jeudi 18 janvier 2024

Est-on obligé de passer par les équations ? (sic)

 Une discussion, aujourd'hui, à propos des méthodes de la science, avec des amis venus du monde de la chimie et de la biochimie et qui, en confiance, m'avouaient avoir des difficultés avec les calculs (c'est un fait que de nombreux étudiants attirés par les "sciences, technologie, technique", mais qui n'aiment pas calculer vont plutôt en biologie ou en chimie qu'en physique). La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux : "Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?". En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ? 

On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant : 

1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier
2. caractérisation quantitative du phénomène
3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"
4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois
5. recherche d'une prévision théorique testable
6. expérience pour tester la prévision 

J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature. 

Finalement, peut-on donc se passer d'équations ? Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations. Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. 

Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... 

Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur. Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. 

Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière. La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient. Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs. 

Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation ! Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ?

mercredi 17 janvier 2024

Une longue réponse, pour un long (et intéressant) commentaire


Les commentaires que suscitent mes billets dans ce blog m'incitent à poursuivre... et à répondre à chacun, surtout quand mes amis se donnent la peine de présenter un beau tissu rouge au taureau ! Ici, c'est Mathieu Weber qui m'écrit. Je profite de sa gentillesse (avec son accord) pour poursuivre la discussion. Je mets son texte en italiques, et je réponds paragraphe par paragraphe. D'abord, il répond à mon calcul rapide à propos de la quantité de beurre que l'on peut incorporer au maximum dans une purée de pomme de terre : 

Pour incorporer 1,5kg de beurre dans 100g de pommes de terre écrasées, il faudrait (à mon avis d'amateur éclairé) que toute l'eau des pommes de terre soit disponible, comme c'est le cas dans la mayonnaise, en particulier lorsqu'on rajoute du vinaigre. Or, je soupçonne que les cellules de la pomme de terre, grossièrement écrasée, retiennent une bonne partie de l'eau, et je doute donc qu'on puisse réellement incorporer tant de beurre dans la purée. Me trompe-je ?

 

La réponse est : oui, ce calcul est tout théorique, et c'est seulement l'ordre de grandeur qui compte. Mais rien n'empêche, en revanche, d'ajouter un liquide : du lait par exemple ! 

Puis : 

Dans un tout autre registre, auriez-vous des informations facilement accessibles sur le culottage des poêles en fonte ou en acier ? Quel est ce matériau noir et dur, apparemment antiadhésif que se forme au fond de ma poêle ? Il semblerait qu'il soit le produit de polymérisation des lipides qu'on y fait chauffer fortement. Mais une graisse chauffée fortement produit aussi nombre de composés, certains toxiques (par exemple l'acrylamide). Qu'en est-il de la toxicité du culottage au fil du temps ?

 

Là, j'ai plus de difficultés... parce que je ne connais pas l'usage que notre ami a fait de ses poêles ! Cela étant, je sais que ce sont surtout les polymères qui adhèrent : protéines, polysaccharides. De sorte que les résidus de pyrolyse de ces produits semblent plus probables que des produits de dégradation des lipides... mais je n'ai aucune certitudes. Le chauffage des graisses fait des composés toxiques ? Oui... mais je suppose que la poêle, même culottée, est lavée ? Auquel cas les composés toxiques seraient éliminés. Et puis, une adhérence telle que décrite doit être plutôt polymérisée, que faite de petites molécules. Finalement, pourquoi des poêles en fonte... alors qu'il existe de l'acier inoxydable ? Peut-être faut-il abandonner les ustensiles du Moyen Age, pour vivre avec notre temps, malgré notre nostalgie ! Poussons le raisonnement plus loin : et pourquoi des casseroles et des poêles ? Avec la cuisine note à note, cela pourrait être l'occasion d'apprendre à s'en passer. 

