mercredi 22 novembre 2023

Une question ? Une réponse.

Comment utiliser de la broméline pour attendrir la viande ? 

Comment utiliser la broméline sur une pièce de bœuf ? Et comment éviter que la viande n'ait un goût de salade de fruit ? 

La broméline est une enzyme que l'on trouve notamment dans l'ananas frais. C'est une protéase, c'est-à-dire une protéine qui a la capacité de couper les autres protéines (pas toutes, bien sûr, mais quand même). Notamment, elle peut couper les protéines de type collagène, actine et myosine qui constituent 60 pour cent des viandes. 

Bref, on peut l'utiliser pour attendrir des viandes… comme l'avaient découvert les Indiens d'Amérique, mais avec la papaye (l'effet est le même, bien que l'enzyme soit cette fois la papaïne) : ils enveloppaient les viandes dans des feuilles de papaye. Pour l'ananas, il suffit d'utiliser une seringue pour injecter du jus d'ananas frais à l'intérieur, et il faut laisser agir un temps qui dépend du résultat que vous voulez obtenir. Après plusieurs heures, on obtient parfois comme une sorte de hachis à l'intérieur. 

Comment éviter le goût de fruit ? Soit utiliser une petite quantité de jus, en sachant que les enzymes sont des catalyseurs, à savoir qu'elles ne sont pas détruites quand elles agissent, et qu'il faut seulement leur donner du temps pour diffuser, ou bien utiliser l'enzyme séparée du jus : la papaïne, la ficine (de la figue), la broméline (de l'ananas)… tout cela s'achète !

mardi 21 novembre 2023

Fâchons-nous rapidement

 Il vaut mieux se fâcher très vite avec ceux avec qui l'on se fâcherait un jour : cela simplifie les choses. 

Avec le billet qui suit, je risque de perdre des amis... ou pas : je compte sur les vrais amis pour me rectifier si je suis dans l'erreur. Pardonnez mon esprit un peu faible, et contribuez s'il vous plaît à l'amélioration de mon esprit (Michael Faraday avait ainsi un "club d'amélioration de l'esprit). 

 

Bref, commençons le calcul : Soit une personne qui travaille 35 heures par semaine, 47 semaines par an, pendant une carrière de 40 ans: n:= 35*47*40; n := 65800. 

Cette personne (qui n'aime pas beaucoup son travail) passe du temps à ne pas l'exercer (tâches administratives, pauses, discussions avec collègues, arrêts de travail...), ce qui réduit son temps effectif d'un facteur deux (en réalité, j'ai fait des statistiques, et ce serait plutôt 3, mais soyons charitable): f:=2; f := 2 n/f; 32900.

 On compare avec quelqu'un qui aime son travail, et fait donc 105 heures par semaines, pendant 52 semaines par an (pourquoi s'arrêter de faire ce que l'on aime?), toujours sur 40 ans de carrière : Nmax := 105*52*40; Nmax := 218400. 

 

 Le rapport entre les deux est : Nmax/(n/f); 312 --- 47 evalf(%); 6.638297872 # Soit, une avance, en années, de : (40*%)-40; 225.5319149. 

 Si le facteur 2 semble exagéré, supposons qu'un quart seulement du temps de (1) ne soit pas efficace. L'avance reste de : (40* (Nmax/(n/(4/3))))-40; 6440 ---- 47 evalf(%); 137.0212766

 

 Soit un siècle et demie d'avance pour une vie! 

 

Erigeons cela en loi générale : imaginons qu'un élève commence à aimer les mathématiques en classe de Sixième. Il arrivera en Maths Spé avec 50 ans d'avance environ sur les autres. Et ainsi de suite. Décidément, "D'r Schaffe het süssi Wurzel un Frucht", comme on dit en Alsace (le travail a des racines et des fruits délicieux). Je vous avais bien que ce serait politiquement incorrect. Qui me remet dans le droit chemin ?

lundi 20 novembre 2023

Distiller, en cuisine ?

Dans un billet précédent, j'ai évoqué les pertes qui se font au-dessus des casseroles, et j'ai promis de considérer des manières de les éviter. 

