dimanche 4 mai 2025

On me redemande la recette du "chocolat chantilly" (ne pas confondre avec une chantilly au chocolat)

1. C'est amusant de voir combien il faut répéter pour être entendu. Je viens de le voir à nouveau à propos de ce "chocolat chantilly" que j'ai inventé dans les années 90. Il s'agit d'une mousse au chocolat qui ne nécessite pas d'oeufs, et que l'on fait simplement avec de l'eau et du chocolat. 

2. Récemment, lors d'une conférence grand public, j'ai évoqué la chose et je l'ai sans doute fait dans des termes engageants puisque plusieurs personnes m'ont demandé la recette. J'avais  le sentiment de l'avoir donné mille fois, mais je vois qu'il faut m'y remettre et expliquer la chose. 

3. L'objectif tout d'abord est de faire une mousse au chocolat, c'est-à-dire une préparation légère, foisonnée, au chocolat. 

4. Classiquement les mousses au chocolat se font avec des blancs d'œufs battus en neige, d'une part, et du chocolat fondu de l'autre. Parfois, on ajoute du beurre, du sucre, et cetera.

Mais dans le chocolat chantilly, il n'y a que de l'eau et du chocolat. Plus exactement cette eau peut avoir du goût : ce peut-être du thé, du café, un jus de fruits... 

5. Mais bon, indiquons la recette avec de l'eau : 

- on prend une casserole, 

- on y met 200 g d'eau, et 200 g de chocolat à croquer ou de couverture. 

- quand on chauffe doucement, le chocolat fond et s'émulsionne spontanément dans l'eau : cela signifie que le sucre du chocolat se dissout dans l'eau tandis que la matière grasse vient former des gouttelettes liquide dispersées dans l'eau ainsi sucrée.
C'est cela une émulsion, qu'il ne faut pas confondre avec une mousse, laquelle serait faite de bulles d'air dans un liquide et non pas de gouttelettes de matière grasse dans un liquide. 

- vient alors la deuxième étape de l'opération : on pose la casserole dans un récipient rempli d'eau froide, éventuellement avec des glaçons pour aller plus vite, et l'on fouette en essayant d'introduire le plus d'air possible avec le fouet : il ne s'agit pas d'aller faire des allers-retours ou des huit mais bien de fouetter en introduisant de l'air par un mouvement vertical du fouet

- arrive un moment où la préparation s'éclaircit et où les branches de fouet commencent à laisser des marques dans la préparation : c'est à ce stade qu'il faut s'arrêter.
La préparation s'est éclaircie parce que les bulles d'air ont été introduites et que ça a fait blanchir tout comme du blanc d'oeuf blanchit quand on le bat en neige. On peut très bien laisser la préparation au réfrigérateur et la matière grasse cristallisera, mais elle fondra de nouveau quand sortira le chocolat chantilly du réfrigérateur.

6. Ajoutons que le mot le nom chocolat chantilly vient de ce que l'on doit obtenir idéalement la consistance d'une crème chantilly, très légère donc et c'est une démonstration que des œufs sont inutiles pour faire une mousse au chocolat. 

7. Pour le goût maintenant, on a le choix d'ajouter des composés qui sont solubles dans l'eau ou  dans les matières grasses, puisque l'émulsion obtenue initialement contient les deux.
'ai déjà indiqué que l'on peut remplacer l'eau par une "eau qui a du goût" (thé, café, etc.) par exemple, mais non j'aurais pu aussi indiquer que l'on peut faire infuser une matière aromatique dans l'émulsion avant de la fouetter

Et c'est ainsi que l'on constate que l'on règle parfaitement le goût est la consistance de la préparation.

