Ce matin, une élève de 1ere me demande :
La cuisine moléculaire "risque"-t-elle de "détrôner" la cuisine "traditionnelle" ?
Merveilleuse question, qui me permet de donner des explications utiles.
D'abord, il y a la "cuisine moléculaire" : sa définition est, en gros, cuisiner avec des outils modernes, des outils rénovés, de notre temps, au lieu de cuisiner péniblement avec des casseroles vieilles de plusieurs siècles, lourds au point que seuls des colosses peuvent travailler en cuisine (avez vous déjà serré la main d'un cuisinier professionnel?)
De cette définition, je conclus que... risque ? Ce serait plutôt une chance, si l'on peut faire les mêmes plats facilement, non ? Donc pas de "risque", mais une opportunité. De sorte que l'on pourrait maintenant poser à nouveau la question :
La cuisine moléculaire pourrait-elle, par chance, détrôner la cuisine traditionnelle?
Mais là encore, puisque tout tient dans les outils, de quoi parle-t-on ? De l'acte de cuisiner, ou bien des mets, des plats ? Si ce sont les actes, oui, on a vu qu'il fallait absolument que le remplacement se fasse. C'est la modernisation technique visée, depuis le début.
Pour les résultats, on peut utiliser un nouvel outil pour faire la même chose que par le passé, donc pas de risque : et cela est expliqué dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1". Pour faire de nouvelles choses ?
C'est là le sens réel de la question de notre jeune amie : avec de nouveaux outils, ferons-nous des choses qui remplaceront les mets traditionnels.
Détrôner ? Oui notre cuisine traditionnelle est souvent sur un trône. Mais de quel bord sommes nous : de Louis XVI et d'une aristocratie qui n'a parfois eu que la peine de naître avec une cuiller en argent dans la bouche, ou bien de ceux qui ont construit la démocratie (qui a quand même des inconvénients) ?
Et puis, pourquoi toujours vouloir mettre l'un au-dessus de l'autre ? Ne pourrait-il pas y avoir la cuisine traditionnelle et la cuisine moléculaire ?
Ce qui nous conduit à "traditionnelle" : j'ai souvent expliqué que la tradition n'est pas une garantie de qualité. L'esclavage fut longtemps traditionnel ! Et les plats "traditionnels" ne sont pas toujours bon : un bon cassoulet est bon mais un mauvais cassoulet, c'est mauvais.
Ce qui est terrible, dans toute cette histoire, c'est que, primates équipés de la "néophobie alimentaire", nous ne pouvons que très difficilement aimer ce que nous n'avons pas connu petits. Souvent, la cuisine traditionnelle, c'est celle de notre enfance. De notre propre enfance, idiosyncratique, illégitime au regard de l'ensemble de la collectivité.
Si notre grand-mère (par exemple) nous a fait manger des viandes trop cuites, elles sont (peut-être) devenues ce que nous préférons.
Bref, une belle question, qui méritait (je crois) d'être bien décodée. Manger, c'est quoi, au juste ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Manger, c'est quoi au juste?
RépondreSupprimerOn peut en tout cas affirmer que pour l'homme (mais surement pas seulement) ce n'est pas que se nourrir.
Il ne s'agit pas d'une remarque cynique feignant d’ignorer qu'un milliard d'humains sont victimes de sous-nutrition ce qui est un de scandales les plus inacceptables de notre belle société dominée par la toute puissante finance.
Mais pour ceux des pays surdéveloppés manger cela peut être aussi un plaisir quand cela ne devient pas, hélas pour un nombre de plus en plus grand, une façon de calmer son angoisse en se remplissant convulsivement de nourritures trop grasses, trop riches, trop sucrés avec les conséquences que l'on connait sur le nombre sans cesse grandissant d'obèses.
Et si manger reste un plaisir pour certains, cela tient bien sûr à la délicatesse et à l’harmonie des saveurs, autant à la découverte qu'à la madeleine de Proust ou au riz au lait de sa grand-mère.
Manger c’est aussi attendre une promesse alléchante, partager, apprécier le dressage d’une table, admirer un paysage, être quelquefois intimidé par la renommée du chef, déguster la saveur du nectar qui accompagne un plat etc...
Bref manger, quand il ne s'agit pas uniquement de se nourrir, c'est un acte social mettant en œuvre de nombreuses connexions dans notre cerveau
Malgré tout ça, si par "bonheur" la cuisine moléculaire prenait la place de la cuisine traditionnelle, dans combien de temps l’estimer vous et surtout, il y a t-il de grandes difficultés dans cette cuisine? Les bases apprises au lycée seront elles utiles ou non? Il y a t-il de l'espoir tout de même pour un jeune cuisinier ambitieux qui aime la cuisine traditionnelle?
RépondreSupprimerLa question est résolue : la Redoute vend des siphons ! C'est la preuve que la cuisine moléculaire est déjà là... puisque c'est cela la cuisine moléculaire : cuisiner avec des outils modernes !
RépondreSupprimerEn revanche, la vraie question se pose avec la cuisine note à note (voir http://www.agroparistech.fr/forums/categories/la-cuisine-note-%C3%A0-note).
De la place pour un cuisinier qui aime la cuisine traditionnelle ? Comparons à la musique : à côté de Lady Gaga, il y a de la place pour des musiciens qui jouent du Bach ou du Mozart.
Une cuisine moléculaire n'a pas forcement recourt à la chimie alors?
RépondreSupprimerEt qu'est-ce que la cuisine moléculaire apporterai a la cuisine traditionnelle? Est-ce seulement des nouveaux produits ou une manière de cuisiner avec des d'autres appareils?
RépondreSupprimerC'est quoi : recourt à la chimie ? Le sucre a-t-il recourt à la chimie ? Et la fabrication des eaux de vie ?
RépondreSupprimerJe propose de bien reconnaître, justement, honnêtement, qu'il n'y aura jamais de chimie en cuisine, puisque la chimie est une science, qui ne produit que des connaissances !
Soit TOUT a recourt à la chimie, soit RIEN ! La confection d'alginates de sodium s'apparente exactement à la fabrication du sucre, du sel, de la farine.
Qu'est ce la cuisine moléculaire apporte à la cuisine traditionnelle ?
RépondreSupprimerLa cuisine, c'est la cuisine.
La tradition, c'est la tradition. Pour moi qui suis alsacien, la pizza n'est pas traditionnelle, ni le cassoulet.
La cuisine moléculaire, c'était une sorte de drapeau en vue de moderniser la cuisine. Par exemple, clarifier des bouillons avec un chinois, linge plié en quatre et blancs d'oeufs battus, c'est TRES DEPASSE, quand on peut simplement utiliser des filtres modernes pour filtrer, en quelques secondes !
C'est cela, la cuisine moléculaire : faire de la cuisine de notre temps.
(et la cuisine note à note, je le répète, c'est une autre aventure, bien plus excitante!)