Dans la série des idées importantes que je n'ai pas été assez assidu à propager, en voici une :
Et si l’on cuisinait assis ?
Plaidoyer pour une cuisine heureuse
Nos séminaires de gastronomie moléculaire ont maintenant lieu… alors que se tiennent simultanément le séminaire de gastronomie moléculaire suisse, américain, cubain, finlandais, et aussi nantais, lillois...
En réalité, nos séminaires ont été débaptisés, parce que la gastronomie moléculaire, c’est de la science : la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires. Au laboratoire, nous explorons les échanges de morceaux d’oignons avec les sauces où ils baignent, nous étudions les changements de couleur des haricots verts que l’on cuit, nous cherchons comment se répartit l’estragole (une molécule prépondérante dans l’huile essentielle d’estragon ou de basilic) dans du poulet à l’estragon… Rien à voir, donc, avec ce que nous faisions lors des séminaires… et ce que nous continuerons de faire.
Que faisons-nous, lors des rencontres qui avaient lieu tous les troisièmes jeudis du mois ? Nous cherchions la façon d’étudier des « précisions » culinaires, afin de les analyser ensuite, au cas où elles auraient été vérifiées. Par exemple, lors du séminaire d’avril, nous nous sommes demandé si du vinaigre ajouté dans des pâtes feuilletées prévenait l’apparition de points noirs sur les pâtes. Nous avons confectionné des pâtes feuilletées, et préparé un test préliminaire, mais en aucun cas nous n’avons eu assez de temps pour faire une étude scientifique.
D’où la décision de renommer les séminaires. Le terme retenu, le terme juste, est « groupe d’étude des précisions culinaires ». Oui, c’est plus restrictif, mais c’est plus juste… et il y a de quoi faire ! Il faut répéter que ce n’est pas en deux petites heures que l’on peut tester des précisions. Nous ne pouvons faire que discuter les protocoles qui seront ensuite mis en œuvre par les participants.
Les séminaires INRA de gastronomie moléculaire sont donc morts. Vive le Groupe d’étude des précisions culinaires.
Les nouveaux séminaires
Alors que nous faisions cette transformation, il est exact que des amis étrangers organisaient des séminaires analogues au nôtre. Analogues, pas identiques. Nos amis suisses ont à la fois des ateliers et des conférences. Nos amis cubains ont des séances de travail, variées : parfois, des interventions, parfois, des travaux, parfois, des cours... Nos amis américains ont des rencontres nommées Experimental Cuisine Collective, où, à l’Université de New York, ils mêlent dégustations et conférences, tables rondes et discussions. Nos amis finlandais ont des séances analogues aux nôtres… Nantes n’est pas à l’étranger, mais dans l’Ouest de notre pays, et, là aussi, viennent de se créer des séminaires. Je me suis réjoui, en voyant l’invitation : la rencontre se fait dans un bon restaurant (deux étoiles !), et elle sera suivie d’un apéritif convivial ! Voilà des collègues qui ont bien compris ce que je nomme la question de la jovialité : oui, il n’y a aucune raison de travailler dans la tristesse, et nous travaillerions mieux si nous travaillions dans la joie. De même, nos enseignements gagneraient souvent à être bien plus joviaux qu’ils ne sont aujourd’hui.
Debout !
Changer les conditions de travail ? La transition est toute faite avec le thème de ce mois : pourquoi ne pas cuisiner assis ?
Les faits, tout d’abord : les cuisiniers ont un métier pénible, parce qu’ils ont souvent des horaires longs, et, aussi, qu’ils travaillent debout, dans le stress, dans le bruit, dans la chaleur. Un de mes objectifs : asseoir les cuisiniers, supprimer le bruit, la chaleur, le stress… sans perdre en qualité, et, mieux même, en gagnant en qualité.
Considérons d’abord la question de la chaleur : je suis effrayé, dans mes visites en cuisine, de voir des brûleurs à gaz allumés toute la journée pour rien. La facture de gaz s’alourdit inutilement, tandis que notre environnement souffre de la pratique (je rappelle qu’une plaque à gaz gaspille jusqu’à 80 pour cent de l’énergie qu’elle consomme ; ce qui n’est pas grave en hiver, mais devient désastreux en été). Quand, enfin, se décidera-t-on à équiper tous les lycées hôteliers de plaques à induction, afin d’enseigner aux cuisiniers qu’il n’est pas nécessaire de cuisiner dans la chaleur ?