 

Dans ce billet, je propose de considérer deux techniques voisines, bien que, différents : l'hydrodistillation et la distillation fractionnée. 

 

L'hydrodistillation est une technique simple : on récupère les vapeurs qui s'échappent d'une casserole chauffée, on les refroidit et l'on obtient de l'eau un peu parfumée, et, surtout, qui porte à sa surface un liquide d'apparence huileuse, nommé « huile essentielle ». 

Pour faire une hydrodistillation en cuisine, une cocotte minute suffit : au lieu de cuire sous pression, on adapte à la soupape de sécurité un tuyau et l'on refroidit les vapeur en enroulant le tuyau dans une marmite d'eau froide, tandis que son extrémité vient déboucher dans un récipient qui recueille l'eau et l'huile essentielle. Le mécanisme qui fonde le procédé est le suivant : les molécules odorantes sont des molécules qui partent facilement dans l'air, et l'évaporation de l'eau produit en abondance de la vapeur qui emporte ces molécules, le tout étant recondensé ensuite par le dispositif de refroidissement (tout cela est détaillé dans un chapitre particulier de mon livre « Mon histoire de cuisine », juste paru aux éditions Belin). 

 

Une autre méthode, qui n'est pas, hélas, utilisée couramment par les cuisiniers, est la distillation fractionnée : cette fois, il faut adapter une colonne en verre au dessus de la casserole, et cette colonne doit être d'un type particulier, avec un gainage externe où l'on fait circuler de l'eau froide. Quand le liquide est chauffé, les divers composés évaporés montent dans la colonne jusqu'à des hauteurs qui dépendent de leur température d'évaporation (le haut de la colonne est plus froid que le bas). Par exemple, imaginons que nous chauffions de l'eau, dont la température d'évaporation est de 100 °C, et de l'éthanol, qui s'évapore à seulement 76 °C. Les vapeurs d'eau et d'éthanol monteront dans la colonne, mais les molécules d'eau se condenseront plus bas que les molécules d'éthanol. Si l'on s'y prend bien, les molécules d'éthanol pourront donc être récupérées, et séparées des molécules d'eau. 

 

Je ne vois pas pourquoi les cuisiniers ne pourraient s'équiper de systèmes de distillation, pour distiller non pas des alcools, mais des mets variés, et l'on peut imaginer des résultats merveilleux. Il y a plus de 30 ans que j'ai fait cette proposition, mais ça traîne. Pourquoi des fabricants ne feraient-ils pas des systèmes pour les cuisiniers ? Sans quoi les cuisiniers devront se rabattre sur les systèmes qu'utilisent quotidiennement les chimistes. 

 

En touts cas, gardons à l'idée que nous avons la possibilité de séparer l'eau évaporée au dessus d'une casserole de tous les merveilleux composés qui sont emportés avec elle. Et c'est ainsi que la cuisine peut encore grandir, avec des goûts inédits. PS. Une autre façon de s'y prendre consiste à chauffer les casseroles à des températures fixes, et à récupérer les vapeurs à ces différentes températures. C'est quand même bien moins pratique, mais nécessité fait parfois loi.

dimanche 19 novembre 2023

Ne créons pas de poussière dans le monde

 Le « pari de Pascal » (Pensées, 1670) est célèbre : « Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. » 

 

Ne pourrions-nous proposer, de même, de faire le pari de la bienveillance, de l'intelligence et de la culture, sans prétention ? 

 

D'une part, il y a les malfaisants, les jaloux, les méchants, les malhonnêtes, les paresseux, les autoritaires… qui nous nuiront quoi que nous fassions. 

D'autre part, il y les bienveillants et ceux qui n'ont pas d'idée a priori de nos travaux. Si nous mettons de l'intelligence dans nos productions, les individus de cette seconde catégorie, les seuls à qui il soit digne de s'adresser, nous seront redevables des pétillements que nous aurons glissés dans notre version des faits. 

Là, il faut que je demande pardon à mes amis, et que je rectifie une erreur que j'ai faite dans un de mes livres et quelques articles : ébloui par le moine Shitao, ce théoricien chinois de la peinture et de la calligraphie, je l'avais suivi quand il évoquait la « poussière du monde ». 