 

Puis vient le "gros morceau" : 

Un autre sujet me préoccupe, c'est celui que j'appelle « c'est jamais aussi simple qu'on croit ». Vous m'avez appris que l'estragole est cancérigène à toute dose et que le basilic en contient. Or les mangeurs de basilic n'ont (apparemment) pas plus de cancer que les autres, donc l'information « l'estragole est toxique » n'est pas une information utile en tant que telle au gourmand moyen car on ne peut pas en conclure qu'il vaut mieux pour la santé se priver de basilic: ce n'est pas si simple qu'on pourrait le croire. De la même manière, j'ai appris en vous lisant que lors de la digestion des lipides, les chaînes carbonées en position 1 et 3 sur le (résidu de) glycérol sont traitées différemment que celle en position 2 et que leur absorption est différente. On ne peut donc pas préjuger de l'apport en acides gras saturé (par exemple) d'un lipide qui en contient, puisqu'on ne connait que rarement la structure de ce dernier. Encore une fois, une personne qui n'est pas spécialiste du domaine ne peut pas tirer de conclusion utile de l'information reçue. Il en suit qu'éduquer les gens aux sciences afin qu'ils apprennent à raisonner et à tirer leurs propres conclusions est insuffisant. On ne peut cependant pas faire de chaque citoyen un spécialiste de tous les domaines. Comment alors trier la quantité d'information que nous transmettent les media et quels enseignements peut-on en tirer ? Peut-on seulement en tirer un enseignement utile pour la vie quotidienne ? Ou est-il plus sage de simplement ignorer toutes les informations scientifiques qui sont externes à nos domaines d'expertise, puisqu'on ne peut rien en conclure de substantiel ? À titre d'exemple, j'ai appris que la lumière bleue émise par les lampes à LED blanches (le blanc étant une illusion produite par une combinaison de lumière bleue et jaune) augmenterait le risque de dégénérescence maculaire liée à l'âge. Ce résultat a été obtenu à partir de modèles mathématiques des cellules de la rétine si j'ai bien compris. En appliquant le principe « c'est jamais aussi simple », je devrais ignorer ce résultat car il n'y a pas eu d'étude sur un être vivant (sans compter que Dominique Dupagne prétend que 90% des publications en médecine et biologie sont de mauvaise qualité et n'auraient jamais dû être publiées). Cependant, je passe ma journée face à un écran éclairé par des LED, et une partie de l'éclairage à la maison est à LED, donc ce résultat est inquiétant. Ni vous ni moi ne sommes biologistes et donc incapables de juger de la pertinence de cette information dans la vie quotidienne. Que doit-on donc faire de tels résultats selon vous ? L'éducation aux sciences et à la pensée critique est-elle suffisante ?

 