Certes, le passage à l’induction ne supprimera pas le bruit, car les hottes servent aussi à aspirer les vapeurs, notamment d’eau, mais l’amélioration serait notable. La question du stress, dû au coup de feu ? Là, il faudra bien réfléchir, mais une réforme plus profonde s’imposera sans doute. Il est certain que les menus à rallonge (un comble !) ne facilitent pas la vie des cuisiniers, ni la gestion des stocks, ni la question du coup de feu. Toutefois, ne pourrait-on prendre exemple sur des gens comme Pascal Barbot, où, dans son merveilleux Astrance, il n’y a plus de carte, mais seulement un menu unique que le chef fait pour nous ?
Évidemment, la proposition pose à nouveau la question du statut de la cuisine, partagée entre artisanat et art. Elle pose aussi la question dérangeante de la compétence des cuisiniers : pourquoi irais-je au restaurant pour mon plaisir quand on ne m’y propose que des mets que je fais parfaitement chez moi ? Je sais : les restaurants ne sont pas seulement des endroits où l’on va pour manger, et mes propositions sont simplistes… mais pensons-y un peu quand même.
Assis !
Passons maintenant à la question de la station debout. Je trouve tout à fait extraordinaire que de nombreux amis cuisiniers n’admettent même pas la discussion à ce propos, avec des tas d’arguments fallacieux : les cuisiniers seraient trop petites, le travail serait moins bien fait quand on est assis, que sais-je ?
Pas de place dans les restaurants ? Si l’on ne peut changer de poste tant les cuisines sont petites, n’est-ce pas l’indication, au contraire, que l’on pourrait asseoir les cuisiniers à des endroits particuliers ? Le travail serait moins bien fait ? Pourquoi ne changerait-on pas les hauteurs des plans de travail ?
Plus généralement, je propose à mes amis lecteurs de la Cuisine collective de ne pas rejeter la proposition trop vite. Si nous voulons attirer des jeunes vers ce beau métier qu’est le métier de cuisinier, ne devons-nous pas faire quelques efforts… qui feront du bien à tous ?
On l’aura compris, d’autre part, la proposition de cuisiner assis est véritablement « révolutionnaire », non par son originalité (elle me semble évidente), mais par ce qu’elle représente. Elle est l’amorce d’un questionnement général de la cuisine.
Pourquoi rester toujours au même endroit, dans un restaurant ?
Pourquoi des assiettes, des couverts, des verres, des nappes, des serviettes ?
Pourquoi le sucré après le salé ?
Pourquoi des cuisines séparées des salles à manger ?
Pourquoi… pourquoi….
Oui, pourquoi ne pourrions chercher à améliorer la cuisine, l’activité culinaire… de tous les points de vue ?
Vive la gourmandise éclairée!
Et si l’on cuisinait assis?
RépondreSupprimerC'est une idée excellente!
Comment ne l'ai je pas eu moi meme? Moi qui exerce en Afrique depuis 15 ans, avec notamment ces dernières années une société de restauration collective, dont une vingtaine de cuisinières (la cuisine locale étant réservée ici aux seules femmes), qui cuisinent assises la plupart du temps sur de petits tabourets de bois.
Je me suis battu pendant des années pour tenter de me rapprocher de méthodes et de normes Europénnes, en vain. La tradition est plus forte.
J'ai fini par fermer les yeux, en comprenant leur motivation à maintenir cette posture : l'économie de fatigue et de douleurs.
Voulant revenir en France, je travaille à l'idée d'un "nouveau" concept de restauration.
Parmi les nombreux courants qui orientent mon étude (et depuis mon passage à Paris en Janvier, la cuisine moléculaire y prends place, un principe auquel je tiens est : la démilitarisation de la cuisine!
L'esprit, l'ambiance, l'organisation, le machisme, la hiérarchie d'une cuisine sont à mon sens trop militaire. Le "Chef", et son "Sous Chef" ou "Second", la "brigade", les "ordres", le "service",...on ne compte plus les vocables empruntés à l'armée.
La tenue blanche immaculée ressemblant à un uniforme codifié, intemporel, international. La toque, blanche aussi, dont la hauteur laisse présumer du grade ou du niveau de qualité de cuisine. Le nom brodé, si possible dans un style alambiqué sur le revers de la veste, gage d'appartenance à une élite. Le pompon étant le col tricolore des MOF, qui n'ont pas encore sorti de médaille dorée à épingler sur la poitrine, mais ca ne saurait tarder.
