dimanche 16 mars 2025

Tartinabilité

Une question   : 

Je fais des saucisses et je voudrais les rendre tartinables. Comment faire ? 


Mon réponse : 

Souvent, une saucisse après cuisson est formellement un gel : un réseau de protéines fait comme un filet qui piège tout le reste. Et cela n'est que difficilement tartinable, parce que, l'écrasement doit rompre le réseau. 

Une manière de rendre tartinable, c'est :

- soit augmenter la quantité d'eau, pour réduire la proportion de gel,
 
- soit  augmenter la proportion de graisses fondues à la température ambiante ("huile") : c'est la technique qu'utilisent les industries pour faire des "préparations tartinables de type beurre"
 
-soit enfin préparer plutôt un système de type suspension (pensons à une crème anglaise), avec des agrégats dispersés dans un liquide

samedi 15 mars 2025

À propos de questions personnelles

Hier, lors d'une présentation à des étudiants de lycée hôtelier, l'équipe qui me recevait avait organisé une discussion et préparé une série de questions. L'une d'elle était : « êtes-vous plutôt cornichon au vinaigre ou chocolat au lait ? ». 

Je préfère les cornichons au vinaigre au chocolat surtout au lait, mais évidemment j'ai répondu différemment en ajoutant que la question aurait été plus compliquée si l'alternative avait opposé des cornichons à du chocolat noir. Surtout, ne voyant pas l'intérêt de la question, j'ai ajouté que chacun a son propre goût, et ce goût personnel est parfaitement légitime ; le mien au fond n'a aucun intérêt particulier et il n'a aucun intérêt didactique  : à quoi cela servira t-il que les étudiants sachent que j'aime ou non les cornichons au vinaigre ? 

Sur mon site personnel (https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/), il y a ainsi toute une série de réponses à des questions et notamment un groupe de questions personnelles. À quoi bon ? Faut-il vraiment faire étalage d'information qu'il est dans rien aux amis ? 

Évidemment, chaque fois que je suis mis en position de devoir répondre à de  telles questions, je réponds autre chose, et j'essaie de détourner la réponse vers des informations plus intéressantes. 

Ce fut d'ailleurs le cas pour un livre tout entier qui a finalement paru sous le nom sous le titre de Construisons un repas : il s'agissait initialement d'entretiens avec une journaliste, qui  avait voulu "incarner" la science ; mais  j'avais complètement réécrit le manuscrit en donnant de la généralité, comme je le propose ici. 

D'ailleurs, je n'oublie pas qu'il y a vraiment très longtemps, après une interview à la radio, un ami d'un de mes fils, alors encore très jeune, avait fait cette remarque : ton père parle de lui. Et cela m'avait choqué car le moi est haïssable  : ma personne n'est pas intéressante et il n'y a que ce que je fais qui peut éventuellement l'être,  ou, plus exactement qui doit le devenir de plus en plus chaque seconde 


vendredi 14 mars 2025

Jean Jacques et les textes à charge

Alors que je relis un texte du chimiste Jean Jacques consacré à Archibald Scott Couper, je m'aperçois que notre homme avait tendance à prendre des contre-pieds. Il avait notamment rédigé un livre pour montrer que le chimiste Marcelin Berthelot n'était en réalité pas aussi grand qu'il le prétendait, un livre à charge certainement, mais fondé sur des recherches historiques assurées. 

En revanche, dans sa volonté de descendre Berthelot de son piédestal, il avait oublié quelques éloges qui auraient donné plus de force à sa démonstration. 

Là, je retrouve un de ses articles publié aux Comptes rendu de l'Académie des sciences à propos d'Archibald Scott Couper, qui aurait été injustement oublié au profit d'August Kékulé, lequel publia quelques semaines auparavant Couper, et cela parce que Würtz, le patron de Cooper, n'aurais pas transmis suffisamment vite le manuscrit de ce dernier à l'Académie des sciences. 

Là encore virgule Jean-Jacques n'a pas entièrement tort mais il n'a pas entièrement raison parce que les notions débattues à l'époque avaient des interprétations difficiles, et que Kekule et Couper n'ont pas publié exactement la  même chose. 

D'autre part, on peut aussi imaginer que Kekule ait pu être retardé un peu par les contingences. 