samedi 3 mai 2025

Les gelées qui se liquéfient


A propos de gelée d'ananas, de papaye, de figue, de kiwi, de cassis</strong>, on me fait observer que je me suis insuffisamment expliqué, et voici mieux (j'espère). Commençons par une expérience, à savoir mixer de l'ananas frais, puis y dissoudre de la gélatine. On met le liquide gélatiné dans un moule, et l'on attend : le gel prend. Là, il faut expliquer sans attendre que le jus d'ananas, c'est majoritairement de l'eau; disons de l'eau qui a du goût. Et la gélatine, c'est une matière faite de protéines partiellement dégradées par leur extraction à partir du tissu collagénique. <strong>Du collagène à la gélatine</strong> Mais partons donc de ce dernier : il entoure les cellules animales. Plus en détail, il est fait de "fibres", à savoir des triples hélices de "collagène", chaque hélice étant un enchaînement de "maillons", ces maillons étant des résidus d'acides aminés. Quand on chauffe du tissu végétal (viande, poisson, pattes de poule, pied de veau...), le tissu collagénique se désorganise, les triples hélices se séparent les unes des autres, et les brins des triples hélices se séparent, tandis que les brins libérés perdent des segments, sont partiellement coupés. Bref, il y a finalement dans le liquide de cuisson une série de protéines ou de protéines dégradées, mais aussi des "peptides" (des segments détachés des protéines) ou des acides aminés libres. Tout cela est en solution dans le liquide. C'est la "gélatine". Puis, quand le liquide refroidit, les protéines se ré-associent par leurs extrémités, par trois, ce qui forment un "réseau", une sorte d’échafaudage où sont piégées les molécules d'eau et les molécules qui étaient dissoutes dans l'eau. C'est la prise en gel. &nbsp; <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Gel-de-gelatine.jpg"><img class="alignnone size-medium wp-image-1546" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Gel-de-gelatine-286x300.jpg" alt="" width="286" height="300" /></a> <strong>A partir de l'ananas frais</strong> Cela étant, quand la gelée est faite à partir de jus d'ananas qui n'a pas été chauffé, notamment quand on lui a ajouté un peu d'eau où de la gélatine a été dissoute, alors la gelée prend... mais elle se défait ensuite! Et c'est cela qui alerte souvent cuisinières et cuisiniers... et qui justifie ce billet. Pourquoi cet échec ? Parce que le jus d'ananas frais n'est pas que de l'eau avec du gout : il contient lui-même des protéines, mais des protéines d'une autre sorte, à savoir des protéases, c'est-à-dire des protéines qui coupent les autres protéines. Et les protéases coupent donc les protéines de gélatine du réseau, de sorte que ce réseau est dégradé : le système redevient liquide. <strong>La solution ?</strong> La solution, pour éviter ce désastre culinaire ? Une première solution consiste à chauffer le jus d'ananas, parce que, alors, les protéases sont "dénaturées", à savoir qu'elles perdent leur capacité de couper les autres protéines. Certes, le goût du jus perd un peu en fraîcheur, mais un chauffage rapide fait l'affaire. Sinon, on peut faire le gel avec autre chose que de la gélatine, tel l'agar-agar, qui n'est pas une protéine mais un "polysaccharide" (un "sucre"), lequel n'est pas attaqué par les protéases. Vous trouverez des indications supplémentaires sur le site de Pierre Gagnaire (<a href="https://www.pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve">https://www.pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve</a>) et dans mon livre &nbsp; <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/this_couv-red-red.jpg"><img class="alignnone size-full wp-image-1351" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/this_couv-red-red.jpg" alt="" width="200" height="283" /></a> <strong>Et quels autres végétaux ou parties de végétaux ?</strong> L'ananas n'est pas le seul végétal à contenir des protéases gênantes pour la gélification. Il y a aussi la papaye, la figue, le kiwi, le cassis... et sans doute bien d'autres tissus végétaux. Lesquels ?

vendredi 2 mai 2025

Des composés à l'odeur d'ingrédients classiques

Dans le cadre de cette cuisine note à note qui déplaît tant à quelques activistes réactionnaires, il y a la question des goûts, et de leur reproduction par des composés.

J'allais écrire "composés chimiques", mais un composé est un composé, et, puisque la chimie est une science, ce serait aussi  fautif d'utiliser cette expression que de parler d'animaux biologiques, par exemple.

Bref, il y a, dans les aliments classiques, des composés qui contribuent au goût, et leur contribution peut être :
- par la consistance
- par la saveur
- par l'odeur (rétronasale : quand on mastique, des composés remontent par les fosses rétronasales vers le nez)
- par le nerf trijumeau (piquants, frais)
- par la couleur
- par d'autres modalités sensorielles (pour les ions calcium, pour les acides gras insaturés à longue chaîne, etc.)

Pour les composés odorants, c'est leur ensemble qui détermine l'odeur des aliments classiques, et il faut souvent entre 5 et 20 composés différents, savamment dosés, pour reproduire une odeur classique, comme le font les parfumeurs ou les "aromaticiens" (un mot que je conteste, puisque l'arôme est, en bon français pas gauchi par une législation à réviser, l'odeur d'une plante aromatique).