Abordons l'écheveau par le fil de l'estragole, puisqu'il dépasse. Oui, j'ai dit, écrit que l'estragole est toxique même à des doses très petites (cancérogène, tératogène), et je l'ai dit parce que c'est vrai. Oui, j'ai dit à des amis d'éviter les infusions d'estragon (ou de basilic) dans l'alcool... parce que l'estragole est alors très efficacement extrait, et que l'eau-de-vie produite me semble d'une dangerosité excessive. Et, pendant un an, j'ai cessé d'utiliser basilic ou estragon pour ma famille, afin de ne pas les empoisonner. Cela dit, oui, aucune étude épidémiologique ne montre d'effet chez les mangeurs de basilic et d'estragon, et, surtout, un remarquable article montre que si l'estragole tue des hépatocytes in vitro, la même quantité dans de l'estragon n'a pas cet effet. Enfin, de l'estragole voit sa toxicité divisée par dix si de l'estragon (mais on suppose que du gazon ferait le même effet) est ajouté ! Il y a là un phénomène essentiel, incompris, que la science doit explorer. Dans le doute, nous avons besoin d'études. Surtout, pour répondre à notre ami, observons qu'il n'avait qu'une partie de la réponse, qu'une partie des informations, et je prépare un billet où j'explique que les experts sont notre meilleure chance de nous comporter raisonnablement. Un médecin spécialiste du cancer, par exemple, est quelqu'un qui sait la conduite à tenir, et s'il faut effectivement éviter le paternalisme, il faut bien lui faire confiance ! Le citoyen informé ne le sera jamais autant que le spécialiste, l'expert. Quant à l'éducation aux sciences, elle n'est pas à abandonner, parce que c'est surtout un entraînement à la rationalité, dont nos sociétés manquent parfois cruellement. Pour ce qui concerne la nutrition des lipides, les choses sont encore plus compliquées, parce que nous ne mangeons pas des aliments, mais une alimentation, raison pour laquelle l'Académie d'agriculture de France a pris parti contre les "codes couleurs" que l'on apposerait aux aliments. C'est de la stigmatisation qui donne mauvaise conscience, ce que je crois être une mauvaise méthode pédagogique. Cela étant, là encore, nous manquons cruellement de recherche scientifique de nutrition, avant de passer à l'application diététique ! Mon ami Gérard Pascal dit justement que, pour ce qui concerne la nutrition, la seule règle actuellement est : il faut manger de tout en petites quantités et faire de l'exercice. Mais nous voudrions bien du tout simple, n'est-ce pas ? Pas de chance, nous ne l'aurons pas, pas plus que nous ne pouvons savoir l'existence de Dieu avant de faire le grand saut. Enfin, il y a les LED... et ma réponse devient différente, puisque je n'ai aucune information à ce sujet... et que je ne savais même pas qu'il y avait un danger. Mais, là encore, je vous renvoie au billet à venir sur l'expertise, puisqu'il renvoie à cette question. Si je trouve une seconde pour le finir, je le mets sur ce blog avant la fin du week end. Merci de votre lecture attentive !

mardi 16 janvier 2024

J'ai lu pour vous... des textes de Haldane et de Russel


 Vient de paraître, aux éditions Allia, un livre intitulé "JBS Haldane, Bertrand Russel. Dédale & Icare", qui est composé de deux textes, traduits en français par Fabienne Gallaire. Il est question de l'avenir de la science : Haldane a prononcé une conférence, puis a repris le texte pour en développer des parties. 

C'est un texte politique, sur les relations entre la science et la société, en passant par la technologie, et comment cette dernière intervient pour façonner le monde (si l'on n'y prend garde). Puis Russell a considéré les effets de la science sur les institutions sociales. 

Que penser de ces textes ? Le premier commence par "Alors que je m'assieds pour écrire ces pages, j'ai devant les yeux deux scènes que j'ai vécues pendant la dernière guerre." et finit par "Le scientifique du futur ressemblera de plus en plus au personnage solitaire de Dédale à mesure qu'il prendra conscience de son effroyable mission, et qu'il en sera fier". Pour le second texte, le début est "Le Dédale de M. Haldane a présenté une image plaisante de l'avenir que produirait l'utilisation des découvertes scientifiques pour le bonheur de l'humanité. Il me plairait de souscrire à ses prévisions, mais une longue expérience des hommes politiques et du gouvernement m'a rendu un peu sceptique. Je me vois forcé de craindre que la science soit utilisée en faveur du pouvoir de groupes dominants plutôt que pour faire le bonheur des hommes." Il finit par : "C'est pourquoi la science menace de détruire notre civilisation. Le seul espoir ferme semble résider dans la possibilité d'une domination mondiale par un seul groupe, disons les Etats-Unis, ce qui mènerait à la formation progressive d'un gouvernement économique et politique ordonné à l'échelle mondiale. Mais vu la stérilité de l'Empire romain, peut-être l'écroulement de notre civilisation s'avérerait-il finalement préférable à cette alternative". 

Cassandre ? Elle n'est pas écoutée... et c'est un mythe. Ce qui demeure, surtout, c'est que nos deux intellectuels ont vécu des temps troublés, et que leur optimisme n'est pas considérable. Mais l'optimisme (ou le pessimisme) ne valent rien : la bouteille, de toute façon, est à moitié pleine ; pas plus !

lundi 15 janvier 2024

La cuisine est-elle de la chimie ? Non, vraiment non.