Et puis surtout, il y aurait eu lieu de plus fouiller la démonstration, car les notions chimiques de l'époque n'était pas celles d'aujourd'hui et les représentations étaient également différentes.
On sortait à peine du congrès mondial des chimistes qui avait eu lieu en 1860 et au cours duquel avait été semée la graine qui avait permis plus tard de mieux comprendre la notion de molécule. Acette époque, on confondait particules, molécules, atomes : tout cela était très petit et on avait bien des difficultés à imaginer des molécules d'aujourd'hui.
Certes, il y avait eu Le Bel et van t'Hoff, qui avaient proposé la tétralence du carbone, mais la communauté des chimistes était loin d'être convaincue :  jusque après le début du 20e siècle, certains esprits pourtant grands n'admettaient toujours pas l'hypothèse moléculaire et plutôt que de les critiquer, il y a lieu de bien comprendre pourquoi ils hésitaient. 

Au fond, Jean-Jacques, qui savait beaucoup de choses, qui avait beaucoup lu , n'a pas suffisamment pris la peine de bien fouiller les matières qu'il explorait, de bien se les expliquer à lui-même avant de les expliquer aux autres et c'est la raison pour laquelle il a été si peu suivi je crois 

Il y a là une leçon : dans nos démonstrations, nous ne pouvons pas faire l'économie d'explications et surtout quand les matières sont encore confuses pour nous.
Nous ne parviendrons pas à convaincre quiconque si nos idées ne sont pas déjà entièrement claires pour nous-même. Nous ne pouvons pas expliquer les points d'histoire des sciences si nous ne comprenons pas parfaitement comment les choses ont évolué à l'époque que nous discutons sans quoi ferons des textes plein d'arguments d'autorité et qui ne convainquent pas.

jeudi 13 mars 2025

Présenter la science : ce ne peux pas se limiter à un long discours

Un interview d'un  pianiste me fait comprendre que de longues "têtes parlantes" (un discours, fut-il en dialogue) devient un peu  ennuyeux quand il est long, même quand on apprend beaucoup. 

En l'occurrence, je comprends aussi que la séquence aurait gagné à être davantage illustrée, musicalement. 

Cela me rappelle l'enregistrement d'une très belle présentation du pianiste Andras Schiff, qui expliquait les œuvres qu'il jouait, avec une composante musicale bien plus abondante que dans le cas que je viens de voir à l'instant : https://www.google.com/search?q=andras+schiff+conferece&client=ubuntu&hs=vjz&sca_esv=25add6e16aa71730&channel=fs&udm=7&biw=1150&bih=666&sxsrf=AHTn8zrko4KWEPPIoMKUZWNcyRljFmhU3Q%3A1741681938124&ei=EvXPZ82eB5mrkdUPrMaG2A4&ved=0ahUKEwjN7-7pzoGMAxWZVaQEHSyjAesQ4dUDCBA&uact=5&oq=andras+schiff+conferece&gs_lp=EhZnd3Mtd2l6LW1vZGVsZXNzLXZpZGVvIhdhbmRyYXMgc2NoaWZmIGNvbmZlcmVjZTIHECEYoAEYCjIHECEYoAEYCkjED1C7AliLDnACeACQAQCYAWCgAcYFqgEBObgBA8gBAPgBAZgCC6ACywbCAggQABgTGAcYHsICBxAAGIAEGBPCAgYQABgTGB7CAggQABgTGAoYHsICBRAAGIAEwgIGEAAYFhgewgIIEAAYFhgKGB7CAgUQABjvBcICCBAAGIAEGKIEwgIEECEYFcICBRAhGKABmAMAiAYBkgcEMTAuMaAH0iI&sclient=gws-wiz-modeless-video#fpstate=ive&vld=cid:53d806cd,vid:ViZu8ATTqc8,st:0

 

J'en prends de la graine : une conférence ne peut pas se limiter à un long discours !

Si ce dernier repose sur un powerpoint, c'est un peu mieux, mais encore insuffisant, et voilà pourquoi j'ai toujours ajouté quelques expériences à mon discours.

 Mais je comprends que ces dernières illustrations sont souvent un peu extrinsèques,  et que, sur la véritable partie de mon travail, j'aurais pu faire mieux en montrant la science en train de se faire. 

Comment ? Supposons que je considère un spectre de résonance magnétique nucléaire, par exemple. Alors j'aurais pu filmer l'acquisition, de la préparation de l'échantillon jusqu'à la production du spectre. 

Puis, j'aurais pu analyser le spectre publiquement, en faisant les nécessaires calculs devant tous. 

Bien sûr, il y a dans cette affaire une re-création  : il faut "patouiller", certes, mais pas trop. Donc avoir répété à l'avance, pour montrer quelque chose de plus abouti. En tout cas, je vais m'y essayer 

Au fond, il y aurait lieu de choisir un cas où la totalité des étapes de la recherche scientifique sont présentés, de l'identification du phénomène jusqu'à la réfutation d'une prévision théorique.