Quel archaïsme ! Quelle hypocrisie ! Veut on faire croire au public qu'un cuisiner ne se salie jamais, la blancheur de sa veste attestant de son hygiéne ou de son adresse. Quel est le chef aux fourneaux, qui n'a pas en réserve une veste propre à enfiler rapidement s'il venait à aller en salle ? Pourquoi les tenues, ne seraient elles pas de couleurs, bariolées, de rouge, de vert, de marron ?
Et si l'on utilisait un couvre chef plus adapté ?
Et si l'on recherchait à travailler dans moins de bruit, moins de chaleur, moins de nuisances ?
Et si l'on démilitarisait l'esprit de travail, d'endurance, de souffrance, d'apprentissage à la dure des cuisines ?
Et si l'on cuisinait assis ?
Et si ...
Cette réflexion est essentielle, et va de pair avec les améliorations techniques et l'évolution des process en cuisine, qui ouvriront de nouvelles voies, jusque dans l'assiette du consommateur.
D'ailleurs pourquoi dresser dans une assiette, ronde, blanche, ...? Mais çà, c'est un autre "courant" auquel je réfléchis, dont nous débattrons peut être un autre jour.
Continuer à nous faire part de vos idées et réflexions, même les plus bizarres, elles nourrissent l'esprit.
Salutations ensoleillées
Fred
Concernant le combat les plaques à induction vs ronds au gaz:
RépondreSupprimerL'induction a comme avantage majeur de ne pas réchauffer inutilement une cuisine et de réduire les perdes d'énergie, elle a cependant aussi l'inconvénient majeur ne ne pas chauffer de façon constante. Si la force de la plaque à induction se contrôlait d'une façon continue comme le gaz, peut-être qu'elle serait plus populaire.
Concernant le fait d'être assis:
Si la table de travail restait à la hauteur habituelle d'un bureau par exemple, le mouvement nécessaire à la coupe serait entravé par l'angle maximal du bras, et pourrait causer plus de tendinites que de repos...
Pour que la position assise soit efficiente, il faudrait que le poste de travail arrive à la hauteur de la cuisse, mais alors, où serait la cuisse???
Je suis d'accord qu'il faut améliorer les conditions de travail des cuisiniers (en étant moi-même une), je pense que la technologie améliorera un jour notre sort, et qu'elle a déjà commencé avec les fours intelligents. Cependant, tant que certains chef fermeront les hottes à l'heure du service pour garder les assiettes chaudes (quitte à augmenter la température des cuisines jusqu'à 50°C), et tant qu'ils ne considéreront pas l'erreur comme humaine, qu'ils seront violents, gueulards et bornés, les conditions de travail ne seront pas meilleures...
Changeons donc les mentalités avant de changer l'environnement.
Ceci dit, merci pour la réflexion,
Justine
Pour ce qui est de cuisiner assis, on pourrait envisager une position intermédiaire comme par exemple assis sur un tabouret suffisamment haut pour que l'angle que forme la cuisse avec le haut du corps soit très ouvert mais qui permet tout de même de reposer une partie du poids du corps sur le derrière. On pourrait alors avoir un plan de travail à hauteur des cuisses sans pour autant devoir supporter tout le poids sur les pieds.
RépondreSupprimerCe que je reproche personnellement aux plans de travail de ma cuisine (dans une maison, pas une cuisine pro) c'est d'être trop bas et de me forcer à baisser la tête pour voir ce que je fais. La fatigue vient donc principalement de la nuque et un repose-tête vers l'avant serait le bienvenu.
Et pourquoi pas cuisiner en fauteuil... roulant ? Pourquoi pas ?
RépondreSupprimerPeut-être est-ce la bonne façon de poser la question ?
Comment aménager une cuisine, professionnelle pour qu'une personne en fauteuil roulant puisse y travailler ?
L'accessibilité, c'est l'intégration pour les handicapés mais aussi du confort pour les autres.
Il est à noter que dans une cuisine domestiques, beaucoup de choses sont faites assises, en particulier au moment de la préparation tout ce qui est épluchage et découpage.
Pour ce qui est du coup de feu, difficile à lisser, la majorité mange a peu près à la même heure entre 12 et 14h puis entre 19 et 22h
Merci pour tous ces articles
Guy
PS : je pense que c'est en lisant un compte rendu de vos séminaires que j'a appris faire du risotto.