Cela étant, certains composés, tout seuls, font déjà l'affaire. Par exemple :

- le 1-octen-3-ol a une merveilleuse odeur de champignon

- la vanilline a l'odeur de vanille 

- l'aldéhyde cinnamique a une odeur de cannelle

- le benzaldehyde a l'odeur d'amande amère

- le méthional donne une odeur de pomme de terre cuite

- le méthyl thioburyrate  donne l'odeur de camembert

- l'heptanone 2 a une odeur de roquefort

- le 2-acetylthiazole sent le popcorn

- la gamma nanolactone donne l'odeur de la noix de coco

-le caproate d'allyle donne l'odeur d'ananas

 

Pourquoi ne pas les utiliser en cuisine ?

jeudi 1 mai 2025

Artichauts et asperges

 
Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mai 2019, nous étions partis, comme d'habitude, de précisions culinaires, c'est-à-dire de données techniques qui s'ajoutent aux "définitions", dans les recettes. 

Par exemple, à propos des artichauts, la "définition" est la suivante : plonger des artichauts dans l'eau chaude. À cette définition s'ajoutent donc des précisions, par exemple la durée de cuisson, le fait que l'eau doit être salée, ou bien encore que l'on doive attacher un demi citron sur la partie où l'on a enlevé la queue... 

Lors de notre séminaire, nous avons voulu tester expérimentalement la précision qui stipulait que la queue devrait toujours être arrachée, et non coupée, sans quoi le fond d'artichaut aurait été plus amer. 

La question essentielle, pour ce type de tests, c'est la variabilité des ingrédients, de sorte que nous avons décidé de couper en deux des artichauts, selon leur axe, afin d'avoir des moitiés qui seraient donc plus semblables que des artichauts différents. Pour certaines moitiés, la demi queues a été arrachée, et pour les autres moitiés, la queue a été coupée au couteau. Puis les demi artichauts on été mis ensemble, dans la même casserole, donc à la même température et dans la même eau... Ils ont été cuits pendant le même temps, puis on refroidis et préparés de la qu'on ait prépare de la même façon encore et même façon, avant que l'on fasse goûter les fonds, par une méthodologie précise évidemment. 

J'ai déjà décrit ailleurs cette méthodologie que nous utilisons constamment et qui a pour nom "test triangulaire" : il s'agit essentiellement de soumettre trois échantillons aux dégustateurs, deux échantillons étant identiques et le troisième étant différent. Les dégustateurs doivent seulement dire quels sont les deux échantillons identiques. 

Le résultat a été sans appel : les trois dégustateurs, qui ont dégusté chacun plusieurs fois, ont été incapables de voir une différence d'amertume pour les artichaut à queue coupée ou à queue arrachée, de sorte que nous pouvons assez correctement réfuter la précision culinaire qui nous avait été donnée ! 

Et pour les asperges 

Lors de notre dernier séminaire, nous avons également considéré la cuisson des asperges vertes ou blanches. Nous disposions d'une précision culinaire qui stipulait que les asperges vertes allaient jaunir si on les laissait cuire plus longtemps, et nous avions également une précision culinaire disant que les asperges blanches serait plus fermes si, une fois cuites, nous les replongions dans l'eau chaude. 

À noter qu'une des deux précisions datait du 4e siècle de notre ère tandis que l'autre provenait d'un cuisinier contemporain. 

Et les deux précisions ont été expérimentalement réfutées ! Il est amusant d'observer que sur des millénaires donc, la fiabilité des prescriptions culinaires a peu changé et l'on pourra donc s'en étonner. Comment est-il possible que l'on puisse ainsi transmettre des idées fausses sans vergogne, et jusque dans l'enseignement culinaire ? Il y a encore du travail devant nous pour améliorer tout cela !

mercredi 30 avril 2025

Des "composés" : de quoi s'agit-il ?