Chez les Compagnons

Alors que les Compagnons de la Cayenne de Paris (Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis)  viennent de m'inviter pour que leur parle de cuisine, je sors rafraîchi de les avoir rencontrés parce que, leur parlant après la présentation, j'ai vu des personnes assez jeunes, très enthousiastes de leur métier et du travail qu'ils font. 

Il y avait des cuisiniers, des pâtissiers, des graveurs sur pierre, et cetera et tous étaient intéressés d'apprendre, non seulement d'apprendre des points précis, mais aussi de la méthode. Et en tout cas, deux d'entre eux m'ont bien dit que c'est aussi bien l'état d'esprit que je proposais que les résultats particuliers que je montrais qu'ils retiraient de ma présentation. 

C'est beaucoup plus que ce que j'espérais, notamment quand je me souviens d'une présentation analogue que j'avais faite dans le même endroit, il y a de cela 30 ans. À cette époque, dans le groupe, il y avait certes des gens également intéressés par leur métier mais il y avait aussi des cuisiniers tout à fait réfractaires à la manière nouvelle d'aborder la cuisine, de l'explorer, d'en proposer des modifications... 

En un mot, j'ai trouvé les compagnons d'aujourd'hui plus éclairés que les compagnons de jadis et d'ailleurs, durant ma présentation, il y a eu nombre de questions très intéressantes par des personnes très intéressées. 

Et cela est rafraîchissant  ! J'aime beaucoup cette idée de se retrouver le soir pour travailler, pour apprendre, découvrir, échanger. 

D'ailleurs, la présentation a été suivie d'une sorte de buffet où plusieurs d'entre eux avaient apporté le résultat de leur travail, une terrine, un potage, et cetera,  et les discussions ont continué autour de la table, debout. Souvent des discussions un peu "profondes" et pas ce vernis mondain et ennuyeux que l'on rencontre trop souvent lors de cocktail. Oui, des discussions passionnantes, parce qu'il s'agissait du métier !

mercredi 12 mars 2025

Conférence, le 24 avril à Strasbourg

A venir : 

Strasbourg,  jeudi 24 avril, 15h30, Bibliothèque Nationale et Universitaire,
place de la République


Un message de l'Académie d'Alsace : 

 

"C’est un événement de fierté pour notre académie : notre confrère Hervé This, physico-
chimiste à AgroParisTech, théoricien de la cuisine moléculaire, recevra le 9 avril à
l’Université de Copenhague, des mains du roi du Danemark, le prestigieux Prix Sonning,
décerné tous les ans depuis 1950 à une figure européenne majeure (de Churchill à Arthur
Koestler ou Simone de Beauvoir, de Dario Fo à Renzo Piano ou Lars von Trier, sans
oublier un autre Alsacien, Albert Schweitzer). Hervé This viendra parler de ses recherches
sur l’alimentation de demain qui lui ont valu ce prix.


Entrée libre, mais inscription sur un lien que la BNU nous donnera bientôt.


Cette conférence ouvre un cycle de rencontres régulières à la BNU, à partir de la rentrée
prochaine

Méthode et stratégie

Depuis plusieurs années, j'utilise le mot stratégie pour la planification de mes travaux scientifiques, et je le discute dans le contexte de la recherche scientifique : je m'interroge sur la manière de pratiquer efficacement, intelligemment, ma recherche. 

Je ne me souviens pas pourquoi j'utilise ce terme à connotation militaire,  sauf peut-être que j'avais été intéressé par le passé par la différence entre stratégie et tactique. 

Toutefois la connotation militaire me paraît aujourd'hui déplacée je me propose de revenir au mot "méthode" : un mot qui a ses lettres de noblesse puisqu'il y a eu un fameux discours de René Descartes, à son propos. Un mot dont l'étymologie est parfaitement juste, puisqu'il s'agit de choisir un chemin.

Partons donc pour méthode, mais comment ferions-nous maintenant la distinction entre stratégie et tactique ? Commençons par observer que la méthode est une planification, et que c'est ensuite qu'il faudra la mettre en oeuvre. 

La tactique est l'"Art d'utiliser les meilleurs moyens pour atteindre un certain objectif; ensemble de ces moyens. " Le mot est emprunté au grec taktikos : « qui concerne l'arrangement, spécialement l'organisation ou l'alignement d'une troupe; propre ou habile à faire manœuvrer des troupes, habile tacticien ». 

Encore une connotation militaire, au fait, que voulons-nous dire vraiment ? La métaphore -fut-elle militaire- n'est pas une réponse à la question, et il va falloir chercher un peu !