La poussière du monde ? Ce sont les modes, les « chiens écrasés », les potins, les agissements des grenouilles qui veulent se faire plus grosses que le bœuf (ceux qui prétendent diriger, alors qu'il n'est pas certain qu'ils se dirigent eux-mêmes : je pense aux « dirigeants » dont les enfants sont délinquants, ou s’entre-tuent pour des histoires de mœurs sordides, sans compter ceux qui affichent impudiquement leur vie publique… minable). Bref, il y aurait la « poussière du monde ». 

Toutefois, dire un mot ne fait pas exister l'objet « matériellement » ! Le manteau du père Noël n'est ni rouge ni bleu… puisque le père Noël, n'existant pas, n'a pas de manteau. La poussière du monde ? L'idée est fascinante, mais si nous nous efforçons de mettre de l'intelligence dans nos actes, pensées, discours, rien n'est anodin, rien n'est poussière. Et c'est ainsi que nos productions seront plus belles, adressées à des « amis ».

samedi 18 novembre 2023

Un bon professeur ?

 Hier, une discussion avec des étudiants à propos de ce qu'est un bon professeur. 

Je me demande si c'est manier excessivement le paradoxe de proposer que le professeurs puissent être de mauvais pédagogues à condition d'être de bons scientifiques ? 

 

Expliquons l'idée, en partant de la « montagne du savoir » que les étudiants doivent gravir, afin que, à partir du sommet, ils puissent poursuivre l'œuvre collective de production de savoir. 

C'est un fait qu'il leur est difficile -et improductif - de retracer tout le chemin qui a conduit jusqu'à ce sommet : difficile, parce qu'ils n'auraient que quelques années pour refaire des siècles ; improductif, parce que la recherche scientifique est extraordinairement « hésitante », en ce sens que, sans stratégie possible, elle doit défricher beaucoup avant de pouvoir repousser les limites du connu ; sans compter qu'elle s'est souvent fourvoyée, et que seul l'état de l'art le plus actuel est essentiel (même s'il est vrai qu'il n'est pas inutile de connaître l'histoire des sciences, au contraire). 

 

Bref, il semble clair que les étudiants doivent maîtriser les notions les plus modernes du temps où ils étudient. Et qui d'autre que ceux qui produisent le savoir le plus moderne peut avoir connaissance de ce savoir ? 

Cette idée justifie d'ailleurs la pratique universitaire de nommer professeurs ceux qui publient le plus, sans considération de leur mérite pédagogique. A l'inverse, on peut proposer que des individus soient de « bons » enseignants s'ils se tiennent au courant de la production du savoir et s'ils font l'effort de mettre les notions les plus modernes à la disposition des étudiants. 

Dans cette hypothèse, les enseignants n'auraient pas à publier de publications scientifiques, mais ils pourraient être jugés sur leur travail de « facilitation ». 

C'est souvent là l'alternative commune, mais d'autres options sont également possibles : Aristophane disait qu'« enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier ». Cette fois, peu importe que l'enseignant produise des connaissances nouvelles ou les explique bien, mais il doit surtout donner l'impulsion, contribuer à ce que les étudiants aillent d'eux-même construire leur savoir. 

Cette troisième option a plusieurs mérites, mais notamment elle montre que le manichéisme n'est pas une solution raisonnable. En outre, elle a le mérite de montrer combien il est bien difficile d'avoir des certitudes sur « la » méthode qui s'impose dans l'enseignement, et, de ce fait, combien il est difficile d'évaluer des enseignants… d'autant que la perception de la qualité des enseignants peut changer : le même professeur qui est mal évalué par les étudiants, sur le coup, peut faire l'objet d'une excellente évaluation avec quelques années de recul. 

