Quand je travaillais à la rédaction de la revue Pour la Science, nous avons souvent rencontré le phénomène suivant : après un certain temps, chaque proposition d'article était reçue par un « On l'a déjà traité ». La mécanique quantique ? Déjà vu. Les micro-algues ? On l'a fait il n'y a pas si longtemps. La naissance de l'Univers ? Une vieille lune…
Certains journaux, radio, télévision ne se seraient pas embarrassés de nos scrupules et auraient sauté sur la moindre actualité pour remplir leurs colonnes, mais, notre travail étant rigoureux et honnête, nous avons souvent conclu que nous ne pouvions pas traiter à nouveau des sujets que nous avions déjà abordés ; nous cherchions à ne pas nous répéter, afin de donner à nos lecteurs une information de valeur (et de qualité, mais c'est une autre affaire).
En réalité, ce choix était peut-être erroné, pour plusieurs raisons.
D'une part, les lecteurs de la revue ne lisent pas tous les articles, de sorte que, en supposant une proportion de lecture de 50 %, nous aurions dû accepter de nous répéter au moins une fois.
D'autre part, il y avait la question de la nouveauté : si le sujet se présentait à nouveau, nous devions le traiter, afin de ne pas priver nos lecteurs d'informations dont ils avaient envie ou besoin. Autrement dit, il fallait traiter ces sujets, mais les traiter, mais avec un angle nouveau. Au lieu de rabâcher les même métaphores explicatives, il nous revenait d'en trouver de nouvelles, d'originales...
Je me vois aujourd'hui dans le même type de questionnement, car il est vrai que bien rares sont les sujets culinaires dont je n'ai pas fait état, par le passé, dans un de mes livres, articles, interventions, etc. Mais prenez mon jeune « neveu », âgé de moins de 20 ans, et qui se passionne pour la cuisine. Doit-il aller rechercher dans le fouillis de mes publications anciennes l'information dont il a besoin aujourd'hui ? Et les travaux effectués depuis 35 ans n'ont-ils pas conduit à une vision épurée, clarifiée, qui permet donc de donner des explications bien plus simples et plus justes que par le passé ?
Mon enthousiasme étant intact, la réponse est claire : même si j'ai déjà discuté la confection de la mayonnaise, je ne dois pas m'empêcher de la discuter à nouveau, mais c'est à moi d'aller inventer des mots nouveaux, des idées nouvelles à propos de sujets anciens. Le problème de l'âge qui rabâche ? C'est une question de paresseux, et la conclusion s'impose : à nous de nous émerveiller, sans naïveté toutefois, des extraordinaires sujets qui nous sont soumis, à nous de composer des discours originaux, éclairants, à nous d'utiliser une expérience supérieure pour communiquer de l'enthousiasme avec encore plus d'efficacité que nous ne le faisions naguère.