 
Décidément, la question des "composés" n'est pas résolue, parce que la culture chimique de certains de nos amis n'est pas considérable. Aujourd'hui, un ami cuisinier intéressé par la cuisine note à note m’envoie une coupure de presse à propos de cuisiniers qui utilisent du cannabis, et il m'interroge : s'agit-il de composés utilisables pour la cuisine note à note ? Le cannabis (<em>Cannabis</em> L.) est un genre botanique qui rassemble des plantes annuelles de la famille des Cannabaceae. Bref, il s'agit d'une plante. Et comme toute plante, c'est un mélange de très nombreux composés ! Le premier est l'eau, puis il y a sans doute, dans l'ordre des quantités décroissantes, de la cellulose, de l'hémicellulose, des pectines, des lipides, des protéines, et une foule de composés utiles pour la vie de la plante, avec finalement des "métabolites" tels que les chlorophylles et les caroténoïdes (puisque la plante est verte, et qu'elle est capable de photosynthèse), des sucres, des acides aminés... et les composés psychotropes. Mais la question de mon ami mérite d'être analysée : pourquoi n'a-t-il pas pu comprendre de lui-même qu'une plante n'est pas un composé pur ? Manifestement, parce qu'il ne sait pas ce qu'est un composé. <strong>Et, aujourd'hui, je propose la méthode d'explication historique.</strong> Pensons donc au 18e siècle, quand les chimistes commencèrent à s'intéresser à la constitution de la matière. Pour la chimie minérale, les opérations de calcination, par exemple, montrèrent qu'il y avait des "éléments", à savoir des produits qu'on ne pouvait plus décomposer, et qui, au contraire, entraient dans la composition d'autres matières. Par exemple, quand on fait brûler du soufre (poudre jaune) avec du fer (de la limaille, ou fer broyé), on obtenait du sulfure de fer (pas ce nom là à l'époque). Inversement, quand on s'y prenait bien, on pouvait décomposer le sulfure de fer en soufre et en fer. Bref, le soufre et le fer sont des éléments, alors que le sulfure de fer n'en est pas un. A la même époque, les chimistes s'intéressèrent à la matière organique, mais c'était beaucoup plus difficile, parce que les produits animaux ou végétaux se décomposent quand on les chauffe, et aussi parce que, à l'époque, on ignorait encore la composition des gaz, et notamment des gaz formés lors des combustion de ces matériaux. C'est seulement quand furent identifiés le dioxygène, le dioxyde de carbone, le diazote, la vapeur d'eau, etc. que l'on a pu analyser les gaz produit lors de distillation sèche de tissus animaux ou végétaux Ainsi, quand on met une plante dans une cornue et que l'on chauffe, on récupère des gaz variés, à côté de carbone et d'eau. À la même époque, quelques chimiste qui comprenaient bien que la distillation décompose les matières organiques eurent l'idée de faire des extraits avec des solvants tel que l'eau, l'huile ou l'alcool. C'est ainsi, par exemple, que Louis Jacques Thenard obtint des extraits de viande dans l'alcool, ce qu'il nomma "osmazôme". Ou encore que Beccari et Kesselmeyer séparèrent de la farine une matière qu'ils nommèrent amidon et une autre matière qu'il nommèrent gluten. Ni l'amidon ni le gluten n'étaient des composés purs, puisqu'on pouvait encore les décomposer davantage. Par exemple, le gluten pouvait se séparer en une fraction soluble dans l'eau (les gliadines) et une fraction insoluble dans l'eau (les gluténines). On pouvait encore décomposer ces deux fractions, en différentes protéines, certes apparentées, mais avec quand même des propriétés différentes. Et finalement chaque sorte de protéines est faite de molécules toutes identiques. Autrement dit, la farine n'est pas un "composé" (disons "composé chimique" pour ceux qui en ont besoin) puisque l'on peut le décomposer en gluten et amidon ; et le gluten n'est pas un composé puisque l'on peut le décomposer en gliadines et gluténines ; et la fraction gliadine n'est pas un composé puisque c'est un mélange de plusieurs gliadines particulières. A ce stade, une gliadine particulière, telle l'alpha gliadine est un composé particulier, parce que toutes ses molécules sont identiques. Tout comme l'eau est un composé : dans de l'eau, il n'y a que des molécules toutes identiques, à savoir des molécules d'eau. Et l'éthanol est un composé puisqu'il est fait de molécules toutes identiques, à savoir des molécules d'éthanol. L'huile, en revanche, n'est pas un composé puisqu'elle est faite de milliards de composés différents, certes très semblables mais différents : les "triglycérides". Dans l'huile, il y a donc des milliards de sortes de molécules différentes : on dit des milliards de triglycérides différents. Et pour chacun de tes triglycérides, il y a des milliards de milliards de molécules toutes identiques. Le blanc d'oeuf ? Ce n'est pas un composé non plus puisqu'il est fait d'eau et de protéines, et il existe environ une vingtaine de protéines différentes, avec encore des milliards de milliards de molécules de chaque protéine, c'est-à-dire de chaque de chaque sorte moléculaire. &nbsp; <strong>Ces explications étant données, j'ai rencontré un autre ami qui m'a interrogé sur la possibilité de diviser les molécules.</strong> Oui, on peut diviser une protéine et l'on obtient alors, dans certains cas, des molécules nouvelles qui sont des acides aminés (on en trouve vingt différents dans les protéines des organismes vivants). Oui, on peut diviser de l'eau, c'est-à-dire diviser des molécules d'eau, et l'on obtient alors des atomes : les molécules sont des assemblage d'atomes. Pourrait-on diviser encore les atomes ? Oui, mais cette fois la puissance du feu n'est pas suffisante, et l'on passe la physique subatomique, qui a résulté de l'introduction d'énergies supérieures à celle du feu. C'était la la limite de la chimie, qui, elle, s'intéresse aux assemblages d'atomes.

mardi 29 avril 2025

J'ai des amis merveilleux... mais qui croient à l'homéopathie. Comment est-ce possible ?