Pardon à tous mes amis : j'ai beaucoup hésité, à propos de cette question, parce que j'avais une idée fausse de la chimie, et, d'ailleurs aussi, de la cuisine. 

Commençons par la cuisine : il s'agit certainement d'une activité technique, mais qui se double d'une composante artistique et d'une composante sociale. Mais c'est quand même l'activité -technique- de préparation des mets à partir d'ingrédients. 

Pour la chimie, c'est plus compliqué, non pas que la chimie soit plus compliquée que la cuisine, mais parce que son statut est plus... hésitant. Plus exactement, il y a une hésitation entre l'activité technique de production de composés, et l'activité scientifique d'exploration des réactions mises en oeuvre par les chimistes, ou pouvant être mises en oeuvre... avec, au milieu, entre technique et science, la technologie, le métier des ingénieurs. 

La chimie est-elle une technique ? Non, parce que la technique ne se confond pas avec la science. Le mot de "chimie" est apparu vers le 18e siècle, notamment avec Antoine Laurent de Lavoisier, et n'importe qu'elle préparation ne se confond pas avec une activité scientifique ! 

Donc partons de bases saines : la cuisine est une technique, qui prépare des aliments ; la chimie est une science, qui explore des phénomènes. Quelles sont les relations entre les deux champs ? On commencera par observer qu'ils n'ont rien en commun. 

Certes le cuisinier qui cuisine chauffe, de sorte que de nouveaux composés sont formés : quand la viande brunit, quand le sucre caramélise, par exemple. Il y a donc des transformations moléculaires en cuisine, mais il n'y a pas de "science de la nature".

dimanche 14 janvier 2024

Des limonades qui moussent

 
Le champagne mousse, mais sa mousse retombe. La bière mousse, mais sa mousse tient très bien. 

Une telle déclaration est à l'emporte pièce ne vaut rien, bien sûr, parce que l'on sait aujourd'hui combien le verre est important. Notamment, un champagne versé dans un verre parfaitement propre ne mousse pas du tout : les bulles qui, en montant vers la surface du liquide, forment la mousse n'apparaissent que sur des fibres creuses déposées par les textiles, ou sur des fissures dans le verre (raison pour laquelle on peut faire monter des bulles d'un verre rayé au fond. Je n'explique pas le mécanisme de formation des bulles, parce que ce serait hors sujet (voir Casseroles et éprouvettes, éditions Belin). 

Passé les cas particuliers, la phrase que j'avais écrite en introduction reste vraie… et il y a lieu de s'interroger. Tout tient dans les protéines ! Ces dernières sont rares dans les champagnes, mais abondantes dans les bières, et, comme le montre l'expérience qui consiste à fouetter un blanc d’œuf en neige, les protéines sont des bons agents « foisonnants ». Foisonner ? Cela veut dire « faire mousser ». 

Bref, les protéines contribuent à la formation et à la tenue des mousses. De ce fait, pourquoi ne pas ajouter des protéines, quand on veut une mousse qui tient ? Par exemple, les boissons gazeuses sont souvent d'une bien faible effervescence, mais, par exemple, pourquoi n'aurions-nous pas une limonade avec un panache ? Il suffirait de mélanger de l'acide citrique, du bicarbonate de sodium… et quelques protéines. L'ajout d'eau conduirait alors à la réaction du bicarbonate et de l'acide, à la formation de bulles de dioxyde de carbone… que les protéines viendraient stabiliser, comme dans la bière. D'ailleurs, je dis « limonade », mais pourquoi pas de l'au avec du sirop de menthe, si l'on fouette, ou un jus mis sous pression dans une bouteille, ou encore un liquide placé dans un siphon. Les possibilités sont innombrables… et vraiment faciles à mettre en œuvre. A vous de jouer...

samedi 13 janvier 2024

Hervé This discute Brillat Savarin : les prétendus épinards du chanoine ...

Mon invention des "chaptals"

 

Titre :

Les Chaptals


Chapeau :

Vive la chimie !


