Les Massive Open Online Courses sont là, et une partie du système
universitaire français s'émeut. Car la concurrence semble devenir rude,
les plus grandes universités américaines proposant des cours par
centaines, par milliers... Parfois, les cours sont payants ; parfois
ils sont gratuits, et seul le diplôme est payant. Une masse considérable
de données est réunie, et pas seulement sous la forme écrite, mais
aussi visuelle, sonore, animée...
Le phénomène remettra-t-il en
cause la pédagogie de l'enseignement supérieur ? Remettra-t-il en cause
l'enseignement supérieur, même ? L'usage de l'internet rend-il
l'étudiant plus actif ? Les enseignants doivent-ils apprendre le
théâtre, pour produire des prestations attrayantes ? Faut-il fermer les
amphithéâtres ? Et les universités doivent-elles se transformer en
studios de télévision ?
Poser une question n'est pas toujours poser
une bonne question, et il on aurait raison de bien regarder le passé,
pour ne guère s'émouvoir du présent ou du futur (amusant, ce sont
toujours les mêmes qui ont peur). Mieux, ne pourrait-on pas profiter des
évolutions, quand on a la chance d'en voir, pour faire évoluer les
choses du bon côté ?
Commençons par voir pourquoi rien n'a
vraiment changé, et pourquoi les MOOC ne sont peut-être pas l'Innovation
que l'on annonce. Pour ce qui concerne les étudiants, cela fait
longtemps que certains restent dans leur environnement proche (pour
mille raisons, bonnes ou mauvaises), mais que d'autres n'hésitent pas à
traverser le monde pour rejoindre les systèmes d'enseignement les plus
« réputés », les « professeurs » les plus remarquables. Et l'on a
toujours vu, à côté d'une masse qui « suit les cours », quelques
Jean-Marie Lehn, qui dès les années 1960, sèchent les cours pour aller
en bibliothèque « produire le cours » à partir d'ouvrages à leur
disposition.
Observons que les cours en ligne ou les livres dans
les bibliothèques ne diffèrent guère. Ceux qui suivaient les cours
suivront sans doute les cours, et ceux qui voudront aller en
« e-bibliothèque » iront, parce qu'ils ont de la curiosité et de
l'autonomie. Et relisons l'introduction de Richard Feynman, dans ses
Cours de physique : « The question, of course, is how well this
experiment has succeeded. My own point of view – which however does not
seem to be shared by most of the people who worked with the students- is
pessimistic. I don’t think I did very well by the students. When I look
at the way the majority of the students handled the problems on the
examinations, I think that the system is a failure. Of course, my
friends point out to me that there were one or two dozens of students
who –very surprisingly- understood almost everything in all of the
lectures, and who were very active in working with the material and
worrying about the many points in an excited and interested way. These
people have now, I believe, a first-rate background in physics –and they
are, after all, the ones that I was trying to get at. But then, « The
power of instruction is seldom of much efficacy except in those happy
dispositions where it is almost superfluous. » (Gibbons).
D'autre
part, du côté des enseignants, il y a toujours eu des enseignants de
diverses qualités. Et il y a toujours eu, même sans l'Internet, quelques
très grands enseignants, qui attiraient à leurs cours des étudiants de
partout, en raison d'une « beauté intellectuelle » très particulière,
d'une avancée intellectuelle, de capacités d'acteur qui rendent les
cours vivants, que sais-je. Pas de changement, non plus, donc... et l'on
doit même s'interroger si l'e-learning ne va pas, au contraire, emplir
les salles de cours, au lieu de les vider : les personnalités attirantes
attirent !
Oh, et puis j'y pense : il y a, certes, beaucoup de
vidéos en ligne... mais la question est de connaître leur « qualité » ;
le nombre n'est pas tout !
Surtout la question des relations entre
enseignement et communication n'est pas neuve, et l'on aurait lieu de
s'interroger mieux sur la différence entre connaissances et compétences.
Les MOOC sont l'occasion de se demander à nouveau quel est le rôle de
l' « enseignant », du « professeur », de l' « étudiant » (Michel Eugène
Chevreul, âgé de 100 ans, se disait le doyen des étudiants de France).
Quelle est la différence entre un article ou une vidéo de vulgarisation,
d 'un côté, et un cours de l'enseignement supérieur, de l'autre ?
Et
puis, pourquoi sélectionne-t-on les enseignants chercheurs par leur
recherche ? Parce que c'est là un moyen, si les enseignants chercheurs
enseignent ce qu'ils viennent de produire, de conduire directement les
étudiants à la pointe du savoir actuel ? Je crois que les enseignants de
l'enseignement supérieur n'ont pas, comme dans l'enseignement
secondaire, à tenir la main des étudiants pour aider ces derniers à
gravir lentement les pentes du savoir accumulé ; ils ont la mission
d'enseigner ce qu'ils produisent, et de proposer une vision unique du
bout de connaissance qu'ils ont défriché.
Profitons de l'arrivée des
MOOC pour nous demander s'il est légitime d'accueillir dans des
amphithéâtres, pour des cours de physico-chimie, des étudiants qui
ignorent le théorème de Gauss, qui trouvent difficilement des primitives
de fonction simples, qui croient que les cycles aromatiques comportent
des doubles liaisons ? Faut-il vraiment prolonger un interminable
enseignement supérieur, ou faut-il plutôt conduire rapidement vers
l'autonomie qui doit être celle de la fin du master ?
Enfin,
l'enseignement universitaire, c'est de la recherche... et ce n'est pas
une nouveauté que la recherche scientifique doit être de qualité, MOOC
ou pas ! Par ailleurs, n'oublions pas de faire savoir ce que nous
faisons si nous le faisons bien : une belle idée dans un tiroir fermé à
clé, ce n'est pas une idée ; c'est rien !