 
J'ai des amis qui croient à l'homéopathie, et cela me peine :  ne comprennent-ils pas qu'ils font le jeu de malhonnêtes ?</b> Ce matin, m'est venue une hypothèse, afin comprendre pourquoi certains de mes amis, bien qu'intelligents, tombent dans le piège de l'homéopathie : je crois qu'il y a notamment une question de <b>culture scientifique insuffisante</b>. Je m'explique, en partant de faits. Donc, j'ai des amis qui sont intelligents, honnêtes, droits, travailleurs (dans leur métier ; permettez-moi de ne pas dire lequel, afin qu'ils ne se reconnaissent pas)... Bref, beaucoup de qualités. Mais, un "défaut" : ils croient à l'homéopathie, au point même d'être prosélytes. Bien sûr, je suppose que le débat sur l'inefficacité de l'homéopathie ne leur a pas échappé, mais je pense que : 1. voyant qu'il y avait des "pour" et des "contre" 2. observant que les deux camps reconnaissent un effet (les "contre" ont l'honnêteté de dire qu'il y a le même effet que tout placébo) ils concluent en faveur de cette "médecine". D'ailleurs, après tout, ne voit-on pas ces produits exposés dans des pharmacies (qui sont donc complices des producteurs) ? Pour certains, comme moi, la cause est entendue, et <b>l'homéopathie n'est que du placébo</b>, car  un produit ne peut pas agir s'il n'est pas présent ; or certaines dilutions homéopathiques sont telles qu'il y a  (bien) moins d'une molécule dans ces produits, de sorte qu'aucune action n'est possible. La  prétendue "dynamisation" ? Jamais établie, d'autant que le fouillis moléculaire l'éliminerait immédiatement. Mais ce raisonnement n'est que ceux qui, comme moi, savent ce qu'est une molécule ! Or je suis heureux d'indiquer que le podcast d'AgroParisTech où j'explique ce qu'est un composé (<a href="http://www2.agroparistech.fr/podcast/Qu-est-ce-qu-un-compose.html">http://www2.agroparistech.fr/podcast/Qu-est-ce-qu-un-compose.html</a>) est un des plus regardé du site, et qu'il m'a valu des remerciements de nombreux amis du monde des métiers du goût. Lesquels ignoraient tout de cela, et découvraient des idées utiles pour interpréter les phénomènes qu'ils observent chaque jour dans leur cuisine. <b>Oui, je crois que c'est cela, l'origine de certaines croyances dans l'homéopathie : l'ignorance de la structure moléculaire et atomique de la matière, l'ignorance des règles de comportement des atomes et des molécules. </b> Et c'est donc pour mes amis que je prends un (précieux) moment, à expliquer maintenant toute cette affaire.  Partons de l'eau, pour commencer. D'un verre d'eau. C'est un liquide transparent, qui semble bien immobile si on ne le bouge pas. <div class="separator"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-WPfrmZqOlJ0/XL290m_ZgSI/AAAAAAAABQI/9AYBl5MGoYU4IQyO0-Ksvsvge87YZ-JEACLcBGAs/s1600/verre%2Bd%2Beau.jpg"><img src="https://3.bp.blogspot.com/-WPfrmZqOlJ0/XL290m_ZgSI/AAAAAAAABQI/9AYBl5MGoYU4IQyO0-Ksvsvge87YZ-JEACLcBGAs/s1600/verre%2Bd%2Beau.jpg" border="0" /></a></div> Regardons-le avec une loupe : on ne voit rien de particulier. <div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-ZMwJk-pBm1o/XL2-YfNQWQI/AAAAAAAABQQ/cV1-7RpiwCAhvj0eNWEBXXF5GiHXvUZFgCLcBGAs/s1600/loupe.jpeg"><img src="https://1.bp.blogspot.com/-ZMwJk-pBm1o/XL2-YfNQWQI/AAAAAAAABQQ/cV1-7RpiwCAhvj0eNWEBXXF5GiHXvUZFgCLcBGAs/s1600/loupe.jpeg" border="0" /></a></div> Puis regardons avec un microscope : rien