Texte :

Continuons ce mois-ci l’entreprise entamée l’été dernier, et qui consiste à donner des noms de chimistes célèbres à des mets. Cette fois, ce sera le nom de Chaptal, qui sera donné, parce qu’il est question d’ajouter du sucre à une préparation.

Je vous rappelle les chimistes qui ont été précédemment honorés :

● Le nom de Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) a été donné aux préparations qui mettent en œuvre un contraste simultané des goûts.

● Le nom de Michael Faraday  (1791-1865) a été donné aux mets de formule ((G+H+S1)/E)/S2.

● Le nom de Joseph-Louis Gay-Lussac (1778-1850) a été donné aux veloutés mousseux.

● Le nom de Claude Joseph Geoffroy () s’applique désormais aux émulsions que l’on obtient en fouettant de l’huile dans un blanc d’œuf.

● Le nom de Josiah Willard Gibbs (1839-1903) a été donné aux émulsions gélifiées chimiquement, ce que j’avais préalablement nommé des « doubles dispersions ».

● Le nom d’Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) a été donné aux royales de l’extrême, telle celle qui figurait dans le menu que nous avions préparé en l’an 2000.

● Le nom de Justus von Liebig (1803-1873) a été donné aux émulsions gélifiées physiquement.

● Le nom de Louis-Camille Maillard (1878-1936) a été donné aux demi glaces de légumes.

● Le nom de Dmitri Mendeleiev (1834-1907) a été donné aux infusions généralisées, dans l’huile, dans l’alcool, à froid, à chaud…

● Le nom de Parmentier (1737-1813) a été donné aux pains obtenus à partir d’une farine sans gluten, à laquelle on ajoute du gluten extrait d’une farine de blé.

● Le nom de Louis Pasteur (1822-1895) a été donné aux plats où, par l’exercice d’une cuisine note à note, de l’acide tartrique est employé.

● Le nom de Eugène Melchior Péligot (1811-1890) a été donné aux caramels de glucose, de fructose…

● Le nom de Charles Gabriel Pravaz  (1791-1853) a été donné aux mets qui font usage des intrasauces.

● Le nom de Friedrich Wöhler (1800-1882) a été donné aux sauces où, encore en vertu de l’exercice d’une cuisine note à note, des polyphénols sont présents.

● Le nom de Charles Adolphe Würtz (1817-1884), enfin, a été donné aux mousses gélifiées.



Intertitre :

Et maintenant, le Chaptal


Les descriptions de ces diverses préparations sont détaillées dans les pages de ce site. Il ne manque que la description du Chaptal. L’idée est d’utiliser le fait que l’on puisse faire un mètre cube de blanc en neige avec un seul blanc d’œuf. Dit ainsi, l’idée est fausse, bien sûr, parce que si l’on considère qu’une seule bulle fait déjà un blanc en neige, le calcul montre qu’un blanc d’œuf permet de faire un volume de plus de 1000 mètres cubes ! Plus exactement, c’est avec des bulles de la taille d’un blanc en neige classique que l’on peut obtenir un mètre cube de blanc en neige à partir d’un blanc d’œuf. Il suffit de se poser la question : pourquoi le blanc en neige classique ne monte-t-il pas plus qu’un tiers de litre ? Et la réponse est : parce qu’il manque d’eau, pour accueillir les bulles d’air.

D’où l’idée qui consiste à ajouter de l’eau. Naturellement, cette eau peut avoir du goût : ce peut être du jus de pomme verte, du café, du jus de citron, du bouillon…

Pour stabiliser la mousse obtenue, il faut fouetter vigoureusement, afin que les bulles soient plus petites : elles « tiendront » mieux l’eau, par des forces de surface analogues à celles qui font le « ménisque » (voir la photographie) au bord d’un verre, la surface du verre tirant l’eau vers le haut.

Une autre possibilité, pour stabiliser les Chaptals, consiste à ajouter du sucre : on obtient un appareil à meringue cru, que l’on peut servir dans un dessert, par exemple.


Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) ne mérite-t-il pas tous tes soins artistiques ?