 

Bref, j'ai bien peur d'avoir peu de certitudes à propos d'enseignement, et je propose de craindre les certitudes de ceux qui en ont, à ce propos.


vendredi 17 novembre 2023

Traiter de sujets anciens

 Quand je travaillais à la rédaction de la revue Pour la Science, nous avons souvent rencontré le phénomène suivant : après un certain temps, chaque proposition d'article était reçue par un « On l'a déjà traité ». La mécanique quantique ? Déjà vu. Les micro-algues ? On l'a fait il n'y a pas si longtemps. La naissance de l'Univers ? Une vieille lune… 

Certains journaux, radio, télévision ne se seraient pas embarrassés de nos scrupules et auraient sauté sur la moindre actualité pour remplir leurs colonnes, mais, notre travail étant rigoureux et honnête, nous avons souvent conclu que nous ne pouvions pas traiter à nouveau des sujets que nous avions déjà abordés ; nous cherchions à ne pas nous répéter, afin de donner à nos lecteurs une information de valeur (et de qualité, mais c'est une autre affaire). 

 

En réalité, ce choix était peut-être erroné, pour plusieurs raisons. 

 

D'une part, les lecteurs de la revue ne lisent pas tous les articles, de sorte que, en supposant une proportion de lecture de 50 %, nous aurions dû accepter de nous répéter au moins une fois. 

D'autre part, il y avait la question de la nouveauté : si le sujet se présentait à nouveau, nous devions le traiter, afin de ne pas priver nos lecteurs d'informations dont ils avaient envie ou besoin. Autrement dit, il fallait traiter ces sujets, mais les traiter, mais avec un angle nouveau. Au lieu de rabâcher les même métaphores explicatives, il nous revenait d'en trouver de nouvelles, d'originales... 

 

Je me vois aujourd'hui dans le même type de questionnement, car il est vrai que bien rares sont les sujets culinaires dont je n'ai pas fait état, par le passé, dans un de mes livres, articles, interventions, etc. Mais prenez mon jeune « neveu », âgé de moins de 20 ans, et qui se passionne pour la cuisine. Doit-il aller rechercher dans le fouillis de mes publications anciennes l'information dont il a besoin aujourd'hui ? Et les travaux effectués depuis 35 ans n'ont-ils pas conduit à une vision épurée, clarifiée, qui permet donc de donner des explications bien plus simples et plus justes que par le passé ? 

Mon enthousiasme étant intact, la réponse est claire : même si j'ai déjà discuté la confection de la mayonnaise, je ne dois pas m'empêcher de la discuter à nouveau, mais c'est à moi d'aller inventer des mots nouveaux, des idées nouvelles à propos de sujets anciens. Le problème de l'âge qui rabâche ? C'est une question de paresseux, et la conclusion s'impose : à nous de nous émerveiller, sans naïveté toutefois, des extraordinaires sujets qui nous sont soumis, à nous de composer des discours originaux, éclairants, à nous d'utiliser une expérience supérieure pour communiquer de l'enthousiasme avec encore plus d'efficacité que nous ne le faisions naguère.

jeudi 16 novembre 2023

Des cigarettes bio : de qui se moque-t-on ?

 Je m'étais moqué récemment d'un patron de commerce "bio" qui fumait devant la porte de son magasin. 

L'un des commentaires demandait si les cigarettes était elles-mêmes bio, ce qui est quand même le comble (mais j'ai eu la réponse, un jour!). 

Là une information complémentaire, trouvée hier : The nicotine content of aubergines, a concentration of 0.01 mg per 100g, is low in absolute terms, but is higher than any other edible plant. The amount of nicotine consumed by eating eggplant may be comparable to being in the presence of a smoker, depending on the cooking method.[ Edward F. Domino, Erich Hornbach, Tsenge Demana, The Nicotine Content of Common Vegetables, The New England Journal of Medicine, Volume 329:437 August 5, 1993 Number 6] On average, 9 kg (20 lbs) of eggplant contains about the same amount of nicotine as a cigarette. 

La nicotine, il faut le rappeler, n'est pas sans danger : la DL50 (dose qui tue la moitié d'un groupe d'animaux) est de 50 mg·kg-1 (rats, oral), 3,34 mg·kg-1 (souris, oral), 9,2 mg·kg-1 (chiens, oral). Bref, toute cette question du "bon pour la santé" est une vaste rigolade (en revanche, la ciguë est certainement toxique).