n'apparaît non plus. <div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/kfah1SUBnzEq3i3DqLinQeLrPMAXktCuQCLcBGAs/s1600/microscope.jpg"><img src="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/kfah1SUBnzEq3i3DqLinQeLrPMAXktCuQCLcBGAs/s320/microscope.jpg" width="247" height="320" border="0" /></a></div> Et regardons avec un super-microscope : toujours rien ! <div class="separator"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/BMvjbmbeRkoJVqfdVRLoAPzUwbCMba0jwCEwYBhgL/s1600/microscope.jpg"><img src="https://1.bp.blogspot.com/-8ZhFg5gWufo/XL2_Md5uOGI/AAAAAAAABQc/BMvjbmbeRkoJVqfdVRLoAPzUwbCMba0jwCEwYBhgL/s320/microscope.jpg" width="247" height="320" border="0" /></a></div> Pourtant, si nous déposons très délicatement une goutte d'encre ou un cristal violet de permanganate de potassium au fond du verre, nous voyons un halo coloré se répartir dans le verre. Mystère !  Oui, mystère quasiment au sens étymologique du terme : comment est-il possible que le permanganate ou l'encre soient ainsi mis en mouvement, alors que tout semblait immobile ? C'est là la merveilleuse découverte de la chimie de la fin du 19e siècle : l'eau est faite d'objets tous identiques, nommés "molécules" : <div class="separator"><a href="https://4.bp.blogspot.com/--1hrt1JqgdQ/XL2_uS6aBJI/AAAAAAAABQk/zqm4hWyARnErY_BBzaPoAUL8Yj3PQtPugCLcBGAs/s1600/molecules%2Bd%2Beau.png"><img src="https://4.bp.blogspot.com/--1hrt1JqgdQ/XL2_uS6aBJI/AAAAAAAABQk/zqm4hWyARnErY_BBzaPoAUL8Yj3PQtPugCLcBGAs/s320/molecules%2Bd%2Beau.png" width="320" height="265" border="0" /></a></div> Et, contrairement à l'image précédente, contrairement à l'image suivante, les molécules sont des objets tous en mouvement, avec une vitesse moyenne de 400 mètres par seconde ! Oui, l'eau grouille, et l'on a une meilleure idée avec une vidéo : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=x8Atqz5YvzQ">https://www.youtube.com/watch?v=x8Atqz5YvzQ</a> où les mouvements sont considérablement ralentis ! Avec cette image, on comprend l'expérience de la goutte d'encre et du permanganate de potassium : initialement, les molécules de l'encre, ou les ions potassium et permanganate respectivement, sont groupés. Mais les molécules d'eau qui viennent les heurter, d'innombrables fois, les dispersent progressivement. Ah, j'oubliais, et le "d'innombrables" m'y fait penser  : je n'ai pas dis que, dans un verre d'eau, il y a environ un million de milliards de milliards  de molécules d'eau ! <b>Mais revenons à l'homéopathie, munis de ces connaissances</b> Les médicaments n'agissent évidemment que s'ils sont présents : en général, ils ont des "récepteurs" dans l'organisme, c'est-à-dire qu'ils viennent se lier à des protéines (le plus souvent), comme des clés viennent se loger dans des serrures. Et quand la bonne clé vient dans la bonne serrure, alors il y a une action dans l'organisme. De sorte que l'on comprend que, <b>quand il n'y a pas de clé, il n'y a pas d'action : quand il n'y a pas de molécule d'un composé, il ne peut pas y avoir d'action. </b> Et c'est là où le bât blesse, à propos de l'homéopathie : les dilutions sont si grandes qu'il n'y a pas de molécules actives, mais seulement des molécules de l'excipient : de l'eau ou du  sucre, par exemple. Oui, comment un produit pourrait-il agir s'il n'est pas présent ? Certains partisans de l'homéopathie répondent en invoquant une prétendue "dynamisation", tout comme on l'entend à propos de la méthode de culture nommée "biodynamie", où l'on est replongé au Moyen Âge, avec des effets qui résulteraient du mouvement d'un fer dans de la bouse, à condition d'être fait sept fois dans le sens des aiguilles d'une montre. Et puis quoi, encore ? Pourquoi pas l'imposition des mains, la divination, les tables tournantes, les fantômes, les feux follets, les soucoupes volantes, et j'en passe et des meilleures ? Le bon Cyrano de Bergerac, déjà, disait : <b>"On ne m'a quasi jamais relaté aucune histoire de Sorciers, que je n'aye pris garde qu'estoit ordinairement arrivée, à trois ou quatre cent liëues delà"</b>. Et cela reste vrai aujourd'hui : on m'a parlé de rebouteux, et, le jour où je me suis foulé le pied dans le Tarn, il y en avait un a un diner, qui a voulu me rétablir ; je me suis laissé faire sans y croire, et le lendemain, j'étais quand même à l'hôpital. Tout comme les baguettes de sourcier : les expériences que nous avons faites à la revue <i>Pour la Science</i> ont montré... qu'il n'y avait aucune action. Les tables tournantes ? Le chimiste Michel Eugène Chevreul, par exemple, les a réfutées, tout comme le chimiste Michael Faraday. Et ainsi de suite, mais l'hydre repousse ses têtes, et il vaut donc mieux s'interroger pour comprendre comment des gens "intelligents" peuvent tomber dans le panneau. D'autant que, souvent, ce sont les mêmes qui croient à l'homéopathie ou aux tables tournantes, et autres prétendus effets ! La prétendue dynamisation, pour y revenir ? Au moment de l'affaire de la mémoire de l'eau, j'ai rencontré un illuminé qui me prétendait que si l'on mettait, dans un circuit électrique, de l'eau et de l'acide cyanhydrique dans une ampoule fermée, alors le poisson passerait dans une autre ampoule ne contenait que de l'eau. J'ai fait l'expérience et j'ai bu l'eau de l'autre ampoule... mais je suis bien vivant ! Alors la prétendue dynamisation ? J'espère que la vidéo des molécules d'eau fera comprendre que toute action locale (qui ne peut être qu'un mouvement des molécules) sera perdu immédiatement. Surtout  : ces "effets prétendus", de quelle nature seraient-ils ? Évidemment, il y a le nombre sept, qui est un nombre premier... mais ce n'est au fond qu'un nombre premier. Et les nombres premiers n'ont jamais tué personne... ni dynamisé quoi que ce soit. <b>Tout cela pour dire que nous nous essoufflons à vouloir réfuter nos amis qui ont des prétentions exorbitantes. Au fond, ne devons-nous pas seulement leur demander la preuve de ce qu'ils avancent ? De vraies preuves, et pas des "on dit que" comme ils nous l'assènent ? Laissons-les passer leur temps à chercher des "preuves", si cela les tente, mais quelle folie ! </b> Alors qu'il y tellement mieux à faire, à découvrir les véritables beautés de ce monde. Oui, utilisons notre temps à l'école, à faire comprendre que les sciences de la nature sont merveilleuses, à faire comprendre que Jean-Sébastien Bach fut un génie, pour des raisons techniques et artistiques qu'il faut prendre le temps d'admirer, que Léonard de Vinci fut un personnage vraiment extraordinaire, que Friedrich Gauss fut un génie, que Rabelais fut un homme d'un art accompli... PS. J'ajoute que la religion est un facteur qui peut contribuer à croire à des effets "miraculeux" : les textes religieux ne font-ils pas états de "miracles" ?

