voient les stagiaires comme de la main d’œuvre non pas à former, mais qu'on peut utiliser pour les basses tâches pour pas cher, parce qu'ils ne sont pas déjà formés.

    "Personnellement, je n'accepte d'étudiants au laboratoire que parce que j'ai réalisé que, dans le temps, quelqu'un m'a accepté en stage. "

    Vous le dites d'ailleurs vous même, vous ne prenez pas de stagiaires ni pour leur apprendre quelque chose, ni parce que vous pensez qu'ils peuvent vous apprendre quelque chose (eh oui on peut toujours apprendre d'un autre cerveau que le sien...) : vous ne les prenez que parce que vous vous rappelez qu'on vous a vous même pris en stage.

    Marcher sur la tête, c'est dire que l'enseignement des étudiants est un "fardeau" car cela vous détourne de votre passion, la recherche : personne n'est éternel, ce n'est pas en refusant de former des cerveaux (payés ou non)car cela peut faire progresser plus lentement pour votre prestige personnel que la recherche progressera. C'est en partageant votre passion qu'elle le fera.

    La solidarité ne doit pas être que financière, elle doit également s'étendre au temps que vous pouvez passer pour former vos étudiants...

    "Je le répète : ce serait marcher sur la tête que de payer pour faire cours, que de payer pour aider quelqu'un. "

    Encore une fois, l'esprit de "compétition" et d'"égoisme" entre chercheurs, laboratoires, etc..(que l'on perçoit de l'extérieur) qui suinte de ce type de phrase, vous a peut-être fait perdre de vu votre passion : découvrir. Et si on ne voyait pas un rémunération comme une aide à un individu, mais comme un investissement pour la recherche future ?

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  10. Vous êtes dangereux Monsieur.
    L'Etat, toujours l'Etat.
    C'est idiot de distinguer de cette façon formation/travail. On se forme en travaillant et on travaille en se formant.

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  11. J'ai longuement hésité à publier le commentaire précédent où un Anonyme est injurieux.
    Finalement, je préfère montrer que la vulgarité est associée à la lâcheté... et à la mauvaise foi.
    Dangereux, parce que l'on ose la discussion ? J'aurais dit courageux, ou téméraire, ou inconscient, mais pas dangereux.
    Idiot ? Sans doute, merci du compliment.

    Cela étant, la question est posée : est-il vrai que l'on se forme en travaillant et que l'on travaille en se formant ? Je propose de dépasser la "formule", pour l'interroger.
    Oui, se former est une forme de travail... mais je n'ai pas parlé de travail, seulement de production. Se forme-t-on vraiment, toutefois, en travaillant ? Celui ou celle qui serre des boulons à la chaîne ne se forme pas beaucoup!

    Je laisse des correspondants intelligents et amicaux juger de cette controverse que j'arrête là. Il est évident que les injures ne servent à rien et que ce sont la marque de petits esprits. Elevons-nous un peu, svp.

    Vive la discussion saine, courtoise, intelligente ! Evitons d'être insensé au point d'être assuré de nos propres certitudes.

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  12. http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20190/organisation-licence-master-doctorat-l.m.d.html

    Le D du LMD est bien le doctorat... ce qui fait des doctorants des étudiants...

    Pour le reste, je n'ai jamais autant appris sur ce que sera réellement mon métier que lors de mes stages. J'adore les études, et apprendre bien entendu. Je pourrai même peut-être un jour reprendre le chemin des amphis. Mais la vie professionnelle s'apprend majoritairement sur le terrain, et en allant en stage on apprend vraiment son métier. Et dans son métier, on "produit" comme vous dites, il n'y a qu'en faisant les choses concrètement qu'on les apprend. Comme dis auparavant, il n'y a qu'en faisant du pain que l'apprenti boulanger apprend à faire du pain.

    Et vous ne m'enlèverez pas de l'esprit qu'il n'y a qu'en manipulant qu'un stagiaire, même dans un laboratoire publique, apprend. Et en manipulant il produit... et donc mérite rémunération !

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  13. A noter que les deux commentaires ne sont pas de moi (celui de 21h03 @fatigué-donc-nombreuses-fautes).

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