lundi 28 avril 2025

Le carré de Pasteur : ne gardez aucun souvenir de cette image pernicieuse, et voyez plutôt celle que je produis en fin de billet

 
Ce matin, je retrouve cette image, dont je ne sais plus d'où elle sort, en tout cas pour la version française, et j'en suis très mécontent. Mais, écrivant un terme négatif, je m'en veux aussitôt, non pas de mon jugement, mais de ne pas avoir présenté du positif à mes amis... de sorte que, en fin de billet, l'analyse étant faite, je donnerai un carré plus juste. Entre temps, j'aurai expliqué pourquoi Louis Pasteur lui-même n'aurait guère apprécié l'idée transmise derrière l'image que voici : <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Pasteur-Carré-fr-nov07.jpg"><img class="alignnone size-medium wp-image-1518" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Pasteur-Carré-fr-nov07-300x225.jpg" alt="" width="300" height="225" /></a> Il s'agit de "financer la recherche". Dont acte... mais quand même, cela vaut sans doute la peine que nous nous arrêtions sur le mot "recherche", qui est une porte ouverte à toutes les âneries, toutes les confusions. Non pas que la "recherche" n'existe pas, mais surtout que c'est la possibilité de confondre science et technologie, et pourquoi pas ingénierie, ou génie, tant que nous y sommes. Chaque terme renvoie à une entité bien particulière, qui ne se confond pas avec les autres. Commençons par éclaircir les choses : - sciences de la nature : la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode expliquée moult fois ici, mais dont je redonne pour mémoire les grandes lignes : <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/methode-sciences-nature.png"><img class="alignnone size-medium wp-image-1519" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/methode-sciences-nature-300x211.png" alt="" width="300" height="211" /></a> - technologie : l'amélioration des techniques, souvent avec l'aide des résultats des sciences - ingénierie : ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle - génie : ensemble des techniques concernant les travaux de déblaiement, de fortification, de l'aménagement des moyens de communication, des transmissions, puis par extension, la mise en œuvre de transformations moléculaires, par exemple. Pour toutes ces activités, il peut y avoir de la "recherche", puisqu'on ne se contente pas de faire (sauf peut-être dans le génie), et qu'on cherche des moyens nouveaux de faire. D'ailleurs, un artiste aussi fait de la "recherche", mais pas de la recherche scientifique, bien sûr ! Puis, il y a la question du financement. Cette fois, on comprend que cela concerne soit des individus, soit des institutions, soit l’État. Ici, il s'agissait clairement d'une référence à l’État, et la question est de savoir où bien placer les financements donnés par l’État : à la science, ou à la technologie ? "Choisir le bon carré" : rien que cette expression est minable... parce que cela me fait penser à ces questions d'enfant, à savoir "tu préfères la fraise ou la banane?", pour lesquelles ma réponse est invariablement "le cassis" ! Pourquoi l’État choisirait-il un seul carré ? Et pourquoi les quatre carrés ne s'imposeraient-ils pas ? Recherche appliquée : si c'est appliqué, ce n'est pas de la science ! Et Pasteur lui-même a hurlé de rage une bonne partie de sa vie, s'évertuant à expliquer qu'il avait été initialement scientifique, quand il a fait ses travaux sur la chiralité (de l'acide tartrique, pour commencer), puis qu'il avait été conduit à quitter la science pour la technologie, la "recherche appliquée", avec la microbiologie, les vaccins... Oui, c'est Pasteur lui-même qui a bien distingué science et technologie, et aussi technique, tout comme le faisait bien Claude Bernard à la même époque (reconnaissant que la médecine est une technique, tandis que la recherche clinique est de la technologie, et la physiologie une science de la nature). Mais ici, dans cette figure idiote, la "recherche appliquée" renvoie à la "recherche fondamentale"... et cette terminologie est détestable. En effet, la science n'est pas "fondamentale ; c'est la science. Et il n'y a pas d'opposition recherche appliquée-recherche fondamentale, mais une différence entre science et technologie. D'ailleurs, tant que nous y sommes, il faut signaler que la science et la technologie ne peuvent pas être mises sur un axe continu, car il y a solution de continuité entre les deux ! De ce fait, les travaux technologiques de Pasteur ne sont pas de plus grande "qualité" que ceux de Niels Bohr, et ceux de Pasteur ne sont pas plus "scientifiques" que ceux d'Edison. Faut-il éviter une "zone" ? Comme l'organisation proposée ici est idiote, le "carré à éviter" n'est pas à éviter... puisqu'il n'existe pas. Et, enfin, Pasteur n'est pas un "carré magique", parce qu'il conduirait à exclure les travaux scientifiques, dont on ne répétera pas assez qu'ils n'ont pas seulement la technique comme champ d'applications, mais aussi l’École (de la Maternelle à l'Université, et au-delà), la Culture, qui est l'honneur de l'esprit humain. &nbsp; Bref, ce schéma est bête, pernicieux, à combattre. Faisons donc bien plus positif : <a href="/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Conf-sc-mar-19-renovee.jpg"><img class="alignnone size-medium wp-image-1520" src="https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/wp-content/blogs.dir/141/files/Conf-sc-mar-19-renovee-300x225.jpg" alt="" width="300" height="225" /></a> Ici, il y a la technique, qui produit nos biens et services, et dont l'Etat aurait intérêt à encadrer les productions de façon éclairée, avec encouragement.  Il y a la technologie, qui prend les résultats des sciences, pour les faire passer en technique. L’État ne doit pas faire le travail lui-même, mais encourager le transfert, par des industriels (petits ou grands) qui s'enrichiront, produiront de l'emploi et de la richesse nationale. Là encore, de l'encouragement. Enfin, il y a la science, qui n'est pas de la technologie, et qui est une activité d'appoint de l’État à la nation... et c'est donc seulement la case Bohr qui devrait être financée, en matière de production directe de l’État (par opposition à l'encouragement que j'évoquais précédemment).  On observera que les trois activités représentées ici le sont au même niveau : je maintiens qu'un bon technicien est mieux qu'un mauvais scientifique, mais qu'un bon scientifique est mieux qu'un mauvais technicien. En réalité, on ne peut pas comparer des activités différentes !